Mes chers collègues, en créant la mission d'information sur le transport de marchandises face aux impératifs environnementaux, vous nous avez confié une tâche redoutable, puisque ce sujet met en jeu des compétences de transporteur, mais aussi de géographe, d'aménageur, de logisticien, d'ingénieur, de physicien de la propulsion électrique, de technicien et prévisionniste des motorisations, de climatologue et de chimiste en matière d'environnement ou de qualité de l'air.
Au cours de ses travaux, qui ont duré plus de cinq mois, notre mission d'information a entendu 35 organisations représentées par plus de 82 personnes, allant d'entreprises céréalières à des constructeurs automobiles, en passant par des associations environnementales, afin d'obtenir une vision d'ensemble du transport de marchandises.
Le premier constat réalisé par notre mission d'information est que le transport de marchandises a un rôle essentiel dans la vie de notre Nation. Sans transport, sans logistique, tout s'arrête : nos commerces, nos administrations et nos services publics, notre industrie, notre agriculture...La crise sanitaire l'a bien démontré : la préservation de nos chaînes logistiques revêt un caractère stratégique, parfois de vie ou de mort. Les crises successives, en 2008 d'abord, puis la crise sanitaire, ont durement éprouvé ce secteur, qui retrouvait en 2020 tout juste ses niveaux de 2007.
Notre second constat est que le transport intérieur de marchandises est majoritairement routier : près de 90 % des tonnes-kilomètres sont acheminées par la route. Cet essor s'est fait, comme vous le savez, au détriment du fer, et de la voie d'eau. Si la domination du routier est un phénomène européen, la France est particulièrement concernée, et ce malgré 30 ans de politiques de report modales successives. Le fret ferroviaire représente 9 % du transport de marchandises, contre presque 20 % pour nos voisins européens ; le fluvial compte pour 2, 3 % des flux, moins de la moitié de la moyenne européenne.
Ce constat est d'autant plus regrettable que c'est le mode routier qui est à l'origine de la quasi-totalité des émissions de gaz à effet de serre de transport de marchandises. En outre, l'impact environnemental du transport ne se limite pas à son bilan carbone. Notre mission d'information a tenu à travailler sur l'ensemble des externalités négatives causées par le transport : pollution atmosphérique, nuisances sonores, insécurité, congestion, dégradation de la voirie...
Face à ce constat, la démarche de notre mission a été d'explorer méthodiquement la question de l'impact environnemental du transport de marchandises sous tous ses angles. Ce travail a permis de structurer quatre grands axes de propositions sur la question de l'impact environnemental du transport de marchandises. Je tiens d'ailleurs à saluer la remarquable bonne entente, l'esprit de sérieux et de collaboration qui a marqué nos travaux et permis de fournir un ensemble de recommandations aussi riches et diverses.
Ces quatre grands axes sont :
- la massification du transport de marchandises ;
- la réduction des nuisances pour les riverains ;
- la décarbonation du transport routier ;
- la réorganisation du transport urbain de marchandises et la responsabilisation des consommateurs du e-commerce à l'égard de l'impact environnemental de leur livraison.
Je vous propose d'évoquer brièvement les enjeux de massification et de transition énergétique du secteur routier, et laisserai le soin à Nicole Bonnefoy de vous faire part de nos travaux sur les deux autres sujets, sachant que je souscris entièrement à ses propos.
Loin de vouloir opposer les modes entre eux, notre mission d'information considère au contraire qu'il est nécessaire de tirer le meilleur parti de leur complémentarité et de leur valeur ajoutée respective et que chaque mode a sa zone de pertinence.
Aussi, la mission considère qu'un développement du recours au fret ferroviaire et au fret fluvial est souhaitable, en particulier pour les trajets de longues distances. Nos réseaux ferré et fluvial disposent en effet de nombreux atouts. Ils sont tous deux particulièrement étendus : la France possède plus de 28 000 km de chemins de fer exploitable, et 8 500 km de voies navigables, dont 2 000 km de grand gabarit. La réalisation du Canal Seine-Nord-Europe, cher à notre collègue Stéphane Demilly, permettra d'ailleurs de renforcer la connexion du réseau fluvial français au réseau européen à grand gabarit, et de réduire de manière significative les coûts du recours au mode fluvial. Les modes massifiés sont également bien plus sobres du point de vue environnemental, et en particulier en matière d'émissions. Cependant, le potentiel des frets ferroviaire et fluvial est fortement contraint par plusieurs facteurs que la mission d'information a pu identifier. Je peux vous citer pêle-mêle la désindustrialisation de notre pays, le mauvais état de nos réseaux en raison d'un sous-investissement chronique, les coûts supplémentaires induits par les ruptures de charge, ou encore la flexibilité et la fiabilité du mode routier, qui a su développer un arsenal logistique redoutable. Pour enrayer la dégradation des parts modales et faire face aux impératifs environnementaux, il est urgent d'agir.
Pour cela nous proposons tout d'abord de soutenir la régénération et le développement des réseaux ferroviaire et fluvial, par un plan d'investissement massif et ciblé vers les infrastructures les plus stratégiques. En plus de ce plan, le respect de la trajectoire fixée dans le contrat d'objectifs et de performance conclu entre l'État et VNF est un facteur essentiel dans la réussite de la relance fluviale.
