Je souhaiterais attirer l'attention sur le nombre élevé de réunions de notre commission en ce moment, ce qui est particulièrement contraignant lorsqu'elles ont lieu en même temps que la séance publique. Ainsi, je n'ai pas été en mesure hier après-midi de suivre la réunion concernant l'examen du rapport pour avis sur le projet de loi climat et résilience qui avait lieu en même temps que la discussion en séance de la proposition de résolution tendant à modifier le Règlement du Sénat.
Nous entendons ce matin une communication du rapporteur spécial des crédits de la sécurité civile, suite au contrôle budgétaire qu'il a conduit ce semestre.
Le sujet que j'ai retenu pour ma mission de contrôle de cette année concerne donc le projet d'unification des systèmes d'information des services d'incendie et de secours (les SIS), et de la sécurité civile, appelé NexSIS 18-112. Ce sujet peut paraître très technique, mais ses objectifs sont bien concrets : il vise en effet à améliorer la prise en charge des demandes de secours, réduire les délais d'intervention et permettre des économies - ce qui n'est pas neutre pour la commission au sein de laquelle nous siégeons.
J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer devant vous ce projet lors de l'examen des précédentes lois de finances, car il s'agit du dernier levier par lequel l'État soutient financièrement l'investissement des SIS. Le projet NexSIS est en effet cofinancé à 16 % par l'État et à 84 % par les SIS, pour un montant total de 237 millions d'euros sur 10 ans. Lancé fin 2016, ce projet devrait aboutir en 2026, ce qui correspond à l'année prévue pour la dernière vague de migration dans les SIS. Le programme arrive donc à mi-parcours en cette année 2021, et j'ai donc voulu y consacrer une mission de contrôle, afin de suivre son avancée et l'utilisation des crédits correspondants.
Avant de présenter la façon dont ce projet de mutualisation est mis en oeuvre, j'aimerais revenir rapidement sur le contexte de son lancement.
Son objectif est en fait relativement ancien, car il vise à mettre un terme à une lacune identifiée depuis longtemps, à savoir, l'absence d'interopérabilité entre les systèmes d'informations des SIS, et plus particulièrement leurs systèmes de gestion des alertes (SGA) et de gestion opérationnelle (SGO). Chaque SIS s'est en effet équipé de SGA-SGO de façon unilatérale, auprès de différentes sociétés, avec des besoins spécifiques. Ce morcellement de l'équipement a ainsi conduit à une forte disparité de leurs outils, de niveau technologique très inégal, qui ne permet aucune interconnexion entre les différents départements.
Par ailleurs, si certains systèmes d'information sont partiellement raccordés à ceux des SAMU, aucune possibilité d'échange n'existe avec ceux de la police et de la gendarmerie nationale. Enfin, ils ne sont pas non plus interfacés avec les outils des instances de commandement qui coordonnent la gestion des crises.
Ces lacunes ont hélas des conséquences regrettables sur le traitement de l'alerte et sur le secours à personne, et les attentats de 2015 en ont fait la démonstration : les centres de traitement de l'alerte ont été saturés, plusieurs appels n'ont pas été traités, et les délais de prise en charge étaient trop longs... À cela s'ajoutaient aussi d'importantes pertes d'information dans les échanges réalisés entre le 15, le 17 et le 18, ainsi qu'une capacité de coordination très limitée dans l'engagement des moyens de secours.
Une étude de faisabilité d'un système d'information unifié a ainsi été menée en 2016, à la suite de ce triste bilan. Cette étude a également mis en avant les importants surcoûts générés par l'acquisition et la maintenance des SGA-SGO actuels. Les SIS sont en effet situés dans un marché captif et oligopolistique, depuis plusieurs décennies, ce qui a provoqué une hausse continue de leurs dépenses dans leur SGA-SGO. Ces dépenses auraient ainsi atteint près de 600 millions d'euros en 10 ans pour l'ensemble des SIS !
Enfin, la plupart des SGA-SGO étaient proches de l'obsolescence, et aucun d'entre eux ne répondait aux nouveaux impératifs européens. En effet, depuis la directive de 2018, les centres de réception d'appels d'urgence doivent désormais permettre une géolocalisation précise et automatique de l'appelant, et recevoir toutes les alertes, au-delà des seuls appels, en intégrant aussi les SMS, les courriels, les réseaux sociaux, les objets connectés etc.
Comme l'ont révélé les évaluations préalables réalisées, ces différentes attentes ne pouvaient être satisfaites par les technologies existantes. L'État et les collectivités territoriales ont donc décidé d'en développer une nouvelle, dans une logique de coconstruction.
Je m'attarde sur ce point important, car il montre que les rapports et les recommandations que nous produisons ne restent pas lettre morte. Certains d'entre vous se souviendront peut-être de mon premier rapport d'information, consacré à ANTARES, le projet de radio numérique des SIS. J'y avais notamment critiqué la gouvernance du projet, qui n'associait que très imparfaitement les futurs utilisateurs.
Les responsables du projet NexSIS se sont montrés attentifs à cette observation, et ont ainsi choisi un mode innovant de gouvernance, avec la création de l'Agence du numérique de la sécurité civile (l'ANSC).
Cette agence est un nouvel établissement public spécifiquement mis en place pour porter le projet, qui garantit une gouvernance partagée entre l'État et les élus locaux. L'ANSC est en outre présidée par un président de conseil d'administration de SIS, et j'aimerais, à cet égard, saluer la présence parmi nous de sa première présidente, Françoise Dumont.
En revanche, depuis qu'elle nous a rejoints ici au Sénat, en septembre dernier, la présidence de cet établissement a été confiée au directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises, dans l'attente des prochaines élections départementales. L'une de mes recommandations vise donc à garantir une nomination d'un nouveau président le plus tôt possible après les élections, tant il me semble important que cette agence soit placée sous la supervision d'un élu local.
Mes autres recommandations portent aussi sur le renforcement de l'organisation interne de cette jeune agence, dont la taille paraît très modeste aux yeux de plusieurs personnes entendues. En effet, avec un plafond d'emploi de 12 salariés, et 8 sapeurs-pompiers mis à disposition, l'agence externalise en grande partie l'activité de développement du produit.
Une hausse du plafond d'emploi doit dès lors être envisagée, d'une part pour internaliser davantage la réalisation du produit, et d'autre part, pour ajuster les ressources à la hauteur des besoins que représenteront les phases de déploiement.
L'ANSC finance également la réalisation du projet, qui représente donc 237 millions d'euros sur 10 ans. Ce coût total, pour important qu'il soit, doit être mis en rapport avec les 600 millions d'euros qu'ont payé les SIS sur la même durée. Par ailleurs, sur ces 237 millions d'euros, 37 millions d'euros sont pris en charge par l'État. Cela peut sembler très faible par rapport au reste, qui est donc supporté par les SIS.
Certes, le financement des SGA-SGO relève en principe de la compétence de ces derniers. Toutefois, la contribution de l'État n'est pas non plus qu'un pur soutien pour les SIS. Le ministère de l'intérieur et les préfectures bénéficieront en effet eux aussi de NexSIS, grâce à son module d'hyper-vision, qui permettra une remontée plus rapide des informations et une meilleure coordination en cas de grandes crises.
200 millions d'euros restent donc à la charge des SIS, qui peuvent verser leurs contributions selon un système bien conçu. En premier lieu, une fois le produit livré, ils devront s'acquitter d'une redevance d'exploitation. Cette redevance est calculée à partir de la somme d'une part « globalisée », assise sur des critères démographiques, et d'une part variable, dépendante des spécificités de chaque SIS. En second lieu, les SIS peuvent d'ores et déjà verser à l'agence une subvention volontaire de préinvestissement, qui sera ensuite déduite de leur redevance.
À terme, la redevance versée par chaque SIS se traduira par un gain financier non négligeable, puisqu'au lieu de payer entre 230 000 euros et 1 million d'euros chaque année, leur redevance annuelle s'élèvera entre 100 000 et 430 000 euros.
Ces explications sur le financement du programme étant faites, il me reste maintenant à vous présenter la trajectoire de déploiement de NexSIS. Ce déploiement sera réalisé progressivement jusqu'en 2026, en fonction des SIS qui se sont portés candidats pour en être équipés. Il faut en effet rappeler que l'adhésion au nouveau système reste libre. Cela dit, si les SIS veulent disposer d'un SGA-SGO interopérable, ils seront obligés d'être équipés de NexSIS. Dans l'ensemble, les SIS sont plutôt très favorables à la migration vers le nouveau système.
Cependant, certains ne se sont pas encore positionnés pour des raisons compréhensibles. Ils attendent en effet que le produit soit plus abouti, pour avoir la garantie qu'il soit égal ou supérieur au niveau de leur technologie actuelle. J'ai ainsi rencontré le cas d'un SIS qui a investi tout récemment dans un système très performant, au moment même où NexSIS venait d'être lancé. Ce SIS préfère donc être intégré dans la dernière vague de migration, afin d'amortir son investissement.
Par ailleurs, si NexSIS ne rencontre pas d'opposition de principe, quelques inquiétudes émanent de certains SIS qui veulent éviter toute régression dans la transition. Cet impératif semble être bien pris en compte par l'ANSC, mais elle doit pour cela poursuivre le dialogue avec les éditeurs des technologies actuelles, lesquels sont dans une position ambivalente. En effet, certains se sont positionnés sur les différents marchés passés par l'agence, tandis que d'autres ont pu vouloir freiner la réalisation du projet par des actions contentieuses.
Il me semble également qu'une meilleure valorisation des nouvelles économies permises par NexSIS soit susceptible de rendre plus attractif ce nouveau système. En effet, NexSIS entraine avec lui de nouvelles mutualisations, dont les gains financiers sont aujourd'hui peu visibles pour les SIS.
