Intervention de Esther Benbassa

Réunion du 26 mai 2021 à 15h00
Élevage éthique juste socialement et soucieux du bien-être animal — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les pandémies questionnent à chaque fois notre rapport à l’animal, qu’il soit sauvage ou domestique, ainsi que notre modèle agricole et notre système de santé.

Ce n’est pas sans fierté que je vous présente ce jour, au nom du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, une proposition de loi qui répond à une prise de conscience grandissante quant aux conditions d’élevage des animaux, conditions parfois déplorables dans notre système agricole.

J’ajouterai, à titre liminaire, que ce texte a reçu le soutien de nombreuses associations de défense des droits des animaux, mais aussi l’assentiment de sénateurs et sénatrices membres de six groupes politiques différents, que je tiens à remercier. C’est dire la résonance globale de ce sujet dans notre société, au-delà des clivages partisans.

L’élevage intensif est vivement critiqué relativement au bien-être animal et à la qualité de la viande, ainsi qu’aux conditions de travail des professionnels et à son modèle.

En France, 80 % des animaux sont dans des élevages intensifs. Cette proportion est particulièrement élevée pour les porcs – 95 % d’entre eux se trouvent dans cette situation – et les volailles – 80 % des poulets de chair et 68 % des poules pondeuses sont concernés.

Ces animaux subissent dans des « fermes-usines » des traitements cruels et parfois intolérables. Ils se trouvent confinés, sans accès à des espaces de plein air et souvent dans des cages, ce qui entraîne chez eux des troubles comportementaux extrêmes.

Les élevages précités asphyxient en outre les productions locales, qui ont vu leur nombre baisser drastiquement ces dernières années. Ce sont alors les agriculteurs eux-mêmes qui pâtissent grandement de prix non rémunérateurs, associés à des conditions de travail difficiles, contribuant lourdement au mal-être du monde agricole.

C’est pourquoi, à des fins de promotion d’un modèle d’agriculture paysanne favorisant une alimentation locale, respectueuse de la nature et soucieuse du bien-être de l’animal, mais aussi des acteurs du monde paysan, il apparaît nécessaire d’accompagner ces derniers dans la transition vers un élevage et un abattage éthiques.

À cet égard, il convient particulièrement d’accompagner ceux qui dépendent aujourd’hui de l’élevage intensif, afin de leur permettre de faire évoluer leurs pratiques.

Selon un sondage réalisé par l’IFOP en janvier 2021, quelque 85 % des Français se déclarent opposés à l’élevage intensif, signe que l’opinion publique est favorable à la mise en place de cette nécessaire transition. Cette évolution de l’opinion, nous la devons aussi au travail des lanceurs d’alerte et aux actions des associations.

Au niveau européen, la directive 98/58/CE concernant la protection des animaux dans les élevages pose les grands principes du bien-être chez les animaux domestiques de production pour les États membres s’agissant des bâtiments et infrastructures, de la liberté de mouvement, de l’alimentation, des mutilations et maltraitances. Elle n’en détaille cependant pas la mise en œuvre et laisse aux États membres une large marge d’action.

La commission des affaires économiques du Sénat, dont je salue la présidente et la rapporteure, avec lesquelles j’ai eu plaisir à travailler, a rejeté notre proposition de loi, se contentant de cette directive, qui, en fait, laisse la France l’appliquer à sa convenance. Je le regrette.

Du point de vue de la législation, la France accuse, hélas, un grand retard par rapport à nombre de ses voisins européens.

Ainsi, 97 % des animaux sont élevés hors cage en Autriche. En Suède, ce taux s’élève à 92 %, tandis que l’Allemagne obtient le quatrième meilleur score de la communauté, avec un taux de 86 %, suivie par les Pays-Bas et la Belgique, qui affichent les taux respectifs de 83 % et 69 %. La France, elle, n’arrive qu’en dix-septième position de ce classement, avec un score de 25 %, derrière la Roumanie, la Croatie et la Hongrie.

Nous devons instaurer en Europe un étiquetage alimentaire transparent, comprenant un descriptif clair du mode d’élevage, de sorte que le consommateur-citoyen puisse pleinement jouer son rôle dans la protection du bien-être animal, ainsi que de sa santé et de l’environnement, sans, bien sûr, léser économiquement les agriculteurs, qui doivent pouvoir résister aux importations issues de pays qui ne suivent pas le même cahier de charges en termes de conditions sanitaires, de bien-être animal et de respect de l’environnement, par exemple en instituant une taxation.

Les agriculteurs sont les premiers à pâtir de l’élevage industriel, déjà au niveau économique, avec la réduction du nombre d’exploitations et la concentration d’élevages toujours plus importants entre les mains des plus puissants. Quant aux niveaux éthique et moral, je le rappelle, les agriculteurs aiment leurs bêtes et voudraient s’assurer de leur donner, autant que possible, « une bonne mort », sans souffrance.

Cette proposition de loi, étant donné la relative brièveté du temps de débat qui lui est imparti, n’aborde pas en détail la question de l’abattage, tout en soulignant les vertus possibles de l’abattage de proximité.

Son article 1er tend à garantir progressivement, d’ici à 2040, un accès extérieur et une surface par tête adaptés, en tenant compte des moments de vie de l’animal et des cas spécifiques, géographiques ou climatiques, comme les élevages en montagne, à l’horizon de 2040, avec une mise en place progressive des dispositifs d’accès au plein air et des seuils de densité maximale dès 2025.

L’article 2 limite la durée de transport des animaux à huit heures sur le territoire national, dans des conditions assurant leur bien-être.

L’article 3 interdit l’élimination, sauf en cas d’épizootie, des poussins mâles et des canetons femelles vivants. Broyés, étouffés, gazés, les poussins mâles sont victimes d’un cauchemar industriel, lequel est, hélas, toujours une réalité en France.

L’Allemagne confirme sa position de pionnière dans la lutte contre le broyage et le gazage des poussins mâles en interdisant cette pratique à partir de 2022. Un projet de loi a été validé vendredi dernier par le Bundestag. Le sexage in ovo sera pratiqué en amont, entre le neuvième et le quatorzième jour, pour déterminer le sexe des embryons. Parallèlement à cette méthode, appelée « Seleggt », existe une autre technique – française – de sexage in ovo, par spectrophotométrie, mais cette dernière est encore inaboutie.

En France, on observe, certes, quelques timides avancées. Le ministère de l’agriculture et de l’alimentation annonce l’interdiction de l’élimination des poussins pour la fin de l’année 2021. Encore faut-il que cette promesse soit tenue ! La filière des œufs annonce qu’elle ne sera pas prête pour cette date, mais se prépare timidement à se lancer dans le déploiement du sexage in ovo. Nous demandons, quant à nous, l’interdiction de l’élimination dès le 1er janvier 2022.

Le passage à l’élevage éthique nécessite l’accompagnement financier des agriculteurs. Pour cette raison, notre texte prévoit un fonds pour les aider à transformer leur activité et à se conformer au nouveau cadre juridique, y compris en développant l’abattage de proximité. La puissance publique a un rôle crucial à jouer dans la transition écologique. Subventionner les investissements des agriculteurs par des prêts à taux zéro ou garantis par l’État figure parmi les quelques solutions envisageables.

Notre pays vit une urgence sociale, sanitaire, climatique et environnementale. Il vit aussi dans une urgence éthique. Nos jeunes, défilant nombreux dans nos rues pour le climat, ne cessent de nous le rappeler. Il est donc primordial, mes chers collègues, d’engager sans délai cette démarche vers un modèle respectueux du vivant.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion