Le sujet que j'ai retenu pour ma mission de contrôle de cette année concerne donc le projet d'unification des systèmes d'information des services d'incendie et de secours (les SIS), et de la sécurité civile, appelé NexSIS 18-112. Ce sujet peut paraître très technique, mais ses objectifs sont bien concrets : il vise en effet à améliorer la prise en charge des demandes de secours, réduire les délais d'intervention et permettre des économies - ce qui n'est pas neutre pour la commission au sein de laquelle nous siégeons.
J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer devant vous ce projet lors de l'examen des précédentes lois de finances, car il s'agit du dernier levier par lequel l'État soutient financièrement l'investissement des SIS. Le projet NexSIS est en effet cofinancé à 16 % par l'État et à 84 % par les SIS, pour un montant total de 237 millions d'euros sur 10 ans. Lancé fin 2016, ce projet devrait aboutir en 2026, ce qui correspond à l'année prévue pour la dernière vague de migration dans les SIS. Le programme arrive donc à mi-parcours en cette année 2021, et j'ai donc voulu y consacrer une mission de contrôle, afin de suivre son avancée et l'utilisation des crédits correspondants.
Avant de présenter la façon dont ce projet de mutualisation est mis en oeuvre, j'aimerais revenir rapidement sur le contexte de son lancement.
Son objectif est en fait relativement ancien, car il vise à mettre un terme à une lacune identifiée depuis longtemps, à savoir, l'absence d'interopérabilité entre les systèmes d'informations des SIS, et plus particulièrement leurs systèmes de gestion des alertes (SGA) et de gestion opérationnelle (SGO). Chaque SIS s'est en effet équipé de SGA-SGO de façon unilatérale, auprès de différentes sociétés, avec des besoins spécifiques. Ce morcellement de l'équipement a ainsi conduit à une forte disparité de leurs outils, de niveau technologique très inégal, qui ne permet aucune interconnexion entre les différents départements.
Par ailleurs, si certains systèmes d'information sont partiellement raccordés à ceux des SAMU, aucune possibilité d'échange n'existe avec ceux de la police et de la gendarmerie nationale. Enfin, ils ne sont pas non plus interfacés avec les outils des instances de commandement qui coordonnent la gestion des crises.
Ces lacunes ont hélas des conséquences regrettables sur le traitement de l'alerte et sur le secours à personne, et les attentats de 2015 en ont fait la démonstration : les centres de traitement de l'alerte ont été saturés, plusieurs appels n'ont pas été traités, et les délais de prise en charge étaient trop longs... À cela s'ajoutaient aussi d'importantes pertes d'information dans les échanges réalisés entre le 15, le 17 et le 18, ainsi qu'une capacité de coordination très limitée dans l'engagement des moyens de secours.
Une étude de faisabilité d'un système d'information unifié a ainsi été menée en 2016, à la suite de ce triste bilan. Cette étude a également mis en avant les importants surcoûts générés par l'acquisition et la maintenance des SGA-SGO actuels. Les SIS sont en effet situés dans un marché captif et oligopolistique, depuis plusieurs décennies, ce qui a provoqué une hausse continue de leurs dépenses dans leur SGA-SGO. Ces dépenses auraient ainsi atteint près de 600 millions d'euros en 10 ans pour l'ensemble des SIS !
Enfin, la plupart des SGA-SGO étaient proches de l'obsolescence, et aucun d'entre eux ne répondait aux nouveaux impératifs européens. En effet, depuis la directive de 2018, les centres de réception d'appels d'urgence doivent désormais permettre une géolocalisation précise et automatique de l'appelant, et recevoir toutes les alertes, au-delà des seuls appels, en intégrant aussi les SMS, les courriels, les réseaux sociaux, les objets connectés etc.
Comme l'ont révélé les évaluations préalables réalisées, ces différentes attentes ne pouvaient être satisfaites par les technologies existantes. L'État et les collectivités territoriales ont donc décidé d'en développer une nouvelle, dans une logique de coconstruction.
Je m'attarde sur ce point important, car il montre que les rapports et les recommandations que nous produisons ne restent pas lettre morte. Certains d'entre vous se souviendront peut-être de mon premier rapport d'information, consacré à ANTARES, le projet de radio numérique des SIS. J'y avais notamment critiqué la gouvernance du projet, qui n'associait que très imparfaitement les futurs utilisateurs.
