Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le crime terrible, abominable, barbare dont a été victime Mme Sarah Halimi a provoqué l’émotion de toute la Nation. Nous l’éprouvons encore aujourd’hui. Il a également donné lieu à deux décisions de justice, qualifiant le crime d’antisémite et certifiant que son auteur est irresponsable.
En résulte une question que chacun se pose : comment un acte irresponsable peut-il être antisémite ? S’il y a volonté, il ne peut y avoir d’irresponsabilité.
Monsieur le garde des sceaux, telle est la situation dans laquelle nous sommes. Elle va nous conduire à réfléchir longuement sur ce sujet, puisque plusieurs initiatives ont été prises, dont celle-ci, au Sénat.
Désormais, l’accord est quasi général pour maintenir en l’état l’article 122-1 du code pénal : « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. »
Vous avez rappelé le fondement de ces dispositions, à savoir l’article 121-3 du code pénal : « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. »
Telle est l’origine de ces deux propositions de loi, dont la commission des lois a décidé de modifier certaines dispositions. Elle propose notamment que le juge d’instruction puisse transférer ce sujet à la juridiction de jugement.
A priori, l’idée peut paraître judicieuse, mais elle nous inspire de fortes réserves, pour deux raisons.
Premièrement, on avance qu’il n’y a pas de procès. Mais, en l’espèce, l’examen des faits par la chambre de l’instruction s’est déroulé pendant huit heures, en public, en présence des parties et de l’auteur du crime, et en plein respect du contradictoire. On ne peut donc pas dire qu’il n’y a pas eu de procès.
Deuxièmement, nous avons largement consulté le rapport Raimbourg-Houillon et Dominique Raimbourg, que nous avons entendu, nous a confirmé en particulier ce que nous avaient dit un certain nombre de magistrats et de représentants de la magistrature : la juridiction de jugement peut être le tribunal correctionnel ou la cour d’assises et, en pareil cas, elle serait en difficulté s’il s’agissait de décider de l’irresponsabilité.
Elle pourrait le faire, nous a-t-on dit. Certes ! C’est juridiquement exact. Mais, concrètement, un juré populaire décidera-t-il souvent l’irresponsabilité ? Finalement, il est là pour condamner, pour décider de la condamnation ; et, dans l’économie de notre justice, il est juste que la chambre de l’instruction intervienne de manière préalable. Elle a précisément pour mission de procéder aux expertises et de prendre position sur la question de l’irresponsabilité.
Ainsi, nous craignons qu’il ne s’agisse d’une fausse solution. Toutefois, dans cette affaire, nous avons décidé d’être résolument constructifs. Voilà pourquoi nous avons déposé un amendement de repli dans l’hypothèse où le Sénat persisterait dans cette proposition.
En vertu de cet amendement, la juridiction de jugement statuerait sur la question de la responsabilité avant l’examen au fond. Il s’agirait en quelque sorte d’une question préalable, qui serait en tout état de cause posée. Néanmoins, cette solution n’a pas notre préférence, tant s’en faut.
Nous avons également pris le risque de formuler trois propositions concrètes, que nous versons au débat et au dossier.
Tout d’abord, en nous inspirant de la législation espagnole, nous proposons un amendement tendant à ajouter après l’article 122-9 du code pénal un article ainsi rédigé : « Est pénalement responsable la personne qui a volontairement provoqué une perte de discernement aux fins de commettre l’infraction, notamment par la consommation de boissons alcooliques, de drogues toxiques, de stupéfiants, de substances psychotropes ou de substances ayant des effets similaires. »
Tout en maintenant l’article L. 122-1, nous prévoyons donc une disposition permettant de réprimer le fait de décider, en toute conscience, de devenir irresponsable ou de perdre son discernement.
Ensuite – cette proposition n’est pas exclusive –, nous suggérons de définir dans la loi ce que l’on appelle discernement. Monsieur le garde des sceaux, vous savez que cette définition n’existe pas dans notre droit : elle ne figure nulle part. À l’article 122-1 du code pénal, nous proposons ainsi ajouter un alinéa ainsi rédigé : « Le discernement est la conscience de l’acte commis, de ses conséquences et la capacité à en apprécier la nature et la portée. » Cette précision nous paraît utile.
Enfin – les élus de notre groupe ont beaucoup travaillé sur ce point et je salue tout particulièrement l’apport de Marie-Pierre de La Gontrie –, nous proposons de compléter ainsi l’article 158 du code de procédure pénale, au sujet des expertises psychiatriques : « Il est ajouté aux questions techniques mentionnées au premier alinéa une question spécifique destinée à identifier une participation active à la perte de discernement. »
Mes chers collègues, telles sont nos propositions : vous constatez qu’elles sont concrètes.
Je souscris en partie à ce qu’ont dit plusieurs orateurs et oratrices, notamment Mme Assassi : n’oublions jamais que la toxicomanie relève d’abord du ministère de la santé, car il s’agit d’un problème de santé. Ce serait une erreur de le méconnaître au bénéfice d’une sorte de « tout judiciaire ».
Néanmoins – en résumé –, nous pensons, premièrement, qu’il faut conserver en l’état l’article 122-1 du code pénal et, deuxièmement, que le statu quo n’est pas possible, eu égard à ce qui s’est passé. C’est pourquoi nous présentons ces trois propositions concrètes, modestes, mais solides, car nous entendons contribuer au débat. En effet, nous devons avancer avec réalisme et pragmatisme afin que la loi soit comprise par nos concitoyens !