Madame la présidente, madame la ministre, chère Amélie, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, madame la sénatrice Hélène Conway-Mouret, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, nous voici réunis pour discuter de la proposition de loi de Mme la sénatrice Hélène Conway-Mouret, qui traite de la lutte contre les discriminations et de l’égalité des chances.
Je connais votre engagement, madame Conway-Mouret. D’ailleurs, si nous avons un point commun, c’est bien celui-là ! En tant que parlementaire, je me suis engagée sur ces questions durant trois années et je le suis encore plus aujourd’hui, en ma qualité de ministre de la ville. Je connais donc les difficultés que rencontrent les jeunes des territoires fragiles ; elles n’ont pas changé, elles se sont même aggravées avec la crise sanitaire.
Dans les Bouches-du-Rhône et le Jura, voilà quelques jours, ou encore hier à Poitiers, j’ai effectué plusieurs déplacements sur le thème de la jeunesse et de la sortie de crise. J’ai écouté les jeunes, les habitants, les professionnels parler de leur quotidien dans les quartiers. Ce qui a été accompli depuis quatre ans commence à produire des effets perceptibles ; il nous faut redoubler d’efforts pour que la promesse républicaine soit tenue.
Nous nous devons d’avoir un projet ambitieux pour nos concitoyens, pour l’avenir des jeunes, notamment ceux qui résident dans les territoires fragiles.
Dès le mois de mai 2018, le Président de la République a exprimé sa conviction profonde : oui, la politique de la ville est avant tout une « politique de l’émancipation et de la dignité » pour des habitants qui cumulent difficultés sociales, économiques et éducatives et voient de ce fait leur réussite professionnelle et personnelle entravée.
C’est à cette même occasion que le Conseil présidentiel des villes a été créé par le Président de la République, avec l’objectif de réunir des personnalités issues des quartiers, qui officieraient comme « capteurs » afin de nourrir la réflexion sur la politique de la ville. C’est une instance avec laquelle j’échange régulièrement, notamment sur l’égalité des chances et l’émancipation.
Cette égalité des chances, mise en exergue dans la proposition de loi, est au cœur de l’action gouvernementale, que nous voulons éloignée des grands principes et au plus près des dures réalités que connaissent nos concitoyens dans les territoires fragiles. C’est tout l’enjeu de la mission qui incombe au ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, regroupant, autour de la ministre Jacqueline Gourault, Joël Giraud, Cédric O et moi-même.
J’entends les regrets exprimés sur l’absence de textes législatifs sur l’égalité des chances. Mais agir dans ce domaine n’implique pas nécessairement de modifier notre arsenal législatif.
Ce qui nous semble aujourd’hui impératif, c’est la mise œuvre, avec des moyens nécessaires et ambitieux.
Ce qui nous semble aujourd’hui impératif, comme vient de l’évoquer ma collègue Amélie de Montchalin, c’est de casser les codes et les corps établis, de rendre accessible tout ce qui paraît inatteignable aux jeunes et, plus largement, aux habitants des territoires fragiles.
Comme vous le savez, dès 2017 et dès notre arrivée aux responsabilités, nous avons souhaité mettre un terme à la minoration, effective depuis plusieurs années, du budget de la politique de la ville. Celui-ci a même été accru au cours des trois dernières années.
Dans un contexte dégradé par la crise sanitaire, sociale et économique, nous avons engagé de véritables mesures en faveur de l’égalité des chances. Un agenda a été ouvert par le Président de la République ; il est mis en œuvre à travers des dispositions concrètes, au plus près des besoins de nos concitoyens, loin des discussions et des vœux pieux.
Pour faire de l’égalité des chances une réalité, nous avons posé plusieurs briques. Ma collègue Amélie de Montchalin a déjà détaillé ce qui concerne la fonction publique. Mes collègues Élisabeth Borne et Sarah El Haïry développent la pratique du mentorat sur tout le territoire national, à laquelle le ministère de la ville contribue depuis plusieurs années en accordant son soutien au tissu associatif.