Les responsables du projet NexSIS se sont montrés attentifs à cette observation, et ont ainsi choisi un mode innovant de gouvernance, avec la création de l'Agence du numérique de la sécurité civile (l'ANSC).
Cette agence est un nouvel établissement public spécifiquement mis en place pour porter le projet, qui garantit une gouvernance partagée entre l'État et les élus locaux. L'ANSC est en outre présidée par un président de conseil d'administration de SIS, et j'aimerais, à cet égard, saluer la présence parmi nous de sa première présidente, Françoise Dumont.
En revanche, depuis qu'elle nous a rejoints ici au Sénat, en septembre dernier, la présidence de cet établissement a été confiée au directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises, dans l'attente des prochaines élections départementales. L'une de mes recommandations vise donc à garantir une nomination d'un nouveau président le plus tôt possible après les élections, tant il me semble important que cette agence soit placée sous la supervision d'un élu local.
Mes autres recommandations portent aussi sur le renforcement de l'organisation interne de cette jeune agence, dont la taille paraît très modeste aux yeux de plusieurs personnes entendues. En effet, avec un plafond d'emploi de 12 salariés, et 8 sapeurs-pompiers mis à disposition, l'agence externalise en grande partie l'activité de développement du produit.
Une hausse du plafond d'emploi doit dès lors être envisagée, d'une part pour internaliser davantage la réalisation du produit, et d'autre part, pour ajuster les ressources à la hauteur des besoins que représenteront les phases de déploiement.
L'ANSC finance également la réalisation du projet, qui représente donc 237 millions d'euros sur 10 ans. Ce coût total, pour important qu'il soit, doit être mis en rapport avec les 600 millions d'euros qu'ont payé les SIS sur la même durée. Par ailleurs, sur ces 237 millions d'euros, 37 millions d'euros sont pris en charge par l'État. Cela peut sembler très faible par rapport au reste, qui est donc supporté par les SIS.
Certes, le financement des SGA-SGO relève en principe de la compétence de ces derniers. Toutefois, la contribution de l'État n'est pas non plus qu'un pur soutien pour les SIS. Le ministère de l'intérieur et les préfectures bénéficieront en effet eux aussi de NexSIS, grâce à son module d'hyper-vision, qui permettra une remontée plus rapide des informations et une meilleure coordination en cas de grandes crises.
200 millions d'euros restent donc à la charge des SIS, qui peuvent verser leurs contributions selon un système bien conçu. En premier lieu, une fois le produit livré, ils devront s'acquitter d'une redevance d'exploitation. Cette redevance est calculée à partir de la somme d'une part « globalisée », assise sur des critères démographiques, et d'une part variable, dépendante des spécificités de chaque SIS. En second lieu, les SIS peuvent d'ores et déjà verser à l'agence une subvention volontaire de préinvestissement, qui sera ensuite déduite de leur redevance.
À terme, la redevance versée par chaque SIS se traduira par un gain financier non négligeable, puisqu'au lieu de payer entre 230 000 euros et 1 million d'euros chaque année, leur redevance annuelle s'élèvera entre 100 000 et 430 000 euros.
Ces explications sur le financement du programme étant faites, il me reste maintenant à vous présenter la trajectoire de déploiement de NexSIS. Ce déploiement sera réalisé progressivement jusqu'en 2026, en fonction des SIS qui se sont portés candidats pour en être équipés. Il faut en effet rappeler que l'adhésion au nouveau système reste libre. Cela dit, si les SIS veulent disposer d'un SGA-SGO interopérable, ils seront obligés d'être équipés de NexSIS. Dans l'ensemble, les SIS sont plutôt très favorables à la migration vers le nouveau système.
Cependant, certains ne se sont pas encore positionnés pour des raisons compréhensibles. Ils attendent en effet que le produit soit plus abouti, pour avoir la garantie qu'il soit égal ou supérieur au niveau de leur technologie actuelle. J'ai ainsi rencontré le cas d'un SIS qui a investi tout récemment dans un système très performant, au moment même où NexSIS venait d'être lancé. Ce SIS préfère donc être intégré dans la dernière vague de migration, afin d'amortir son investissement.
Par ailleurs, si NexSIS ne rencontre pas d'opposition de principe, quelques inquiétudes émanent de certains SIS qui veulent éviter toute régression dans la transition. Cet impératif semble être bien pris en compte par l'ANSC, mais elle doit pour cela poursuivre le dialogue avec les éditeurs des technologies actuelles, lesquels sont dans une position ambivalente. En effet, certains se sont positionnés sur les différents marchés passés par l'agence, tandis que d'autres ont pu vouloir freiner la réalisation du projet par des actions contentieuses.
Il me semble également qu'une meilleure valorisation des nouvelles économies permises par NexSIS soit susceptible de rendre plus attractif ce nouveau système. En effet, NexSIS entraine avec lui de nouvelles mutualisations, dont les gains financiers sont aujourd'hui peu visibles pour les SIS.
Toujours est-il que le projet rencontre un véritable engouement, puisque le nombre de candidats s'est avéré supérieur aux capacités de déploiement de l'agence. Des critères de priorisation ont donc dû être établis, pour assurer une livraison échelonnée sur la période 2021-2026. Ces critères répondent notamment aux préoccupations des SIS qui font face à des systèmes en voie d'obsolescence, ou de difficultés contractuelles avec leur fournisseur. Mais ces critères tiennent également compte de la tenue prochaine d'événements de grande ampleur, tels que les Jeux olympiques de 2024.
Selon ces critères, le déploiement de l'agence se fera selon un rythme de 15 à 20 SIS par an, et la moitié du territoire sera ainsi équipée de NexSIS d'ici fin 2023.
Ce calendrier ne devrait pas connaître de retards particuliers, bien que la crise sanitaire ait freiné l'activité de l'agence et la conception du produit. L'exécution de la programmation budgétaire semble également avoir rattrapé les retards constatés en début de période, notamment grâce à des contributions de préinvestissement plus élevées que prévues. Si cette trajectoire financière demeure construite sur des hypothèses prudentes, elle ne s'écarte pas des prévisions initiales, et elle devrait donc bien accompagner les phases de déploiement.
Enfin, il faut rappeler que ce calendrier de livraison est conçu de façon relativement indépendante de celui du programme SI-SAMU. J'avais déjà regretté que ce programme d'unification des systèmes d'information des SAMU ait été lancé en l'absence d'une étroite concertation entre le ministère de la santé et le ministère de l'intérieur. Le programme SI-SAMU connaît depuis d'importants retards, et a fait l'objet de plusieurs critiques de la direction interministérielle du numérique. Face à ces retards, il est donc possible que l'interfaçage entre NexSIS et SI-SAMU ne soit pas synchronisé selon les départements. Il importe alors que l'ANSC, en lien avec les représentants du ministère de la santé, traite cette difficulté, pour que l'objectif d'interopérabilité entre les technologies des SIS et des SAMU soit bien réalisé dès les premières phases de migration.
Nonobstant cette remarque, le programme NexSIS semble plutôt engagé sur la bonne voie. C'est du moins l'impression que partagent l'ensemble des personnes que j'ai entendues, et notamment les responsables du SIS de Seine-et-Marne, dans lequel je me suis rendu. Ce SIS préfigurateur sera en effet le premier à être équipé de NexSIS, d'ici la fin de l'année. Il dispose déjà d'une version de secours, qui répond aux exigences minimales, et qui a permis de compenser les défaillances de son SGA-SGO actuel.
Les démonstrations réalisées m'ont également permis de constater que l'interopérabilité avec les autres systèmes d'information est bien intégrée dès l'origine dans le produit, et permettra des échanges plus rapides dans toute la chaîne de secours.
En conclusion, mes chers collègues, je souhaite vivement que ce projet aboutisse, tout en gardant un oeil attentif sur la suite de sa mise en oeuvre. L'examen des prochaines lois de finances sera justement l'occasion de constater la performance de ce nouvel outil, sous réserve que les indicateurs dont nous disposons nous permettent de bien l'évaluer. Or, le projet d'indicateur se borne à renseigner l'évolution du taux d'adhésion des SIS au nouveau système. Il s'agit certes d'une information pertinente pour le Parlement, mais qui traduit mal la performance intrinsèque de NexSIS. Dès lors SDIS, il me paraît nécessaire que les annexes au projet de loi de finances intègrent un indicateur de performance qui rende mieux compte des gains apportés par NexSIS, en termes de prise en charge des alertes notamment.