Nous accueillons M. Marc Baréty, notre ambassadeur au Pakistan, en direct depuis Islamabad. Nous nous demandions jusqu'à vendredi dernier s'il serait en téléconférence ou parmi nous ; l'Assemblée nationale pakistanaise a finalement renvoyé sine die l'examen de la motion sur le renvoi de notre ambassadeur, ce qui fait qu'il est resté à son poste. Je précise que cette audition est à huis clos.
Monsieur l'Ambassadeur vous nous direz comment vous vivez cette situation qui dure depuis octobre 2020. Le parti islamiste Tehreek-e-Labbaik Pakistan (TLP) vous a déclaré de fait persona non grata depuis six mois. Recevez d'abord tout notre soutien et notre confiance dans cette situation particulièrement pénible. Vous nous direz comment vous parvenez à assurer vos missions dans ce contexte. Le gouvernement pakistanais se distingue-t-il des revendications du TLP, qui appelle au boycott des produits français et à la rupture des relations diplomatiques ?
Le 15 avril dernier, vous avez pris la décision de recommander aux ressortissants français de quitter temporairement le Pakistan, une décision qu'on imagine particulièrement difficile à prendre : quelle ligne a donc été franchie pour que la situation ne vous semble plus tenable ? La moitié de nos quelque 500 ressortissants sont des doubles-nationaux : comment vivent-ils cette situation ? Quelles perspectives pour la France, ses ressortissants et ses intérêts économiques depuis l'interdiction du TLP et le report du vote de la motion de renvoi par le Parlement pakistanais ? Peut-on parler de détente dans nos relations avec le Pakistan ? Considérez-vous que l'exacerbation des tensions avec la France servirait des objectifs intérieurs au Pakistan ?
Vous nous direz, Monsieur l'Ambassadeur, si l'apaisement - relatif - des postures hostiles à la France repose également sur des manoeuvres internes, voire sur une réorientation de la politique étrangère pakistanaise et la prise en compte pragmatique de ses besoins économiques - je pense en particulier à la facilité communautaire accordée en 2014 au Pakistan pour ses exportations textiles.
Le soutien américain affiché à l'égard de l'Inde, comme le retrait américain de l'Afghanistan annoncé pour septembre prochain, ont-ils pesé dans l'évolution du Pakistan ? De même, le corridor économique déployé dans le cadre des nouvelles routes de la soie, le CPEC, marque-t-il vraiment le pas, renforçant l'isolement international du Pakistan ?
Le port en eaux profondes de Gwadar avance et ouvre une nouvelle voie maritime stratégique donnant à la Chine accès à la mer d'Arabie : le Pakistan est-il un impensé de la stratégie indopacifique française ?
Merci pour votre soutien, il a beaucoup de valeur pour moi et l'équipe de l'ambassade.
Le Sénat pakistanais accorde de l'importance à la crise entre le Pakistan et la France, en témoigne la démission avec éclat, le 30 octobre dernier, de M. Faisal Javed, président du groupe d'amitié Pakistan-France.
La crise bilatérale est durable, elle s'est déclenchée en septembre 2020 avec les déclarations pakistanaises qui ont fait suite à la republication des caricatures par Charlie Hebdo et aux discours du président Macron (Conflans, Sorbonne) en lien avec la lutte contre l'islamisme radical. Le Premier ministre pakistanais, Imran Khan, a alors accusé le Président de la République d'ignorance et de s'attaquer à l'islam.
Les causes de cette crise sont de deux ordres. Il y a en premier lieu les causes internes : au Pakistan, pour des raisons historiques, la question du blasphème est très sensible et, dans le passé, la France a déjà été attaquée, pour la publication des caricatures. L'influence des religieux radicaux est très forte et Imran Khan lui-même utilise la thématique religieuse. La crise a en outre des causes externes, en particulier l'ambition du Pakistan de conduire la lutte contre « l'islamophobie », poussant ses dirigeants à la surenchère et à des rapprochements par exemple avec la Turquie de Recep Tayyip Erdogan. Un autre facteur est la rivalité congénitale avec l'Inde, dont nous sommes perçus comme un allié.
Les relations franco-pakistanaises ont été fragilisées par la crise sur les plans politique, sécuritaire et économique. Sur le plan politique, nous avons eu le sentiment qu'en s'en prenant à la France et à son Président, les plus hautes autorités pakistanaises ont en quelque sorte donné le feu vert à une campagne anti-française. Nous sommes bien confrontés à une crise de confiance puisque nos demandes d'apaisement ont été ignorées. Cette crise de confiance est également due au refus des autorités pakistanaises de me rencontrer au niveau ministériel, hors cadre confidentiel et privé. Toutefois, la relation diplomatique n'a pas été rompue et la coopération se poursuit, notamment les programmes conduits via l'Agence française de développement (AFD), mais nous n'avons plus de dialogue politique. La relation s'est également dégradée au plan sécuritaire : nous faisons face à des menaces contre l'ambassade, même si les autorités pakistanaises ont bien assuré notre sécurité ; toutefois, à partir des manifestations antifrançaises du 15 avril dernier, nous avons demandé une protection renforcée et nous avons réduit le nombre de nos personnels sur place. Sur le plan économique, enfin, nous avons subi une campagne de boycott des produits français, dont le gouvernement pakistanais ne s'est pas dissocié, malgré mon intervention auprès du ministre du commerce. L'impact sur nos échanges semble toutefois relativement faible. S'agissant de la relation de défense, nous avons interrompu nos contacts à haut niveau, mais nous maintenons des contacts techniques.
Face à cette crise, nous avons mis en place une gestion mesurée mais ferme, en faisant passer des messages clairs. Nous avons réaffirmé nos principes et nous avons fait de la pédagogie avec les autorités, avec des personnalités d'influence, sur la liberté d'expression, sur les caricatures et sur la place de l'islam en France ; le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a été très actif, le chargé d'affaires pakistanais a été convoqué plusieurs fois et le Secrétaire général du Quai d'Orsay a eu un entretien téléphonique avec son homologue pakistanais. Nous avons choisi de faire un usage minimum des déclarations officielles et d'utiliser le moins possible les réseaux sociaux, pour ne pas alimenter les controverses et nous avons continué notre action de pédagogie auprès de la presse écrite. Nous avons aussi utilisé d'autres canaux, en parlant à des parlementaires, à d'anciens ambassadeurs, à des hommes d'affaires.
Nos messages ont été clairs : la sécurité des Français doit être assurée, les déclarations inamicales doivent cesser, il faut mettre un terme définitif aux menaces, et alors seulement la coopération et le dialogue pourront reprendre. Nous avons souligné les intérêts et les nombreux projets communs, en particulier ceux où nos entreprises ont investi dans le pays, c'est le cas dans le domaine énergétique. Ces messages ont été relayés par l'Union européenne, le chef de la délégation de l'UE a fait savoir que le statut du Pakistan, de pays admissible au bénéfice du régime spécial d'encouragement au développement durable et à la bonne gouvernance (SPG +), n'était guère compatible avec des déclarations hostiles envers un État membre. Une déclaration a même été préparée à Bruxelles dans l`hypothèse où mon expulsion serait décidée au parlement. Les Allemands ont fait passer des messages très clairs dans le même sens, les Britanniques également. Enfin, une résolution a été votée par le Parlement européen le 30 avril. Bien qu'elle concerne principalement les cas de blasphème au Pakistan, elle a donné un signal fort aux autorités.
La relation bilatérale avec le Pakistan s'est donc détériorée, c'est une crise de confiance, mais tout dialogue bilatéral n'a pas été rompu. Dans ce contexte, que peut-on espérer ? La situation politique et sécuritaire est instable, il y a une oscillation entre la confrontation et l'apaisement, la stratégie des autorités n'est pas claire - on le voit en particulier dans les déclarations contradictoires sur le TLP, à propos duquel on nous a dit tout et son contraire. La résolution du Parlement pakistanais, de reporter sine die le débat sur l'expulsion de l'ambassadeur de France, va cependant dans le bon sens ; j'ai demandé et j'attends une clarification. Je crois que beaucoup va dépendre du traitement réservé aux dirigeants du TLP et de la façon dont ils se saisiront, ou pas, de cette question dans leur rapport de force avec les autorités pakistanaises. De notre côté, nous tâchons d'ouvrir nos interlocuteurs à la raison, de faire comprendre l'intérêt de bonnes relations entre nos deux pays et avec l'Union européenne ; tous les efforts que vous pourrez faire dans ce sens seront importants et bienvenus.
Oui, notre sécurité est assurée par des personnels français dans l'enceinte de l'ambassade, et par un dispositif mis en place, à notre demande, par les autorités pakistanaises, au moins à Islamabad. Quant à ma liberté de mouvement, je ne me déplace plus guère, à cause du Covid-19, mais aussi pour éviter que des apparitions publiques ne provoquent des mouvements de protestation. Cela ne m'empêche pas d'agir et je dirai que notre sécurité est assurée. Cependant, nous ne sommes pas à l'abri d'un acte irraisonné d'une personne dans la foule contre un Français - en réalité, on ne peut se garantir complètement contre un tel risque, et c'est pourquoi le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a donné le conseil aux Français de quitter temporairement le pays, ou d'éviter de sortir s'ils faisaient le choix d'y rester.
Je remercie notre président d'avoir accepté ma proposition de vous auditionner, c'est l'occasion de vous dire tout notre soutien.
Depuis plusieurs années, le groupe d'amitié « France-Pakistan », que je préside, travaille intensément pour développer les relations entre les deux pays avec le Pakistan, avec cette ligne claire : nous pouvons aborder tous les sujets, sauf le nucléaire et l'armement - ce qui laisse suffisamment de thèmes à creuser. Ainsi, nous avons travaillé pour la révision de la cotation-risque du Pakistan, sur la mobilisation du secteur bancaire, nous avons encouragé le déplacement de groupes industriels français, ou encore un échange entre l'Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN) et son homologue pakistanais ; nous n'avons pas négligé l'aspect culturel, avec la présentation, au musée Guimet, d'un Bouddha sacré qui n'était jamais sorti de Lahore, occasion de vérifier que des spécialistes français connaissent très bien le Pakistan.
Or, la situation s'est considérablement compliquée ces derniers mois, nous déplorons une véritable régression par rapport à la reconstruction de meilleurs relations, que nous nous efforcions d'atteindre. Vous avez souligné la place que prend notre partenariat stratégique avec l'Inde, ce facteur n'est pas à négliger, mais nous devons également continuer d'affirmer que nous parlons avec tout le monde.
Nous avions fondé beaucoup d'espoir dans l'actuel Premier ministre, Imran Khan, mais il fait face à une aile islamiste très active et nous constatons, avec regret, que le Pakistan n'a toujours pas envoyé d'ambassadeur en France - le pays est représenté par un premier conseiller chargé d'affaire que nous devions recevoir cet après-midi, mais la réunion a été annulée.
En tout état de cause, nous devons veiller à la sécurité des Français et de nos intérêts, le Sénat y prendra sa part, et nous saluons les marques de soutien de l'Allemagne et de la Grande-Bretagne.
Le débat sur la laïcité existe au Pakistan et il est clivant, je m'en suis aperçu lors d'une conférence de presse à Lahore : j'y expliquais la conception française du sécularisme, sa résonnance par exemple avec le kémalisme, et j'ai vu alors que ces notions faisaient débat parmi les Pakistanais, combien elles les divisaient ; aussi, je crois que l'anathème sur la France sert dans un débat intérieur très clivé, alors même que la Constitution pakistanaise, issue de la partition avec l'Inde, assure que la république pakistanaise est islamique mais qu'elle respecte les autres religions : cette ligne de crête est difficile à tenir.
Il y a, ensuite, une compétition pour savoir quel sera le premier pays musulman du monde : c'est aujourd'hui l'Indonésie, mais le Pakistan pourrait prendre la première place, avec une perspective de 320 millions d'habitants en 2050. Cette compétition est également idéologique, en particulier avec des pays comme l'Iran ou la Turquie, et notre pays en fait les frais. Lors des quatre voyages que j'ai faits au Pakistan, j'ai été très impressionné par la violence des manifestations et par les difficultés de faire prévaloir des relations raisonnables, alors que le pays est assurément une grande puissance.
Le Pakistan entretient des relations tendues avec les grands pays de la région, son commerce est très déséquilibré, et son principal, sinon son seul soutien est chinois - un soutien très intéressé, qui s'organise autour du projet de corridor économique dans le cadre des nouvelles routes de la soie, où des milliards de dollars sont investis et qui attise la rancoeur de l'Inde voisine. Dans ce contexte, peut-on espérer une paix durable au Cachemire ?
Le Pakistan produit des doses du vaccin chinois contre le Covid-19, est-ce le signe d'une reconfiguration politique et d'un rapprochement avec Pékin ?
Quelle est votre analyse des relations entre le Pakistan et l'Afghanistan, compte tenu en particulier de l'irrédentisme afghan et pachtoune ?
Président du groupe d'amitié « France-Afghanistan », je m'interroge sur la place du Pakistan dans le retrait des troupes américaines et dans la période qui s'ouvre, alors que ce pays passe pour jouer un double jeu avec les Américains. Quel serait le rôle du Pakistan dans le partage du pouvoir une fois les Américains partis d'Afghanistan ? Pensez-vous que les Américains soient en mesure de faire pression sur leurs alliés pakistanais pour que le Pakistan s'interdise d'ingérence dans la vie politique afghane ?
Le responsable de l'attaque terroriste du 25 septembre dernier à Paris, un Pakistanais de 25 ans, s'est déclaré sympathisant du TLP, dont il regardait des vidéos : avez-vous d'autres informations sur les liens qu'il pourrait avoir entretenus avec ce parti islamiste pakistanais ? En Loire-Atlantique, nous avons constaté que des mineurs isolés pakistanais justifiaient le lynchage ou l'assassinat en cas de blasphème, c'est tout à fait inquiétant. Des mesures sont prises, mais quelle analyse faites-vous de la menace représentée par ces jeunes qui émigrent, souvent aux mains de passeurs ?
La Chine est indéniablement le grand partenaire du Pakistan, les expressions locales en témoignent, parlant d'une « amitié profonde comme l'océan et dure comme l'acier ». Il faut comprendre la rivalité stratégique originelle du Pakistan et de l'Inde : la partition a laissé des traces très importante dans les deux pays, les Pakistanais lisent la politique extérieure indienne comme une série d'actions menaçant l'existence même du Pakistan, comme si l'Inde n'avait pas d'autre objectif que de dépecer le Pakistan : il y a eu les tentatives d'annexion d'une partie du Cachemire, il y a eu l'épisode du Bangladesh, devenu indépendant en 1971, il y a encore les accusations que l'Inde soutiendrait les mouvements indépendantistes, en particulier baloutches - l'irrédentisme portant sur quasiment la moitié du territoire pakistanais. Le Pakistan craint également la revendication d'un grand Pachtounistan, à partir de l'Afghanistan, qui réduirait encore le territoire pakistanais.
L'Inde représente donc une menace existentielle pour le Pakistan. En face, le Pakistan peut avoir le sentiment d'avoir perdu ses appuis, qui autrefois, dans le « pacte de Bagdad », s'étaient regroupés face à la menace soviétique. De fait, le Pakistan a perdu du soutien, en particulier dans la relation avec les États-Unis, ce qui peut lui faire regarder plus favorablement les propositions de la Chine, laquelle développe une stratégie mondiale passant par de nouvelles alliances, que des analystes regardent comme un nouveau multilatéralisme à la main de la Chine et concurrençant l'ONU. Cette perspective est importante pour le Pakistan, qui a perdu des soutiens occidentaux et qui se sent menacée par l'Inde. La diplomatie vaccinale de la Chine s'inscrit dans cet ensemble. Les investissements colossaux des nouvelles routes de la soie, dans les secteurs de l'énergie et des infrastructures, mais aussi l'annonce d'investissements massifs dans la santé et l'éducation, sont présentés comme une chance donnée au Pakistan de stimuler sa croissance et d'entrer dans la modernité. Le projet marque une pause, mais les Chinois sont là et le Pakistan est heureux de faire partie de cette stratégie, même s'il y a un coût - le piège de la dette, en particulier.
Le Cachemire est une question centrale. Une paix durable est souhaitable, des escarmouches peuvent avoir des conséquences graves ; le cessez-le-feu actuel semble tenir, ce n'est pas le premier mais c'est positif. Les Pakistanais donnent des signes qu'il y a du mouvement, on reconnait qu'il y a des contacts parallèles entre les deux pays, sachant que pour l'Inde aussi des questions sécuritaires se posent. Une paix durable est-elle possible ? Oui, à condition de négociations bilatérales très sérieuses et de bonne foi, alors qu'elles sont souvent un moyen de blâmer l'autre partie. Nous nous efforçons constamment de promouvoir cet objectif : nous avons organisé dans ce sens des conférences franco-allemandes pour montrer que des pays hier ennemis peuvent devenir amis.
La relation avec l'Afghanistan, ensuite, est très sensible. Le Pakistan se percevant très vite comme encerclé, il vise à ce que le pouvoir à Kaboul soit au minimum neutre. Les Pakistanais ont dit qu'ils ne croyaient pas à une solution militaire en Afghanistan et ils affirment avoir joué un rôle dans l'accord avec les Talibans - quelles que soient les arrière-pensées qu'on leur prête, on peut entendre qu'ils disent aller dans le bon sens. Quoiqu'il en soit, jamais les Pakistanais ne laisseront s'installer à Kaboul un pouvoir qui leur soit hostile et, dans la situation particulièrement dangereuse qui est celle de l'Afghanistan, le Pakistan est incontournable, ce d'autant qu'il demande à être associé - en particulier chaque fois que l'Inde est présente, c'est un jeu constant d'influence.
Je ne saurais vous répondre sur les problèmes posés à la sécurité intérieure par les mineurs isolés venus du Pakistan. Cependant, il est clair que les vidéos jouent un rôle dans la radicalisation et le passage à l'acte. Nous travaillons au quotidien avec les autorités pakistanaises sur les questions d'immigration, pour la vérification des papiers dans la procédure de visas et nous avons bien l'intention de poursuivre cette coopération. Cependant, pour les autorités pakistanaises, l'émigration est aussi une façon de traiter les problèmes de l'emploi, le roman de l'émigration heureuse en Occident pour y travailler est encore tout à fait actuel.
Le 15 avril dernier, vous envoyiez un message urgent à nos compatriotes au Pakistan, leur recommandant de quitter le pays provisoirement par les lignes aériennes. L'an passé, il y avait officiellement 445 Français résidents, contre 525 en 2019, le pays comptait 35 entreprises françaises, et nous y avons également des emprises dont trois alliances françaises et deux consulats. Comment assurez-vous la sécurité de nos compatriotes et de nos emprises ? Le réseau d'ilotiers a-t-il été revu ? La plateforme Ariane est-elle utilisée ?
Je tiens à vous exprimer toute ma gratitude et mon soutien face aux menaces qui pèsent sur vous et vos équipes. Où en sont nos relations avec le Pakistan sur le plan de la coopération en matière de défense, de lutte contre le terrorisme et de sûreté nucléaire ?
Pour m'être rendue au Pakistan dans le cadre de notre rapport sur les nouvelles routes de la soie, je m'inquiète vivement des conséquences que peuvent avoir l'interdiction du TLP et l'arrestation de ses dirigeants : comment voyez-vous les choses sur le plan intérieur ? Comme parlementaire femme, ensuite, je m'inquiète de l'avenir des relations tissées dans le cadre de nos équipements culturels, en particulier les alliances françaises, avec les Pakistanaises : qu'en pensez-vous ?
Quelle est la position des autorités pakistanaises sur le boycott des produits français ? Le ministre du commerce s'est désolidarisé de cette campagne antifrançaise, pensez-vous qu'il ait à craindre pour sa sécurité ? Vous avez appelé nos ressortissants à quitter le pays et rapatrié une quinzaine de personnels diplomatiques, c'est que la situation est grave : comment pensez-vous possible de l'apaiser ? Enfin, quelles sont les relations du Pakistan avec Washington ?
La menace tient d'abord à des manifestations qui tourneraient mal, les autorités pakistanaises sont parvenues à les contrôler jusqu'à aujourd'hui, sans conséquence pour le périmètre de nos emprises. Nous recommandons bien sûr à nos ressortissants de se tenir à l'écart de toute manifestation publique. Ensuite, nous subissons la menace d'attentats : les services font tout pour les prévenir, mais le risque existe toujours, d'autant qu'un mouvement terroriste pakistanais, le TTP, a apporté son soutien au TLP. Nous faisons face également au risque de l'attaque isolée contre un compatriote ou un établissement français ; c'est arrivé il y a peu, quand un individu de province, venu roder devant l'enclave de l'ambassade, s'est saisi d'une arme qui n'était pas surveillée et a tiré en l'air pour « donner une leçon » ; il a été maitrisé, mais cela montre que de tels actes isolés sont possibles.
C'est pourquoi, après les manifestations exaltées du 15 avril dernier, il a été conseillé aux Français de quitter le pays provisoirement : c'est la meilleure protection qu'on puisse imaginer. Nous avons revu notre réseau d'ilotiers, ils disposent d'un matériel de communication pour le contact avec l'ambassade, nous avons vérifié que tout était opérationnel.
Le dispositif Ariane est destiné aux Français de passage, cet outil est géré depuis Paris, pas depuis le poste diplomatique.
Le rappel des personnels du poste fait partie des mesures d'usage lorsque c'est nécessaire, on protège mieux un plus petit nombre de personnes, notamment en limitant ainsi les circulations.
En matière de coopération de défense, les contacts de haut niveau ont été interrompus, mais des échanges techniques demeurent. Quant au programme nucléaire civil, nous n'en sommes pas partie prenante, même si les questions de sûreté nucléaire nous intéressent nécessairement.
L'interdiction du TLP a été suivie d'arrestations et de la suppression de comptes internet, en particulier quand il y a eu des menaces de mort - dans ces cas, du reste, une intervention auprès des entreprises de réseau social suffit.
Les alliances françaises étaient déjà fermées avant la mi-avril, à cause du Covid--19, elles poursuivent des cours en ligne. Nous avons pris des mesures en coordination avec le conseil d'administration des alliances françaises. Il n'y a plus de cours et nous avons demandé une protection des locaux aux autorités pakistanaises qui nous l'ont accordée. Cependant, les alliances ont reçu des messages de menace, très agressifs.
Le boycott des produits français a été décidé par des organisations professionnelles pakistanaises, il n'a jamais été soutenu par le Gouvernement pakistanais, nous avons entrepris une démarche auprès du ministre du commerce pakistanais pour qu'il se dissocie clairement de cette campagne, car elle porte atteinte à nos entreprises - avec à certains moments une perte de chiffre d'affaires qui a pu atteindre 80 %. Le Gouvernement pakistanais ne s'est pas dissocié du boycott, le Premier ministre a dit qu'il était d'accord avec l'objectif défendu par le TLP, mais pas avec les méthodes, ce message était visiblement destiné à calmer les esprits échauffés. Il avance prudemment sur un chemin de crête difficile à tenir, tant le blasphème est une question sensible au Pakistan - des personnalités de premier plan ont été assassinées pour ce motif, en particulier le ministre des minorités, en mars 2011, mais je ne crois pas que la sécurité de l'actuel Premier ministre soit menacée.
Comment calmer les choses ? Il faut que les déclarations hostiles des dirigeants pakistanais cessent, ceci envers plusieurs pays européens. Ensuite, il faut que cette résolution du Parlement pakistanais soit écartée définitivement. Nous pourrons rétablir la confiance, mais il y a encore du chemin à parcourir. J'ai senti, dans les arguments et la tonalité des propos récents, une attitude moins hostile et plus affable, comme si l'on nous demandait de prendre patience et d'avoir confiance dans le Gouvernement, qui refusera le boycott et le renvoi.
Avec les États-Unis, le Pakistan constate qu'il devient utile pour les négociations afghanes, mais déplore que, depuis trois ans, les Américains n'aient pas nommé d'ambassadeur à Islamabad, étant représentés seulement par un chargé d'affaires. Malgré des hauts et des bas, la relation avec les États-Unis demeure essentielle pour le Pakistan, qui a longtemps été défini comme le pays des trois A - pour Allah, Armée et Amérique... Cependant, l'aide civile militaire américaine a été interrompue ; les Américains s'interrogent sur la fiabilité des Pakistanais qui, eux, ont le sentiment d'intéresser pour leur influence sur leurs voisins, plutôt que d'être considérés pour eux-mêmes - on comprend qu'il est difficile, dans ces conditions, de définir des objectifs communs.
Merci d'avoir accepté cette audition, nous sommes convaincus que la relation entre la France et le Pakistan mérite mieux que ce que nous imposent ces agitations partisanes. Je vous renouvelle notre soutien et notre confiance, à vous-mêmes et à l'ensemble du poste diplomatique, dans ces moments difficiles. Nous essaierons d'user de notre modeste influence - le chargé d'affaires du Pakistan a demandé à me rencontrer et je vais lui donner satisfaction.
Mes chers collègues, comme chaque année, il me revient de tirer le bilan de l'application des lois entrant dans le champ de compétence de notre commission, pour la session 2019-2020. Cette session n'a vu la promulgation d'aucune loi dans les secteurs de compétence de notre commission, au-delà de 14 lois ratifiant des accords internationaux.
Pour les 3 lois adoptées au cours des sessions précédentes, elles ont un taux d'application élevé ; 92 %, pour la LPM du 13 juillet 2018 pour les années 2019 à 2025 (deux arrêtés attendus) et 83 % pour les deux autres lois, à savoir la loi du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'État (un décret attendu) et la LPM de 2009 pour les années 2009 à 2014 (un arrêté encore attendu).
14 décrets en Conseil d'État, un décret simple ainsi que deux arrêtés ont été pris pour l'application de la LPM actuelle. Il ne manque donc plus que deux arrêtés, tous deux ayant pour objet de définir les moyens techniques d'immobilisation des moyens de transport, selon qu'ils sont à l'usage des militaires déployés sur le territoire ou des militaires chargés de la protection des installations militaires.
Un échange avec la direction des Affaires juridiques du Ministère des Armées a permis de comprendre les raisons de la non-parution de ces arrêtés : l'article 41 de la loi de programmation militaire, sur la base duquel les arrêtés auraient dû être pris, est entaché d'une « malfaçon » qui sera corrigée par l'article 26 de la proposition de loi pour une sécurité globale, adoptée par le Parlement et en cours d'examen par le Conseil constitutionnel.
Avec 8 ordonnances publiées sur ce texte pendant la période considérée, nous avons désormais reçu toutes les ordonnances attendues et il faut signaler que les projets de loi autorisant la ratification de ces ordonnances ont également été déposés. Une ordonnance a été ratifiée (l'ordonnance n° 2020-7 du 6 janvier 2020 relative à la prise en compte des besoins de la défense nationale en matière de participation et de consultation du public, d'accès à l'information et d'urbanisme) a été ratifiée par le paragraphe IV de l'article 47 de la loi 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique.
Toujours sur la LPM 2019-2025, la commission a reçu trois rapports : les deux bilans semestriels de l'exécution de la programmation militaire en application de l'article 10 ainsi que le 30 juin 2020, le bilan annuel opérationnel et financier relatif aux opérations extérieures et missions intérieures en cours, en application de l'article 4.
En conclusion, mes chers collègues, pour notre commission, on peut considérer que l'application des lois que nous suivons est globalement satisfaisante sur le plan purement réglementaire.
Reste que le plus important, c'est le respect de la trajectoire financière et la remontée capacitaire, pour laquelle nous nourrissons de vraies inquiétudes. Or les réponses dilatoires du Gouvernement ne sont pas de nature à nous rassurer.
La réunion est close à 11 h 45.