Madame la présidente, mesdames les ministres, chère Hélène Conway-Mouret, mes chers collègues, en matière de restriction des libertés publiques, les effets des mesures de confinement, puis de reconfinement prises pour endiguer l’épidémie de covid-19 ont été particulièrement brutaux pour les jeunes générations.
Ces mesures ont, sans aucun doute, accentué les inégalités de destin et le tribut économique de la crise sanitaire risque, hélas, d’être tout aussi lourd pour nos jeunes. Nécessaire pour sauvegarder le pouvoir d’achat des Français malgré une récession historique, l’envolée de la dette publique fera peser sur leurs épaules un fardeau qui nous engage toutes et tous, et à tous les niveaux – en particulier celui de l’emploi.
Dans ces conditions, nous ne pouvons qu’approuver le double objectif affiché dans la proposition de loi de notre collègue Hélène Conway-Mouret : tout d’abord, favoriser l’accès à la fonction publique de l’État des jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville et des zones de revitalisation rurale ; ensuite, limiter les risques de discrimination dans l’accès de ces jeunes au monde de l’entreprise.
Transpartisanes, ces préoccupations rejoignent d’ailleurs celles de plusieurs missions d’information sénatoriales dont les travaux sont en cours. Elles font par ailleurs écho à un certain nombre de mesures prises par le Gouvernement. Je mentionnerai notamment la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, précédemment évoquée, qui, portée par Olivier Dussopt, a occupé notre été 2019.
Il semble effectivement exister, en la matière, un paradoxe français : pays « égalitaire » grâce à des mécanismes massifs de redistribution sociofiscale, la France demeure un pays « injuste ». La faute à une institution scolaire qui ne joue plus pleinement son rôle ; la faute, aussi, à un marché du travail entravant la mobilité sociale.
L’école française est touchée par le déterminisme social. Seule la Hongrie affiche des résultats plus médiocres, si l’on en croit une récente étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), intitulée La France, les inégalités et l ’ ascenseur social. Celle-ci montre que, chez nous, les enfants d’enseignants ou de milieux privilégiés connaissent des parcours nettement plus favorables que ceux de familles modestes ou de zones géographiques défavorisées.
Le constat est malheureusement identique s’agissant du marché du travail. Dans une récente étude, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) constate ainsi que « toutes les catégories sociales ne présentent pas le même risque de chômage ». De fait, le taux d’emploi des descendants d’immigrés est inférieur de près de 9 points à celui des personnes sans lien avec l’immigration. Symétriquement, et sans surprise, l’écart sur le taux de chômage dépasse les 5 points.
C’est que le système français est ankylosé : il redistribue, afin d’empêcher à juste titre qu’aucun citoyen ne dégringole, mais il ne permet pas d’escalader les marches. Notre système protège les rentes, mais ne promeut pas l’égalité des chances.
La discrimination positive, fil conducteur du texte que nous examinons, permet-elle d’y remédier ? Les membres du groupe Union Centriste ne le pensent pas. Celle-ci fonctionne trop souvent comme un cautère sur une jambe de bois. Or on ne remplira pas la promesse républicaine à coups de rustines et de segmentation sociale.
Comme l’a rappelé le rapporteur Jacky Deromedi, dont je salue la qualité du travail, les mesures proposées dans le présent texte soulèvent plusieurs difficultés, d’ordre tout à la fois juridique et pratique.
Réserver à certaines catégories de personnes une proportion minimale des nominations aux emplois de la haute fonction publique de l’État – ces mesures figurent à l’article 1er – ne résisterait pas au principe constitutionnel d’égalité. En ce domaine, mieux vaudrait valoriser les parcours des candidats plutôt que de discriminer, fût-ce positivement.
Prévues par l’article 3, la diversification et la formation des membres siégeant dans les jurys de recrutement correspondent à de réels enjeux, nous n’en disconvenons pas. Cependant, rendre obligatoire la présence d’au moins 50 % de personnes extérieures à l’administration exposerait les organisateurs de ces concours à des contraintes vraisemblablement inextricables.
En fait de rigidités, signalons de la même façon les mesures enjoignant les entreprises, tantôt à justifier des motifs de non-embauche, tantôt à collecter des données personnelles devant permettre de constituer des indicateurs d’égalité des chances. Périlleuses sur le plan juridique, en matière contentieuse comme en matière de respect des libertés, ces mesures ne feraient qu’alimenter la société de défiance, en rendant tout employeur suspect par définition.
Je dirai un mot, enfin, sur l’article 4 et la création d’une Autorité pour l’égalité des chances dans la fonction publique. Qui peut croire que l’instauration d’un énième comité, au demeurant dispendieux, serait à la hauteur des enjeux ? Quand il y a manque – ici d’égalité des chances –, les mots ne suffisent pas !
Mes chers collègues, les membres du groupe Union Centriste partagent pleinement les intentions des auteurs de cette proposition de loi. Rejoignant leur diagnostic, ils divergent néanmoins quant au remède, que le cadre fixé par le présent texte ne permettrait pas d’administrer. C’est pourquoi nous n’adopterons pas ce texte.
La France doit renouer avec la société de confiance, qui ouvre les voies de la réussite, scolaire et professionnelle, indépendamment des origines de chacun. Pour l’heure, elle n’y est malheureusement pas encore parvenue. Puissent les mesures évoquées par les membres du Gouvernement et les travaux du Sénat, passés et en cours, donner un meilleur accès des jeunes à la fonction publique et aux entreprises !