Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise comprend deux articles, le second étant présenté comme une compensation des conséquences financières du premier.
L’article 1er prévoit le versement d’un complément de 100 euros par mois aux bénéficiaires des aides personnelles au logement. Cette mesure s’appliquerait jusqu’à trois mois après la fin de l’état d’urgence, c’est-à-dire jusqu’à la fin août de cette année si l’état d’urgence n’est pas prorogé au-delà du 1er juin.
Cette mesure est rattachée par ses modalités aux aides au logement, ce qui faciliterait certainement sa mise en œuvre, mais elle est en fait d’une nature très différente.
En effet, elle ne dépend pas du niveau du loyer, des ressources, du patrimoine ou même du nombre de personnes composant le ménage : l’aide serait identique pour une famille nombreuse sans ressources, qui bénéficie en conséquence d’une APL relativement élevée, et pour une personne seule à revenu plus élevé, pour laquelle le niveau de l’APL est réduit.
Il s’agirait donc d’une aide sociale générale, sans véritable lien avec les dépenses de logement, mais dotée d’un effet de seuil considérable, puisqu’une légère différence de revenus suffirait pour qu’un ménage bénéficie, ou non, de l’intégralité de l’aide de 100 euros.
Le coût est facile à estimer : le nombre des bénéficiaires des aides personnelles au logement étant d’environ 6, 6 millions d’euros, la mesure représenterait une dépense de l’ordre de 660 millions d’euros par mois, ou 2 milliards d’euros pour trois mois. Pour mémoire, le montant total des aides personnelles au logement a été de 17 milliards d’euros en 2020, dont 13, 9 milliards d’euros à la charge de l’État.
L’article 1er gage cette dépense sur les recettes provenant du report de la mise en œuvre de la taxe d’habitation à l’article 2, mais ces recettes seront nulles en 2021. En pratique, c’est donc une taxe additionnelle aux droits sur le tabac qui devrait être créée.
Aussi, cette aide, dont la création repose sur le souhait légitime d’aider les ménages à revenus modestes pendant la crise sanitaire, me semble mal adaptée à la diversité de leur situation, ainsi qu’à leur exposition réelle aux effets de la crise, qui dépend d’autres facteurs, tels que le secteur économique d’activité ou le type de contrat de travail. La commission des finances n’a donc pas adopté cet article.
L’article 2 de la proposition de loi a pour objet de modifier la trajectoire de suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales pour ce qui concerne, plus particulièrement, l’allègement en faveur des « 20 % de ménages aisés ».
La mesure a un double objectif d’après les auteurs de la proposition de loi. Tout d’abord, elle vise à dégager des ressources pour assurer le financement des aides proposées à l’article 1er. Ensuite, elle prévoit d’organiser une contribution plus importante des ménages que l’exposé des motifs qualifie de « privilégiés ».
Mes chers collègues, je me permettrai de vous présenter un bref rappel des grandes lignes de la réforme de la taxe d’habitation sur les résidences principales, avant de vous expliquer plus précisément le contenu de la proposition de loi.
À l’occasion de la loi de finances pour 2018, le Parlement a adopté, comme vous le savez, un dégrèvement progressif de la taxe d’habitation sur les résidences principales en faveur des « 80 % de ménages les moins aisés ». Ainsi, en 2020, les ménages concernés ont bénéficié d’un dégrèvement intégral de la taxe d’habitation sur les résidences principales.
Dans la loi de finances pour 2020, le Parlement a voté la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales à compter de 2023. Cette réforme comporte plusieurs volets.
En premier lieu, le dégrèvement de la taxe d’habitation sur les résidences principales est transformé en exonération.
En deuxième lieu, les « 20 % de ménages aisés » restant redevables de la taxe dans le dispositif introduit en 2018, bénéficieront d’une exonération progressive en 2021 et 2022. Ainsi, en 2021, l’exonération sera égale à 30 % et à 65 % en 2022.
En troisième lieu, à compter de 2021, le produit de la taxe d’habitation sur les résidences principales est intégralement reversé à l’État.
Enfin, la réforme prévoit que les collectivités locales bénéficient de ressources de substitution, au travers, vous le savez, de la redescente de la part départementale de la taxe foncière ou de l’affectation d’une fraction de TVA.
