Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir M. Louis Schweitzer, président du comité d'évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Vous êtes accompagné de Mme Marine de Montaignac, rapporteure du comité d'évaluation. Je vous remercie de votre présence.
Je vous propose de rentrer dans le vif du sujet avec un propos liminaire avant de répondre aux questions.
Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir M. Louis Schweitzer, président du comité d'évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Vous êtes accompagné de Mme Marine de Montaignac, rapporteure du comité d'évaluation. Je vous remercie de votre présence.
Je vous propose de rentrer dans le vif du sujet avec un propos liminaire avant de répondre aux questions.
Mesdames et messieurs les sénatrices et les sénateurs, mon exposé sera complété par Marine de Montaignac.
Je commence par quelques mots sur la stratégie de lutte contre la pauvreté. Elle a été annoncée à l'automne 2018. Le comité d'évaluation a été créé à l'automne 2019. Il a publié une première note en mars 2020, une note sur les premiers effets de la covid à l'automne 2020 et un premier « vrai » rapport en mars 2021. Nous ferons, par la suite, une nouvelle note sur l'impact de la covid sur la lutte contre la pauvreté à l'automne 2021 en espérant que la crise sanitaire sera derrière nous et que nous serons en état d'en mesurer les effets. Nous ferons un nouveau rapport annuel à la fin du printemps 2022, après la période électorale.
En France, il existe un accord universel sur l'égalité des droits et il est parfaitement établi dans les textes. Les discriminations montrent que quelques pas restent à accomplir pour aboutir à l'égalité des droits dans les faits. L'égalité des chances fait aussi l'objet d'un accord général sur le plan des principes, mais dont tout le monde s'accorde à reconnaître qu'elle n'est pas encore effective. L'égalité des situations, en revanche, ne fait pas l'objet d'un accord de principe. Mais une trop forte inégalité des situations rend impossible une réelle égalité des chances. C'est là où la stratégie de lutte contre la pauvreté rencontre les préoccupations de votre mission, puisque la pauvreté compromet l'égalité des chances. Des exemples caricaturaux, comme l'accès aux grandes écoles, l'illustrent, mais on constate, à tous les niveaux, une corrélation entre le parcours futur et les origines. Toutefois, la France est, sur ce plan, mieux placée que les États-Unis, où le mythe de l'égalité des chances existe, mais où elle a moins de réalité qu'en France.
Dans notre rapport, nous avons pour mission d'évaluer la mise en oeuvre effective de la stratégie de lutte contre la pauvreté, telle qu'elle a été définie par le Gouvernement. Elle comporte des mesures, d'une part en faveur de l'enfance et de l'adolescence pour assurer l'égalité des chances et, d'autre part, une série de mesures pour assurer l'accès à l'emploi et aux droits.
Nous avons ajouté un troisième volet dans notre évaluation : le respect de l'engagement d'éliminer la grande pauvreté, qu'a pris la France devant l'Organisation des nations unies (ONU). Au demeurant, et paradoxalement, les situations de grande pauvreté ne sont pas encore parfaitement définies en droit alors même qu'on a fixé un calendrier pour 2030. Si on estime que cette grande pauvreté consiste en un revenu par unité de consommation inférieur à la moitié du revenu médian accompagné de privations matérielles mesurées, on voit bien que, si la famille se trouve dans cette situation, l'enfant n'aura pas les mêmes chances, quoi que vous fassiez pour lui, qu'un enfant grandissant dans une famille plus favorisée. La lutte contre la grande pauvreté est donc un des éléments de l'égalité des chances des jeunes et des enfants.
La première mission de notre comité était de voir la mise en oeuvre effective de la stratégie annoncée par le Gouvernement. Marine de Montaignac va vous en faire une présentation. Auparavant, je voudrais vous dire que le comité a constaté, avec un certain chagrin, que les instruments de suivi de la mise en oeuvre effective de la stratégie, préalable à l'évaluation de son efficacité qui est notre mission première, étaient incomplets, tardifs et peu cohérents. Nous menons, malgré cela, une action de suivi.
Marine de Montaignac va vous exposer le suivi des mesures qui intéressent spécifiquement le comité, puis je dirai quelques mots de la mesure particulière concernant la garantie de ressource des jeunes de 18 à 24 ans.
Nous allons vous parler du suivi de la mise en oeuvre et de l'état de connaissance en matière de l'évaluation de la stratégie. Je vous propose également de vous donner une vue d'ensemble sur les 35 mesures de la stratégie, puisque plusieurs s'appliquent également au public qui vous intéresse.
Cette présentation s'appuie sur des éléments du rapport du comité d'évaluation publié début avril.
Le comité a publié tout d'abord une note d'étape en mars 2020, dans laquelle il avait précisé comment il procéderait pour son évaluation. Il avait ainsi indiqué que, pour les 35 mesures de la stratégie qu'il avait recensées, il s'attacherait, d'une part, à suivre leur mise en oeuvre et à évaluer l'effet de chacune des mesures, et d'autre part à procéder à l'évaluation de la stratégie dans son ensemble, sur la pauvreté et les objectifs visés. Il a également décidé d'évaluer la démarche adoptée pour mettre en oeuvre les mesures de la stratégie sur les territoires, qui en représentent un axe fort.
Le comité programme des travaux d'évaluation, s'appuie sur des travaux menés par les administrations ou par la délégation interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté (DIPLP), et, pour les dispositifs comme le plan d'investissement dans les compétences (PIC) pour lesquels un comité scientifique d'évaluation sera mis en place, sur les conclusions de ces évaluations.
