Intervention de Michel Laugier

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 26 mai 2021 à 9h30
Projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets — Examen du rapport pour avis

Photo de Michel LaugierMichel Laugier, rapporteur :

Plusieurs articles de ce texte concernent des thématiques de notre commission.

Les articles 2 à 3 concernent l'éducation. Ils visent à renforcer la prise en compte du développement durable dans le code de l'éducation. Il s'agit d'une reprise dans le projet de loi d'une préconisation de la convention citoyenne pour le climat.

Lors de la présentation du texte à l'Assemblée nationale, Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, évoquait son intention de « faire entrer l'écologie [à l'école], dans ce pilier de la République, pour former et sensibiliser les futurs citoyens aux enjeux de la planète ». Cette déclaration est plus qu'étonnante, car l'éducation à l'environnement et au développement durable est au programme scolaire depuis près de 45 ans, la première instruction dans ce sens datant... de 1977 ! Depuis et de manière régulière, plusieurs circulaires ont renforcé la prise en compte du développement durable à l'école. La dernière date de septembre 2020, elle met en oeuvre la refonte des programmes scolaires en matière d'éducation au développement durable. Cette refonte prend en compte les orientations proposées par le conseil supérieur des programmes pour le renforcement des enseignements relatifs au changement climatique, à la biodiversité et au développement durable du cycle 1 jusqu'au cycle 4, soit de l'école maternelle, jusqu'au collège. Enfin, le code de l'éducation comporte déjà une section et un article législatif consacrés à l'éducation au développement durable.

Ainsi, la portée des articles 2 à 2 quinquies est-elle avant tout symbolique.

Je vous proposerai une nouvelle rédaction de l'article 2 pour le recentrer sur les enjeux de l'éducation à l'environnement et clarifier certaines dispositions adoptées à l'Assemblée nationale.

L'article 3 précise les compétences des comités d'éducation à la santé et à la citoyenneté, tout en les étendant à des actions de développement durable. Là encore, il ne s'agit pas d'une révolution. De nombreux établissements secondaires incluent déjà un volet « développement durable » dans leurs projets d'établissement. Le ministère a mis en place en 2013 une labellisation « E3D » des écoles et établissements s'engageant dans une démarche globale de développement durable. Depuis 2020, des éco-délégués doivent être élus dans tous les collèges et lycées. Au nombre de 200 000, ils ont pour mission de porter des projets collectifs et d'être des ambassadeurs auprès de l'ensemble de la communauté éducative.

Je note néanmoins un point positif à l'extension des prérogatives de ces comités : ce texte explicite leurs missions, en incluant des missions relatives à la laïcité et aux valeurs de la République. En cohérence avec les positions de notre commission, je vous proposerai un amendement rédactionnel pour faire référence aux « principes de la République ».

Je m'étonne toutefois de l'absence des enseignants parmi les personnes explicitement associées pour faire vivre et promouvoir les initiatives proposées par ces comités. En effet, seuls sont mentionnés les élèves, les parents d'élèves et les partenaires extérieurs. Je vous proposerai d'adopter un amendement pour corriger cet oubli.

Les articles 4 et 5 concernent la publicité dans les médias. Ces deux articles appellent une première question : faut-il et peut-on encadrer la publicité ?

Si l'efficacité de la publicité est reconnue pour favoriser la consommation, il apparaît légitime et cohérent de s'interroger sur la logique consistant à l'autoriser pour des produits qui ont un effet néfaste prouvé sur l'environnement.

Toutefois il faut tenir compte du modèle économique des chaînes de télévision et des antennes de radio. Comme l'a indiqué le directeur général du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) lors de son audition, les recettes publicitaires représentent 95 % des ressources des médias audiovisuels privés. Toute baisse de ces ressources aurait des effets immédiats sur les programmes diffusés.

Si l'encadrement de la publicité est nécessaire, il ne doit pas viser uniquement les médias audiovisuels, au risque de favoriser les nouveaux acteurs du numérique. J'aurai donc un amendement à vous proposer afin de viser également les plateformes numériques.

Le projet de loi recourt à des contraintes et à des engagements, mais de façon déséquilibrée, ce qui limite l'efficacité de l'ensemble. Si l'article 4 limite le recours à la publicité, cette interdiction ne concerne que les énergies fossiles. Par ailleurs, cette interdiction est elle-même ambiguë puisqu'elle ne concerne pas les produits qui recourent aux énergies fossiles pour fonctionner comme les voitures à moteur thermique, les avions, les bateaux de croisière... Le CSA estime le manque à gagner à 0,1 % des recettes publicitaires pour la télévision et 0,3 % pour la radio selon les chiffres de 2019.

Cette interdiction n'est donc que symbolique et vise d'abord à démontrer une détermination qui, en réalité, manque cruellement.

