Mesdames et Messieurs les rapporteurs et rapportrices - nous devrions pouvoir le dire ainsi -, sénatrices et sénateurs, je me réjouis vivement de ces échanges et du fait que vous ayez inscrit la thématique « Femmes et ruralité » à votre programme de travail. Les tables rondes et auditions que vous avez organisées reflètent d'ailleurs remarquablement les différents aspects de ce sujet.
Nous avons plusieurs connaissances communes de ces auditions, dont les représentants de l'ANCT (Agence nationale de la cohésion des territoires), que vous avez interrogés et qui sont d'importantes personnes ressources pour nous, mais aussi des associations telles que la fédération Des Territoires aux grandes écoles avec laquelle nous allons conclure un partenariat autour de la mise en oeuvre du volontariat territorial dans l'administration. Il s'agit de mettre en place de l'ingénierie au niveau Bac+2 minimum sur l'ensemble des territoires ruraux, avec une possibilité de parcours mentorés par des jeunes de grandes écoles, pour que certains puissent utiliser cette étape comme une passerelle à la reprise de leurs études.
Je suis extrêmement curieux de connaître les propositions que vous envisagez de faire figurer dans votre rapport, la thématique de l'égalité entre les femmes et les hommes ayant été jusqu'ici - vous avez raison de le souligner - absente de l'agenda rural. Celui-ci, élaboré à la suite de la crise des gilets jaunes, a pourtant associé énormément d'associations d'élus et de parlementaires. Pour autant, lorsque j'ai regardé les 181 mesures adoptées à l'automne 2019, j'ai été surpris de constater que deux sujets étaient totalement absents : l'égalité hommes-femmes et les problématiques LGBT en zone rurale. Nous avons décidé, avec Élisabeth Moreno, de prendre ces sujets à bras le corps. J'ai demandé à nos équipes de commencer à y travailler ensemble afin d'émettre des propositions lors du prochain comité interministériel aux ruralités, qui devrait se tenir en tout début d'été. Je serai moi-même très attentif à vos conclusions. Je ne manquerai pas, avec Élisabeth Moreno, de les porter lors de ce comité interministériel fondant les éléments de la politique publique que nous voulons mener.
Je présume que vous vous êtes déjà forgé un certain nombre de convictions, qui rejoindront sûrement les nôtres. Si je devais résumer notre position sur la question des femmes en ruralité, je dirais que les caractéristiques géographiques et sociologiques des territoires ruraux ont un effet encore plus marquées pour les femmes que pour les hommes.
La ruralité se caractérise par une faible densité de population, qui a parfois pour corollaire un enclavement routier, ferroviaire, numérique et culturel. Cette spécificité géographique est évidente et immédiatement visible. C'est d'ailleurs désormais le principal critère retenu pour définir la ruralité. L'ANCT a sans doute évoqué cette nouvelle approche par la grille communale de densité lorsque vous l'avez auditionnée. Auparavant, la ruralité était définie en creux et en négatif. Était rural ce qui n'était pas urbain. Les définitions étaient parfois bien éloignées de la ruralité : une commune de 2 500 habitants dans la périphérie d'une ville peut être très dense, tandis que des communes de 10 000 habitants peuvent être bien moins denses et bien plus rurales. Nous avons intégré cette approche mathématique de la ruralité pour que chaque ministère s'en empare comme un élément de définition, en concertation et en accord avec les associations d'élus, qu'il s'agisse de l'Association des maires de France (AMF) ou de l'Association des maires ruraux de France (AMRF). Nous avons déjà commencé à utiliser cette approche dans le projet de loi de finances, pour un certain nombre de critères liés à des dotations de l'État. J'ai demandé lors de la dernière réunion des référents ruralité que chaque ministère puisse l'utiliser, de façon à ce que nous parlions tous des mêmes territoires.
Dans la plupart des cas, la faible densité a pour conséquences un plus haut degré de connaissances interpersonnelles dans les villages, mais également un plus faible maillage des services publics et des structures associatives. Nous savons que l'interconnaissance a des conséquences majeures sur certains individus victimes de violences qui ont beaucoup de mal à trouver de l'aide. Les services publics constituent un angle d'approche majeur du Gouvernement et nous souhaitons renforcer leur maillage, notamment au travers du programme des Maisons France Service. Nombreuses sont les Maisons France Service qui tiennent désormais des permanences avec les CIDFF (Centres d'information sur les droits des femmes et de la famille), souvent présents et efficaces dans les départements ruraux. L'anonymat y est plus aisé pour les individus victimes de problèmes graves. Vous y entrez par une case anonyme (Pôle Emploi, les services de la CAF, une aide pour remplir une déclaration d'impôts...). Les personnes formées qui vous accueillent sont ensuite aptes à déceler des problématiques autres, telles que les violences faites aux femmes ou l'addictologie. Ces Maisons France Service peuvent donc constituer un point d'entrée très intéressant pour toutes les discriminations, quelles qu'elles soient.