Je vous rappelle tout d'abord que l'évaluation nécessite du temps : il est trop tôt pour évaluer les effets des mesures. Toutes ne sont pas pleinement montées en charge. Il existe un délai pour qu'elles produisent des effets et pour pouvoir disposer des données. Le comité soulève à ce propos le risque que les données nécessaires aux indicateurs envisagés pour évaluer leur effet ne soient pas disponibles. Le travail d'évaluation de la stratégie, nécessitant de connaître avec précision l'objet à évaluer, le comité a étudié l'état d'avancement de la mise en oeuvre des mesures à la fin 2020, soit un peu plus de deux ans après son lancement.
Sur les 35 mesures que le comité a recensées, quatre sont pleinement mises en oeuvre. C'est le cas, par exemple, de la revalorisation de la prime d'activité. Deux mesures ont été abandonnées : celle concernant le soutien aux collectivités dans 60 quartiers prioritaires de la ville (QPV) avec deux adultes par classe de maternelle, fusionné avec le dispositif des cités éducatives, et celle qui correspondait à une expérimentation relative aux opérations et modalités de la Garantie jeunes qui reposait sur une initiative du plan d'investissement dans les compétences.
Pour les autres mesures, l'état d'avancement est très inégal. Par exemple, l'objectif de création de places de crèches bénéficiant du bonus mixité était presque atteint fin 2019, tandis qu'aucune formation des professionnels de la petite enfance ou des travailleurs sociaux prévue dans la stratégie n'a eu lieu en 2020. Il faut souligner également l'interruption de la concertation sur le revenu universel d'activité depuis le premier confinement de mars 2020, qui n'a pas repris ensuite. À ce stade, seul un rapport technique sur le sujet doit être réalisé à l'automne. Pour une autre mesure phare de la stratégie, le service public de l'insertion et de l'emploi, la mise en place en a été retardée afin d'en dessiner les contours, et permettre l'appui sur des expérimentations territoriales sur la base d'appel à volontariat pour son déploiement.
Deux mesures ont vu leurs objectifs revus à la baisse : le nombre de travailleurs sociaux formés - avec un ciblage sur ceux qui sont en contact avec des publics en situation de précarité ce qui fait passer le nombre de 700 000 annoncé dans la stratégie à 100 000 personnes - ainsi que le nombre de centres sociaux à ouvrir dans les quartiers prioritaires.
À l'inverse, cinq mesures ont été renforcées pour répondre à la crise en 2020, comme le complément de l'obligation de formation des jeunes de 16 à 18 ans par le dispositif de la « promo 16-18 » mis en oeuvre par l'AFPA, l'extension de la Garantie jeunes et des allocations « parcours d'accompagnement contractualisé vers l'emploi et l'autonomie (PACEA) » ou encore des mesures supplémentaires en faveur de l'insertion par l'activité économique.
Deux mesures ont été repriorisées : celle sur l'automatisation pour les demandes de droits sociaux et celle sur la prévention des expulsions dans le cadre du plan « logement d'abord ». Ces mesures ne semblaient pas avoir beaucoup avancé jusqu'alors.
Ainsi, la grande majorité des mesures ont été lancées. Le comité constate des retards dans la mise en oeuvre de la stratégie, en partie liés à la crise sanitaire et au fait qu'en 2020, notamment de mars à juin, la priorité de la DIPLP et des administrations en charge de la mise en oeuvre des mesures a été la gestion de la crise. Mais pour le comité - le comité citoyen l'a également signalé et le président Schweitzer en a parlé - le suivi de la mise en oeuvre n'est pas satisfaisant et il manque à ce jour un tableau de bord qui permettrait d'avoir une vision globale de la mise en oeuvre de la stratégie à mi-parcours, et une vision précise de son déploiement dans les territoires.
Concernant l'évaluation de l'effet des mesures, il est trop tôt pour y procéder. Pour certaines mesures, on dispose déjà de tous premiers résultats. Il y en aura davantage en cours d'année 2021, par exemple pour la revalorisation de la prime d'activité. Pour d'autres mesures - soit parce qu'elles ne sont pas encore très avancées, soit parce que leurs effets ne sont pas encore visibles - les résultats seront disponibles à compter de 2022, ce qui suppose que l'évaluation se poursuive au-delà de l'horizon de déploiement de la stratégie. Le comité a par ailleurs dressé l'état des lieux de la disponibilité des indicateurs d'évaluation qu'il avait sélectionnés et souligne le risque que les données nécessaires pour évaluer l'effet des mesures ne soient pas disponibles pour certaines d'entre elles.
Concernant l'évaluation de l'atteinte des objectifs globaux, le comité, avec son évaluation, souhaite évaluer l'effet de la stratégie sur la pauvreté et les objectifs fixés. L'évolution des indicateurs sur les grandes thématiques donne pour le moment une vision de la situation avant la mise en place de la stratégie, sauf pour les mesures en matière d'emploi et d'éducation, où des valeurs plus récentes sont disponibles, mais ne peuvent être reliées à la mise en oeuvre de la stratégie.
Toujours sur le même sujet, selon une simulation réalisée par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), avec le modèle de micro-simulation Ines selon certaines hypothèses, la revalorisation de la prime d'activité aurait eu un fort impact sur le taux de pauvreté. Toutefois, il faut noter que cette réforme ne concerne que les personnes percevant des revenus d'activité supérieurs à 50 % du Smic mensuel. Cette estimation sera complétée par une évaluation des effets de cette revalorisation sur la pauvreté monétaire, après prise en compte de ses effets sur les comportements d'activité. Cette étude est réalisée actuellement par l'Institut des politiques publiques à la demande du comité d'évaluation.
Enfin, et c'est le dernier point concernant l'évaluation, le comité s'attache également à évaluer la gouvernance. Les premiers résultats reposent en grande partie sur l'audition de 14 des 18 commissaires à la lutte contre la pauvreté, dont trois issus des départements d'outre-mer, et on peut dire à ce stade que l'organisation prévue pour piloter la stratégie est bien mise en place. Les moyens financiers annoncés ont été confirmés, rendant ainsi crédible l'engagement de l'État vis-à-vis des collectivités. Toutefois, le comité souligne un point d'alerte important, sur le soutien politique qui reste insuffisant pour donner à la délégation qui en a la charge les moyens d'une coordination interministérielle et d'un pilotage propre, à garantir un niveau de mise en oeuvre à la hauteur des ambitions nationales.
L'une des nouveautés introduites dans la stratégie est la mise en oeuvre de contrats entre l'État et les départements. Les commissaires auditionnés sont plutôt positifs sur cette contractualisation, qui aurait permis de renouer un dialogue sur les objectifs et les moyens de compétence décentralisée depuis de nombreuses années, ainsi que sur le fait que le suivi d'indicateurs engagerait les départements sur la voie de l'évaluation de la performance. Elle met aussi à jour le déficit des systèmes d'information des départements.
Enfin, en ce qui concerne la participation des personnes concernées, qui était un axe fort de la stratégie, elle reste, au vu des retours sur le sujet, et notamment de la part du cinquième collège du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE), pour le moment inférieure aux ambitions. Mais il est trop tôt pour en mesurer les effets, y compris parce que la crise a créé un décalage sur les conventions et les remontées d'indicateurs. Une recherche évaluative des laboratoires Arènes et un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales sur la contractualisation, prévus pour 2021, permettront d'en savoir plus pour le prochain rapport du comité.
L'évaluation est un exercice sur le temps long. Il est encore trop tôt pour mesurer les effets des stratégies qui, pour la plupart, ne pourront être évaluées avant 2022. Cela suppose que l'évaluation se poursuive au-delà de l'horizon de déploiement de la stratégie.
Je voudrais reprendre brièvement en évoquant deux points.
Le premier est l'accompagnement. L'accompagnement des personnes aidées est un élément central de la stratégie de lutte contre la pauvreté. Et nous avons été très frappés de voir, en dialoguant avec les responsables des grandes organisations de lutte contre la pauvreté, avec le cinquième collège des personnes en situation de pauvreté du CNLE, qu'en fait, l'accompagnement faisait l'objet de jugements ambivalents. D'une part, accompagnement et contrôle étaient souvent associés, ce qui expliquait un recul ou un retrait vis-à-vis des personnes chargées de cet accompagnement. C'est évidemment le cas dans l'emploi. D'autre part, parce que l'accompagnement peut et doit être multidimensionnel. Il n'est pas seulement professionnel, tourné vers l'emploi, mais il est aussi tourné vers tous les aspects psychologiques associés à la pauvreté, à la situation familiale, etc. Le sujet de la qualification des accompagnateurs dans tous ces domaines se pose. C'est un des points que le comité suivra avec attention.
Je voudrais en venir à la situation des jeunes de 18 à 25 ans. En France, le revenu de solidarité active (RSA) n'est ouvert qu'aux jeunes ayant passé leur vingt-cinquième anniversaire. C'est une situation différente de celle qu'on trouve dans certains pays, qui ont institué de revenu de même type, et qui n'en ont pas écarté les jeunes adultes, de 18 à 25 ans. Les arguments contre l'extension du RSA aux 18-25 ans sont de deux natures : le premier est le coût de la mesure, évalué à 9 milliards d'euros en année pleine ; le second est la crainte que le fait qu'on accorde un revenu à des jeunes les détourne de rechercher un emploi.
Les études expérimentales faites dans des pays étrangers sur la question de savoir si un revenu minimum détourne de rechercher un emploi tendent plutôt à indiquer le contraire : elles n'ont pas d'effet négatif sur la recherche d'emploi, mais peuvent même avoir un effet positif parce qu'elles libèrent le jeune qui recherche un emploi. Mais il n'y a pas d'étude solide de ce type en France : nous avons désiré que la mise en oeuvre d'un tel revenu - que nous souhaitons - s'accompagne d'une étude expérimentale. Esther Duflo en a donné des méthodes. Des personnes compétentes en France peuvent faire de ce type d'évaluation en regardant ce qui se passe aux frontières des droits pour examiner si la mise en place des mesures nouvelles a ou n'a pas un effet sur la recherche d'emploi.
Le comité est allé plus loin, en proposant la mise en place d'un revenu pour les jeunes de 18 à 24 ans, mais en s'éloignant du RSA pur et simple. Nous avons proposé d'étendre à l'ensemble des jeunes un système similaire à celui des bourses. Pourquoi ? D'abord, parce que créer une distorsion entre les catégories de jeunes est moins justifié qu'à une époque où les étudiants représentaient une petite minorité d'une classe d'âge. Ce n'est plus le cas : désormais les étudiants représentent une proportion proche de la moitié d'une classe d'âge -, n'était pas justifié. Deuxièmement, le système des bourses prend en compte la capacité de bénéficier d'un soutien familial. Il nous paraît légitime de tenir compte de cette capacité de certaines familles à soutenir les jeunes, en particulier pour les plus jeunes d'entre eux. Éliminer le concept de solidarité familiale ne nous paraît ni justifié, ni souhaitable au niveau général.
