Intervention de Marine de Montaignac

Mission d'information Égalité des chances — Réunion du 26 mai 2021 à 16h45
Audition de M. Louis Schweitzer président du comité d'évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté

Marine de Montaignac :

Nous allons vous parler du suivi de la mise en oeuvre et de l'état de connaissance en matière de l'évaluation de la stratégie. Je vous propose également de vous donner une vue d'ensemble sur les 35 mesures de la stratégie, puisque plusieurs s'appliquent également au public qui vous intéresse.

Cette présentation s'appuie sur des éléments du rapport du comité d'évaluation publié début avril.

Le comité a publié tout d'abord une note d'étape en mars 2020, dans laquelle il avait précisé comment il procéderait pour son évaluation. Il avait ainsi indiqué que, pour les 35 mesures de la stratégie qu'il avait recensées, il s'attacherait, d'une part, à suivre leur mise en oeuvre et à évaluer l'effet de chacune des mesures, et d'autre part à procéder à l'évaluation de la stratégie dans son ensemble, sur la pauvreté et les objectifs visés. Il a également décidé d'évaluer la démarche adoptée pour mettre en oeuvre les mesures de la stratégie sur les territoires, qui en représentent un axe fort.

Le comité programme des travaux d'évaluation, s'appuie sur des travaux menés par les administrations ou par la délégation interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté (DIPLP), et, pour les dispositifs comme le plan d'investissement dans les compétences (PIC) pour lesquels un comité scientifique d'évaluation sera mis en place, sur les conclusions de ces évaluations.

Je vous rappelle tout d'abord que l'évaluation nécessite du temps : il est trop tôt pour évaluer les effets des mesures. Toutes ne sont pas pleinement montées en charge. Il existe un délai pour qu'elles produisent des effets et pour pouvoir disposer des données. Le comité soulève à ce propos le risque que les données nécessaires aux indicateurs envisagés pour évaluer leur effet ne soient pas disponibles. Le travail d'évaluation de la stratégie, nécessitant de connaître avec précision l'objet à évaluer, le comité a étudié l'état d'avancement de la mise en oeuvre des mesures à la fin 2020, soit un peu plus de deux ans après son lancement.

Sur les 35 mesures que le comité a recensées, quatre sont pleinement mises en oeuvre. C'est le cas, par exemple, de la revalorisation de la prime d'activité. Deux mesures ont été abandonnées : celle concernant le soutien aux collectivités dans 60 quartiers prioritaires de la ville (QPV) avec deux adultes par classe de maternelle, fusionné avec le dispositif des cités éducatives, et celle qui correspondait à une expérimentation relative aux opérations et modalités de la Garantie jeunes qui reposait sur une initiative du plan d'investissement dans les compétences.

Pour les autres mesures, l'état d'avancement est très inégal. Par exemple, l'objectif de création de places de crèches bénéficiant du bonus mixité était presque atteint fin 2019, tandis qu'aucune formation des professionnels de la petite enfance ou des travailleurs sociaux prévue dans la stratégie n'a eu lieu en 2020. Il faut souligner également l'interruption de la concertation sur le revenu universel d'activité depuis le premier confinement de mars 2020, qui n'a pas repris ensuite. À ce stade, seul un rapport technique sur le sujet doit être réalisé à l'automne. Pour une autre mesure phare de la stratégie, le service public de l'insertion et de l'emploi, la mise en place en a été retardée afin d'en dessiner les contours, et permettre l'appui sur des expérimentations territoriales sur la base d'appel à volontariat pour son déploiement.

Deux mesures ont vu leurs objectifs revus à la baisse : le nombre de travailleurs sociaux formés - avec un ciblage sur ceux qui sont en contact avec des publics en situation de précarité ce qui fait passer le nombre de 700 000 annoncé dans la stratégie à 100 000 personnes - ainsi que le nombre de centres sociaux à ouvrir dans les quartiers prioritaires.

À l'inverse, cinq mesures ont été renforcées pour répondre à la crise en 2020, comme le complément de l'obligation de formation des jeunes de 16 à 18 ans par le dispositif de la « promo 16-18 » mis en oeuvre par l'AFPA, l'extension de la Garantie jeunes et des allocations « parcours d'accompagnement contractualisé vers l'emploi et l'autonomie (PACEA) » ou encore des mesures supplémentaires en faveur de l'insertion par l'activité économique.

Deux mesures ont été repriorisées : celle sur l'automatisation pour les demandes de droits sociaux et celle sur la prévention des expulsions dans le cadre du plan « logement d'abord ». Ces mesures ne semblaient pas avoir beaucoup avancé jusqu'alors.

