Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il y a dix-huit mois, j’interpellais Édouard Philippe, alors Premier ministre, dans cet hémicycle à la suite de la décision de la cour d’appel en ces termes : « Le droit, certes, mais la décision est-elle juste ? » Le Premier ministre, très embarrassé, m’a fait une réponse mi-figue mi-raisin d’où il ressortait que, certes, le droit était respecté, mais que la décision n’était pas juste.
Nous avons tous attendu avec beaucoup d’espoir la décision de la Cour de cassation, considérant que, si celle-ci décidait d’un procès, nous n’aurions peut-être pas à dire que la loi devait être modifiée, alors que l’émotion avait saisi tout le pays – et pas seulement la communauté juive, comme je l’ai entendu – après le massacre de Mme Halimi. Une telle décision aurait peut-être pu calmer le jeu, permettre aux victimes de faire leur deuil et faire en sorte qu’il puisse y avoir un vrai procès, après bien des erreurs dans la conduite de cette affaire.
Malheureusement, la Cour de cassation n’en a pas décidé ainsi, avec tout le respect que j’ai pour les magistrats. Ceux-ci se sont eux-mêmes légitimement défendus en indiquant qu’ils appliquaient la loi, laquelle ne permettait pas de distinguer ce qui provoque l’irresponsabilité provisoire. Dans ces conditions, ils considéraient qu’il ne leur revenait pas de déterminer si le meurtrier était ou non responsable de son irresponsabilité et renvoyaient, à raison, la question au législateur.
Et nous voilà avec ce texte mal ficelé.
J’entends bien que l’on ne légifère pas dans l’émotion, mais légiférer sur la demande des magistrats de la Cour de cassation, ce n’est pas légiférer dans l’émotion : c’est répondre à une demande de la magistrature pour lui permettre de mieux juger. Dans ces conditions, il me paraît tout à fait normal que le législateur fasse son travail.
Il ne s’agit pas de dire que l’on va juger les fous. Personne n’imagine qu’on en revienne au Moyen Âge, quand les fous étaient présentés avec capuchon et oreilles d’âne, encore que la justice du Moyen Âge n’était pas aussi caricaturale qu’on le dit parfois et faisait des distinctions sur le jugement des fous.
On évoque des cas de schizophrènes, mais dans ces cas-là, personne ne peut mettre en cause, ni de près ni de loin, la responsabilité de ces gens ; il est évident que, si vous souffrez d’une maladie mentale, quelle qu’elle soit, il n’y a pas lieu de mettre en cause votre responsabilité et il faut trouver des solutions acceptables pour les victimes comme pour la société.
Lorsque, cependant, le meurtrier ou le délinquant – peu importe la gravité de l’acte – est dans un état qu’il a lui-même provoqué, comment avancer que, peut-être, ce serait la société ou son entourage qui aurait provoqué une situation qui l’aurait poussé, parce qu’il ne se sentait pas en état, vers la drogue, l’alcool, ou je ne sais quel élément qui lui aurait fait perdre sa responsabilité ?
Dans ce cas, à mon sens, le législateur doit faire la balance entre la liberté et les droits individuels, que les magistrats défendent très bien, je compte sur eux pour cela, et la défense de la société, la défense de ce que nous voulons incarner collectivement, quelles que soient nos opinions : de gauche, de droite ou du centre, là n’est pas le sujet.
Le sujet, c’est de savoir comment la société traite ses victimes, l’ensemble de ceux qui subissent, d’une manière ou d’une autre. Si vous vous contentez de leur dire, « vous comprenez, l’article 122-1 ne le permet pas », pardon de vous dire que vous êtes déconnecté des gens et des réalités !
Il y a des familles, servez-les !