La première brique posée dans le cadre de l’agenda fixé par le Président de la République l’a été en janvier dernier, avec la réunion à Grigny, sous la présidence du Premier ministre, du Comité interministériel à la ville (CIV), qui ne s’était pas réuni sous cette forme depuis huit ans.
Cette réunion a abouti à un renforcement sans précédent des moyens d’action de l’État en faveur des habitants des quartiers, notamment des jeunes, grâce à un effort financier supplémentaire de 3, 3 milliards d’euros. Disons-le, c’est inédit !
Au-delà de cet accroissement budgétaire, il s’agit de mener une action forte et impactante afin de répondre aux besoins exprimés par les habitants en matière d’émancipation par l’éducation et par l’emploi, cette action s’intéressant, enfin, à l’attractivité et à l’image des quartiers. Soyons clairs, la lutte contre les discriminations n’a pas de couleur politique ; sa seule couleur, c’est l’action et, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, nous agissons !
Nous agissons en changeant de méthode pour accompagner au mieux les acteurs, et ce à partir d’un constat bien précis. Les discriminations à l’embauche existent-elles ? Oui ! Les discriminations dans l’évolution de carrière existent-elles ? Oui ! Notre arsenal législatif est-il suffisamment doté pour relever les manquements et appliquer des sanctions ? Oui ! Pour autant, doit-on rester inactif sur le sujet ? Évidemment, non !
Voilà pourquoi le Président de la République nous a exhortés, bien plus qu’à prendre des mesures, à revoir la méthode. Dans ce cadre, il nous semble opportun de partir des expériences du terrain, de travailler avec les acteurs et les élus locaux, territoire par territoire, pour construire des solutions au plus près de nos concitoyens.
Nous nous appuyons aussi sur le fait qu’il existe, en plus des discriminations, des inégalités de destin dès la naissance.
Il nous faut donc agir, en mettant en place un véritable accompagnement pour le développement de l’enfant dans un environnement sain et sécurisé. C’est le programme des 1 000 premiers jours, porté par mon collègue Adrien Taquet.
Il nous faut poursuivre en luttant contre le décrochage scolaire et en garantissant un parcours de qualité à chaque enfant de la République. C’est l’action que mène Jean-Michel Blanquer, notamment à travers le dédoublement des classes de grande section, CP et CE1 dans les établissements du réseau d’éducation prioritaire et du réseau d’éducation prioritaire renforcé (REP et REP+) ou encore la création du label Cités éducatives, une démarche partenariale entre le ministère de la ville et celui de l’éducation nationale, qui conduira à la création de 200 cités d’ici à 2022.
Nous agissons aussi pour l’éducation et l’égalité des chances via le dispositif des Cordées de la réussite, notamment dans le service public, dispositif précédemment évoqué par ma collègue Amélie de Montchalin.
L’autre levier d’émancipation est évidemment l’emploi.
Dans ce domaine aussi, nous avons décidé de mettre en place de nouvelles méthodes en faveur de l’emploi dans nos territoires, grâce, notamment, aux Cités de l’emploi.
Vous avez raison, madame la sénatrice Conway-Mouret, les jeunes rencontrent des difficultés en matière d’insertion professionnelle dans les territoires fragiles, particulièrement dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Les Cités de l’emploi ont donc pour but de contribuer à trouver des candidats parmi les publics de ces quartiers, en fonction des besoins en recrutement et des compétences demandées, et de les accompagner vers l’insertion professionnelle. Il s’agit de mieux coordonner les acteurs de terrain afin de faciliter l’accès à la formation – Mme la rapporteure Jacky Deromedi l’a souligné –, à l’emploi et à la création d’activité. Entreprises, collectivités, services publics de l’emploi, services des préfectures, associations, médiateurs, éducateurs de rue : il faut associer tous ceux qui font la vie locale.
Pour atteindre nos objectifs en termes d’emploi, il nous faut également agir sur le soutien au développement économique et l’image des quartiers.
Cela passe bien sûr par le Nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) que nous menons et intensifions avec l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), aux côtés des élus et des bailleurs.
Cela passe aussi par l’expérimentation du programme Quartiers productifs, qui vise à accompagner les collectivités locales dans la définition et la mise en œuvre de stratégies de développement économique dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, en partenariat avec la Caisse des dépôts et consignations, l’Agence nationale de la cohésion des territoires, Bpifrance et l’ANRU. Nous souhaitons y développer des commerces de proximité, faciliter l’installation de nouvelles activités industrielles ou de services, qui permettront la création d’emplois au bénéfice des habitants de ces quartiers.
Toutes ces actions contribuent à accroître l’attractivité économique de nos quartiers et à restaurer leur image dégradée, laquelle entretient la discrimination liée au lieu de résidence.
J’ai également lancé, hier, le label Cités de la jeunesse pour traiter les problèmes, évoqués par Mme Conway-Mouret, de non-recours aux droits, par manque d’accès à l’information ou, parfois, aux dispositifs eux-mêmes. De nouveau, nous agissons dans ce domaine et je remercie Mme la sénatrice de l’avoir rappelé dans son propos liminaire.
De manière opérationnelle et concomitante, nous faisons évoluer les pratiques et les mentalités.
C’est le cas avec la création du Pacte avec les quartiers pour toutes les entreprises, le PaQte, ou le lancement de « La France, une chance », des programmes d’accompagnement pour toutes les entreprises et leurs salariés souhaitant œuvrer à une meilleure inclusion de nos concitoyens des territoires fragiles dans le monde économique. Notre objectif est de « faire avec » – avec les acteurs économiques, avec les élus –, de développer les bonnes pratiques ensemble.
Le PaQte, par exemple, est déployé opérationnellement dans 67 départements. Au total, plus de 2 200 entreprises se sont engagées, près de 30 000 collaborateurs ont été sensibilisés aux biais de recrutement, notamment en matière de discrimination.
Je pense également à la plateforme de stage de troisième, au parrainage et au mentorat, qui constituent un volet essentiel du programme PaQte, en permettant aux élèves qui, bien souvent, ne bénéficient pas des réseaux idoines, de trouver des stages de qualité.
La mise en œuvre de plans locaux de prévention et de lutte contre les discriminations participe également de notre action pour changer les mentalités au plus près des territoires. À titre d’exemple, le plan déployé par la ville de Vitrolles est de très bonne qualité, puisqu’il lie formation des agents, soutien aux victimes de discriminations, sensibilisation des jeunes et travail avec le tissu économique local.
Nous avons pour ambition de muscler ces plans locaux de prévention et de lutte contre les discriminations, de les articuler avec la plateforme de signalement des discriminations, en lien avec le Défenseur des droits, afin de favoriser l’accès aux droits. Nous allons également lancer une seconde vague de testing dans le courant de l’année 2021. Dans le même temps, nous avons élaboré un référentiel de bonnes pratiques pour la prévention et la lutte contre les discriminations au travail avec les associations, les organisations patronales et les ministères d’Élisabeth Borne et Elisabeth Moreno.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, l’égalité des chances ne se décrète pas. Elle se pense et se construit au plus près des territoires, avec les acteurs de terrain.
Notre projet d’égalité des chances, vous l’aurez compris, c’est une vision – permettre à chaque citoyen de prendre sa place dans la République – ; une méthode – coproduire des solutions avec les acteurs locaux, par la mobilisation de l’ensemble du Gouvernement – ; des résultats – avoir un effet réel et positif sur le quotidien des habitants et faire en sorte que ni l’origine ni le lieu de résidence ne déterminent le parcours scolaire ou encore le niveau d’ambition de nos jeunes.
Comme vous pouvez le constater, dans le prolongement de la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine et de la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, nous agissons concrètement pour lutter efficacement contre les discriminations, pour l’égalité des chances, pour offrir le meilleur avenir à ces jeunes, en y consacrant des moyens financiers à la hauteur de nos ambitions.
Les éléments contenus dans cette proposition de loi ne nous semblent pas opportuns à ce stade, mais nous serons ravis de pouvoir vous associer à l’ensemble des travaux que nous avons engagés depuis quatre ans avec les parlementaires de la majorité, que je remercie chaleureusement pour leur engagement à nos côtés et leur soutien en vue de répondre à cet enjeu, ô combien important.