Intervention de Jacky Deromedi

Réunion du 27 mai 2021 à 10h30
Accès des jeunes dans la fonction publique et les entreprises — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Jacky DeromediJacky Deromedi :

Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, la proposition de loi de Mme Hélène Conway-Mouret et des membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain vise à favoriser l’accès des jeunes à la fonction publique et aux entreprises.

À l’heure où la jeunesse est particulièrement touchée par la crise sanitaire et les restrictions d’activité qui en découlent, nous ne pouvons qu’en partager l’objectif. Le Sénat conduit d’ailleurs actuellement trois missions d’information sur des sujets proches, ce qui démontre sa volonté de faire avancer ces questions.

Toutefois, l’examen de la présente proposition de loi a suscité diverses interrogations d’ordre à la fois constitutionnel et pratique, auxquelles les amendements déposés en commission, puis en séance, ne semblent pas répondre. Dans ces conditions, la commission des lois n’a pas pu adopter de texte.

La proposition de loi vise à compléter le droit existant par une série de mesures tendant, tout d’abord, à favoriser l’entrée des jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville et des zones de revitalisation rurale dans la fonction publique de l’État et, ensuite, à limiter les risques de discrimination à laquelle ils sont confrontés dans le monde de l’entreprise.

Il s’agirait ainsi de corriger des inégalités de parcours, dont de nombreux travaux conduits ces dernières années sur le thème de la diversité et de l’égalité des chances établissent la réalité.

L’article 1er est assez emblématique. Il prévoit notamment de réserver une proportion minimale de nominations aux emplois de la haute fonction publique de l’État, laissés à la décision du Gouvernement, à des personnes qui ont ou ont eu une expérience professionnelle d’au moins deux ans dans un quartier prioritaire de la politique de la ville.

Cette disposition s’inspire du dispositif des nominations équilibrées, qui oblige certains employeurs publics à nommer 40 % de personnes de chaque sexe dans les emplois supérieurs et de direction.

Toutefois, ce modèle est difficilement transposable dans notre cas en raison d’une difficulté d’ordre constitutionnel. En effet, les nominations par priorité de certaines catégories de personnes aux emplois publics sont contraires au principe d’égalité et à l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. En droit français, l’introduction de quotas pour assurer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la vie politique et professionnelle a nécessité deux révisions constitutionnelles préalables.

Par ailleurs, cet article introduirait un nouveau critère de différenciation, l’expérience professionnelle dans un quartier prioritaire. Or le choix de ce critère soulève une interrogation : vise-t-il à enrichir les parcours des hauts fonctionnaires en les incitant à aller travailler dans un quartier prioritaire ou à favoriser la nomination de personnes issues de ces quartiers ?

Enfin, il semblerait que la valorisation des parcours des candidats dans les territoires et de leur expérience de vie ait davantage la faveur des représentants des associations que j’ai entendus.

Telles sont les raisons pour lesquelles la commission n’est pas favorable à l’article 1er, même amendé pour transformer le quota prévu en simple critère de priorisation.

L’article 3 a retenu l’attention de la commission, car il semble nécessaire de diversifier et de former les membres des jurys pour éviter les biais évaluatifs qui peuvent favoriser certains candidats au détriment d’autres, à compétences égales ou moindres.

Néanmoins, le fait d’imposer la présence obligatoire, dans chaque jury, de personnes extérieures à l’administration, et ce dans le respect de l’obligation de nomination équilibrée entre les femmes et les hommes déjà applicable, risque de donner lieu à de véritables casse-têtes pour les organisateurs.

D’un point de vue pratique, et au-delà du débat sur le profil des personnes à choisir, il paraît compliqué de recruter un nombre suffisant de personnes extérieures à l’administration ayant la disponibilité nécessaire pour siéger dans les très nombreux jurys organisés par l’État. À titre d’illustration, en 2018, plus de 41 000 postes de la fonction publique de l’État ont été ouverts par voie de concours externe, ce qui donne une idée du volume de concours à organiser et du nombre de jurys à constituer.

C’est donc pour une raison pratique cette fois-ci que la commission n’a pas adopté l’article 3. L’amendement du groupe socialiste tendant à prévoir que les jurys doivent comprendre non plus au moins 50 % de personnes extérieures à l’administration, mais une seule personne au minimum n’a pas modifié la position de la commission.

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