Intervention de Toine Bourrat

Réunion du 25 mai 2021 à 14h30
Suivi des condamnés terroristes sortant de détention — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Toine BourratToine Bourrat :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de saluer la constance et la technicité de nos commissaires aux lois, qui symbolisent l’esprit d’équilibre et de responsabilité propre au Sénat.

Je le dis à cette tribune, sous le regard de Michel de L’Hospital et de Henri François d’Aguesseau, dont la rigueur n’avait d’égal que l’esprit de tolérance.

C’est parce que nous veillons à l’exécution de peines proportionnées que nous mettons un point d’honneur à parfaire le droit ou à combler des carences observées.

Je renverserai un célèbre adage pour vous dire ce que nous refusons tous ici en matière antiterroriste : agiter une main de velours dans un gant de fer.

C’est dans cet esprit, exigeant et proactif, que nous traitons ce jour d’une problématique sécuritaire aux atours de défi civilisationnel.

Je veux bien sûr saluer le travail de mes collègues Muriel Jourda et François-Noël Buffet, qui, animés par les exigences de l’État de droit, sont parvenus à corriger un vide juridique particulièrement inquiétant pour la sécurité des Français. Nous connaissons tous ici les chiffres qui nous conduisent à anticiper des sorties « sèches » qui nous inquiètent, mais nous partageons également la conviction qu’il faut aller plus loin et imaginer une réforme de structure proportionnée à un phénomène que nous ne pouvons ignorer.

Je le dis à cette tribune comme représentante d’un département meurtri par l’islamisme.

En effet, si nous débattons avec une telle acuité du suivi des condamnés pour terrorisme, c’est aux fins d’apporter un palliatif aux deux enjeux qui défient l’autorité de l’État et qu’il faudra tôt ou tard affronter : le sens de la peine et sa proportionnalité, d’une part ; la physionomie du milieu carcéral, d’autre part.

C’est au Sénat que nous devons l’instauration d’une peine incompressible de trente ans et la limitation drastique des conditions d’aménagement de peine. Il nous faut désormais aller beaucoup plus loin, ne serait-ce qu’au regard des nouveaux profils auxquels nous avons affaire. Le terrorisme est de plus en plus juvénile, et son traitement pénal ne peut l’ignorer.

Nous savons que les crédits de réduction automatique seront supprimés si le projet de loi Dupond-Moretti est adopté en l’état. Malgré tout, c’est la question de la perpétuité réelle que nous devons aborder. Ne nous y trompons pas, en effet : incompressibilité ne rime pas avec enfermement à vie.

Je rappelle que le droit interne britannique, pourtant inspiré par l’Habeas Corpus, et dont personne n’oserait dire qu’il piétine les droits de la défense, ne permettait ni élargissement ni réexamen des peines de perpétuité réelle jusqu’à ce que le juge européen n’exige la clarification d’un droit pourtant souverain. Les juridictions ne doivent pas être contraintes à offrir au condamné une perspective de libération dangereuse pour la société.

La physionomie du milieu carcéral constitue le deuxième mal à traiter. L’instauration de cette perpétuité réelle dès le prononcé paraît d’autant plus nécessaire que la prison est marquée par une spécificité démographique notable. Selon le dernier numéro des Cahiers d ’ études pénitentiaires, l’âge moyen des personnes détenues était en France d’environ 35 ans, soit 13 ans de moins que celle de la population générale.

Les condamnés pour terrorisme n’échappent pas à cette réalité, bien au contraire. Il n’est que de rappeler l’âge des cinq derniers terroristes ayant frappé en France pour comprendre le défi générationnel qui est le nôtre : 36, 33 et 30 ans pour ceux de Rambouillet, Charlie Hebdo et Colombes, 21 ans pour l’assaillant de Nice et seulement 18 ans pour le terroriste de Conflans.

Mes chers collègues, c’est aussi le « djihadisme d’atmosphère », décrit par Gilles Kepel, que nous devons aujourd’hui défier. Or, sans suivi des détenus terroristes, relais potentiels d’une idéologie qui croît souvent en prison, c’est notre jeunesse que nous exposons.

Cette proposition de loi s’attaque donc courageusement aux dommages collatéraux d’un phénomène qui constitue un défi pour notre civilisation. Nous traitons aujourd’hui les conséquences d’un mal dont il faudra très vite arracher les racines. Le travail sera long, car celles-ci se propagent pernicieusement jusque dans nos prisons.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion