Intervention de Marc Baréty

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 5 mai 2021 à 10h00
Audition de M. Marc Baréty ambassadeur de france au pakistan

Marc Baréty, ambassadeur de France au Pakistan :

La menace tient d'abord à des manifestations qui tourneraient mal, les autorités pakistanaises sont parvenues à les contrôler jusqu'à aujourd'hui, sans conséquence pour le périmètre de nos emprises. Nous recommandons bien sûr à nos ressortissants de se tenir à l'écart de toute manifestation publique. Ensuite, nous subissons la menace d'attentats : les services font tout pour les prévenir, mais le risque existe toujours, d'autant qu'un mouvement terroriste pakistanais, le TTP, a apporté son soutien au TLP. Nous faisons face également au risque de l'attaque isolée contre un compatriote ou un établissement français ; c'est arrivé il y a peu, quand un individu de province, venu roder devant l'enclave de l'ambassade, s'est saisi d'une arme qui n'était pas surveillée et a tiré en l'air pour « donner une leçon » ; il a été maitrisé, mais cela montre que de tels actes isolés sont possibles.

C'est pourquoi, après les manifestations exaltées du 15 avril dernier, il a été conseillé aux Français de quitter le pays provisoirement : c'est la meilleure protection qu'on puisse imaginer. Nous avons revu notre réseau d'ilotiers, ils disposent d'un matériel de communication pour le contact avec l'ambassade, nous avons vérifié que tout était opérationnel.

Le dispositif Ariane est destiné aux Français de passage, cet outil est géré depuis Paris, pas depuis le poste diplomatique.

Le rappel des personnels du poste fait partie des mesures d'usage lorsque c'est nécessaire, on protège mieux un plus petit nombre de personnes, notamment en limitant ainsi les circulations.

En matière de coopération de défense, les contacts de haut niveau ont été interrompus, mais des échanges techniques demeurent. Quant au programme nucléaire civil, nous n'en sommes pas partie prenante, même si les questions de sûreté nucléaire nous intéressent nécessairement.

L'interdiction du TLP a été suivie d'arrestations et de la suppression de comptes internet, en particulier quand il y a eu des menaces de mort - dans ces cas, du reste, une intervention auprès des entreprises de réseau social suffit.

Les alliances françaises étaient déjà fermées avant la mi-avril, à cause du Covid--19, elles poursuivent des cours en ligne. Nous avons pris des mesures en coordination avec le conseil d'administration des alliances françaises. Il n'y a plus de cours et nous avons demandé une protection des locaux aux autorités pakistanaises qui nous l'ont accordée. Cependant, les alliances ont reçu des messages de menace, très agressifs.

Le boycott des produits français a été décidé par des organisations professionnelles pakistanaises, il n'a jamais été soutenu par le Gouvernement pakistanais, nous avons entrepris une démarche auprès du ministre du commerce pakistanais pour qu'il se dissocie clairement de cette campagne, car elle porte atteinte à nos entreprises - avec à certains moments une perte de chiffre d'affaires qui a pu atteindre 80 %. Le Gouvernement pakistanais ne s'est pas dissocié du boycott, le Premier ministre a dit qu'il était d'accord avec l'objectif défendu par le TLP, mais pas avec les méthodes, ce message était visiblement destiné à calmer les esprits échauffés. Il avance prudemment sur un chemin de crête difficile à tenir, tant le blasphème est une question sensible au Pakistan - des personnalités de premier plan ont été assassinées pour ce motif, en particulier le ministre des minorités, en mars 2011, mais je ne crois pas que la sécurité de l'actuel Premier ministre soit menacée.

Comment calmer les choses ? Il faut que les déclarations hostiles des dirigeants pakistanais cessent, ceci envers plusieurs pays européens. Ensuite, il faut que cette résolution du Parlement pakistanais soit écartée définitivement. Nous pourrons rétablir la confiance, mais il y a encore du chemin à parcourir. J'ai senti, dans les arguments et la tonalité des propos récents, une attitude moins hostile et plus affable, comme si l'on nous demandait de prendre patience et d'avoir confiance dans le Gouvernement, qui refusera le boycott et le renvoi.

Avec les États-Unis, le Pakistan constate qu'il devient utile pour les négociations afghanes, mais déplore que, depuis trois ans, les Américains n'aient pas nommé d'ambassadeur à Islamabad, étant représentés seulement par un chargé d'affaires. Malgré des hauts et des bas, la relation avec les États-Unis demeure essentielle pour le Pakistan, qui a longtemps été défini comme le pays des trois A - pour Allah, Armée et Amérique... Cependant, l'aide civile militaire américaine a été interrompue ; les Américains s'interrogent sur la fiabilité des Pakistanais qui, eux, ont le sentiment d'intéresser pour leur influence sur leurs voisins, plutôt que d'être considérés pour eux-mêmes - on comprend qu'il est difficile, dans ces conditions, de définir des objectifs communs.

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