Nous avons donc proposé la mise en place d'un système, dont on a défini les grands axes, qui s'inspire du système des bourses et qui consiste à donner un revenu calé au niveau maximum sur le RSA, mais qui tient compte de la capacité contributive ou de soutien familial quand il existe.
Vous avez brossé un large éventail de sujets intéressant notre mission, car elle se penche sur les inégalités, de la naissance à l'entrée dans l'âge adulte. Vous avez parlé, Madame, du premier regard porté par le comité d'évaluation sur les modes d'accueil du jeune enfant.
Vous avez raison de dire que nous manquons de recul pour disposer d'évaluations sérieuses, mais vous avez semblé indiquer que les modes d'accueil n'étaient pas suffisamment développés et vous avez évoqué la formation des personnes en charge de ces jeunes enfants. De nos auditions, et plus particulièrement celles sur la petite enfance - ma collègue Michelle Meunier qui est très qualifiée sur le sujet pourra en parler mieux que moi - il ressort que les personnels chargés d'accueillir ces très jeunes enfants ne sont pas suffisamment formés. Faites-vous le même constat ? Auriez-vous des préconisations ?
Une mesure prévoyait la mise en place de formations et la formation professionnelle de la petite enfance. À ce jour, ce qui a été prévu pour 2020 n'a pas été mis en place, sans doute en partie à cause de la crise mais aussi parce que l'organisation n'était pas suffisamment aboutie pour que ces formations puissent se tenir.
Pour ce qui est du manque de déploiement des modes d'accueil, la réponse sera la même. Je vous ai dressé un état des lieux à partir des informations dont nous disposions, qui vous donne une idée de l'avancement de la mise en oeuvre des mesures prévues par le Gouvernement dans sa stratégie. Je ne porterai pas de jugement pour savoir si cette mesure est plus ou moins bien calibrée. Il est d'ailleurs bien trop tôt pour pouvoir tirer des conclusions.
Il est évident que la crise sanitaire a empêché d'exercer à grande échelle le programme de formation. Néanmoins, on aurait pu expérimenter, valider à plus petite échelle des plans de formation pour pouvoir les mettre en oeuvre à grande échelle, après avoir testé leur efficacité sur une échelle plus réduite. À notre connaissance, cela n'a pas été fait.
Un référentiel de formation a été publié par le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge, tel que prévu par la mesure, et des actions d'ingénierie de formation ont été réalisées.
Monsieur le président, vous venez de dire, dans votre présentation, que la mise en oeuvre et le suivi de la stratégie de lutte contre la pauvreté reste imparfaite. Selon vous, cela vient-il des mesures du plan elles-mêmes, du pilotage et de la gouvernance, ou bien est-ce une question de moyens ?
Je me dégage ici des questions de la petite enfance que Monique Lubin a soulevées. Sur ce point, je confirme que nous avons beaucoup entendu, lors de nos auditions, l'intérêt d'un repérage précoce des situations de pauvreté - et d'une action en conséquence - pour éviter qu'elles ne se forment et ne s'enkystent.
Cette stratégie a été développée par Olivier Noblecourt, qui était alors délégué interministériel à la lutte contre la pauvreté, et qui a quitté ces fonctions après avoir élaboré cette stratégie mais avant qu'elle n'est ait été pleinement mise en oeuvre. La délégation interministérielle est une toute petite instance, qui regroupe moins de dix personnes à effectif complet dans la délégation centrale, auxquels il faut ajouter les délégués régionaux - dont le nombre se limite à une personne par région. Vous voyez ce que cela peut vouloir dire à l'échelle d'une région comme la Nouvelle-Aquitaine ! C'est une toute petite équipe. Et en réalité, cet effectif a été plus souvent inférieur à l'effectif autorisé : certains départs n'ont été compensés qu'au bout d'un grand nombre de mois. L'institution chargée de piloter cela au niveau central et les délégués régionaux de cette institution ont donc très peu de moyens.
Deuxième point : les grandes administrations qui ont cette capacité, que ce soient les administrations nationales - notamment la direction générale de la cohésion sociale - ou les services départementaux ou régionaux, n'ont pas de liens hiérarchiques ou structurels avec cette mission interministérielle. Il existe donc une stratégie globale, mais pas de cohérence de pilotage global de la stratégie au niveau de l'État.
Troisième problème : les instruments de mesure, qui relèvent souvent de collectivités départementales ou municipales, n'ont pas été mis en oeuvre. Il n'existe pas de système informatique qui permette - je pense aux petits déjeuners et aux cantines - de suivre quantitativement et effectivement la mise en oeuvre des mesures. Nous demandons à ce que soit mis en place un système qui permette de faire ce suivi. Si vous essayez de suivre une stratégie nationale qui concerne des centaines de milliers d'enfants et que vous le faites au moyen de quelques exemples illustratifs, on voit bien que ce n'est pas un suivi satisfaisant. Cela a été pour moi une source d'étonnement. Mes souvenirs de l'administration étaient que les données remontaient, étaient centralisées, et qu'on avait des instruments de suivi. L'action était plus ou moins efficace, l'évaluation de cette efficacité était plus ou moins bien assurée, mais les instruments de remontée statistique, qui sont la base de tout, sont ici incomplets, indisponibles. Cela a été pour le comité une source de frustration.