La commission des finances et le Sénat ont largement discuté et débattu de cette réforme, que nous jugions, je le rappelle, critiquable sur de nombreux points.
En particulier, nous avions considéré que l’impact sur les collectivités locales de la mise en œuvre de ce nouveau modèle de financement n’était pas suffisamment évalué. Le Sénat avait donc, sur l’initiative de la commission des finances, voté une série d’amendements tendant à décaler d’un an la mise en œuvre du nouveau schéma de financement des collectivités locales.
Je me permets d’insister sur ce dernier point : ce que le Sénat a voté, c’est un décalage d’un an de la redescente de la taxe foncière et de l’affectation de TVA aux établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, et aux départements.
À aucun moment, le Sénat n’a remis en question par son vote le principe ou la trajectoire d’allègement en faveur des 20 % de ménages restant redevables de l’impôt. Celle-ci s’impose pour des motifs constitutionnels, comme l’analysait fort bien le rapport Richard-Bur de 2017.
J’en viens au contenu de l’article 2 de la proposition de loi. Il prévoit que l’exonération à 65 % de la taxe d’habitation sur les résidences principales, qui doit s’appliquer en 2022 au profit des 20 % des ménages restant redevables de l’impôt, soit limitée à 30 %. L’exonération à 65 % ne s’appliquerait qu’en 2023, et la taxe ne serait supprimée, corrélativement, qu’en 2024.
Tout d’abord, je rappelle que ces propositions sont absolument sans incidence pour les collectivités locales, qui n’y gagneront ou n’y perdront rien. En effet, le nouveau schéma de financement des collectivités locales est déjà en vigueur : c’est donc l’État qui perçoit actuellement la taxe d’habitation sur les résidences principales. Ne voyons donc pas là, mes chers collègues, une occasion de refaire le match de la réforme en faveur des collectivités locales, car tel n’est pas l’objet de ce texte.
Ensuite, j’estime que cette proposition n’est pas bienvenue : par conséquent, je vous proposerai de rejeter cet article.
Premièrement, la mesure a pour objet d’engendrer une recette supplémentaire pour l’État de l’ordre de 2, 6 milliards d’euros en 2022, afin de financer le coût des aides prévues à l’article 1er. Par cohérence avec la proposition de rejet de cet article que j’ai déjà évoqué, je considère que le dispositif de l’article 2 ne se justifie plus.
Deuxièmement, la mesure vise, selon ses auteurs, à renforcer la justice fiscale en organisant une plus forte participation des ménages « favorisés ». Ce terme est, me semble-t-il, loin d’être adéquat. Certes, les ménages encore redevables de la taxe d’habitation disposent, par définition, des 20 % de revenus les plus importants.
Néanmoins, il faut rappeler que cette présentation ne rend pas compte du fait que les seuils retenus sont en réalité assez faibles et que l’on peut être, dans une pièce comptant dix personnes, parmi les deux qui gagnent le mieux leur vie sans pour autant être riche.
Par exemple, un couple sans enfant figure parmi les 20 % de ménages aisés dès lors que le revenu mensuel de chacun des conjoints excède 1 749 euros après impôts. Pour un couple avec deux enfants, ce montant est de 2 256 euros.
Il s’agit pour moi non pas de nier le fait qu’une part importante de nos concitoyens perçoit des revenus inférieurs à ceux que je viens de citer, mais plutôt de rappeler que l’on ne peut pas vraiment dire que les ménages visés par la mesure proposée sont des « privilégiés ».
En troisième et dernier lieu, j’indiquerai que revenir sur le niveau de l’exonération applicable en 2022 serait un mauvais signal.
Ce serait un mauvais signal pour le soutien à la relance, car cela réduirait le pouvoir d’achat des ménages qui s’attendaient à bénéficier de cette mesure.
Ce serait un mauvais signal pour la prévisibilité de la loi de fiscale également, alors que celle-ci constitue un élément de confiance important.
Pour l’ensemble des raisons que j’ai évoquées, la commission des finances n’a adopté aucun des deux articles de la proposition de loi et vous propose donc de rejeter celle-ci.