Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que législateur, il est des combats que nous pouvons mener, des réponses que nous pouvons apporter, des besoins que nous pouvons satisfaire ; il en est d’autres pour lesquels la réponse est plus malaisée. La question de l’irresponsabilité pénale des malades psychiatriques exige ainsi beaucoup d’humilité.
Affaire après affaire, nous sommes collectivement choqués, meurtris, horrifiés par l’atrocité de faits commis, lesquels échappent parfois même à notre capacité à les nommer. En sympathie avec les proches des victimes, nous percevons le caractère incommensurable de leur douleur ; nous partageons leur besoin de comprendre, leur soif de justice, leur volonté d’obtenir réparation.
Comme les leurs, nos questionnements et nos exigences restent insatisfaits, car, si la justice commande qu’un auteur réponde de ses actes devant la société, l’irresponsable, au sens étymologique du terme, n’en a pas la capacité et laisse la société, comme les victimes, sans réponse.
Je n’oublierai ainsi jamais, parce que cela s’est passé sur le territoire de la commune dont j’étais le maire, ces deux familles détruites après qu’un jeune homme atteint de schizophrénie a tué sa petite amie. L’irresponsabilité n’efface pas l’horreur du crime, elle y ajoute l’incompréhension face au « crime du fou ».
Ces histoires dramatiques nourrissent une insatisfaction profonde et un débat public sur ce qui pourrait changer. Or la voie est étroite et l’on peut envisager les choses d’un tout autre point de vue.
Ainsi que l’a rappelé Jean Sol, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, les travaux communs de nos deux commissions étaient, à l’origine, d’une autre nature. Il s’agissait, à la demande de notre collègue Nathalie Delattre, d’examiner les conditions de l’expertise psychiatrique en matière pénale sur la base du constat que la santé mentale de nombreuses personnes incarcérées est défaillante, que ces dernières aient été atteintes de troubles mentaux avant leur procès ou qu’elles en aient développé par la suite. L’angle de départ était plutôt que ces malades mentaux n’avaient pas forcément leur place en prison.
Au-delà de la misère de la psychiatrie en France, déjà bien documentée par de nombreuses analyses, les travaux de nos commissions ont mis en lumière les grandes difficultés de l’expertise psychiatrique, laquelle s’appuie sur une ressource de plus en plus rare, et néanmoins plutôt peu et mal pilotée.
C’est ce à quoi l’essentiel de la proposition de loi de Jean Sol s’efforçait de remédier. Je ne voudrais pas, monsieur le garde des sceaux, que le débat sur l’irresponsabilité pénale occulte totalement cette partie du texte. Dans cette matière, certes moins noble et plus concrète, il est évident que le ministère de la justice doit progresser. Nous partons de loin : la commission a, par exemple, réalisé, il y a peu, que le dossier du travail des experts ne semblait tout simplement pas géré par la Chancellerie.
S’agissant de l’irresponsabilité pénale, nous recherchons un équilibre fragile entre le besoin de réparation des victimes et le fait que l’incarcération d’une personne malade ne saurait en aucune manière le satisfaire.
Avec Jean Sol, nous avons considéré que la question de l’intoxication volontaire par des substances psychoactives devait être posée. L’irresponsabilité ne doit pouvoir être retenue que lorsqu’elle n’a pas été expressément recherchée. C’est pourquoi la rédaction proposée dans la proposition de loi retenait la notion « d’exposition contrainte aux substances psychoactives », seule susceptible d’entraîner une abolition du discernement.
Cette rédaction préservait également la capacité du juge à apprécier les circonstances de l’espèce, ce qui me semble indispensable, le législateur ne pouvant tout prévoir, énumérer tous les cas de figure dans la loi et encore moins se substituer au juge ou à l’expert, même si, sous le coup de l’émotion, il peut en éprouver le besoin.
Il est, en revanche, une responsabilité qu’il porte, celle de créer les conditions d’une prise en charge correcte de la santé mentale dans notre pays et, même si je connais moins bien ce domaine, les conditions d’une administration correcte de la justice.
Nos réponses face aux crimes des personnes psychotiques resteront forcément insatisfaisantes, comme le sera peut-être notre débat d’aujourd’hui. Il est pourtant de notre responsabilité de les traduire dans des politiques publiques plus efficaces. Je forme le vœu que notre débat d’aujourd’hui puisse y contribuer.