Nos auditions confirment que l'une des façons d'aider les très jeunes enfants naissant dans des milieux particulièrement défavorisés est de leur permettre d'accéder, dès les premières années de leur vie, à des modes d'accueil mixtes, où ils fréquenteraient des enfants issus de milieux différents et plus aisés. Cela nous questionne sur l'éventuel avènement d'un service public d'accueil de la petite enfance. Y avez-vous réfléchi ou bien pouvez-vous être amené à y réfléchir dans le cadre des travaux que vous avez à rendre ?
Là aussi, la crise sanitaire, a limité la réalité de l'action sur l'accueil collectif. Il existe une mesure spécifique sur la mixité dans les crèches et dans les premières années. J'ignore si nous avons des données quantifiées.
L'objectif de 90 000 places bénéficiant du bonus mixité d'ici 2022 était quasiment atteint fin 2019, avec 82 000 places créées.
Cette mesure ne montre que la mixité ou le progrès de mixité qui permet de toucher le bonus. Ce n'est pas une donnée quantifiée sur la réalité de la mixité sociale dans les crèches.
Cela dit, on voit un problème lié à des zones d'habitat plus pauvres, qui peuvent être compensées par des crèches plus proches des lieux d'emploi qui ne sont pas nécessairement les mêmes que les lieux d'habitat.
Je ne crois pas que nous ayons des instruments qui permettent de dire dans quelle mesure les crèches sont ou ne sont pas mixtes.
On suit un indicateur de la caisse nationale d'allocations familiales (CNAF). En 2018, 20 % des enfants en situation de pauvreté fréquentaient un établissement d'accueil du jeune enfant (EAJE). C'est un point de départ pour l'évaluation de la stratégie et des effets de certaines mesures. Une étude de la CNAF est en cours sur ce bonus mixité, pour avoir un regard plus précis sur son effet, qui pourra éventuellement mener à un recalibrage de la mesure.
C'est l'occasion de dire que la CNAF est un acteur majeur de toutes ces mesures, avec lequel le travail est souvent plus facile.
La CNAF, que nous avons auditionnée, met en oeuvre de nombreux dispositifs pour les familles, notamment à destination des plus pauvres d'entre elles. Encore faut-il que ces familles s'en saisissent.
Ce sont des chiffres plutôt satisfaisants en matière de mixité. Mais ils concernent l'accueil organisé et collectif. La moitié des enfants de 0 à 3 ans sont gardés selon des modes non déclarés ou de débrouille et de solidarité. Ces chiffres encourageants sont donc à mettre en regard de la réalité de l'accueil de la petite enfance, qui mériterait d'être développé.
À cet égard, un des points soulignés par le comité, ainsi qu'une de ses recommandations, est la lutte contre le non-recours. Les chiffres sont incertains, mais la plupart des experts estiment qu'environ le tiers des personnes qui ont droit à une prestation ne l'exercent pas. Les causes de ce non-recours sont multiples : la peur de la stigmatisation, l'ignorance, la complexité des formules. Le revenu universel d'activité (RUA) avait pour objet de résoudre en partie ces problèmes. Quelques expériences locales ont été engagées, à l'image des territoires « zéro chômeur de longue durée », visant à avoir des territoires « zéro non-recours ». Si on se place dans cette optique, cela conduit à aller vers les gens et à mieux comprendre le non-recours. Je pense qu'il est exclu de transformer toute la France en un territoire « zéro non-recours », mais cela donne des pistes d'action concrètes pour lutter contre ce phénomène, qui n'est pas évalué ni analysé de façon suffisamment précise. C'est aussi le sentiment des grandes associations.
Vous citez l'« aller-vers ». Nous l'avons entendu dans la bouche de très nombreux intervenants. Ne trouvez-vous pas paradoxal qu'au moment où tout le monde nous parle d'« aller-vers », on mette finalement de moins en moins d'interlocuteurs en chair et en os en face des personnes en difficulté ? Nous devons tous passer par des plateformes informatiques, des outils numériques, pour faire les demandes du quotidien, alors que l'« aller-vers » est nécessaire aux personnes les plus en difficulté ?
La crise sanitaire a rendu plus difficile l'« aller-vers ». On ne peut pas juger ce qui s'est passé pendant ces deux ans comme si elle n'avait pas eu lieu.
Il faut ajouter, en second lieu, qu'en dehors des services publics, nationaux, municipaux ou départementaux, ou encore des caisses d'allocations familiales qui pratiquent beaucoup l'« aller-vers », les associations ont montré qu'elles ont un rôle majeur en ce sens, par leurs bénévoles ou leurs salariés. Elles ont en effet une expérience de terrain très forte. Je regrette qu'on ne soutienne pas assez ces associations. Elles bénéficient d'un concours populaire certain, mais au fond, les responsables de ces associations disent que le surplus de tâches a excédé le complément de moyens qu'elles ont reçu. Je pense que du point de vue de cet « aller-vers », le monde associatif dispose d'une capacité que le service public n'a pas nécessairement de la même façon. Une aide à ce monde associatif est donc un élément central de l'« aller-vers ». Un autre élément est bien sûr l'automaticité et la simplification, qui étaient l'une des idées du RUA.
Nous allons d'ailleurs prochainement examiner une proposition de loi sur l'automaticité. Nous savons qu'elle a peu de chances de prospérer, mais nous espérons qu'elle ouvrira le débat.
Je vais dresser des constats et poser quelques questions.
