Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens avant tout à remercier notre collègue Olivier Jacquin et le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain de nous donner une nouvelle occasion de nous pencher sur la délicate question du statut des travailleurs des plateformes numériques.
Ces plateformes, à leur naissance, promettaient l’eldorado ; elles ont dépensé beaucoup d’argent pour que ce mythe soit réalité. Elles proposaient des rémunérations particulièrement alléchantes, qui ont provoqué un véritable engouement. Être son propre patron était par ailleurs une idée très séduisante. Mais cette liberté a un prix et « ubérisation » rime aujourd’hui avec « précarisation » !
Progressivement, les conditions d’emploi se sont en effet dégradées, obligeant la plupart de ces travailleurs à travailler plus pour gagner moins. L’ubérisation du monde du travail fait voler en éclats tous les acquis sociaux obtenus depuis près de deux siècles.
Comme l’a rappelé Jean-Yves Frouin dans le rapport qu’il a remis au Premier ministre en décembre dernier, les plateformes numériques de travail favorisent l’apparition d’une nouvelle classe de travailleurs précaires.
Si ce nouveau secteur représente l’un des plus grands bouleversements que le marché du travail a connus au cours de la dernière décennie, il cache surtout un modèle économique ultralibéral qui se développe au détriment du droit des travailleurs de ces plateformes numériques.
Nous sommes tous d’accord pour reconnaître que la protection sociale des travailleurs indépendants est très insuffisante : ceux-ci ne sont pas couverts par l’assurance chômage et ne cotisent généralement pas pour leur retraite ; ils ne sont pas couverts par la branche accidents du travail et maladies professionnelles ni ne bénéficient de la généralisation de la couverture maladie complémentaire. Ils sont pourtant exposés à de nombreux risques professionnels.
Combien d’entre nous n’ont jamais croisé de livreurs à scooter ou à vélo, roulant à toute vitesse en sens interdit afin d’effectuer au plus vite leur livraison et d’enchaîner avec la suivante ? Les livraisons se sont transformées en véritables « courses », au sens premier du terme.
La raison en est simple : les conditions tarifaires se sont peu à peu dégradées, même s’il est difficile de savoir dans quelles proportions puisque le tarif de chaque course est calculé par des algorithmes, ces mêmes algorithmes dont l’opacité est régulièrement pointée du doigt. Les plateformes les utilisent en effet notamment pour attribuer le travail et les récompenses. Les livreurs incapables de suivre le rythme ou qui refusent des missions sont pénalisés, voire écartés.
Comme le rappelait notre collègue Guylène Pantel l’année dernière, la technologie a évolué plus vite que notre droit et il existe aujourd’hui une zone de vide juridique entre le statut de salarié et le statut d’indépendant.
C’est dans cet esprit que la Cour de cassation, en 2018, puis en 2020, a estimé qu’un lien de subordination existait bien entre les travailleurs et la plateforme. C’est pourquoi la Commission européenne réfléchit également aux moyens de mieux protéger les travailleurs des plateformes numériques.
Certes, l’ordonnance du 21 avril 2021 marque une première étape en permettant des élections de représentants du personnel dans les secteurs des VTC et des livraisons de courses au plus tard le 31 décembre 2022.
Mais, à l’heure où l’Espagne vient de reconnaître le statut de salariés de plein droit pour les coursiers des plateformes de livraison de repas à domicile, il est impérieux de remettre l’humain au centre des débats et d’offrir à ces travailleurs ubérisés une véritable protection pour qu’ils ne soient pas, selon les mots de l’écrivain Karim Amellal, « les prolétaires du XXIe siècle ».
C’est pourquoi la majorité du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen soutiendra cette proposition de loi qui permet aux travailleurs des plateformes d’exercer une action de groupe et qui institue la présomption de salariat.