Intervention de Marc Baréty

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 5 mai 2021 à 10h00
Audition de M. Marc Baréty ambassadeur de france au pakistan

Marc Baréty, ambassadeur de France au Pakistan :

Merci pour votre soutien, il a beaucoup de valeur pour moi et l'équipe de l'ambassade.

Le Sénat pakistanais accorde de l'importance à la crise entre le Pakistan et la France, en témoigne la démission avec éclat, le 30 octobre dernier, de M. Faisal Javed, président du groupe d'amitié Pakistan-France.

La crise bilatérale est durable, elle s'est déclenchée en septembre 2020 avec les déclarations pakistanaises qui ont fait suite à la republication des caricatures par Charlie Hebdo et aux discours du président Macron (Conflans, Sorbonne) en lien avec la lutte contre l'islamisme radical. Le Premier ministre pakistanais, Imran Khan, a alors accusé le Président de la République d'ignorance et de s'attaquer à l'islam.

Les causes de cette crise sont de deux ordres. Il y a en premier lieu les causes internes : au Pakistan, pour des raisons historiques, la question du blasphème est très sensible et, dans le passé, la France a déjà été attaquée, pour la publication des caricatures. L'influence des religieux radicaux est très forte et Imran Khan lui-même utilise la thématique religieuse. La crise a en outre des causes externes, en particulier l'ambition du Pakistan de conduire la lutte contre « l'islamophobie », poussant ses dirigeants à la surenchère et à des rapprochements par exemple avec la Turquie de Recep Tayyip Erdogan. Un autre facteur est la rivalité congénitale avec l'Inde, dont nous sommes perçus comme un allié.

Les relations franco-pakistanaises ont été fragilisées par la crise sur les plans politique, sécuritaire et économique. Sur le plan politique, nous avons eu le sentiment qu'en s'en prenant à la France et à son Président, les plus hautes autorités pakistanaises ont en quelque sorte donné le feu vert à une campagne anti-française. Nous sommes bien confrontés à une crise de confiance puisque nos demandes d'apaisement ont été ignorées. Cette crise de confiance est également due au refus des autorités pakistanaises de me rencontrer au niveau ministériel, hors cadre confidentiel et privé. Toutefois, la relation diplomatique n'a pas été rompue et la coopération se poursuit, notamment les programmes conduits via l'Agence française de développement (AFD), mais nous n'avons plus de dialogue politique. La relation s'est également dégradée au plan sécuritaire : nous faisons face à des menaces contre l'ambassade, même si les autorités pakistanaises ont bien assuré notre sécurité ; toutefois, à partir des manifestations antifrançaises du 15 avril dernier, nous avons demandé une protection renforcée et nous avons réduit le nombre de nos personnels sur place. Sur le plan économique, enfin, nous avons subi une campagne de boycott des produits français, dont le gouvernement pakistanais ne s'est pas dissocié, malgré mon intervention auprès du ministre du commerce. L'impact sur nos échanges semble toutefois relativement faible. S'agissant de la relation de défense, nous avons interrompu nos contacts à haut niveau, mais nous maintenons des contacts techniques.

Face à cette crise, nous avons mis en place une gestion mesurée mais ferme, en faisant passer des messages clairs. Nous avons réaffirmé nos principes et nous avons fait de la pédagogie avec les autorités, avec des personnalités d'influence, sur la liberté d'expression, sur les caricatures et sur la place de l'islam en France ; le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a été très actif, le chargé d'affaires pakistanais a été convoqué plusieurs fois et le Secrétaire général du Quai d'Orsay a eu un entretien téléphonique avec son homologue pakistanais. Nous avons choisi de faire un usage minimum des déclarations officielles et d'utiliser le moins possible les réseaux sociaux, pour ne pas alimenter les controverses et nous avons continué notre action de pédagogie auprès de la presse écrite. Nous avons aussi utilisé d'autres canaux, en parlant à des parlementaires, à d'anciens ambassadeurs, à des hommes d'affaires.

Nos messages ont été clairs : la sécurité des Français doit être assurée, les déclarations inamicales doivent cesser, il faut mettre un terme définitif aux menaces, et alors seulement la coopération et le dialogue pourront reprendre. Nous avons souligné les intérêts et les nombreux projets communs, en particulier ceux où nos entreprises ont investi dans le pays, c'est le cas dans le domaine énergétique. Ces messages ont été relayés par l'Union européenne, le chef de la délégation de l'UE a fait savoir que le statut du Pakistan, de pays admissible au bénéfice du régime spécial d'encouragement au développement durable et à la bonne gouvernance (SPG +), n'était guère compatible avec des déclarations hostiles envers un État membre. Une déclaration a même été préparée à Bruxelles dans l`hypothèse où mon expulsion serait décidée au parlement. Les Allemands ont fait passer des messages très clairs dans le même sens, les Britanniques également. Enfin, une résolution a été votée par le Parlement européen le 30 avril. Bien qu'elle concerne principalement les cas de blasphème au Pakistan, elle a donné un signal fort aux autorités.

La relation bilatérale avec le Pakistan s'est donc détériorée, c'est une crise de confiance, mais tout dialogue bilatéral n'a pas été rompu. Dans ce contexte, que peut-on espérer ? La situation politique et sécuritaire est instable, il y a une oscillation entre la confrontation et l'apaisement, la stratégie des autorités n'est pas claire - on le voit en particulier dans les déclarations contradictoires sur le TLP, à propos duquel on nous a dit tout et son contraire. La résolution du Parlement pakistanais, de reporter sine die le débat sur l'expulsion de l'ambassadeur de France, va cependant dans le bon sens ; j'ai demandé et j'attends une clarification. Je crois que beaucoup va dépendre du traitement réservé aux dirigeants du TLP et de la façon dont ils se saisiront, ou pas, de cette question dans leur rapport de force avec les autorités pakistanaises. De notre côté, nous tâchons d'ouvrir nos interlocuteurs à la raison, de faire comprendre l'intérêt de bonnes relations entre nos deux pays et avec l'Union européenne ; tous les efforts que vous pourrez faire dans ce sens seront importants et bienvenus.

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