Le constat que vous faites est assez peu satisfaisant, même s'il s'explique en grande partie par la crise sanitaire. Pour autant, vous soulignez que certaines des 35 mesures ont été engagées. On a parlé de la petite enfance, mais au-delà de l'ouverture des crèches et la possibilité d'y accéder, certaines concernent aussi la santé. Dans le plan pauvreté, on note la volonté de faire en sorte que dans les mille premiers jours, et en particulier dès la naissance, on ait un accompagnement par les services de protection maternelle et infantile (PMI) afin que 100 % des enfants de zéro à un an soient vus le plus rapidement possible. Avez-vous pu constater, depuis que la stratégie a été engagée, que les départements très en retard dans ce domaine ont progressé ? Malgré la crise sanitaire, les PMI ont en effet continué à travailler.
Un deuxième axe a été fortement travaillé : les enfants issus de l'aide sociale à l'enfance (ASE) et les contrats « jeunes majeurs », en continuité de la responsabilité du département et avec la volonté de contractualiser au maximum pour les accompagner dans leur formation et qu'ils puissent s'insérer dans la vie sociale ou professionnelle rapidement.
Vous avez parlé du revenu universel. J'ai été président de département, et je me suis engagé dans le plan pauvreté. J'ai signé un contrat avec l'État dans l'appel à projets, et nous avons fait le service public de l'insertion, par un groupement d'intérêt public, avec la préfecture. Je dois reconnaître qu'il a du mal à prendre sa vitesse de croisière. Des expériences de revenu d'activité ont eu lieu au Canada, en Finlande, et elles montrent que c'est un élément favorisant la résolution de certains problèmes, comme la santé. En revanche, aussi bien en Finlande qu'au Canada, on observe assez peu d'effets sur l'emploi.
Le plan « un jeune, une solution » paraît produire des résultats plutôt probants. Je ne sais si cela est le cas partout, mais dans la Somme, nous nous y sommes vraiment attelés avec Pôle emploi. Avez-vous constaté, en matière d'insertion des jeunes de 18 à 24 ans dans le monde du travail, la volonté d'engager des moyens supplémentaires ? Vous l'avez dit conjointement : il faut accompagner. Mais ce n'est pas seulement une personne qui peut accompagner, il faut un panel de compétences pour accompagner. Je n'étais pas pour le RUA, mais j'avais proposé une allocation éducative et de recherche d'emploi, c'est-à-dire une contractualisation entre les jeunes et la collectivité, pour que les premiers s'engagent à suivre une formation ou un accompagnement social et professionnel et qu'on puisse les aider à déboucher sur un emploi.
Ma question finale est la suivante : vous avez dit que la contractualisation avec les départements semblait plutôt efficace. Qu'il n'y ait que dix personnes au niveau national pour piloter le plan pauvreté est un constat désagréable. Sur une politique majeure d'un gouvernement, cela paraît particulièrement ridicule. À côté de cela, avez-vous pu constater que les départements s'étaient engagés, puisque c'est de leur responsabilité sociale, dans le cadre de ce plan pauvreté, comme c'était la volonté initiale de M. Noblecourt ?
Marine de Montaignac représente l'effectif permanent du comité d'évaluation : nous n'avons pas la capacité d'évaluer de façon complète l'action des différents départements ! Nous ne l'avons que via la délégation interministérielle dont j'ai évoqué la situation tout à l'heure.
Je réponds désormais sur « un jeune, une solution » et les mesures d'accompagnement spécifiques des jeunes. Toutes les grandes administrations assistent au comité, mais dans leur branche d'étude et de statistiques, et non dans leur branche exécutive. Ces administrations constatent qu'un jeune accompagné a de meilleures chances d'accéder à l'emploi qu'un jeune non accompagné. Cela mesure l'efficacité de l'accompagnement au profit de cette personne.
En revanche, elles nous disent ne pas savoir si les personnes accompagnées gagnent seulement des places dans la file d'attente, ou si cela permet de réduire globalement le chômage des jeunes. On sait que c'est utile à ceux qui en bénéficient, mais on ne sait pas si ça permet de réduire le chômage des jeunes.
Cela fait partie des sujets dont nous souhaitons approfondir l'étude.
Concernant la mesure sur les missions des PMI, le comité d'évaluation a eu très peu d'informations. La loi pour une école de la confiance a rendu obligatoire l'examen médical à 3-4 ans. Mais nous n'avons pas d'informations sur l'effectif de cette obligation et les effets qu'elle pourrait avoir sur la santé des enfants.
Pourtant, parmi les 35 mesures, elle était considérée comme très importante.
Je reviens sur le fait qu'il n'existe pas de système de consolidation des informations. Au fond, lorsque je compare à une gestion d'entreprise, cela fait une vraie différence.
Dans la Somme, nous avions essayé d'engager une action sur l'insertion des jeunes, avec les entreprises - et notamment avec Break Poverty, qui regroupe des sociétés engagées sur la responsabilité sociale et environnementale (RSE) - mais c'est tombé en panne avec la covid. On essaie de redémarrer : en tant que conseiller départemental, je suis cela de près puisque les difficultés d'insertion des jeunes des 18-24 constituent un véritable fléau dans notre pays. Les raisons sont peut-être antérieures, mais ceux qui ont cet âge-là sont aujourd'hui dans une grande difficulté.
J'ai auditionné le préfet de la région Île-de-France, Marc Guillaume, et nous en sommes ressortis avec un peu d'optimisme. Des actions menées dans sa région portent leurs fruits. J'ai apprécié qu'il souligne l'envie des jeunes des quartiers de s'en sortir. Les équipes mises en place par la préfecture de région mènent des actions très concrètes et obtiennent des résultats.
Laurent Somon a parlé de fléau et il a raison. Les résultats ne tiennent pas uniquement aux moyens financiers : le plan mis en place en Île-de-France en engage relativement peu. En revanche, il y a mise en commun des moyens existants et une action d' « aller-vers » très importante qui porte ses fruits.