L'essentiel du dispositif retenu par le projet de loi repose en réalité sur des engagements des acteurs dans le cadre d'une autorégulation. L'article 5 prévoit ainsi la mise en oeuvre d'un code de bonne conduite qui transcrirait les engagements pris au sein d'un « contrat climat » conclu entre les médias et les annonceurs d'une part et le CSA, d'autre part.

Pour le CSA, les engagements qui seront pris devront être « clairs, précis, auditables car les citoyens doivent savoir et le CSA doit pouvoir les contrôler ».

Cependant le régulateur estime qu'« il n'est pas compétent pour identifier les messages qui portent atteinte à l'environnement et qu'il lui faudra coopérer avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) ». L'absence d'expertise du régulateur apparaît comme une limite majeure du dispositif d'autant que le projet de loi a été préparé sans que soit procédé au « détourage » des produits concernés. Il n'y a pas davantage dans le projet de loi d'objectifs quantitatifs ni de délais pour les atteindre.

Le recours à l'autorégulation pour encadrer la publicité n'est pas une nouveauté, comme l'illustre le dispositif prévu par l'article 1er de la loi du 20 décembre 2016 relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse. Cependant, cette loi d'origine sénatoriale avait eu le mérite de compléter le recours à l'autorégulation sur les médias privés par un principe d'interdiction pour l'audiovisuel public. L'expérience de la protection de la jeunesse a permis d'établir que le recours à l'autorégulation, pour nécessaire qu'il soit, ne peut être suffisant. À défaut de pouvoir le compléter par de larges interdictions assorties de délais d'application réalistes, il est possible de miser sur l'exemplarité du service public pour accroître les exigences du public vis-à-vis des médias en général.

En 2015, nos deux collègues Jean-Pierre Leleux et André Gattolin avaient proposé, dans un rapport sur l'avenir de l'audiovisuel public, de « mieux définir les catégories de produits ou de services susceptibles de pouvoir faire l'objet de publicité dans les médias de service public selon leur impact sur l'environnement, l'économie et la santé ». Nos deux collègues constataient en effet qu' « il existe aujourd'hui une véritable contradiction entre certains messages publicitaires diffusés sur les antennes de France Télévisions et les valeurs qui doivent être portées par le service public et, plus généralement par les autorités publiques, qui devient difficilement compréhensible ».

Cette « publicité raisonnée » qu'ils appelaient de leurs voeux pourrait constituer un puissant outil pour promouvoir une certaine exemplarité du service public et définir des perspectives pour les médias privés à défaut de pouvoir leur imposer des objectifs chiffrés à court terme.

Je vous proposerai donc un amendement à l'article 5 prévoyant qu'un code de bonne conduite dédié à France Télévisions, Radio France et France Médias Monde organisera, d'ici le 1er janvier 2023, la disparition des communications commerciales promouvant des produits ayant un impact négatif sur l'environnement dès lors qu'il existe des produits alternatifs qui n'ont pas d'effet néfaste sur l'environnement. Ce principe d'interdiction générale serait d'application progressive puisque conditionnée à l'existence d'une alternative. Cela devrait inciter les industriels à innover pour conquérir de nouveaux marchés de produits responsables. Les ressources publicitaires représentant environ 10 % des ressources de France Télévisions et Radio France, il n'y a pas de risque que l'interdiction de la publicité pour certains produits ait un impact significatif sur les ressources de ces entreprises publiques.

Le troisième sujet qui appelle notre vigilance concerne le patrimoine et le cadre de vie. Deux sujets traités par ce projet de loi me paraissent devoir plus particulièrement retenir notre attention : le régime de la publicité extérieure et la question de la rénovation énergétique des bâtiments.

Les articles 6 et 7 du projet de loi modifient le régime de la publicité extérieure, avec pour objectif de donner plus de pouvoirs aux maires dans ce domaine.

L'article 6 décentralise le pouvoir de police de la publicité. Cette compétence est aujourd'hui exercée par le préfet, sauf lorsque la commune s'est dotée d'un règlement local de publicité (RLP) : dans ce cas, elle appartient au maire, mais le préfet a toujours la possibilité de se substituer à lui en cas de carence.

Le projet de loi vise à attribuer au maire la compétence en matière de la police de la publicité, que la commune dispose ou non d'un RLP. Compte tenu de l'intérêt du Sénat pour les collectivités territoriales, j'ai le sentiment que nous ne pouvons qu'y souscrire. L'affichage extérieur est avant tout une question d'intérêt local : il est logique d'en confier le soin à l'autorité la plus proche du terrain. Je pense que le risque de voir proliférer la publicité en confiant cette compétence au maire est faible : les maires ont parfaitement conscience que leurs administrés sont sensibles à leur cadre de vie.

Confier cette compétence au maire est un moyen de les responsabiliser face à cet enjeu et de les encourager à adopter un RLP pour adapter les règles à la situation locale, sachant que les prescriptions du RLP ne peuvent de toute façon pas être moins restrictives que la règle nationale.

Or, les règles en matière d'affichage sur la voie publique sont très encadrées au niveau national : la loi fixe un certain nombre d'interdictions, dont certaines qui revêtent un caractère absolu et auquel le RLP ne peut pas déroger.

L'interdiction de l'affichage sur les immeubles ou dans les zones à forte valeur patrimoniale entre dans cette catégorie. Par ailleurs, le préfet conservera la possibilité d'interdire par arrêté toute publicité sur des immeubles présentant un caractère esthétique, historique ou pittoresque.

Je reconnais néanmoins que l'exercice du pouvoir de police en matière de publicité peut poser problème pour les petites communes, qui n'ont pas forcément les compétences techniques pour l'exercer. C'est pourquoi je vous proposerai un amendement pour permettre aux communes qui n'auraient pas de RLP de renoncer à l'exercice de cette compétence et de la transférer au préfet. J'aurais aimé fixer un seuil pour réserver cette possibilité aux seules communes rurales, mais comme il n'y a pas de définition pour les communes rurales, et que le seuil de 2 000 habitants couvre de toute façon 85 % des communes, il m'a semblé qu'il valait mieux ne pas créer d'inégalités entre les communes.

L'article 7 vise à autoriser le maire ou le président d'un EPCI à réglementer, par le biais du RLP, les publicités et enseignes lumineuses situées à l'intérieur des vitrines des locaux commerciaux visibles depuis la voie publique. Il s'agit d'une petite révolution, puisque le code de l'environnement exclut aujourd'hui expressément les vitrines de la réglementation relative à la publicité extérieure, dès lors que les publicités, enseignes et préenseignes situées à l'intérieur du local ne sont pas utilisées principalement comme un support de publicité. L'objectif de cet article est évidemment de lutter contre la pollution lumineuse et le gaspillage d'énergie. D'un point de vue patrimonial, nous ne pouvons qu'y être favorables.

Il me semble néanmoins nécessaire, pour atteindre l'objectif visé et éviter que des disparités excessives ne se fassent jour sur le territoire national en matière d'affichage dans les vitrines, que des prescriptions minimales s'appliquent sur tout le territoire. Sans quoi, la protection du cadre de vie ne serait pas forcément garantie et les différences d'une zone à l'autre pourraient créer de fortes inégalités entre les commerçants.

Il existe des prescriptions minimales concernant l'affichage sur la voie publique : il est logique de fixer également des prescriptions minimales concernant l'affichage dans les vitrines visibles depuis la voie publique. C'est pourquoi je vous proposerai une nouvelle rédaction de l'article 7.

J'en viens à la rénovation énergétique des bâtiments à usage d'habitation, qui fait l'objet des articles 39 à 45 quinquies. Ces articles comportent une série de dispositions destinées à accélérer la rénovation énergétique et à lutter contre les passoires énergétiques.

C'est un enjeu essentiel dans la lutte contre le dérèglement climatique, mais il appartient à notre commission de veiller à ce que cet enjeu puisse s'articuler avec celui de la préservation du patrimoine qui nous tient à coeur.

Les bâtiments anciens contribuent à l'identité et à la richesse de nos régions. Leur préservation est importante pour développer l'attractivité des territoires, améliorer le cadre de vie, et favoriser le tourisme. Les constructions traditionnelles datées d'avant 1948, qui relèvent du bâti ancien, se distinguent du bâti moderne. Les matériaux avec lesquels elles sont composées sont sensibles à l'humidité. Leur rénovation doit donc respecter leur équilibre hygrothermique, sinon il en survient des désordres qui affectent le bâti et le confort de vie des habitants. On ne rénove pas le bâti ancien comme on rénove le bâti moderne.

L'Assemblée nationale a intégré des dispositions pour garantir la prise en compte des contraintes techniques, architecturales et patrimoniales, d'une part, dans le cadre de l'audit énergétique qui doit être réalisé pour tous les bâtiments d'habitation collective, et, d'autre part, à l'occasion des rénovations énergétiques.

Ces amendements pourraient être complétés, le texte ne prévoyant aucune dérogation pour empêcher que les logements situés dans des bâtiments anciens, qui ne pourraient pas être rénovés selon les standards modernes, et pour lesquels tous les travaux possibles auraient été réalisés, ne soient considérés comme des passoires énergétiques et classés comme des logements indécents à compter de 2025.

Le projet de loi ne fixe pas non plus les règles concernant les qualifications du futur accompagnateur « rénov », le professionnel qui sera chargé d'accompagner les ménages dans leur rénovation énergétique. Il serait bon que ce professionnel soit sensibilisé aux spécificités des différents types de bâti pour mener à bien sa mission. Je vous proposerai d'adopter quatre amendements en ce sens.

Voilà les différents points de ce projet de loi sur lesquels je souhaitais attirer votre attention. Le texte est évidemment beaucoup plus large, mais les autres dispositions ne relevaient manifestement pas de notre ressort. Je ne crois pas qu'il aurait été dans notre rôle de commission pour avis d'intervenir à leur sujet.

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