La question de la mobilité se pose de concert avec celle de l'accessibilité aux services publics, ce qui accroît certains problèmes d'orientation professionnelle ou d'accès aux droits, par exemple. Les différences d'orientation entre les hommes et les femmes sont encore plus marquées en milieu rural qu'en milieu urbain. Les femmes sont encore plus nombreuses en temps partiel. Les violences intrafamiliales sont également plus fréquentes dans ces zones.
Nous envisageons donc d'enrichir l'agenda rural avec des propositions de mesures principalement destinées à répondre à la question de l'égalité entre les femmes et les hommes. À ce stade, les mesures ne sont pas encore arbitrées mais je vais en évoquer certaines.
Nous souhaitons augmenter le nombre d'intervenantes sociales en gendarmerie. Tout le monde a en tête ce drame atroce dans le Puy-de-Dôme il y a quelques mois, où trois gendarmes ont perdu la vie en allant sauver une femme victime de violences. C'est la meilleure démonstration de l'action des forces de l'ordre. J'étais au Beauvau de la sécurité organisé par le ministre de l'intérieur en zone rurale, dans l'Allier, et nous avons largement évoqué ces questions.
Nous examinons par ailleurs les applications qui sont utilisées par les maires sur certains territoires ruraux. Je pense notamment à l'application PanneauPocket, permettant de lancer des alertes en cas de crue ou de cheval échappé de son enclos, par exemple. Nous étudions la possibilité d'utiliser ces applications pour alerter d'un péril imminent.
Nous souhaitons également lancer un appel à projets destiné aux associations rurales promouvant l'égalité entre les femmes et les hommes. Nous voulons aussi travailler sur un programme de mentorat ad hoc dans le cadre du plan « mentorat » lancé par le Président de la République sur les droits des femmes.
Soyons clairs : c'est l'ensemble des mesures de l'agenda rural qu'il convient d'orienter pour qu'elles puissent contribuer à améliorer la situation des femmes. Je crois que les Maisons France Service constituent une porte d'entrée très intéressante pour ces sujets.
La lutte contre les déserts médicaux fait également partie des sujets sur lesquels l'égalité femmes-hommes doit s'appliquer, sachant que le recours aux médecins concerne plus majoritairement des personnes âgées et des femmes que des hommes jeunes. Sur ce plan, les mesures que nous prenons avec le ministère de la santé, sur le remboursement de la télémédecine et les nouvelles possibilités d'intervention de paramédicaux, sont essentielles. En période de Covid, les infirmiers ont en effet été autorisés à réaliser quelques gestes médicaux. C'est particulièrement important en zone rurale. La loi 4D offrira également de nouvelles possibilités, telles que l'intervention des départements sur des dispensaires départementaux, expérimentée de manière très efficace en Saône-et-Loire. S'y ajoute la possibilité d'accueillir des étudiants en médecine en territoires ruraux grâce au système des médecins de référence en CHU, dont la prime a été augmentée de 50 %.
Je peux également citer l'installation de simulateurs de conduite dans vingt-quatre missions locales pour faciliter l'obtention du permis.
Des mesures jeunesse visent également à renforcer l'égalité des chances : la boussole des jeunesses, les cordées de la réussite, les campus connectés... Dès que nous installons des campus connectés, nous y observons davantage d'étudiantes que d'étudiants. En effet, l'éloignement de leur secteur d'origine et les difficultés liées aux réseaux de transports en commun constituent davantage un frein à la poursuite d'études pour les jeunes filles.
Voilà le complément que je pouvais apporter aux propos d'Élisabeth Moreno. Je ne comprends pas pourquoi ces sujets n'ont jamais émergé alors qu'énormément d'élus nationaux, et notamment d'élues nationales, figuraient parmi les partenaires de l'agenda rural. Cela reste pour moi un mystère. Il convient aujourd'hui de transformer les conditions de l'agenda rural pour qu'il devienne un instrument de non-discrimination en ce qui concerne l'égalité hommes-femmes et les droits LGBT.