Il est vrai que les jeunes ont envie de conquérir leur autonomie par le travail. L'idée qu'ils aspireraient à ne rien faire est fausse. J'évoquais des études montrant que l'attribution d'un revenu ne décourageait pas la recherche d'emploi : cela l'illustre. Que l'accompagnement soit un puissant facteur complémentaire est évident.
D'expérience et en repensant au temps où je m'occupais de la Haute autorité de lutte contre les discriminations (HALDE), on voit bien que dans l'entrée dans l'emploi ou l'apprentissage du travail, certaines choses doivent s'apprendre. Quand, vous avez devant votre porte 10 ou 15 jeunes gens, dont certains connaissent les codes et sont entraînés, vous écartez ceux qui n'ont pas cette expérience. Cela conduisait à une sorte de cercle vicieux : si vous n'aviez pas d'expérience professionnelle, vous n'étiez pas recruté, et comme vous n'aviez pas cette expérience, vous étiez exclu du système.
Je pense que les actions du type de celles que vous évoquez, Monsieur le sénateur Somon, sont pertinentes. Il ne s'agit pas toujours de formations lourdes, mais plutôt d'apprendre les codes de l'entreprise.
Monsieur le Président, vous insistez sur l'importance de l'accompagnement social des situations. Je pense au film de Ken Loach, Moi, Daniel Blake. Quel est votre sentiment sur le fossé numérique ? Les plateformes et les sites internet connaissent un développement de plus en plus large et facilité, et leur recours est encouragé. Pensez-vous que cela influence, dans l'approche de lutte contre les inégalités, les stratégies de lutte contre la pauvreté ?
Vous évoquez l'ambiguïté des attitudes face à l'accompagnement et certaines de familles ou de jeunes vis-à-vis d'un contrôle social de leur façon de vivre. Le changement de regard prend du temps.
Je n'ai pas de données chiffrées qui me permettent d'évaluer ce fossé numérique dont on parle souvent. J'ai tendance à penser qu'il est plus lié à l'âge qu'au niveau de revenus. Cependant, la France a mis en place depuis longtemps des systèmes de retraite et d'allocation de ressources pour les personnes âgées. Le taux de pauvreté monétaire des personnes âgées y est parmi les plus faibles d'Europe - 8 % - alors qu'il est de l'ordre de 14 à 14,5 % pour la population générale.
C'est autre chose que l'aller-vers.
Je crois que vous avez raison : la question principale est celle de l'accompagnement. Ce n'est pas toujours une question de revenu. Pour moi, qui ai été éducateur spécialisé en milieu ouvert pendant une vingtaine d'années, c'est la présence qui est importante. Michelle Meunier parlait de contrôle social, c'est vrai, mais ce sujet disparaît petit à petit : une fois que l'accompagnement est engagé, il n'est plus vécu comme un contrôle social mais bien comme une mise à l'étrier. Comme vous le disiez, Monsieur le président, ce n'est pas l'envie de ne pas travailler qui domine. Quand on donne une perspective et une lueur d'espoir, un déclenchement se produit. Il faut aller dans ce sens : l'accompagnement est capital dans ces mesures.
Je reviens sur les jeunes enfants. Pouvez-vous évaluer les retours sur le dédoublement des classes de CP, sur les dispositifs « plus de maîtres que de classes » - qui ont été amincis au profit du dédoublement des classes de CP ? Avez-vous pu regarder ces dispositifs très récents ?
Il faut suivre la lutte contre la pauvreté dans la durée, comme en thérapeutique lorsqu'on veut mesurer l'effet d'un médicament. Nous souhaitions évaluer le plan du précédent Gouvernement. Nous avons le recul nécessaire pour le faire. Il a été considéré que cette demande n'était pas prioritaire, donc cette évaluation n'a pas eu lieu. On est passé d'une doctrine de deux adultes par classe à un dédoublement des classes. Nous avons établi un arbre de causalité qu'une meilleure formation à l'âge de 3 ans débouche sur une meilleure chance d'accès à l'emploi à 18 ans, mais on voit bien que le plein effet de cela sera mesuré bien après la mise en place de la mesure.
La mesure « soutenir les collectivités dans 60 quartiers prioritaires » avec deux adultes par classe de maternelle ne fait plus partie de la stratégie. Elle a été fusionnée avec les cités éducatives. Nous ne disposons pas d'informations sur la mise en place de cette mesure pour répondre à votre question.
On ne comprend pas bien la fusion avec les cités éducatives. On pouvait trouver le dispositif « plus de maîtres que de classes » dans nos zones rurales alors qu'on ne trouve pas partout de cités éducatives.
En avançant dans l'âge du public auquel nous nous intéressons, je veux en venir aux dispositifs en faveur de l'insertion des jeunes. Nous avons auditionné de nombreux acteurs ; les dispositifs et les structures sont nombreux, laissant l'impression d'une forte fragmentation. Au final, peut-être que trop de richesse nuit à l'efficacité. Pensez-vous qu'il faudrait regrouper ces dispositifs sous un seul et même chapiteau ? Les auditions ont confirmé l'impression d'un maquis.
Un maquis vu d'en haut est une chose, un maquis pour l'individu en est une autre. Si vous êtes dans un département précis ou une ville précise et que vous avez un interlocuteur, le fait que quelqu'un d'autre, dans une autre ville, ait un autre système pour un autre type d'interlocuteur, n'est pas un problème. Si on essaie de définir un vaste système complètement homogène partout, il n'est pas évident ce soit le plus efficace. Je ne suis pas sûr qu'un « grand chapiteau », comme vous l'avez désigné, Madame la rapporteure, soit l'idéal. Le tout est qu'une personne dans un endroit sache qui trouver ou qu'on aille le trouver. Ce n'est pas exactement la même chose. Cela peut donner l'impression d'un foisonnement vu d'en haut, mais si la réalité est que, où que vous soyez, il y ait quelqu'un à qui vous adresser ou qui vienne à vous, le problème ne se pose pas.
Les systèmes d'aide sociale sont très largement décentralisés. La contractualisation a pour objet de les recentraliser. Cela permet d'avoir un regard. Je pense que c'est utile si on avait une information homogène, mais pas nécessairement des mécanismes ou des organismes similaires. Un exemple nous avait frappés : certaines communautés urbaines ont des attributions en matière sociale. D'autre ne les exercent pas. Cette couche supplémentaire est-elle un facteur d'efficacité supplémentaire ? La réponse n'est pas évidente.
Vous vous êtes exprimé sur la création d'un revenu de base pour les jeunes de 18 à 24 ans. Vous proposez quelque chose qui s'apparenterait à un système de bourse, qui deviendrait universel. Avez-vous fait des propositions concrètes au Gouvernement ? Est-ce cela qui a généré certaines annonces gouvernementales ?
Je ne pense pas que nous soyons à l'origine de ces annonces. J'ai eu l'occasion de m'entretenir pendant une heure avec la ministre du travail, qui a exprimé de l'intérêt sur ce sujet. Je pense qu'elle est convaincue de l'absence de contradiction entre l'allocation d'un revenu et la recherche d'un emploi. Je ne pense pas qu'elle partage ce préjugé. Toutefois, le coût financier de la mesure fait que cela ne relève pas d'elle.
On annonce une allocation de base pour les jeunes de moins de 25 ans. Pour l'instant, on n'en connaît pas les contours.
Je voudrais poser une question à l'ancien dirigeant d'entreprise. Les grands groupes tels que celui que vous avez présidé s'impliquent-ils suffisamment dans l'insertion des jeunes par le biais, notamment, de l'apprentissage ?
J'ai dirigé ce groupe il y a plus de 15 ans. Il est vrai que nous n'avions pas un recours étendu à l'apprentissage. Même si pendant la période où j'étais en charge de ce groupe, sa production a considérablement augmenté - elle a été depuis divisée par deux, ce qui crée une situation différente -, compte tenu des progrès de productivité, nous ne recrutions que peu, en tout cas parmi les personnels de production. On recrutait plutôt des ingénieurs. Il y avait plus de gens formés que d'emplois de cadre. En revanche, et tous les groupes pourraient le faire, nous organisions des recrutements en contrat à durée déterminée pour des jeunes en premier emploi qui, formellement, ne débouchaient en aucun cas sur un emploi chez Renault, mais où nous aidions des jeunes qui avaient passé trois à six mois chez nous à trouver un emploi chez quelqu'un d'autre. Cela leur permettait de sortir du cercle vicieux : « comme tu n'as pas d'expérience, je ne te recrute pas ». On recrutait des gens dont on savait qu'ils n'avaient pas d'expérience - c'était même une condition d'accès - et on leur donnait l'expérience qui leur permettait ensuite de trouver un emploi.
Il faut reconnaître que c'était pour des métiers avec une formation très légère. Le gros de la formation consistait en de la discipline, de la rigueur, de la précision et un souci de la qualité plus qu'une formation technique lourde. Il s'agissait d'emplois n'exigeant pas, dans les faits, une professionnalisation de plus de quelques jours. Ils étaient, autrefois, exercés par les étudiants pendant les vacances d'été et un étudiant parvenait à apprendre le métier en deux jours.
Vous avez rappelé que cela date de plus de 15 ans. Depuis, l'apprentissage a été considérablement valorisé. Il en va de même dans le plan de lutte contre la pauvreté. Avez-vous une vision de ce que font les entreprises ?
Elle n'est pas solide. Je vois se développer les formations en alternance. Par ailleurs, j'ai des activités en Seine-Saint-Denis : un jeune qui n'a pas d'appui a d'énormes difficultés pour trouver une entreprise qui lui donne un stage ou une formation en alternance.
Cela a été dit dans nos auditions. Des associations et des bénévoles s'investissent pour aider ces jeunes qui n'ont pas de réseau et, n'ayant pas la bonne adresse ou le nom qui convient, n'arrivent pas, par exemple, à trouver un stage de 3ème.
« Nous n'avons ni les réseaux ni les codes » : c'est le mot que j'entends sans cesse.
Mais comment fait-on pour donner ces réseaux et ces codes à tout le monde ?
Autant l'apprentissage, qui est un mode de recrutement, implique que l'entreprise puisse s'engager sur le long terme vis-à-vis de la personne, autant des systèmes du type de celui que j'évoquais peuvent plus facilement être demandés aux entreprises car ils n'impliquent pas d'engagement. Mais je le répète, je ne suis pas expert sur le sujet.
Jusqu'au moment où le Gouvernement décidera d'y mettre un terme.
Il serait intéressant qu'elle dure suffisamment pour avoir le recul nécessaire.
Je ne me plaindrais pas si c'était le cas, Madame la rapporteure.
Nous vous remercions de cette audition et de cette rencontre. Chers collègues, nous nous retrouvons la semaine prochaine avec la secrétaire d'État à la jeunesse pour continuer nos travaux.
La réunion est close à 18 heures.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.