Ainsi, la grande majorité des mesures ont été lancées. Le comité constate des retards dans la mise en oeuvre de la stratégie, en partie liés à la crise sanitaire et au fait qu'en 2020, notamment de mars à juin, la priorité de la DIPLP et des administrations en charge de la mise en oeuvre des mesures a été la gestion de la crise. Mais pour le comité - le comité citoyen l'a également signalé et le président Schweitzer en a parlé - le suivi de la mise en oeuvre n'est pas satisfaisant et il manque à ce jour un tableau de bord qui permettrait d'avoir une vision globale de la mise en oeuvre de la stratégie à mi-parcours, et une vision précise de son déploiement dans les territoires.

Concernant l'évaluation de l'effet des mesures, il est trop tôt pour y procéder. Pour certaines mesures, on dispose déjà de tous premiers résultats. Il y en aura davantage en cours d'année 2021, par exemple pour la revalorisation de la prime d'activité. Pour d'autres mesures - soit parce qu'elles ne sont pas encore très avancées, soit parce que leurs effets ne sont pas encore visibles - les résultats seront disponibles à compter de 2022, ce qui suppose que l'évaluation se poursuive au-delà de l'horizon de déploiement de la stratégie. Le comité a par ailleurs dressé l'état des lieux de la disponibilité des indicateurs d'évaluation qu'il avait sélectionnés et souligne le risque que les données nécessaires pour évaluer l'effet des mesures ne soient pas disponibles pour certaines d'entre elles.

Concernant l'évaluation de l'atteinte des objectifs globaux, le comité, avec son évaluation, souhaite évaluer l'effet de la stratégie sur la pauvreté et les objectifs fixés. L'évolution des indicateurs sur les grandes thématiques donne pour le moment une vision de la situation avant la mise en place de la stratégie, sauf pour les mesures en matière d'emploi et d'éducation, où des valeurs plus récentes sont disponibles, mais ne peuvent être reliées à la mise en oeuvre de la stratégie.

Toujours sur le même sujet, selon une simulation réalisée par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), avec le modèle de micro-simulation Ines selon certaines hypothèses, la revalorisation de la prime d'activité aurait eu un fort impact sur le taux de pauvreté. Toutefois, il faut noter que cette réforme ne concerne que les personnes percevant des revenus d'activité supérieurs à 50 % du Smic mensuel. Cette estimation sera complétée par une évaluation des effets de cette revalorisation sur la pauvreté monétaire, après prise en compte de ses effets sur les comportements d'activité. Cette étude est réalisée actuellement par l'Institut des politiques publiques à la demande du comité d'évaluation.

Enfin, et c'est le dernier point concernant l'évaluation, le comité s'attache également à évaluer la gouvernance. Les premiers résultats reposent en grande partie sur l'audition de 14 des 18 commissaires à la lutte contre la pauvreté, dont trois issus des départements d'outre-mer, et on peut dire à ce stade que l'organisation prévue pour piloter la stratégie est bien mise en place. Les moyens financiers annoncés ont été confirmés, rendant ainsi crédible l'engagement de l'État vis-à-vis des collectivités. Toutefois, le comité souligne un point d'alerte important, sur le soutien politique qui reste insuffisant pour donner à la délégation qui en a la charge les moyens d'une coordination interministérielle et d'un pilotage propre, à garantir un niveau de mise en oeuvre à la hauteur des ambitions nationales.

L'une des nouveautés introduites dans la stratégie est la mise en oeuvre de contrats entre l'État et les départements. Les commissaires auditionnés sont plutôt positifs sur cette contractualisation, qui aurait permis de renouer un dialogue sur les objectifs et les moyens de compétence décentralisée depuis de nombreuses années, ainsi que sur le fait que le suivi d'indicateurs engagerait les départements sur la voie de l'évaluation de la performance. Elle met aussi à jour le déficit des systèmes d'information des départements.

Enfin, en ce qui concerne la participation des personnes concernées, qui était un axe fort de la stratégie, elle reste, au vu des retours sur le sujet, et notamment de la part du cinquième collège du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE), pour le moment inférieure aux ambitions. Mais il est trop tôt pour en mesurer les effets, y compris parce que la crise a créé un décalage sur les conventions et les remontées d'indicateurs. Une recherche évaluative des laboratoires Arènes et un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales sur la contractualisation, prévus pour 2021, permettront d'en savoir plus pour le prochain rapport du comité.

L'évaluation est un exercice sur le temps long. Il est encore trop tôt pour mesurer les effets des stratégies qui, pour la plupart, ne pourront être évaluées avant 2022. Cela suppose que l'évaluation se poursuive au-delà de l'horizon de déploiement de la stratégie.

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