La norme, c'est ce que nous produisons ici, en tant que parlementaires, mais c'est également ce que nous chassons. Au-delà du nécessaire nettoyage auquel nous procédons de manière ponctuelle, nous souhaitons participer de manière collective à un changement de culture. Ce changement s'opère autour de ce que j'appelle un objectif d'efficacité de l'action publique et de la norme utile, qui s'oppose à la norme contreproductive, quand elle bloque l'action publique. Nous sommes un certain nombre d'acteurs à intervenir autour de la norme, et il convient que nous échangions sur ce partage de culture, évoqué avec le président du Centre national d'évaluation des normes (CNEN) Alain Lambert, le vice-président Rémi Pointereau et Mme la ministre Amélie de Montchalin, que nous avons vue récemment.
Je dois vous préciser que cette séquence est filmée. Je vous prie d'excuser ceux qui ne sont pas présents. Un collègue sénateur d'Avignon devra nous quitter tout à l'heure en raison du drame qui s'est produit hier. En solidarité avec lui et avec les policiers, je vous propose de respecter une minute de silence.
Les travaux que nous conduisons sur la norme répondent à une demande du président du Sénat, qui a spécifiquement missionné notre délégation. Nos efforts portent leurs fruits. Nous aurons l'occasion de parler également de l'évaluation de l'action publique. En effet, 80% des dispositions portées par notre collègue Rémy Pointereau dans une proposition de loi de simplification du droit de l'urbanisme ont été intégrées dans le champ du droit. De même, les dispositions du Pacte national de revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs ont été reprises dans la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN). Cependant, un long chemin reste à parcourir, notamment du point de vue culturel. Il conviendrait qu'ensemble, nous tous, acteurs gravitant autour de la norme, procédions à un changement de logiciel, pour une frugalité et une excellence normative, plutôt qu'une submersion. Dans ce cadre, parce que beaucoup d'entre nous ont été élus locaux, nous mesurons le rôle clé tenu par vos écoles, qui sont emblématiques de notre système de sélection et d'excellence. Elles se situent au coeur de la question de la simplification car vous formez ceux qui écriront les normes, ceux qui les mettront en oeuvre, ceux qui les interpréteront également dans les prétoires, avec plus ou moins de souplesse et d'intelligence des réalités de terrain. Il nous intéresse de savoir quelle place occupe cette préoccupation dans la pédagogie et les contenus enseignés dans vos écoles.
Lors d'un récent colloque organisé par le président du CNEN, M. Patrick Gérard nous avait présenté les évolutions de l'ENA en matière de légistique. Pouvons-nous dire aujourd'hui que tous les élèves de l'ENA, comme ceux de l'INET, suivent des modules de simplification législative, réglementaire et administrative, sous forme théorique et d'étude de cas, en visant un objectif qui doit être celui de tous ceux qui contribuent à l'action publique : l'efficacité de cette action ?
Très récemment, notre délégation a organisé une consultation nationale des élus, que nous rendrons publique la semaine prochaine. Cette idée de renforcer la simplification a reçu une très large adhésion de la part des élus locaux. Comment l'enjeu de simplification est-il appréhendé ? Des élus locaux sont-ils sollicités pour venir concrètement expliquer les difficultés rencontrées face au foisonnement des normes, leur complexité et leur contradiction ? L'ENA a mis en place des stages en préfecture et en entreprise, ce qui est une excellente chose. Les stages en territoire existent, mais nous avions une idée à suggérer que le président de la République n'a pas du tout évoqué dans son intervention du 8 avril dernier lors de la Convention managériale : pourquoi ne pas prévoir une sortie d'école systématique en collectivité ou en administration déconcentrée, hors des métropoles, pour une durée limitée, mais suffisante ? De son côté, la Conférence des présidents d'université a souligné combien il est important d'organiser la formation à l'Institut du service public (ISP) en se fondant sur une alternance touchant tous les territoires de la République dans leur diversité, et pas seulement les préfectures ou les chefs-lieux où elles sont implantées.
S'agissant de l'INET, le développement d'une culture commune des difficultés de terrain pourrait également s'appliquer. Au-delà des stages d'ouverture d'un mois, ne pourrait-on envisager un passage obligé après la sortie de l'école, ou en tout cas tôt dans la carrière, au service de l'État ?
Enfin, je souhaiterais évoquer la formation continue. La formation tout au long de la vie professionnelle nous semble aujourd'hui constituer une exigence. Comment distinguez-vous les deux volets de la formation et quelle action menez-vous dans le domaine de la formation continue ?
Pour conclure, il ne s'agit pas pour nous d'opposer les fonctionnaires de l'État et ses grands serviteurs, qui sont, je le dis à titre personnel pour avoir exercé des fonctions délocalisées, de très grande qualité : ils accompagnent les élus pour trouver des solutions et ce sont donc des facilitateurs en interprétation de la norme. Cependant, leur action est souvent dépourvue de ce facteur d'efficacité que les élus connaissent, eux, très bien : l'obligation de résultat. Il nous semble qu'il existe un manque de sens concret ou d'étude d'impact de la norme. Quel sera le résultat de la norme et permettra-t-il d'atteindre l'objectif d'efficacité de l'action publique ? Comment peut-on partager ce souci, comment pouvons-nous et pouvez-vous contribuer à propager cette culture professionnelle, afin qu'elle devienne pour nous comme une seconde nature ?
Merci Madame la Présidente, je salue les sénateurs et sénatrices ici présents, ainsi que ceux qui nous regardent par visioconférence.
L'ENA forme seulement 80 élèves par an. Parmi eux, une minorité sera amenée à fabriquer des normes ou à les juger. En France, environ 2 000 énarques sont en exercice, sur une totalité de 100 000 fonctionnaires. Parmi ces fonctionnaires, les ingénieurs sont aussi nombreux que les énarques et occupent des postes similaires. Enfin, de nombreux hauts fonctionnaires ne sont ni énarques ni ingénieurs et sont issus d'autres corps, universitaires notamment.
Concernant la réalité de la scolarité à l'ENA, il existe des idées préconçues. La scolarité à l'ENA dure un peu moins de deux ans, elle est donc assez rapide. La première année consiste en un stage, appelé volontairement « Territoire » et non « Préfecture », pour sensibiliser les élèves aux territoires. À cette occasion, en votre qualité de sénateur, vous rencontrez sûrement nos stagiaires quand ils sont dans vos départements. Parmi les critères d'évaluation de ce stage, qui compte beaucoup dans le classement de sortie, sont pris en compte l'efficacité, le sens de l'écoute du terrain et l'engagement dans un certain nombre d'opérations, par exemple la rencontre avec des élus locaux ou des lycéens pour leur parler de l'administration.
J'ai supprimé le stage « Entreprise » que nos élèves avaient l'habitude de faire dans les départements d'affaires publiques de grandes sociétés du CAC 40, pour le remplacer par un stage de deux mois au sein d'une PME. Les élèves de la promotion 2020-2021, comme ceux de la promotion 2021-2022, prennent ainsi conscience de ce que l'État impose comme normes aux PME, qui n'ont souvent pas les moyens, ni juridiques, ni financiers, d'y résister.
Les élèves partent ensuite en stage international, puis ils reviennent à Strasbourg pendant six mois, et leur scolarité se termine par les épreuves de classement et le choix du corps d'entrée. Pendant ces six mois, ils suivent un enseignement de légistique. Il s'agit d'une grande nouveauté. Les études universitaires françaises, même dans les meilleures universités de droit de ce pays, ne prévoient pas de légistique. Les règles de droit sont enseignées, mais on n'explique pas comment les fabriquer. Nous sommes très attentifs à ces cours de légistique. Depuis que j'ai pris la direction de l'ENA en août 2017, j'ai demandé qu'il soit enseigné aux élèves, non seulement comment écrire les textes, mais aussi comment les supprimer. Ils doivent acquérir le réflexe de faire correspondre à l'écriture d'une norme la suppression d'une, voire de deux autres normes. Nous leur apprenons surtout à se poser la question : est-il utile, pour régler un problème donné, de recourir à la norme ?