Par ailleurs, nous devons travailler à renforcer l'attractivité des modes massifiés, en allant au-delà des investissements d'infrastructure. Alors que les frais de rupture de charge représentent trop souvent encore un frein au recours aux modes massifiés, il faut augmenter l'« aide à la pince », comme le préconisait d'ailleurs le rapport de notre ancien collègue Michel Vaspart. De nombreux autres leviers peuvent également être activés pour soutenir le développement de ces modes : je pense notamment à la commande publique, qui doit prioriser le fluvial ou le ferroviaire, ou encore à un meilleur fléchage des certificats d'économie d'énergie vers le transport combiné.
Nos auditions ont permis d'établir que la force du mode routier réside surtout dans sa fiabilité, sa flexibilité et sa qualité de service, qui correspond aux impératifs des chargeurs. Dès lors, le transport massifié et plus particulièrement le fret ferroviaire, doit renforcer sa performance et son fonctionnement afin de se mettre sur un pied d'égalité avec la route. La mission d'information est donc favorable à l'insertion de critères de performance précis et assortis de bonus-malus dans le contrat de performance entre SNCF Réseau et l'État, et à une révision de la procédure d'attribution des sillons, qui apparait trop rigide et complexe.
Un deuxième axe de travail dont s'est saisie notre mission est celui de la décarbonation du transport routier, qui est complémentaire à la massification. En effet, si nous sommes convaincus que le report modal est à la fois souhaitable et possible, nous sommes lucides sur le fait que le mode routier restera majoritaire pour de nombreuses années à venir, et que l'atteinte de nos objectifs environnementaux dépendra de sa transition.
Vous vous en doutez, la question de la transition énergétique du parc de poids lourds, composé de 600 000 véhicules, n'est pas une mince affaire. L'avenir du transport de marchandises se fera par la combinaison de plusieurs solutions, chacune pertinente pour un type de prestation. Les biocarburants, et notamment le biodiesel B100 ou le biogaz, ont un intérêt particulier : ils permettent d'atteindre une forte baisse d'émission de gaz à effet de serre, pour un coût et une complexité technique réduite. Les motorisations électriques et hydrogènes ont également toute leur pertinence, au regard des faibles émissions de tout type et de leur complémentarité : l'hydrogène pour les plus longues distances, l'électrique pour la desserte urbaine et régionale.
Cependant, chacune de ces solutions fait également face à plusieurs défis que nous devons tenter de relever. Concernant les biocarburants par exemple, des contraintes de production limitent ces motorisations à une énergie de transition secondaire. Pour l'électrique, le coût d'achat des véhicules (4 à 5 fois plus cher qu'un véhicule thermique), l'offre extrêmement limitée ainsi que des contraintes techniques comme l'autonomie ou le poids de la batterie empêchent la plupart des transporteurs d'investir dans ces technologies. L'hydrogène n'est quant à lui pas encore à un stade de maturité suffisante, d'autant plus que la création d'hydrogène décarboné ne sera pas prioritairement affectée aux transports. Enfin, pour toutes ces énergies, la question du réseau de recharge reste présente.
Il est donc nécessaire d'accompagner et d'aider ce secteur, avec des mesures ambitieuses et de bon sens. Nous proposons notamment de revoir et de renforcer les aides à l'achat de camions à motorisation alternative en les étendant aux biocarburants et en prolongeant les aides à l'hydrogène et l'électrique. Par ailleurs, pour inciter le renouvellement des camions les plus polluants, nous proposons de créer une prime à la destruction pour les véhicules de plus de 12 ans. La question du coût spécifique de l'électrique est également abordée : nous considérons qu'il est pertinent de proposer une remise sur la contribution au service public de l'électricité pour les transporteurs routiers.
Lors de nos travaux, nous avons évidemment été confrontés aux questions épineuses et complexes de la fiscalité du transport routier de marchandises. Plus particulièrement, nous avons abordé deux sujets : la suppression de l'avantage fiscal sur la TICPE sur le gazole routier, et l'éventuelle mise en oeuvre d'une éco-contribution, que certains pourraient appeler écotaxe.
Ces sujets sont complexes, et la mission d'information a pleinement conscience de la nécessité d'un équilibre entre une juste contribution du mode routier et l'importance de préserver notre secteur logistique, sans quoi il ne pourra pas investir dans sa transition énergétique. Il s'agit également de sujets pour lesquels nous aurons un débat riche et nourri dans le cadre du projet de loi « Climat et résilience », qui aura lieu sous peu, et pour lequel des auditions sont toujours en cours.
Notre mission d'information n'a pas souhaité se prononcer catégoriquement sur ces dispositifs, au regard des circonstances et des travaux toujours en cours. Cependant, nous avons déterminé plusieurs orientations concernant une potentielle augmentation de la fiscalité sur le transport. Tout d'abord, la question de la taxation doit être abordée avec précaution, de préférence dans un cadre européen, car la compétitivité du pavillon français pourrait être fortement touchée. Par ailleurs, si elle devait être mise en oeuvre, il s'agirait de privilégier une écotaxe, ou plutôt une éco-contribution, kilométrique, et harmonisée au niveau national (en matière d'assiette et de taux par exemple). Enfin, la mission considère qu'il est indispensable d'affecter au moins une partie d'éventuelles recettes supplémentaires à la route et au transport routier.
Voici les principales orientations de nos travaux, bien sûr non exhaustives, concernant la massification et la transition énergétique. Je passe maintenant la parole à Nicole Bonnefoy, ma co-rapporteure, que je souhaite remercier pour la qualité des échanges que nous avons eus et les avancements que nous avons pu faire en matière de transition et de décarbonation avec l'ensemble de nos collègues qui ont participé activement à cette mission.