Intervention de Éric Dupond-Moretti

Réunion du 25 mai 2021 à 14h30
Suivi des condamnés terroristes sortant de détention — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Éric Dupond-Moretti :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui va dans le bon sens. Monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, je veux saluer la qualité de votre réflexion et de votre travail.

Ce texte s’inscrit pleinement dans l’objectif que s’est fixé le Gouvernement, celui de réduire au maximum une menace nouvelle et terrifiante : la possible récidive des personnes condamnées pour des actes de terrorisme qui, alors que leur peine arrive à terme, présenteraient toujours des signes de dangerosité.

Depuis 2017, la lutte contre le terrorisme est la priorité du Gouvernement. Il a déployé, à cette fin, des moyens sans précédent pour renforcer la réponse de nos services de sécurité et équiper la justice de tous les outils nécessaires au traitement de cette menace.

Dois-je rappeler la création de 10 000 postes supplémentaires de gendarmes et de policiers, l’augmentation du budget de la justice, la création du parquet national antiterroriste, l’augmentation du nombre de quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER), l’augmentation du personnel affecté au renseignement pénitentiaire ?

Depuis 2017, 36 attentats terroristes liés à la mouvance islamistes ont été déjoués par nos services de renseignement. J’ai, à cet instant, une pensée appuyée pour toutes les victimes des actes de terrorisme qui ont endeuillé notre pays.

L’impérieuse nécessité d’agir face à cette nouvelle menace s’inscrit dans un contexte que je souhaite, comme vous, rappeler : d’ici à la fin de l’année 2024, 163 personnes actuellement détenues pour des actes de terrorisme en lien avec la mouvance islamiste auront purgé leur peine. Or, à l’approche de cette échéance, certaines d’entre elles présentent et présenteront sans doute encore des signes de radicalisation.

En 2016, alors que la France affrontait une effroyable série d’actions terroristes, le régime d’aménagement de peine en matière de terrorisme a été durci afin de répondre à la crainte que des personnes radicalisées et potentiellement dangereuses soient remises en liberté.

Aujourd’hui, ce sont précisément ces mêmes détenus, dont la sortie ne peut plus être aménagée, qui s’apprêtent à quitter la détention. Or un certain nombre d’entre eux ne pourront bénéficier d’une mesure de surveillance judiciaire et seront libérés, selon l’expression convenue, en « sortie sèche », c’est-à-dire sans suivi ni accompagnement.

Je tiens ici à saluer avec force l’important travail réalisé dans nos établissements pénitentiaires pour prévenir la radicalisation des détenus et de freiner tout prosélytisme délétère. Les services de mon ministère travaillent sans répit pour améliorer l’évaluation et la prise en charge des personnes condamnées pour des faits de terrorisme ou présentant des signes de radicalisation.

Aujourd’hui, ces détenus sont systématiquement évalués durant seize semaines au sein des QER. Nous disposons de 121 places sur le plan national et un quartier réservé aux femmes incarcérées ouvrira à la fin de l’année 2021 au centre pénitentiaire de Fresnes.

Par ailleurs, nous disposons de 188 places de quartiers de prise en charge de la radicalisation à l’échelon national. Les détenus évalués comme étant en capacité de se soumettre à une prise en charge y bénéficient de programmes de désengagement, grâce à l’intervention d’une équipe pluridisciplinaire, composée de médiateurs du fait religieux, de psychologues et de personnels pénitentiaires. Un quartier de ce type, réservé aux femmes détenues, ouvrira dans le courant de l’été 2021 au centre pénitentiaire de Rennes.

Enfin, le Service national du renseignement pénitentiaire, dont nous avons augmenté les effectifs de 100 personnes en trois ans, assure un suivi très poussé de ces condamnés à leur libération, en lien très étroit avec les services partenaires du renseignement.

C’est un constat partagé : la remise en liberté de détenus condamnés pour des faits de nature terroriste, potentiellement toujours radicalisés en dépit du travail réalisé, appelle une réponse forte et efficace. Il est de notre devoir de mettre tout en œuvre pour garantir, dans le respect de notre État de droit, la sécurité de nos concitoyens.

Le Gouvernement s’y est déjà attaché dans le cadre du dispositif issu de la loi SILT du 30 octobre 2017, qui a ouvert la possibilité de soumettre les individus sortant de détention à une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance (Micas). Le projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, dit SILT 2 – il est actuellement en débat à l’Assemblée nationale et votre assemblée en discutera prochainement –, prévoit ainsi de pérenniser ces mesures administratives qui ont fait la preuve irréfutable de leur efficacité.