Le sénateur de la Sarthe Jean-Claude Boulard m'avait dit un jour : « Quand on n'a plus d'argent, on se paye de mots. » Quand nous ne savons pas répondre à une question ou que nous manquons de moyens financiers, nous créons de la norme, afin de donner l'impression que nous avons réglé la question. Nous demandons donc à nos élèves de se poser la question : une norme est-elle vraiment nécessaire ? N'existe-t-il pas d'autres solutions ? Par exemple, lorsque nous voulons réduire la vitesse, le mieux est-il de prendre des normes ou de poser des panneaux de limitation de vitesse, ou d'interdiction à certaines voitures ?
Un travail de résolution d'un problème administratif concret est demandé aux élèves de l'ENA et de l'INET. Par exemple, l'année dernière, ceux de l'ENA ont travaillé sur le nombre trop important de contrôles exercés par l'État sur les petites entreprises. Ils étaient amenés à s'interroger sur la façon d'étaler ou de réduite ces contrôles.
Des exercices de Design Thinking sont également réalisés : les élèves travaillent, par exemple, en collaboration avec des spécialistes du design, à la réorganisation des locaux administratifs et à la façon d'éviter les files d'attente. Ces exercices ont pour objectif de montrer aux élèves que la norme ne constitue pas la solution obligatoire à tous les problèmes.
Parfois, ce sont les autorités politiques qu'ils serviront. Les élèves de l'ENA, devenus hauts fonctionnaires, sont par définition aux ordres d'un gouvernement qui leur demande de répondre à chaque situation par un texte. Vous le savez bien, nos élèves font ce qui leur est demandé. Mais nous essayons aussi de les inciter à proposer aux autorités politiques d'autres solutions.
Les élèves de l'ENA auront également à travailler sur la norme : une fois le rang de la norme défini (constitutionnel, législatif ou réglementaire), ils seront attentifs à sa rédaction (clarté du texte et intelligibilité). Il leur sera également demandé d'élaborer une étude d'impacts : budgétaires, économiques, sociaux, environnementaux.
L'épreuve de légistique regroupe tous ces sujets et a une importance considérable dans le classement de sortie de l'ENA. Elle représente environ 10 % de la note finale, sachant que les stages en représentent 40% et les épreuves 50%. Ces sujets liés à l'évaluation et à l'impact des politiques publiques sont davantage enseignés qu'autrefois. La fabrication des normes en silos que vous évoquiez, Madame la présidente, est un sujet traité cette année, autour d'études de cas concrets, avec des cours ou des séminaires, des réunions interministérielles, qui mettent en lumière les contradictions et permettent à nos élèves d'apprendre à régler ces contradictions.
Nous demandons aussi aux élèves de l'ENA d'être attentifs à la fabrication de la norme chez nos principaux voisins européens. Aux Pays-Bas, sur un sujet donné, une seule loi est votée par législature : par exemple, il n'existe qu'une seule loi sur le terrorisme ou sur l'urbanisme. Certains pays ont réussi à mettre un terme à la course à la norme. Il appartient aux administrations, mais également au pouvoir politique, de faire évoluer la situation en France.
Je vous remercie Monsieur le Directeur. Comme je le disais, nous ne vous accablons pas plus que nous ne nous accablons. Nous savons que nous pouvons aussi être producteurs de normes, mais nous rencontrons parfois des interprétations dans les circulaires et les décrets, qui dévient de l'esprit du législateur. Ce n'est pas du tout un reproche que j'adresse aux énarques qui, dans les territoires quand ils sont préfets, sont plutôt de grande qualité et nous aident à trouver des solutions. Cette démarche de l'étude d'impacts et de l'effet dans un écosystème d'actions ne doit pas conduire à une impossibilité d'agir. Je vous remercie et je donne la parole à M. Franck Périnet.
Merci Madame la Présidente et Mesdames et Messieurs les sénateurs et sénatrices.
L'INET dépend du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), l'établissement commun des collectivités territoriales pour la formation des fonctionnaires territoriaux. Au sein du CNFPT, l'INET, situé à Strasbourg et voisin de l'ENA, forme des administrateurs territoriaux, des conservateurs de patrimoine, des conservateurs de bibliothèque, et depuis quatre ans des ingénieurs en chef.
L'interdisciplinarité est très importante dans l'évolution de l'état d'esprit de notre école, dans l'altérité et l'approche des situations complexes.
Au sein de l'INET, nous formons des élèves issus des concours organisés par le CNFTP. Ces élèves, après un an ou un an et demi de formation, ont vocation à rejoindre les collectivités territoriales auprès des élus locaux (régions, départements, grandes intercommunalités) pour concevoir auprès d'eux le projet porté par le mandat, les politiques publiques, l'action publique. Ils seront également amenés à diriger tout ou partie des services de ces grandes collectivités.
Ces élèves et ces hauts-fonctionnaires territoriaux n'ont pas vocation à produire eux-mêmes directement la norme nationale. En revanche, en interaction avec les ministères et nos collègues de l'État, ces élèves et demain ces hauts fonctionnaires, ont évidemment une part dans le sujet.
Auprès des élus locaux, nos élèves évoluent dans l'action, au coeur de ces normes, et nous nous devons de les préparer à une action publique efficace en milieu complexe, la qualité de la norme, sa stabilité, son économie, ayant un rôle très important à jouer dans l'efficacité de l'action publique.
La scolarité des élèves de l'INET présente quelques constantes importantes. Selon un modèle assez ancien, l'INET est avant tout une école d'application qui apprend à faire et à agir. Aussi, la formation est essentiellement une formation d'alternance. La plupart du temps, les élèves sont sur le territoire, sur le terrain dans toutes les collectivités territoriales qui acceptent de les accueillir. L'écosystème que nous formons avec les collectivités territoriales est remarquable, car nos élèves sont rapidement placés en situation.
À leur retour dans nos locaux à Strasbourg, ils ne suivent pas de cours théoriques, au regret de certains. Les fondamentaux étant considérés comme acquis, les enseignements apportés au sein de l'INET sont des retours d'expérience partagés avec les élus locaux, afin de mettre en perspective ce qu'ils ont perçus, appris et compris de leur passage sur le terrain. Au cours de leur stage, les élèves sont invités à être au plus près des problématiques très concrètes des collectivités locales. À partir de leur expérience de terrain, il s'agit de résoudre, en collaboration avec les élèves de l'ENA, des problèmes très concrets, comme le parcours de l'usager.
Pour répondre directement à votre question, Madame la présidente, ont-ils des cours de légistique ? Apprennent-ils à « faire la norme » ? La réponse est non. Ils connaissent évidemment leurs fondamentaux en droit constitutionnel et en droit législatif. Ils pratiquent la rédaction d'actes administratifs pour les collectivités locales (délibérations et autres), mais ils n'ont pas d'entrainement à la rédaction des textes réglementaires et législatifs.
Pour autant, ils sont des utilisateurs de ces textes auprès des élus. C'est l'un des paramètres de leur action et de leur capacité à agir.
Le comportement des fonctionnaires territoriaux par rapport à la norme a sensiblement évolué, ce qui permet de faire preuve d'optimisme sur le sujet. Prenons pour exemple la commande publique. Représentant une des actions essentielles des collectivités locales, l'achat public a été soumis à la norme et à la contrainte des délais il y a vingt ans. Aujourd'hui, la réglementation de l'achat public est complètement intégrée et la qualité de l'achat a pu se développer dans le cadre du code des marchés publics.
L'accès au concours est essentiellement fondé sur une approche juridique. La haute fonction territoriale a été forgée avec le droit et a appris à l'utiliser. Aujourd'hui, je pense que nous avons déplacé le positionnement de nos cadres : ils ne sont plus seulement de simples gardiens des textes.
Merci beaucoup Monsieur le directeur. Vous évoquez le champ de la commande publique, qui doit avoir une finalité opérationnelle mais qui parfois se transforme en exercice extrêmement procédural. La norme amène parfois à prendre des décisions contreproductives. Je citerai juste un exemple avant de laisser la parole à mes collègues. Dans le cadre d'un marché important de construction d'une médiathèque, une entreprise avec laquelle nous avions déjà travaillé et avec laquelle la collaboration avait été fort compliquée, répondait à l'appel d'offres. Nous aurions préféré éviter cette entreprise, mais le marché tel qu'il avait été organisé ne nous y autorisait pas.
Merci Madame la présidente, merci Messieurs les directeurs pour votre premier éclairage.
Je souhaitais enchaîner sur vos propos par un certain nombre de questions.
Tout d'abord, à M. Périnet. Vous avez raison, le corpus normatif est devenu un système complexe, une boîte noire qui doit se stabiliser autour d'un certain nombre d'invariants. Le retour à l'approche des principes me paraît essentiel, mais l'augmentation des contentieux sur la forme l'emporte sur le fond.
Le monde de l'entreprise est, comme les collectivités territoriales, confronté à un certain nombre de normes, qui sont, elles aussi, en silo. La question de l'interopérabilité de ces normes se pose. Avez-vous, dans vos formations, un contact avec le monde de l'entreprise vous permettant de comprendre comment on y compose avec l'interopérabilité ?
Comme le CNFPT à travers sa délégation à la recherche ou comme l'ENA avec sa Chaire d'innovation publique, votre école est-elle connectée au monde de la recherche ? Dans le monde des sciences molles, le recours à des systèmes experts est de plus en plus fréquent. Je ne suis pas particulièrement partisan de l'intelligence artificielle, mais, dans le monde de l'entreprise, de plus en plus de procédures s'automatisent et analysent l'interopérabilité des normes. Est-ce également le cas dans le cadre de la fonction publique ? Ce champ de la recherche vous paraît-il intéressant ? Pouvez-vous nous expliquer les travaux de recherche menés dans ces domaines ?
Je souhaiterais poser une question à Monsieur le directeur de l'ENA. Tout d'abord, je me permets une remarque quant à la grande qualité de vos stagiaires. Par exemple, la stagiaire actuelle qui travaille dans la préfecture du Gard s'occupe tout particulièrement du contrat rural. La sous-préfète en charge de ce dossier est ravie de sa présence à ses côtés pour suivre ce dossier complexe avec les élus locaux. Dans quelques mois, elle quittera la préfecture et la sous-préfète se demande par qui la remplacer.
Je souhaiterais avoir votre point de vue, mais vous avez un droit de réserve, concernant la décision du président de la République de fermer l'ENA. Comment cette fermeture se déroulera-t-elle ? Un tronc commun existera-t-il avec le futur ISP, mais également avec diverses écoles comme l'Institut des hautes études de la santé publique ? Comment les futurs élèves seront-ils affectés ?
À titre personnel, je tenais à préciser que, s'il est facile pour nous, élus, de critiquer les énarques, il me semble que nous sommes favorables à une élite. Cette dernière participe à la fierté de la France et à son positionnement international.
Si nous cherchons à lutter contre cet excès de normes dans notre pays, il est nécessaire de s'intéresser au rôle du Parlement. Répondre à un problème par une loi est une tendance lourde. Nous ne parviendrons sans doute pas à un système équivalent à celui des Pays-Bas, mais le rôle et le travail du Parlement doit évoluer.
Le rôle de l'administration est également important dans cette évolution. La culture du « parapluie, ceinture, bretelle » ne pose-t-elle pas un problème ? Je fais référence ici à la judiciarisation de la société. Nous essayons tous, élus et fonctionnaires, de limiter les risques pour ceux qui prennent des décisions. Cela ne conduit-il pas à un excès de normes ?
Je ne détiens pas la solution, mais je pense que le sujet doit être présent dans la préparation de nos hauts fonctionnaires, comme dans l'esprit des parlementaires.
Je vous propose, Messieurs les directeurs, de répondre à cette première série de questions.
Tout d'abord, je souhaiterais dire au Sénateur Houllegatte que les rencontres avec les entreprises font partie de nos enseignements. Un certain nombre de chefs d'entreprise ont l'occasion de s'exprimer devant nos élèves. De la même façon, nos élèves rencontrent à Strasbourg les élus locaux des petites communes du flanc alsacien des Vosges. Les entreprises sont au coeur de la réflexion sur la simplification. Créatrices d'emplois, elles ne doivent pas être bloquées par les normes.
Le Sénateur Houllegatte posait la question du monde de la recherche. L'ENA est membre partenaire de Paris Sciences & Lettres (PSL), qui regroupe également l'École des Mines, l'École de Chimie de Paris et l'Inria. Nous travaillons donc avec le monde de la recherche et nous souhaitons qu'à terme, les énarques puissent devenir docteurs. En effet, sur un certain nombre de postes au niveau international (FMI, OCDE,...), les organisations internationales recherchent des docteurs, c'est-à-dire des personnes qui ont l'habitude de douter, de réitérer un certain nombre d'exercices. Des conférences scientifiques ont été instituées à l'ENA il y a trois ans. Un certain nombre de Prix Nobel viennent parler aux élèves pour les inciter à réfléchir sur des sujets comme l'intelligence artificielle ou l'énergie atomique.
Depuis cette année, les élèves travaillent sur des commandes issues d'administrations, en collaboration avec les élèves du corps des Mines, de sorte que les deux cultures se confrontent. Nos élèves perçoivent ainsi que la façon de répondre des ingénieurs est plus pratique et moins normative que celle des administrateurs.
Au Sénateur Burgoa, que je remercie pour ses éloges sur l'ENA, je réponds qu'elle doit être transformée en ISP au 1er janvier 2022. L'ordonnance sera présentée au Conseil des ministres du 26 mai 2021. Elle devra ensuite être ratifiée par l'Assemblée nationale et le Sénat. La seule différence entre l'ENA et l'ISP réside dans l'accès aux grands corps (Conseil d'État, Cour des Comptes, Inspection des finances ou des affaires sociales) à la sortie, qui n'existera pas à l'ISP. Tous les élèves entreront dans le corps des administrateurs de l'État, qui succédera à celui des administrateurs civils.
Le tronc commun à quatorze écoles de service public dont l'INET, l'École des hautes études de la santé publique, l'École de la magistrature, celle des commissaires de police, celle des officiers de la Gendarmerie ou celle des Mines, apportera à leurs élèves une culture commune sur des questions de science, de pauvreté, de déontologie et de sens de l'État. L'ISP aura la responsabilité de proposer cette formation commune à tous.
L'ISP devra également développer la formation continue de façon plus soutenue que l'ENA. Une École de guerre sera créée sur le modèle de l'École de guerre militaire, que les élèves pourront intégrer plus tard, huit ou dix ans après avoir quitté l'ISP, et qui formera aux fonctions très supérieures : préfets, ambassadeurs, recteurs ou directeurs de ministère.
Le Sénateur Dallier a raison de dire que c'est parfois « ceinture et bretelle ». La norme répond au principe de précaution, en s'assurant contre d'éventuelles poursuites judiciaires. La judiciarisation de notre système pour tous les responsables publics, les élus locaux, les fonctionnaires, voire les ministres, est telle que les textes sont trop encadrés, afin de nous protéger en cas de poursuites. Les textes devraient être plus généraux, afin de laisser une liberté d'appréciation plus grande à ceux qui sont chargés de les appliquer.
Pour répondre à la question concernant la relation entre la recherche et la formation à l'INET, des passerelles existent avec le Groupement de recherche sur l'administration locale en Europe (GRALE) : nous développons ensemble un prix de thèse qui nous permet de soutenir des travaux et de mettre en perspective certains sujets. Nous collaborons également avec l'Université de Montpellier pour le cycle supérieur de management, qui propose une formation diplômante en formation continue. Nous développons aussi des partenariats plus ponctuels avec la Chaire de l'action publique et des territoires. Nous travaillerons notamment sur l'organisation des collectivités locales et son évolution. Ces passerelles seront développées afin qu'elles imprègnent le cours de la formation et qu'elles offrent aux élèves des perspectives et un effet miroir sur l'action en cours. La formation de l'INET est centrée sur la capacité d'action. Mais nous ne devons pas nous départir de la capacité de saisir les lignes de force de la recherche.
Concernant le rapport aux entreprises privées, il est plus modeste que celui évoqué par le directeur de l'ENA. Les stages d'ouverture permettent aux élèves de rejoindre l'administration qu'ils souhaitent : beaucoup choisissent des secteurs associatifs ou des services de l'État, quels qu'ils soient. Certains optent pour des entreprises, mais leur nombre n'est peut-être pas suffisant. Nous pouvons également accueillir des intervenants du secteur privé.
L'INET a pour vocation d'être une école d'application et l'ambition d'être la plus ouverte possible à tout l'écosystème qui fait la réalité de l'action locale. Il n'existe aucune limite à ces engagements. Les élèves doivent pouvoir saisir l'intégralité des acteurs qui font un territoire, leurs contraintes et leurs aspirations.
L'INET participera au tronc commun qui sera intégré en 2022 dans la formation de nos élèves administrateurs. Malheureusement, nos élèves conservateurs de bibliothèque, conservateurs du patrimoine et ingénieurs en chef ne bénéficieront pas de cette évolution.
Enfin, concernant l'état d'esprit « ceinture et bretelles », j'évoquais l'exemple de la commande publique, afin de montrer comment nous sommes passés du carcan de la norme à la qualité de l'achat. Cela représente une véritable ambition. Nous portons une attention très forte, en espérant qu'elle soit fructueuse pour les collectivités, à l'esprit de responsabilité. Lors de leurs visites à l'INET, les élus locaux nous expriment leurs attentes à l'égard des élèves et de la future haute fonction publique territoriale : exemplarité, mais aussi capacité d'agir. Ils demandent notamment qu'on ne recrée pas de la procédure et de la norme là où il en existe déjà. Si nos élèves et nos hauts fonctionnaires n'ont pas vocation à rédiger des normes nationales, ils peuvent avoir une inclinaison à rédiger des normes locales qui s'interposent entre l'usager et la norme nationale. L'état d'esprit que nous tentons de leur inculquer, c'est une volonté d'aller le plus directement vers l'habitant et l'usager, et de ne pas compliquer par des procédures les normes actuelles. C'est le développement d'un esprit de responsabilité.
Les fonctionnaires territoriaux doivent préserver les élus et leur collectivité des risques qu'ils encourent. Il s'agit d'un rôle fondamental dont ils ne peuvent pas se départir. Pour autant, la mesure du risque fait partie des compétences que nous devons développer.
Nos collègues Houllegatte et Dallier ont évoqué ce qui est, je crois, parfois, un mal très français : l'inscription dans la Constitution d'un principe de précaution me semble ne pas avoir fait l'objet d'études d'impact et me semble receler des effets complexes. Vous avez raison de dire que le fonctionnaire doit sécuriser et protéger l'élu, en tant que décideur. Mais l'élu doit aussi prendre la mesure de sa responsabilité, tout en appliquant un principe de précaution et de sécurité. Il convient au préalable de mesurer l'occurrence du risque et sa gravité. Nous avons parfois, sous l'effet de l'émotion par exemple, tendance à légiférer à partir de ce qui est sans doute un épiphénomène en occurrence et en gravité. La vie étant elle-même pavée de risques, il est nécessaire de trouver un équilibre, dans lequel le mot « responsabilité » est important.
Il y a quelque temps, au titre de la délégation, j'ai adressé un courrier au Premier ministre lui demandant ce qu'il en était de l'invitation faite aux préfets d'appliquer leur pouvoir de dérogation aux normes, c'est-à-dire d'avoir un pouvoir d'appréciation. Le recensement doit être en cours, car je n'ai pas reçu de réponse. J'aurais tendance à penser que l'utilisation du pouvoir dérogatoire a été maximale car le temps de réponse à notre question est très long.
Merci Madame la présidente, pour ces enseignements riches sur ces grandes écoles qui font notre fierté. Nous avons besoin d'une élite et de têtes bien formées pour nous accompagner dans les politiques publiques.
Ma première question concerne la hiérarchie des grands corps, qui s'est transformée en priorité des actions publiques. Nous entendons que certaines grandes administrations, comme l'administration sanitaire, ne seraient pas privilégiées par les meilleurs des promotions. Cette façon de fonctionner n'a-t-elle pas creusé l'écart avec le terrain ? Le ressenti des citoyens et des élus locaux ne sera-t-il pas accentué, dans un pays hypercentralisé où le pouvoir local a du mal à porter sa voix et à faire bouger les choses ? Dans l'application de la norme, nous constatons une prééminence des critères budgétaires et du principe de précaution. Or, sur le terrain, les priorités ne sont pas forcément les priorités budgétaires ni le principe de précaution systématique, mais plutôt une forme de souplesse, d'efficacité, notamment dans l'action sociale et la prise en charge sanitaire. Ce hiatus entre les priorités de l'organisation nationale et celles du terrain a été source de malentendus entre notre haute administration (dont fait partie cette élite pourtant bien formée) et le fonctionnement concret sur le terrain. La difficulté ne vient-elle pas de l'équilibre à trouver entre le pouvoir central et le pouvoir local ?
Ma seconde réflexion porte sur l'universalité de la loi ou de la norme. Ce principe est en difficulté dans notre pays, qui n'est fait que de différences notamment territoriales. Comment envisagez-vous la mission de former à la prise en compte de ces différences territoriales ?
Nous avons beaucoup mis en avant l'absence d'hétérogénéité des élites françaises issues des grandes écoles en France, et particulièrement de l'ENA. La proportion des élèves d'origine modeste parmi les étudiants des grandes écoles est passée de 29% en 1950 à 9% de nos jours. La ségrégation sociale commence bien avant l'accès aux grandes écoles, dès l'école primaire ou le collège. Cette quasi-homogénéité des élites françaises ne pourrait-elle pas expliquer pourquoi aucune originalité d'approche n'est possible ? Pensez-vous que le changement de sigle de l'ENA en ISP pourra inverser cette situation ?
Il est parfois plus facile de trouver les normes à supprimer ou modifier en discutant avec des maires ruraux qu'avec des maires de communes ou autres collectivités de plus grande strate. Les services ne font pas systématiquement remonter les possibilités de modification ou de suppression de certaines normes, peut-être pour se protéger juridiquement. Certains services appliquent les lois sans faire remonter les incohérences.
Par exemple, le droit civil peut autoriser une ouverture dans la cour du voisin, mais pas le droit de l'urbanisme. Cette contradiction occasionne souvent des recours au conciliateur dans les communes. Comment faire pour que ces problèmes de normes puissent remonter aux hauts fonctionnaires ? Dans une petite commune, le maire est au courant de tout, car il est directement associé aux problèmes. Dans une commune plus grande, ce sont les services qui sont en charge de ces contentieux et ils ne font pas remonter les incohérences éventuelles.
Pour répondre à Mme la sénatrice de La Provôté, en 1945, le général de Gaulle a voulu que tous les corps de la haute fonction publique soient recrutés de la même façon. Avant 1945, chaque corps et chaque ministère recrutait différemment. Organisés par chacun des corps ou des ministères, ces recrutements donnaient lieu à de la cooptation. Seuls les hommes pouvaient être candidats. Il suffisait d'être le fils, le frère ou le cousin de quelqu'un en place et on avait toutes les chances de réussir. C'était le sujet des réflexions de Jean Zay ou de l'historien Marc Bloch : si le système s'est effondré en 1940, c'est parce que l'administration n'était pas capable de tenir.
Depuis 1945, l'entrée à l'ENA passe par le même concours, la formation est commune à tous les élèves et la sortie est décidée en fonction du classement de sortie et non par des relations personnelles. Ce système prévaudra jusqu'à la promotion qui terminera sa scolarité en 2022. Avec la mise en place de l'ISP, tous les élèves seront administrateurs de l'État. Ils ne pourront aller dans les grands corps que plus tard, au minimum deux ans après leur sortie, en ayant eu l'expérience de terrain.
Mme de La Provôté disait qu'un bruit courait selon lequel les élèves les moins bien classés iraient au ministère de la santé. C'est complètement inexact.
Un élève entré à l'ENA, quel que soit son classement, n'est pas un mauvais élève parce qu'il est classé dans les derniers à sa sortie. Il garde tout le mérite d'une scolarité réussie. En réalité, peu de postes sont proposés au ministère de la santé. L'administration du secteur de la santé est divisée en trois secteurs (fonction publique d'État, fonction publique locale et fonction publique hospitalière) et voit ses postes principalement détenus par des administrateurs formés par l'École des hautes études de la santé publique de Rennes. Peu d'énarques travaillent donc au ministère de la santé. Cependant, le Gouvernement a demandé que plus de postes y soient attribués à la promotion sortante cette année.
Sur la question du besoin de loi, la fabrication des lois et le problème de la différenciation territoriale : évidemment, il faut permettre la différenciation territoriale. Un problème demeure toutefois dans notre pays. J'ai été maire de Vincennes pendant six ans et je peux en témoigner. Nous avons en France une obsession d'égalité. À chaque demande de différenciation, les interrogations et la méfiance sont de mises. Le principe d'égalité est absolu. C'est un problème que seuls les politiques, et non l'administration, peuvent résoudre.
Je réponds maintenant à la Sénatrice Estrosi Sassone concernant l'absence de diversité dans les élites françaises. Il est vrai qu'il y a cinquante ou soixante ans, davantage de diversité existait dans les élites françaises. Mais nous pouvons relever un paradoxe : plus le niveau éducatif a été élevé et a permis à un plus grand nombre d'élèves d'arriver au bac et aux études supérieures, plus la ségrégation sociale s'est renforcée. Aujourd'hui, à l'ENA, comme à l'INET, la majorité des élèves sont issus de milieux favorisés. Dans la promotion actuelle, 38% des élèves étaient boursiers de l'éducation supérieure. Très peu de grandes écoles affichent de tels chiffres. En général, les proportions sont quatre à huit fois moindres. Nous arrivons à accueillir autant de boursiers grâce au concours interne ou au troisième concours, qui permet aux personnes issues du secteur privé ou associatif d'entrer à l'ENA.
Pouvons-nous encore progresser ? Le Gouvernement a décidé, à la demande du président de la République, de lancer un concours supplémentaire dans certaines écoles, dont l'INET et l'ENA : il s'agit du « concours talents », réservé à des étudiants boursiers de l'enseignement supérieur, qui ont suivi des préparations en institut ou en école. Nous espérons qu'il apportera une plus grande diversité sociale.
En plus de la diversité sociale, deux autres diversités, parfois oubliées, sont très importantes. Il s'agit d'une part de la diversité culturelle. Pour que nous ne pensions pas tous la même chose, nous ne devons pas tous suivre les mêmes études. C'est pourquoi, il y a deux ans, j'ai demandé au Gouvernement de créer un concours pour les docteurs. L'année dernière, pour la première fois, nous avons accueilli des docteurs en sciences dures (informatique, mathématiques, physiques). Cette année, des docteurs en sciences humaines et sociales nous ont rejoints et l'année prochaine nous accueillerons des docteurs en science de la vie. Ainsi, pourrons-nous regrouper des cultures différentes.
D'autre part, la diversité territoriale est à prendre en considération. Plus de la moitié de nos élèves ont suivi des études supérieures à Paris. Très peu d'élèves viennent d'outre-mer ou du reste du territoire. J'ai passé un accord avec le Gouvernement de Nouvelle-Calédonie pour que des élèves rejoignent nos classes préparatoires et bénéficient d'une égalité des chances, pour préparer les concours de l'ENA ou d'autres fonctions publiques. Nous essayons de procéder de la même façon avec la Guyane. Nous porterons donc tous nos efforts sur ces trois types de diversité : sociale, culturelle et territoriale.
À Madame la Sénatrice Gréaume, lorsque des sous-préfets sont en vacances ou en période de remplacement, nos élèves stagiaires sont souvent envoyés en sous-préfecture pour assurer l'intérim. Nous leur demandons d'être attentifs aux maires des petites communes. Beaucoup le font avec plaisir.
Entre le droit civil, qui proclame le droit de propriété, et le droit de l'urbanisme, qui défend l'intérêt de la collectivité locale, des contradictions ont toujours existé. Il appartient aux autorités politiques de décider, ce n'est pas le rôle de l'administration. Cette dernière travaille dans le cadre fixé par les autorités politiques, afin de lui présenter des propositions intelligentes, si possible sans risque juridique.
Sur la hiérarchie des grands corps, la sortie de l'INET ne suit pas le même modèle que celle de l'ENA. Cela me permet, par analogie, d'expliquer le modèle de l'INET et ses évolutions.
À leur sortie, les élèves de l'INET ne sont pas affectés ou classés. Ils portent un projet professionnel, une envie, qui dépendent de beaucoup de paramètres. Ils sont donc recrutés en fonction de ce projet, qui aura fédéré une équipe d'élus et l'exécutif dans les territoires. Ce recrutement permet à la fois un travail sincèrement collectif durant la scolarité et un champ moins normé à la sortie de l'école.
Un autre point important concerne l'évolution constatée quant aux postes occupés par les élèves de l'INET. Il y a quelques années, les élèves souhaitaient devenir directeur général des services, directeur des finances ou des ressources humaines. Je m'en étais étonné auprès d'eux. Aujourd'hui, tous les champs des politiques publiques de toutes les collectivités locales sont occupés par des élèves qui sortent de l'INET : la protection de l'enfance, l'insertion, les infrastructures, l'éducation, le sport, la culture, sont aujourd'hui investis avec passion et engagement par ces hauts fonctionnaires territoriaux. Cette belle évolution montre que la hiérarchie des corps n'existe pas.
J'en viens à la question de l'universalité de la norme. En travaillant dans différentes collectivités et territoires, nous réalisons que les normes ne sont pas forcément adaptées à telle ou telle situation, géographique ou sociale. Tout ce qui permettra d'améliorer la capacité que nous aurons à différencier la norme, à l'adapter de manière concrète pour un territoire, facilitera l'action et servira la décentralisation, c'est-à-dire la capacité des élus locaux à porter un projet sur un territoire donné.
Quand nous constatons qu'il est possible de s'écarter de l'égalité, au sens où tous les habitants de France ne se voient pas appliquer la même norme, le réflexe est de vouloir recentraliser, comme si la centralisation réglait le problème de l'uniformité. Il n'existe pas davantage de risque vis-à-vis de l'égalité dans la décentralisation que dans la centralisation.
Sur l'absence d'hétérogénéité des élèves de l'INET, nous partageons l'enjeu d'une plus grande diversité sociale et géographique. Pour le CNFPT, le continuum entre la formation à l'INET et la formation dans l'ensemble de la fonction publique territoriale constitue l'un des moyens d'améliorer cette diversité sociale. Cela explique mon insistance à bien considérer que l'INET n'est qu'un élément de l'activité du CNFPT. Notre action doit s'inscrire comme un continuum permettant aux fonctionnaires territoriaux dans les plus petites communes d'accéder au concours d'ingénieur en chef ou d'administrateur pour pouvoir occuper des fonctions plus importantes, s'ils le souhaitent.
Ce continuum permet d'améliorer la diversité. C'est dans ce même objectif de diversité que nous sommes engagés dans les classes préparatoires « talents » à Nantes et à Strasbourg avec l'ENA. La création par ordonnance du 3 mars 2021 de ce nouveau concours spécial permettra assurément une voie complémentaire permettant la diversité.
Sur la diversité, je me permets d'ajouter un élément. La diversité comprend plusieurs champs, dont le champ des disciplines. Celui-ci permettrait d'enrichir le profil de nos élèves. Le concours externe est assurément conditionné par la maîtrise des questions économiques, macro-économiques ou juridiques. C'est nécessaire, intéressant et utile. L'évolution des épreuves des concours permettrait d'ouvrir plus largement le champ des disciplines, permettant à d'autres étudiants ayant suivi d'autres parcours dans d'autres disciplines de venir enrichir les bancs de l'INET. Surtout, elle permettrait d'avoir auprès des élus des regards croisés, pas seulement issus de raisonnements juridiques, économiques, sociologiques, géographiques, historiques ou psychologiques. Toute discipline peut servir l'action publique locale.
La dernière question a trait à la capacité que nous avons à faire remonter l'incohérence ou l'imperfection de la norme. Quand je disais que nous apprenons à nos élèves à agir en milieu complexe, c'est presque un paradoxe qui peut les conduire à se satisfaire de la complexité. Nous devons garder cette capacité à douter, à remettre en question, à ne pas nous satisfaire de la complexité qui peut valoriser. Ce paradoxe invite à plus d'observation et de dialogue dans les territoires, entre les départements, les intercommunalités et les communes, afin de faire remonter les incohérences ou les imperfections.
Vous avez parlé, Monsieur Gérard, de cette difficulté que nous avons autour de l'égalité. C'est un vrai sujet car nous ne parlons pas tous de la même chose. Nous sentons parfois une musique à bas bruit et nous l'entendons beaucoup plus en ce moment, alors que le projet « 4D » devrait traiter de la différenciation. Subrepticement s'installe l'idée que la différenciation serait source d'inégalité et de compétition entre les territoires. Il est extrêmement important que nous définissions ce dont nous parlons. Il y a une obligation d'égalité de droit et de de liberté, mais pour atteindre cet objectif, il convient de différencier les moyens qui permettent de l'atteindre. Nous savons déjà qu'il existe, en droit français, des dispositions spécifiques pour les collectivités d'outre-mer (COM), pour les communes de montagne, le littoral et même selon la taille des communes.
Par exemple, le nombre de conseillers municipaux et l'obligation de scrutins en liste, qui concerne l'ensemble de nos territoires y compris la métropole, varie selon la taille de la commune. Chacun a reconnu, avec pertinence, qu'il est impossible d'imposer les mêmes contraintes selon la taille de la commune. Nous devons parvenir à apaiser ce débat, que nous avons ici aussi au Sénat. Cette égalité, qui se confond avec l'uniformité de moyens, est comme la norme : une contrainte et un empêchement à l'efficacité de l'action publique. Le législateur a le devoir de partager ce constat, car chaque année la ruralité diffère un peu plus de l'urbain, et il convient à l'État d'assurer un rôle de péréquation.
Je souhaiterais faire écho à la question de notre collègue Dominique Estrosi Sassone concernant la diversité des profils dans les écoles. Cette particularité existe dans beaucoup de filières, car nous constatons une sorte d'assignation à résidence pour les jeunes, qui n'est pas liée uniquement à leur milieu social et à la culture, mais à une incapacité à sortir de son lieu de résidence et de sa communauté. Il est très difficile pour quelqu'un qui habite en Bretagne centrale ou au coeur du Jura de se projeter dans un univers d'étude en Normandie, parce que cela bouscule son mode de vie. Ce sujet doit nous intéresser.
J'apporterai une conclusion personnelle. À l'ère de la communication et des symboles, il est facile de sortir l'échafaud pour l'ENA en pensant qu'elle serait la cause des maux de la France et surtout de ses fractures territoriales et sociales. Pourtant, je ne le pense pas.
En France, la formation des grands serviteurs de l'État fait émerger des personnes extrêmement intelligentes et prédominer la qualité des personnels. La France dispose également de grands corps d'ingénieurs techniques, dont on parle peu mais qui savent nous expliquer ce que nous, les élus locaux, nous ne pouvons pas comprendre, quand les sujets sont extrêmement techniques. Il est donc important que la France conserve un niveau d'excellence de formation, même s'il doit naturellement évoluer. La crise sanitaire a montré que, face à des situations totalement imprévisibles, une capacité d'adaptation est nécessaire.
Je terminerai par une anecdote. En 2020, lors des élections municipales dans mon département d'Ille-et-Vilaine, une self-made woman était maire d'une commune rurale et également vice-présidente de son intercommunalité. Elle a eu la lourde charge de mettre en place un plan local d'urbanisme intercommunal (PLUI), ce dont elle s'est acquittée d'une manière assez remarquable. Puisqu'elle a mis fin à ses mandats, j'ai pu lui faire part de mon sentiment. Je trouvais intéressant que des élus locaux comme elles puissent aussi aller parfois en mission, non pas à l'ENA ou à l'INET, mais dans des cabinets ministériels.
Chers collègues, en avant-première, nous pouvons vous faire bénéficier de la communication des résultats de la consultation auprès des élus locaux sur nos 50 propositions, qui fera l'objet d'une conférence de presse le 11 mai 2021 à 16 heures.
Je suis très heureuse de présenter les résultats de la consultation nationale en avant-première à la délégation. Par ailleurs, mercredi prochain, sera examiné au Conseil des ministres le texte « 4D », qui devrait être soumis au Sénat le 5 juillet 2021.
La crise sanitaire a mis en évidence l'enjeu d'un échelon local solide et réactif par rapport à un État dont nul ne peut contester l'importance et le caractère essentiel, mais parfois un peu pataud et ankylosé. Le bloc local doit être performant pour que l'action publique soit efficace.
Je vous rappelle que le Président Larcher avait constitué un groupe de travail avec l'ensemble des groupes politiques du Sénat pour répondre à la demande du président de la République. Il s'agissait de réfléchir à l'action publique dans l'après-covid. Il en est résulté cinquante propositions qui ont été présentées le 2 juillet 2020. En préambule à nos travaux, il nous a semblé important de lancer un sondage, réalisé par l'institut CSA, et une consultation nationale, via la plateforme internet du Sénat. Les attentes des élus se rangent selon six priorités.
1) Aller plus loin dans la décentralisation, sans big bang territorial
Nous devrons nous montrer vigilants, car nous risquons d'être accusés de provoquer un big bang territorial et de susciter la lassitude des élus. Au Sénat, nous n'aurons pas la prétention d'inventer un modèle unique, mais une évolution est nécessaire. Entre 64 et 70% des élus veulent faire évoluer l'organisation territoriale et même aller plus loin dans la décentralisation.
2) Adapter les politiques publiques aux réalités territoriales, pour une meilleure articulation des compétences entre communes et intercommunalités et une différenciation territoriale
Pour certains, la différenciation est synonyme d'inégalité et de compétition injuste. Nous devons donc convaincre qu'il ne s'agit pas d'opérer une révolution, mais de s'inspirer de la différenciation déjà à l'oeuvre pour les collectivités d'outre-mer (COM) et les communes de montagne.
Au vu des chiffres, nos propositions ne peuvent être ni contestées ni accusées d'être hors sol : 70% des élus souhaitent aller plus loin dans la décentralisation et 94% sont favorables à l'adaptation de la répartition des compétences entre communes et intercommunalités.
Nous avons souvent débattu d'engagement et de proximité, nous avons voté la territorialisation des compétences. Le Gouvernement ne l'accepte pas, l'Assemblée non plus.
La métropole, qui peut sembler constituer un concept unique et uniforme, recouvre des expressions différentes : la métropole d'Orléans ne peut pas être comparée à celle de Lyon, par exemple. Nous devons mettre en oeuvre des répartitions différenciées de compétences entre les communes et les intercommunalités.
L'État peut confier à titre expérimental des compétences différentes à des collectivités de même catégorie. Il ne s'agit pas d'une rupture d'égalité. D'ailleurs, 70% des élus sont favorables à l'attribution de compétences différentes à des collectivités de même catégorie, sur la base du volontariat.
Nous avons voté, dans le cadre du projet de loi dit « Sécurité Globale », des facultés d'extension des compétences des polices municipales. C'est la loi qui en délimite le cadre, sur la base du volontariat. Ce point est très important et renvoie à la responsabilité des élus et à la confiance, avec un seul objectif : l'efficacité de l'action publique.
Nous pourrons vous fournir les éléments d'information par catégorie de collectivités et par taille. En termes de différenciation, les conseils régionaux ou les conseils départementaux font preuve d'une aspiration plus forte.
3) Le principe de subsidiarité
L'objectif d'efficacité de l'action publique et de construction de l'organisation territoriale et nationale doit être poursuivi à partir du principe de subsidiarité. L'adhésion est extrêmement large sur ce principe.
Les compétences s'exercent différemment selon les catégories de collectivités. Par exemple, la compétence « voirie » dans les métropoles est obligatoire, ce qui relève du bon sens car la métropole exerce aussi la compétence « mobilité ». Dès lors qu'il s'agit de transport, la voirie doit être maîtrisée. Mais dans les métropoles, des communes, parfois plus petites et éloignées, ont une partie de voirie ne relevant pas de cet intérêt métropolitain supérieur. Par exemple, il peut arriver qu'une commune comprenne une rue constituant une impasse avec des maisons d'habitation. Les riverains sont les seuls à passer, avec parfois le camion d'ordures ménagères. Quand un incident de voirie se produit, l'efficacité de l'action publique ne vient pas de la métropole. L'efficacité vient de la proximité. Ce principe de subsidiarité constitue le fil qui devrait, pour les élus, dessiner l'organisation de l'action publique.
4) Simplifier les normes applicables aux collectivités territoriales
Les normes sont une obsession, dans la mesure où leur simplification doit être réfléchie en fonction du besoin de sécurité juridique et où cette simplification nécessaire sert l'action publique. Les élus locaux sont 70% à estimer que la simplification des normes est prioritaire.
Un autre chiffre intéressant porte sur les doublons entre l'État et les collectivités territoriales. C'est un vrai sujet de réflexion, alors que la frugalité budgétaire devra être de mise. Nous devons optimiser les organisations. L'assouplissement des compétences entre les différents niveaux de collectivité fait ressortir les scores d'adhésion prioritaires suivants :
- différencier les modalités d'application des textes en fonction des territoires : 30% ;
- renforcer la présence de l'État auprès des collectivités territoriales : 29% ;
- créer de nouveaux transferts de compétences de l'État vers les collectivités territoriales : l'attente est très mesurée, car elle est de 19%. Cette affirmation est plus marquée de la part des élus régionaux que des élus départementaux.
Or, le coeur du projet « 4D » semble moins la décentralisation, la différenciation, ou la « décomplexification » que la déconcentration.
5) Donner plus de pouvoirs aux collectivités, notamment en matière de santé
La crise sanitaire a montré la difficulté de fonctionnement des agences régionales de santé (ARS) qui, indépendamment de la qualité des personnes, avaient vocation à répondre à tout autre chose qu'à la résolution d'une crise. Dans les cinquante propositions formulées par le Sénat, certaines concernaient la gouvernance des ARS. Si la santé est une compétence régalienne, l'organisation jusqu'au dernier kilomètre et la nécessité de garantir l'égalité du droit d'accès aux soins suppose une révision de l'organisation des ARS, qui sont des agences autonomes ne rendant pas compte au préfet mais au ministre.
La proposition de confier la présidence du conseil de surveillance de l'ARS à un élu local, avec une co-présidence possible entre le préfet et le président de la région, rééquilibrerait la relation en faveur des représentants des territoires. Le taux d'adhésion à cette idée est fort. Nous aurons l'occasion d'en reparler, car le projet « 4D » prévoit simplement un conseil de surveillance, alors que nous sommes prêts à un conseil d'administration.
Enfin, à l'occasion de la crise sanitaire, nous avons mis en évidence la difficulté engendrée par la double tutelle des ARS et des départements sur les EHPAD. Nous souhaitons donc que le pilotage des EHPAD soit confié aux seuls départements pour une meilleure visibilité et une identification de l'autorité.
Il en va de même pour la médecine scolaire. Pourquoi propose-t-on que la médecine scolaire soit rattachée aux départements ? Le coeur de compétences des départements justifie ce choix. Ceux-ci ont dans leurs missions essentielles la compétence sociale, la prévention et la petite enfance. Nous savons qu'en matière de prévention et de détection de difficultés sanitaires, physiques, psychologiques, personnelles ou familiales, il est nécessaire de pouvoir repérer les enfants que les familles ne conduisent pas chez le médecin. La médecine scolaire est en lien avec la prise en charge sociale de l'enfant. L'efficacité de l'action publique en matière de prévention et de petite enfance doit être articulée autour des départements. Nous reprendrons vraisemblablement cette proposition dans le projet « 4D ».
La médecine professionnelle scolaire constitue une autre difficulté de la médecine en milieu scolaire. En effet, aucune visite médicale n'est organisée pour le personnel de l'Éducation nationale. Ce problème n'a jamais été résolu. Mon mari, directeur d'école, n'a passé que deux radios pulmonaires durant toute sa carrière. La médecine professionnelle n'existe pas dans le milieu scolaire.
Nous ne parlons plus ici de médecine scolaire, mais de médecine du travail. Effectivement, la médecine du travail est absente des établissements scolaires. Cependant, une loi se prépare sur la médecine du travail.
Les élus locaux plaident pour des transferts de compétence en matière d'environnement et de logement, notamment. Mais les transferts ne sont pas suffisamment délimités. Par exemple, le logement recouvre des compétences vastes et diverses. Il est compréhensible que la création de logements sociaux soit gérée globalement sur chaque territoire, mais les maires peuvent se sentir dépossédés s'agissant des commissions d'attribution de ces logements. Les limites dans les transferts de compétence devraient donc être précisées.
Absolument. Pour répondre à cette remarque, je précise que nous présentons ici une synthèse. Il est difficile de concevoir un questionnaire exhaustif. Concernant le logement, le sujet a été évoqué dans notre groupe de travail Métropole. Un travail est également en cours au niveau de la commission des Affaires économiques.
Je pense que, sur chaque thématique, une compétence peut être affectée à la métropole ou à l'intercommunalité, mais après avoir défini l'intérêt métropolitain. C'est exactement l'exemple de la voirie. Pour le logement, il y a un niveau de compétence de l'intercommunalité et un niveau de compétence qui doit rester en proximité.
Au nom de la commission des Affaires économiques, j'ai été chargée, avec notre collègue Valérie Létard, d'une mission d'évaluation de la loi SRU vingt ans après sa création et de propositions de réformes. Nous nous sommes également appuyées sur une consultation via le site du Sénat. Elle a été menée auprès de l'ensemble des maires concernés par la mise en oeuvre de l'article 55 de la loi SRU. Nous avons pu constater que certains maires atteignent les objectifs, mais que d'autres communes sont déficitaires ou carencées. Il serait intéressant de recouper ces résultats avec ceux de la consultation qui nous est présentée aujourd'hui.
Au travers de toutes ces missions, nous aurons la capacité d'apprécier la situation et de formuler des propositions. L'esprit qui anime le Sénat à la veille du projet « 4D » se situe dans la continuité des observations formulées au Sénat lors de l'examen des lois territoriales : la loi fixe un cadre apportant une sécurité juridique, à l'intérieur duquel les élus peuvent trouver les meilleures réponses pour le besoin de l'action publique sur leur territoire. La loi fixera ce cadre, mais pas son application différenciée selon chaque territoire. Si un cadre précis est nécessaire, il s'applique sans verticalité. La loi constitue un champ de possibles plutôt qu'un champ d'obligations. Même au Sénat, des confrontations et des débats auront lieu, avec des opinions extrêmement différentes.
La crise sanitaire que nous traversons a montré l'enjeu d'un pacte de confiance entre l'État et les collectivités, et la capacité des collectivités à relever ce défi. Elles doivent aussi prendre leurs responsabilités. Le meilleur exemple est celui de ce dimanche de juin où le Président de la République explique devant des millions de Français, à 18 heures, que les élèves doivent retourner dans leurs établissements le lundi suivant. À 18 heures 15, alors que le Président rentre à l'Élysée, les maires se demandent comment appliquer cette décision. L'État doit donc affirmer la stratégie et les collectivités la mettre en oeuvre, mais il est impossible de demander aux collectivités d'exécuter sans les avoir associées. La différenciation n'a rien à voir avec une volonté d'autonomie.
6) Renforcer l'État territorial, en particulier au niveau du département
Pendant la crise sanitaire, nous avons constaté que l'espace départemental était pertinent face au développement de la maladie. L'ensemble des collectivités, de la commune au département, jusqu'à la région, était mobilisé à cet échelon. Cela a constitué un très bon échelon d'efficacité de l'État. Cette crise sanitaire ne fait que souligner le souhait des élus de prendre en compte la nécessité des transferts de compétences de l'État central vers l'État territorial. Comment peut-on admettre que l'État territorial, c'est-à-dire le préfet, n'a pas sous son autorité le recteur ou l'ARS ? Cette situation est comparable à celle où un Premier ministre n'aurait pas sous son autorité le ministre des Finances ou de l'Éducation nationale. La crise a souligné l'urgence des décisions : il n'est pas concevable de dépendre de décisions prises à un niveau national, alors que ce niveau est très souvent dépassé par les solutions trouvées plus vite au niveau local. Nous voyons ici l'effet de la création des très grandes régions : l'éloignement de la décision a pour conséquence un renforcement du département.
Les collectivités doivent avoir un interlocuteur unique. Quand, dans un département, le préfet souhaite élaborer un schéma de la ruralité, tout est organisé et défini, une convention est signée entre le préfet, le président du département et le président de l'AMF. Trois jours plus tard pourtant, une trésorerie ferme. L'explication réside dans le fait que le directeur régional des finances publiques (DRFIP) n'est pas obligé de solliciter le préfet avant de prendre sa décision. Un problème de décrédibilisation de la parole de l'État se pose donc. Certains voient émerger, à bas bruit, un nouveau centralisme au niveau régional quand les régions sont très grandes. C'est pourquoi nous défendons l'idée d'une instance de dialogue auprès du préfet associant les collectivités territoriales.
Concernant les réponses sur le renforcement des préfectures de départements ou des sous-préfectures, on observe que, dans certains territoires, les sous-préfets sont à l'écoute, dans un esprit facilitateur, et jouent un rôle d'ensemblier très intéressant. Dans certains territoires ruraux, une proximité existe avec l'État grâce aux sous-préfets, contrairement à ce qu'on constate en zone urbaine.
Je souhaite souligner le rôle du Sénat au moment de l'examen de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), qui prévoyait l'extinction du niveau départemental. Nous nous rendons compte qu'heureusement, le Sénat a joué un rôle de porte-parole des territoires. Les maires attendent un renforcement de l'échelon départemental.
Pendant la crise sanitaire, nous avons noté l'importance du couple maire-préfet. Cela ressort dans l'analyse de cette consultation, mais également dans celle concernant l'article 55 de la loi SRU. Avec notre collègue Laurent Burgoa, nous avons procédé à l'audition des maires du Gard. De nombreux élus demandent une meilleure prise en compte des spécificités territoriales dans l'adaptation et la mise en oeuvre de la loi SRU, sans vouloir s'exonérer des objectifs à atteindre. Cela pose les questions du renforcement du couple maire-préfet et de l'importance du dialogue entre les maires, qui expliquent les difficultés et les freins qu'ils rencontrent, et le préfet, qui les prend en considération car il connaît bien les territoires. Celui-ci peut alors adapter l'application des normes, notamment l'article 55 de la loi SRU, en tenant compte de ces spécificités. Les élus sont très favorables à ce renforcement de l'État territorial et demandent un renforcement des pouvoirs du préfet localement. Dans ce cadre, l'État devient accompagnateur, facilitateur et non pas facteur de contraintes.
Nous constatons, à travers les rencontres avec les préfets dans le cadre de la crise sanitaire, que malheureusement si certains préfets ont eu de la latitude lors du premier confinement, lors des deux autres, ils en étaient réduits à n'être que des courroies de transmission entre une information nationale et des souhaits locaux. L'État devrait renforcer leurs prérogatives. Par exemple, dans le Gard, notre ancien préfet, très proche des élus, a dû prendre un arrêté préfectoral pour imposer le port du masque sur l'ensemble du département du Gard, y compris dans le cirque de Navacelles dans les Cévennes, qui compte un habitant par kilomètre carré. Cela constituait une aberration. Le préfet le reconnaissait, mais il ne pouvait pas faire autrement. Un peu de bon sens permettrait d'éviter ce type de situations.
L'espace départemental est idéal pour la déconcentration des services de l'État. Dans les très grandes régions, la collectivité départementale s'affirme, avec des compétences qui sont différentes. Certains territoires plus petits et culturellement uniformes souhaitent, en matière de différenciation, pouvoir s'organiser différemment à l'échelle d'une région, sous la forme d'une assemblée unique, tout en conservant la proximité d'un espace départemental. Dans la différenciation que nous allons proposer, nous devons mentionner qu'il s'agit d'une volonté affirmée des territoires. Nous laissons les territoires s'organiser comme ils le souhaitent, à l'initiative des élus, dans un cadre législatif défini.
Concernant les pouvoirs dérogatoires des préfets, le Sénat a adopté une résolution visant à encourager le Gouvernement à étendre les facultés de dérogations aux normes des préfets dans des champs bien définis. Nous avons interrogé, le 20 novembre 2020, M. le Premier ministre sur ce qu'était devenue cette possibilité, assez intéressante en termes d'appréciation des situations concrètes. Nous n'avons, pour le moment, pas reçu de réponse.
Ce qui est évoqué pour le masque est très juste. En montagne ou en bord de mer, quand il n'y a personne, doit-on porter un masque ? Le préfet pourrait déroger à la norme pendant la crise sanitaire, à l'instar du G
ouvernement, qui a lui aussi territorialisé sa gestion.
Nous avons vraiment de la matière, qui croise les champs d'exploration des uns et des autres. J'ai expliqué à Mme la ministre que les élus étaient tout à fait avec nous. Si elle a lu les cinquante propositions du Sénat, elle sait dans quelle direction le texte « 4D » doit avancer. Nous serons sans surprise.
Je vous propose de transformer cette communication en rapport d'information. Donnez-vous votre accord ?
La délégation donne son accord.
La réunion est close à 11 heures 35.