Intervention de Marie Mercier

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 2 juin 2021 à 9h30
Proposition de loi visant à nommer les enfants nés sans vie — Examen du rapport et du texte proposé par la commission

Photo de Marie MercierMarie Mercier, rapporteur :

Monsieur le président, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Anne-Catherine Loisier a un objet volontairement très circonscrit : il s'agit de donner un nom aux enfants nés sans vie pour mieux accompagner les familles qui subissent un deuil périnatal.

La notion d'enfant sans vie est une notion juridique provenant de l'article 6 de la loi du 8 janvier 1993 qui a distingué les enfants sans vie des enfants nés vivants et viables, qui sont eux dotés d'une personnalité juridique. Quand un enfant est-il viable ? En principe, un enfant est viable lorsqu'il naît après vingt-deux semaines d'aménorrhée, soit vingt semaines de gestation.

Malgré l'absence de personnalité juridique des enfants sans vie, le législateur a fait le choix d'accompagner les parents dans leur deuil en permettant leur enregistrement à l'état civil. L'acte d'enfant sans vie est inscrit directement dans le registre des décès. C'est un acte optionnel pour les parents, qui n'est pas soumis à un délai particulier, contrairement à l'acte de naissance qui doit être établi dans les cinq jours de l'accouchement.

Les parents sont désignés dans l'acte sous l'appellation de « père et mère », ce qui peut sembler paradoxal puisque l'enfant n'a pas de filiation, n'ayant pas de personnalité juridique. L'inscription à l'état civil vient donner l'apparence d'une existence juridique et l'apparence d'une filiation, même si, en réalité, celles-ci ne sont que mémorielles. C'est « un accompagnement bienveillant » par le droit, selon l'expression utilisée par un universitaire que j'ai entendu en audition. On a parlé aussi d'« accommodement raisonnable du droit ».

Les enfants nés sans vie ne peuvent pas être inscrits à l'état civil ; cela est fonction de leur stade de développement. Depuis 2008, l'acte d'enfant sans vie est conditionné à la production d'un certificat médical attestant de l'accouchement de la mère - de manière spontanée ou provoqué pour raison médicale - selon un modèle défini par arrêté du ministre de la santé.

N'ouvrent pas la possibilité d'un tel certificat d'accouchement - et donc d'une inscription à l'état civil - les interruptions de grossesse du premier trimestre, c'est-à-dire les interruptions spontanées précoces et les interruptions volontaires de grossesse. Je précise qu'auparavant une circulaire imposait aux officiers de l'état civil d'appliquer les seuils de viabilité reconnus par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), soit un poids de 500 grammes ou une grossesse de 22 semaines d'aménorrhée. Mais la Cour de cassation, par trois arrêts du 6 février 2008, a jugé qu'une simple circulaire ne pouvait limiter les droits des parents et ajouter au texte des conditions qu'il ne prévoit pas. Ce sont désormais aux médecins de constater s'il y a eu accouchement ou pas.

Depuis 2008, les couples non mariés dont le premier enfant est mort-né ou non viable peuvent également se faire délivrer par l'officier de l'état civil un livret de famille pour y inscrire leur enfant.

Une circulaire du 19 juin 2009 a ensuite reconnu aux parents le droit de pouvoir choisir un ou des prénoms pour leur enfant sans vie. Ils peuvent enfin organiser des funérailles et bénéficier de certains droits sociaux tels que les congés de maternité et paternité ou le congé de deuil.

L'auteure de la proposition de loi veut aller plus loin en permettant l'inscription de l'enfant sans vie à l'état civil sous un nom. Elle souhaite par ailleurs inscrire dans la loi la possibilité de lui donner un prénom.

L'intention de l'auteure de la proposition de loi est vraiment de limiter la portée de l'attribution d'un nom au seul acte d'enfant sans vie, pour éviter tout « effet de bord » potentiellement indésirable. La rédaction proposée précise à cette fin que l'acte d'enfant sans vie « emporte uniquement modification de l'état civil de l'enfant ».

Nous l'avons vu : les parents peuvent déjà inscrire leur enfant à l'état civil sous un prénom, l'inscrire sur leur livret de famille et organiser des funérailles. Faut-il leur accorder le droit supplémentaire de lui donner un nom ?

À titre personnel - et avec mon expérience de médecin -, je suis convaincue que la douleur de la perte d'un enfant est un vide sans fond que rien ne peut combler. Ce n'est pas dans l'ordre des choses que les parents enterrent leur enfant, surtout lorsqu'il s'agit d'un bébé. C'est le deuil de l'avenir. Il y a un énorme travail à faire en termes d'accompagnement, de soutien psychologique, administratif, mais cela ne dépend pas d'une loi...

Ceci étant dit, même s'il m'a semblé constater qu'il n'y avait pas de demande forte pour nommer les enfants sans vie - dans le temps contraint qui m'était imparti, j'ai réussi à réunir quelques contributions d'associations -, je pense qu'il est légitime d'aller au bout du processus d'identification de l'enfant mort-né ou non viable pour mieux l'inscrire dans l'histoire familiale et matérialiser symboliquement le lien de filiation du père qui n'a pas le même rapport charnel avec l'enfant que la mère.

Par ailleurs, donner un nom, aux côtés du prénom, permettrait de rendre plus cohérente la reconnaissance symbolique de l'enfant sans vie et procèderait finalement de la même logique compassionnelle que celle souhaitée par le législateur lors de la création de l'article 79-1 du code civil en 1993. Les familles ne comprennent pas l'« entre-deux » actuel qui consiste à pouvoir choisir un prénom, mais pas un nom.

Toutefois - et c'est un point très important - ce pas supplémentaire doit rester symbolique et ne créer aucune filiation ou droit. Il ne s'agit pas d'ouvrir la voie vers une reconnaissance d'une personnalité juridique à l'enfant sans vie via l'attribution de prénoms et d'un nom.

Dans cet esprit, j'ai déposé l'amendement COM-1 qui ajoute la précision selon laquelle « cette inscription de prénoms et nom n'emporte aucun effet juridique », ce qui permettrait d'écarter expressément tout éventuel effet, notamment en matière de filiation et de succession, sans faire mention, comme initialement proposé, d'un « état civil » dont l'enfant sans vie est dépourvu, puisqu'il n'a pas de personnalité juridique.

Compte tenu de la valeur simplement mémorielle de l'acte d'enfant sans vie, cette mention écarterait également l'application de l'alinéa 3 de l'article 311-21 du code civil en matière de dévolution du nom de famille, ce qui n'empêcherait évidemment pas les parents de choisir le même nom de famille pour leurs enfants nés postérieurement.

Enfin, conformément à la volonté initiale de l'auteure, l'amendement ferait apparaître de manière plus claire le caractère optionnel de l'inscription d'un ou plusieurs prénoms et d'un nom à leur enfant sans vie. Par ailleurs, il préciserait comment le choix du nom peut être fait par les parents.

Je vous propose d'adopter la proposition de loi de notre collègue Anne-Catherine Loisier ainsi modifiée, avec son assentiment.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion