Intervention de Guy Benarroche

Réunion du 25 mai 2021 à 14h30
Irresponsabilité pénale — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Guy BenarrocheGuy Benarroche :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, certains nous reprocheront de légiférer sous le coup de l’émotion et d’autres salueront la volonté du législateur de se saisir de sujets complexes mis en avant par l’actualité.

Sans nier l’émotion de ces derniers mois suscitée l’affaire Sarah Halimi, je regrette que notre chambre n’ait su éviter certains écueils dans le travail accompli sur la proposition de loi que nous discutons aujourd’hui. Certes, le sujet et son traitement sont délicats.

Le questionnement au cœur des débats est bien celui de la prise en compte, ou non, du fait fautif entraînant l’abolition du discernement, bien sûr sous-tendue par l’envie, le besoin même des victimes de voir l’affaire jugée publiquement.

L’article 1er de la présente proposition de loi tente de répondre du mieux possible, mais, me semble-t-il, de manière incomplète, à cette problématique. Il introduit la recherche du fait fautif dans l’abolition du discernement, mais seulement au niveau du code de procédure pénale, dans le seul but de renvoyer au juge du fond la tâche de déclarer, ou non, le mis en cause responsable pénalement.

Si le but était d’enjoindre le juge à exclure l’irresponsabilité pénale en cas de fait fautif, la disposition n’y répond pas et ne fait que déplacer vers le juge du fond l’application de l’article 122-1 du code pénal sur l’irresponsabilité.

Cette position est évidemment à saluer, car elle a l’avantage, selon moi, de ne pas toucher à l’article 122-1. Néanmoins, son utilité demeure incertaine.

Venons-en au besoin d’un procès, que nous devons prendre en considération. L’audience en chambre de l’instruction, qui se concentre sur la question de la responsabilité pénale du mis en cause, est déjà publique et contradictoire, en présence des victimes et avocats des parties civiles. Collégialité de la décision et possibilité d’expertise créent une configuration qui paraît respectueuse de notre système pénal.

Nous devons toutefois, en tant que législateur, rester d’une extrême vigilance pour manier et différencier les notions et les règles d’imputabilité et de responsabilité. Clairement, la notion que le doute doit bénéficier au mis en cause est fondamentale dans notre système pénal, mais ne peut s’appliquer qu’à l’accomplissement même des faits, donc à l’imputabilité.

La question de la responsabilité pénale atténuée, abolie, ou pleine et entière, est d’une tout autre nature. Loin de nier qu’il existe des degrés entre la responsabilité et l’irresponsabilité, comment juger ? C’est à l’aune de cette capacité d’en juger que se pose la question du fait fautif antérieur.

Oserons-nous cheminer, sur le plan philosophique et technique, vers ce que certains appelleraient le concept de « folie volontaire » ?

Certes, un comportement volontaire peut directement contribuer au déclenchement de l’abolition du discernement, mais ce trouble fort a-t-il été envisagé ou souhaité ?

Le juge, faisant appel aux expertises psychiatriques, est celui qui jugera de l’engagement de la responsabilité et de son atténuation. Ne compliquons pas son magistère en lui imposant de renvoyer au juge du fond, dès qu’il y a un fait fautif – je dirais même : dès qu’il « estime » qu’il y a un fait fautif.

Cette responsabilité du mis en cause devient bien trop complexe. Il connaîtrait précisément le risque et l’aurait volontairement pris dans un dessein criminel… Comment, réellement, scientifiquement, sûrement, connaître les risques et conséquences d’une toxicologie qui est différente selon les personnes, les moments, les associations de substances ? Qui, ici, pourrait affirmer qu’il est toujours possible de constater et d’évaluer la part de la cause endogène ou exogène du trouble ayant conduit à l’abolition du discernement ?

Cette ligne de crête entre altération et abolition est le domaine des experts. C’est en s’appuyant sur ces expertises, qui, nous le savons, divergent parfois tant la difficulté est grande d’appréhender un moment passé, que le juge doit décider.

L’article 2 de la proposition de loi vise, lui, à augmenter les peines pour les crimes et délits commis en état d’ivresse manifeste ou sous l’emprise de stupéfiants.

Là encore, j’entends l’idée de punir plus sévèrement ce que nous pouvons percevoir comme un fait fautif : l’absorption de stupéfiants ou d’alcool. C’est déjà, souvent, ce que font les juges – on estime que, pour la moitié des faits de violences conjugales, l’alcool ou les stupéfiants sont impliqués.

Mais je reste prudent sur ce point, redoutant une tendance à privilégier de plus en plus la pénalisation des addictions sur une prise en compte plus globale en termes de santé publique.

Je salue, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur pour avis, l’ensemble des autres articles qui s’attachent au problème récurrent de notre système judiciaire : il nous faut donner de vrais moyens pour les expertises psychiatriques.

De la lenteur pour effectuer les expertises aux dysfonctionnements des barèmes de paiement, à la facilitation du secret médical partagé : il était urgent d’agir.

Le temps passe et je souhaite conclure en appelant notre assemblée à une très grande prudence : nous nous devons de prendre du recul sur l’émotion, justifiée, de l’opinion publique. Nous devons préserver la notion d’irresponsabilité pénale, même si celle-ci devient de plus en plus insupportable pour la population, acceptant mal que certaines personnes ne puissent être jugées et condamnées pénalement pour leurs crimes. Pour autant, le mis en cause passe devant la justice et il est soumis aux décisions des juges, notamment via l’hospitalisation sous contrainte.

Pour toutes ces raisons, le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires ne votera pas ce texte.

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