Intervention de Dominique Vérien

Réunion du 25 mai 2021 à 14h30
Irresponsabilité pénale — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Dominique VérienDominique Vérien :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le meurtre de Sarah Halimi nous a tous choqués.

Nombreux, nous attendions le procès de son meurtrier pour mieux comprendre comment s’est développé et comment se développe encore cet antisémitisme qui touche certains de nos jeunes ; mieux le comprendre pour mieux le combattre, en donnant un signal fort grâce à un vrai procès.

Le racisme n’a pas de raison d’être, l’antisémitisme n’a pas de fondement et nous nous devons de lutter contre ces fléaux afin de préserver notre unité et de faire Nation.

Nous attendions ce procès pour montrer que la bêtise peut se transformer en haine, la haine en violence meurtrière, et que la violence est punie par la loi.

Nous attendions ce procès pour dire la justice : la justice pour Sarah, la justice pour sa famille, la justice pour nous tous.

Or, de procès, il n’y a pas eu ; enfin, pas un vrai procès d’assises avec des jurés, en présence de l’accusé.

Le meurtrier, en plus d’être antisémite, était drogué et c’est bien la somme de tout cela qui l’a conduit à tuer Sarah Halimi. Mais, au moment des faits, une bouffée délirante lui a ôté son discernement : et si l’on peut juger les imbéciles, les méchants et les violents, on ne juge pas les fous.

Aucun des experts qui se sont prononcés dans cette affaire n’a remis en question la folie du meurtrier au moment de son crime. Mais aucun des experts n’a mis en doute le fait que le cannabis à haute dose consommé par le meurtrier y était pour quelque chose.

La seule question était : une maladie mentale a-t-elle été exacerbée par la drogue ou est-ce la drogue qui a conduit à la maladie mentale ? Il s’agit là d’un débat seulement médical.

S’agissant de la justice, une seule chose à retenir : le meurtrier n’avait plus de discernement au moment des faits, celui-ci ayant été aboli par sa consommation volontaire de cannabis, c’est-à-dire de son propre fait, en l’occurrence fautif.

Nous voici donc au point qui nous préoccupe. L’article 122-1 du code pénal, qui permet de déclarer un auteur pénalement irresponsable, devait-il s’appliquer à une personne dont le discernement a été altéré de son propre fait ? Que ce soit de son fait ou non, l’auteur était irresponsable au moment du meurtre et cela, nous ne pouvons rien y faire. Devrait-on le juger pour des faits qu’il n’a pas commis en toute conscience ?

Jusqu’à présent, notre droit et notre justice s’y sont toujours refusés, malgré les propositions faites en ce sens par certains spécialistes. Notre rapporteur nous propose de rester sur cette ligne. Malgré l’émoi suscité, nous nous devons de légiférer avec le recul nécessaire, en laissant de côté notre émotion légitime.

Pour autant, cela ne doit pas nous empêcher de nous poser des questions et, en particulier, de nous demander si l’approche mise en œuvre ne devrait pas être différenciée entre un auteur rendu meurtrier par sa propre faute et un auteur que le libre arbitre a quitté sans qu’il ait rien fait pour. Le premier ne pouvait ignorer que son comportement pouvait le pousser à ne plus se maîtriser ; le second est une victime collatérale de son propre état.

Cela change tout pour l’auteur, mais aussi pour les victimes, pour lesquelles entendre que quelqu’un s’est mis dans un état second volontairement et que cela l’exonère de responsabilité est particulièrement difficile. On sait que la justice est réparatrice pour les victimes, même si, dans le cas présent, elle ne ramènera pas une mère.

Le fait que la culpabilité de l’auteur soit reconnue permet de conférer aux personnes qui ont subi ses actes le statut de victime ; c’est pour cela que le jugement est important. Tel est l’objet de cette proposition de loi. Il s’agit de permettre que le jugement ne se limite pas à la décision de la chambre de l’instruction, comme c’est le cas en l’espèce, ou à l’ordonnance du juge d’instruction, mais que, lorsque l’auteur est à l’origine de l’abolition de son propre discernement, on rende tout de même justice aux victimes par un procès public.

Dans le cas Halimi, que se serait-il passé ? Un procès public aurait eu lieu, durant lequel l’auteur aurait, comme il l’a fait devant la chambre de l’instruction, reconnu son crime et présenté ses excuses aux victimes. Il aurait, très probablement, été déclaré irresponsable de la même façon.

Les victimes, elles, auraient été reconnues publiquement et la cour aurait pu rappeler, également publiquement, avec un écho plus large que celui de la chambre de l’instruction, que l’antisémitisme est pénalement répréhensible.

Pour la suite, l’auteur est en hôpital psychiatrique et sa seule sanction est de ne plus apparaître dans le périmètre géographique de son crime pendant vingt ans. Pourrait-il sortir libre dès demain, sans obligation de soins, sans être contraint de ne jamais retoucher à une quelconque drogue ? Ce sont les médecins, et non plus le tribunal, qui devront y répondre, alors que, à mon sens, le juge devrait pouvoir intervenir à ce moment, afin de prendre en compte la dangerosité potentielle de la personne que l’on aura à libérer un jour, si elle va mieux.

On ne juge pas les fous, c’est juste, mais savoir mesurer leur dangerosité et s’en protéger, c’est également justice.

Notre groupe salue l’initiative de nos deux collègues Nathalie Goulet et Jean Sol, qui nous donne l’occasion d’avoir aujourd’hui un débat nécessaire sur l’évolution de l’irresponsabilité pénale, mais également sur ce qui permet de la caractériser : l’expertise psychiatrique du prévenu ou de l’accusé.

Grâce à leurs travaux, nous aboutissons aujourd’hui à un texte équilibré que notre groupe soutiendra, en espérant, monsieur le garde des sceaux, que le Gouvernement saura s’en inspirer, comme il a su le faire au cours des derniers mois pour d’autres propositions de loi sénatoriales, et je salue ici notre collègue Annick Billon.

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