Intervention de Raymonde Poncet Monge

Réunion du 27 mai 2021 à 14h30
Lutte contre l'indépendance fictive — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Raymonde Poncet MongeRaymonde Poncet Monge :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi s’inscrit dans un mouvement de transformation profonde de notre rapport au travail dans le contexte de la transition numérique.

Les enquêtes de l’Organisation internationale du travail (OIT) l’attestent : l’aspiration à l’autonomie progresse chez les employés ; elle motive une partie d’entre eux, attirés par la promesse d’indépendance des plateformes, à se tourner vers elles pour y exercer comme livreurs ou chauffeurs sous le statut d’autoentrepreneurs.

Pour d’autres, il s’agit simplement de créer son emploi dans un contexte de chômage massif et de marché du travail fermé aux faibles qualifications.

Exercer son travail de manière autonome, choisir ses modalités d’organisation, son rythme de travail, ses horaires, posséder son outil de travail, ne pas être dans une situation de subordination, c’est presque un idéal d’émancipation dont certaines plateformes se vantent d’être le réceptacle.

Mais ce récit d’indépendance se révèle bien souvent être une fiction, déconstruit par la force de rappel d’une exploitation sans régulation.

Un livreur de Take Eat Easy témoignait ainsi devant des journalistes : « Si tu n’honores pas un créneau, tu te prends un carton. Si tu refuses une livraison, tu t’en prends un autre. Au bout de trois, t’es convoqué. Quatre, et tu es éliminé : ils désactivent ton compte. ».

Contrôle en temps réel de la course, surveillance constante dans la réalisation de la tâche, opacité de la fixation des tarifs, impossibilité de choisir les itinéraires, obligation de se connecter régulièrement à la plateforme sous peine d’en être interdit d’accès, dépendance à l’algorithme… Tout cela est non pas l’autonomie d’un entrepreneur, mais le renforcement d’un pouvoir disciplinaire.

Ce que les chercheurs appellent le « management algorithmique » renvoie bien à des pratiques de surveillance et de contrôle qui caractérisent une subordination.

De fait, au Royaume-Uni, au Portugal, aux Pays-Bas, en Espagne, une série de décisions de justice ont permis aux travailleurs d’être requalifiés en tant que salariés.

De même, en France – vous l’avez dit –, la cour d’appel de Paris a réaffirmé le lien de subordination en soulignant qu’une condition essentielle de l’entreprise individuelle indépendante se trouve dans la « maîtrise de l’organisation de ses tâches, [de] sa recherche de clientèle et de fournisseurs ».

Les actions en justice se heurtent cependant à la présomption de non-salariat qui laisse au travailleur la charge de la preuve de sa subordination. Il est juste, dès lors, que ce soit aux plateformes de prouver que le statut d’autoentrepreneur n’est pas détourné. Et, le rapport de force et de négociation étant fortement défavorable aux travailleurs isolés, il est nécessaire que ce déséquilibre soit compensé par la possibilité d’une action collective, à laquelle chacun est libre de s’associer ou non.

Chacun est libre aussi de rester indépendant s’il maîtrise ou croit maîtriser son organisation, cela dit sans préjuger du caractère réel ou non de cette indépendance, comme il est libre de croire à la réduction de l’asymétrie dans le rapport de force avec les plateformes promise par la négociation à venir en 2023.

Mais preuve a été donnée récemment que le modèle des plateformes numériques n’est pas remis en cause par le recours au statut salarial.

Notre responsabilité législative est donc de rendre possible la lutte contre l’« indépendance » quand celle-ci se révèle fictive.

Les membres du groupe écologiste et moi-même pensons par ailleurs que pour répondre au désir d’autonomie il faut surtout changer le contenu et le sens de l’activité, autrement dit changer le travail ; mais c’est là un autre chantier.

Notre groupe votera cette proposition de loi.

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