Pour autant, les conditions de la soumission à un nouveau régime judiciaire restrictif de liberté des personnes qui ont déjà purgé leur peine doit appeler à la plus grande vigilance. C’est le sens de la décision du Conseil constitutionnel, rendue en août dernier, portant sur la proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine.

Nul besoin de rappeler que ce texte s’inscrivait déjà dans la volonté commune qui nous réunit aujourd’hui d’apporter une solution à la nouvelle menace des sortants de prison condamnés pour terrorisme.

Si, à la suite de cette censure, le travail de réécriture du Sénat doit être salué, il ne nous paraît pas suffisant pour parer à toutes les critiques alors formulées par le Conseil constitutionnel.

Il ne saurait en effet être question d’instaurer ou de laisser penser que nous sommes prêts à instaurer une quelconque forme de justice prédictive : celle-ci est la négation de l’idée même de justice puisqu’elle revient à condamner sur un simple soupçon. Le respect de nos valeurs impose, à mon sens, que le régime applicable aux détenus terroristes neutralise leur éventuelle dangerosité.

C’est à l’aune de ces considérations que le Gouvernement souhaite la création, au sein du projet de loi SILT 2, d’une « mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion ». Celle-ci permettra d’assujettir le condamné à un suivi au moyen d’obligations et d’interdictions à vocation essentiellement sociale.

Le projet défendu par le Gouvernement, qui sera bientôt examiné au Sénat, assure l’articulation entre le dispositif administratif – la surveillance – et le dispositif judiciaire.

En ce qu’elle prévoit la création d’une mesure de sûreté judiciaire, la proposition de loi du président Buffet vise des objectifs comparables. Toutefois, certaines des obligations et interdictions auxquelles peuvent être astreintes les personnes concernées sont similaires ou voisines de celles qui sont prévues par les Micas, comme l’interdiction de paraître dans certains lieux ou de fréquenter certaines personnes.

Une telle superposition paraît de nature à fragiliser la légalité des Micas prononcées à l’encontre des mêmes personnes, alors que ces mesures permettent précisément le prononcé d’obligations plus rigoureuses encore.

D’une manière générale, le Gouvernement considère que la superposition de dispositifs de sûreté différents, sous la responsabilité d’autorités différentes, susceptibles d’être appliqués à des mêmes fins et aux mêmes personnes, en prévoyant des prescriptions similaires ou identiques, crée une complexité qui nuit à l’efficacité de l’action de l’État pris dans ses fonctions administratives et judiciaires.

Enfin, il convient de rappeler que les mesures de sûreté doivent respecter le principe résultant de l’article IX de la Déclaration de 1789, selon lequel la liberté ne saurait être entravée par une rigueur non nécessaire. Il incombe au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public nécessaire à la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle, et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties.

Comme je l’ai indiqué, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 7 août 2020, a rappelé la vigilance qui doit être celle du législateur sur le caractère adapté, nécessaire et proportionné de mesures restrictives de liberté lorsqu’elles sont imposées à des personnes ayant purgé leur peine.

Or, précisément, certaines des dispositions de la présente proposition de loi, en particulier les conditions de renouvellement de la mesure de sûreté, ne semblent pas répondre aux exigences constitutionnelles rappelées par le Conseil constitutionnel. Elles laissent craindre une nouvelle censure, qui doit absolument être évitée pour qu’enfin puisse être mis en place le nécessaire suivi des sortants de prison condamnés pour terrorisme.

Nous sommes juridiquement sur une ligne de crête. Il appartient ainsi au législateur de prendre des mesures qui permettent d’assurer la protection des Français, tout en veillant à ne pas adopter des mesures qui ne seraient pas strictement nécessaires. C’est cette proposition qu’a formulée le Gouvernement à l’article 5 du projet de loi SILT 2.

En conclusion, je ne peux, mesdames, messieurs les sénateurs, que saluer l’objectif de cette proposition de loi en ce qu’il rejoint l’engagement du Gouvernement dans la lutte contre le terrorisme ; il confirme la détermination du Sénat en la matière.

Je luis préfère toutefois la version gouvernementale qui vous sera présentée le mois prochain : elle sera plus à même de répondre aux exigences constitutionnelles désormais clairement établies.

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