Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans la continuité des travaux du Sénat sur le sujet complexe et important de l’irresponsabilité pénale, un sujet à la frontière du monde juridique et du monde médical.
J’ai notamment en mémoire le débat qui s’était tenu dans cet hémicycle au début de l’année dernière, sur l’initiative de notre rapporteur, dont nous connaissons et saluons l’engagement sur cette question, sur laquelle elle a mené une réflexion approfondie.
Je pense aussi à la mission d’information pluraliste de la commission des lois et de la commission des affaires sociales, dont notre rapporteur pour avis était l’un des rapporteurs, qui s’est en grande partie concentrée sur l’expertise psychiatrique et psychologique en matière pénale. Elle a formulé, en mars dernier, des propositions intéressantes afin d’améliorer les conditions de réalisation de l’expertise, ainsi que sur la déontologie des experts.
C’est donc dans une certaine continuité et avec cohérence que le Sénat se saisit aujourd’hui de la question de l’irresponsabilité pénale au travers de deux points : son régime, d’une part, et l’expertise psychiatrique qui s’y rattache, d’autre part.
Cette continuité ne saurait, bien sûr, s’abstraire des décisions rendues à la suite du meurtre, d’une violence saisissante et inacceptable, de notre concitoyenne Mme Attal-Halimi.
Notre détermination doit être totale pour lutter contre les surgissements de l’antisémitisme, dont Mme Attal-Halimi a été la victime, comme l’a d’ailleurs établi la chambre de l’instruction, et que nous ne pouvons tolérer sous aucune des formes dans lesquelles il se manifeste.
Le travail du législateur, après l’arrêt de la Cour de cassation et les évolutions du droit que ce dernier semble appeler, n’est pas simple.
Il nous faut réfléchir au dispositif le mieux à même de persévérer dans notre État de droit juste, fraternel et protecteur.
Nous nous trouvons à l’intersection d’impératifs distincts, d’égale importance et parfois difficilement conciliables : protéger la société ; ne pas soumettre à un procès ceux qui ne sont pas en état de se défendre ; permettre, bien sûr, aux parties civiles de voir la justice rendue.
Sur le fondement de cette recherche d’équilibre, notre assemblée, tout comme le Gouvernement, a réaffirmé son intention d’apporter une réponse à l’étonnement légitime face aux situations auxquelles le droit en vigueur peut conduire. Ce cheminement n’est pas un tâtonnement, tiède ou feint ; il est la marque d’un travail approfondi et nécessaire au regard de l’enjeu.
La dernière grande réforme, qui permet à la chambre de l’instruction de se prononcer sur la matérialité des faits à l’issue d’un débat public et contradictoire, y compris lorsque ceux-ci s’appuient sur des représentations de haine telles que l’antisémitisme, tout en retenant l’irresponsabilité pénale de leur auteur, montre bien toute la complexité du régime de l’irresponsabilité et des actions entreprises pour le faire évoluer.
À ce titre, le choix de nos rapporteurs de ne pas conserver la révision de l’article 122-1 du code pénal initialement envisagée – dans une rédaction d’ailleurs différente de celle que proposait, un mois plus tôt, la mission d’information du Sénat – s’entend.
Désormais, l’article 1er prévoit donc que, lorsque le juge d’instruction estime que l’abolition temporaire du discernement résulte au moins partiellement du fait fautif, il renvoie devant la juridiction de jugement, qui statuera sur l’irresponsabilité pénale et, le cas échéant, sur la culpabilité.
Des interrogations ont pu être exprimées en commission sur la portée de cette réécriture.
Il faut rappeler que la compétence des juges du fond pour statuer sur l’irresponsabilité de l’auteur des faits, notamment la compétence des cours d’assises et de leur jury, est déjà prévue par le droit en vigueur dans le cas où les juges d’instruction ont considéré que l’auteur était responsable pénalement.
L’article 1er viserait donc à faire intervenir la juridiction de jugement en amont, lorsque le juge d’instruction estime que l’abolition temporaire du discernement de la personne résulte au moins partiellement de son fait fautif.
L’objet serait ainsi de garantir un « vrai procès aux victimes », pour reprendre les mots de Mme la rapporteure, tout en ne renvoyant devant la juridiction de jugement que les personnes en état de comparaître.
Deux points peuvent être relevés, avec toute la prudence que la complexité du sujet implique.
D’une part, peut-on continuer de se poser la question de l’appréciation du fait fautif par la chambre de l’instruction ? C’est une question importante, car la portée du dispositif en dépend. S’il est difficilement compréhensible pour la société qu’une personne puisse être exonérée de sa responsabilité pour un état résultant d’une attitude délibérée, comment qualifier l’addiction ? Est-elle une faute ou devient-elle, dans la durée qui lui est inhérente, une contrainte subie ? Le sujet est d’autant plus délicat qu’il déborde la matière pénale et intègre à la réflexion les politiques de santé publique et de prévention.
D’autre part, on pourrait envisager d’autres voies pour répondre au besoin des victimes d’avoir un « vrai procès ». Je pense, par exemple, à une modification des modalités de l’audience publique devant la chambre de l’instruction, instituée en 2008, pour en renforcer le caractère contradictoire. Le rapport de la mission menée par Philippe Houillon et Dominique Raimbourg sur l’irresponsabilité pénale a d’ailleurs préconisé plusieurs ajustements de cette réforme.
Une autre difficulté réside dans le placement du curseur entre l’abolition et l’altération du discernement, notion finalement assez récente dans le régime de l’irresponsabilité puisqu’elle a été introduite en 1994 seulement.
En tout état de cause, le choix de Mme la rapporteure d’entrer par la voie d’une révision de la procédure contribuera au cheminement entrepris pour aboutir à une solution dont les différentes parties entendent aujourd’hui la nécessité.
À ce titre, le groupe RDPI s’abstiendra, tout en se ralliant à la démarche entreprise.