Toujours est-il que le projet rencontre un véritable engouement, puisque le nombre de candidats s'est avéré supérieur aux capacités de déploiement de l'agence. Des critères de priorisation ont donc dû être établis, pour assurer une livraison échelonnée sur la période 2021-2026. Ces critères répondent notamment aux préoccupations des SIS qui font face à des systèmes en voie d'obsolescence, ou de difficultés contractuelles avec leur fournisseur. Mais ces critères tiennent également compte de la tenue prochaine d'événements de grande ampleur, tels que les Jeux olympiques de 2024.
Selon ces critères, le déploiement de l'agence se fera selon un rythme de 15 à 20 SIS par an, et la moitié du territoire sera ainsi équipée de NexSIS d'ici fin 2023.
Ce calendrier ne devrait pas connaître de retards particuliers, bien que la crise sanitaire ait freiné l'activité de l'agence et la conception du produit. L'exécution de la programmation budgétaire semble également avoir rattrapé les retards constatés en début de période, notamment grâce à des contributions de préinvestissement plus élevées que prévues. Si cette trajectoire financière demeure construite sur des hypothèses prudentes, elle ne s'écarte pas des prévisions initiales, et elle devrait donc bien accompagner les phases de déploiement.
Enfin, il faut rappeler que ce calendrier de livraison est conçu de façon relativement indépendante de celui du programme SI-SAMU. J'avais déjà regretté que ce programme d'unification des systèmes d'information des SAMU ait été lancé en l'absence d'une étroite concertation entre le ministère de la santé et le ministère de l'intérieur. Le programme SI-SAMU connaît depuis d'importants retards, et a fait l'objet de plusieurs critiques de la direction interministérielle du numérique. Face à ces retards, il est donc possible que l'interfaçage entre NexSIS et SI-SAMU ne soit pas synchronisé selon les départements. Il importe alors que l'ANSC, en lien avec les représentants du ministère de la santé, traite cette difficulté, pour que l'objectif d'interopérabilité entre les technologies des SIS et des SAMU soit bien réalisé dès les premières phases de migration.
Nonobstant cette remarque, le programme NexSIS semble plutôt engagé sur la bonne voie. C'est du moins l'impression que partagent l'ensemble des personnes que j'ai entendues, et notamment les responsables du SIS de Seine-et-Marne, dans lequel je me suis rendu. Ce SIS préfigurateur sera en effet le premier à être équipé de NexSIS, d'ici la fin de l'année. Il dispose déjà d'une version de secours, qui répond aux exigences minimales, et qui a permis de compenser les défaillances de son SGA-SGO actuel.
Les démonstrations réalisées m'ont également permis de constater que l'interopérabilité avec les autres systèmes d'information est bien intégrée dès l'origine dans le produit, et permettra des échanges plus rapides dans toute la chaîne de secours.
En conclusion, mes chers collègues, je souhaite vivement que ce projet aboutisse, tout en gardant un oeil attentif sur la suite de sa mise en oeuvre. L'examen des prochaines lois de finances sera justement l'occasion de constater la performance de ce nouvel outil, sous réserve que les indicateurs dont nous disposons nous permettent de bien l'évaluer. Or, le projet d'indicateur se borne à renseigner l'évolution du taux d'adhésion des SIS au nouveau système. Il s'agit certes d'une information pertinente pour le Parlement, mais qui traduit mal la performance intrinsèque de NexSIS. Dès lors SDIS, il me paraît nécessaire que les annexes au projet de loi de finances intègrent un indicateur de performance qui rende mieux compte des gains apportés par NexSIS, en termes de prise en charge des alertes notamment.
Je vous remercie pour ce rapport qui fait le lien avec vos rapports précédents, notamment sur d'autres projets numériques. Vous présentez aujourd'hui un nouveau projet informatique national, et à cet égard, je ne peux m'empêcher d'avoir quelques inquiétudes, en pensant notamment à de précédents projets lancés par l'État qui n'ont pas fonctionné, comme Louvois.
Je salue Jean Pierre Vogel à la fois pour sa grande connaissance de la sécurité civile et sa continuité dans l'action en ce domaine. Je note d'ailleurs que certaines des recommandations de ses rapports sont suivies d'effets. Hormis un manque de synchronisation avec le SAMU, nous pouvons nous réjouir de l'aboutissement de ce projet important, partagé entre l'État et les collectivités. Au-delà des pompiers, j'aimerais aussi saluer le travail des associations agréées de sécurité civile qui comptent 200 000 bénévoles et irriguent tous les territoires. À tout moment de l'année, de jour comme de nuit, ils effectuent partout des interventions multiples et variées.
Le projet Nexis est important mais a souffert à ses débuts des stigmates d'autres projets d'État, au premier rang desquels ANTARES, qui ont grandement marqué nos sapeurs-pompiers et présidents de SDIS. Lorsque nous avons présenté le projet NexSIS, basé sur une méthode agile et de coconstruction, la première réaction a été le scepticisme vis-à-vis d'un système d'État imposé de l'extérieur et qui va coûter des millions d'euros. Nous avons donc eu un important travail de pédagogie à faire, aidé par la méthode de la coconstruction qui a beaucoup rassuré. C'est en effet un outil conçu par les sapeurs-pompiers, pour les sapeurs-pompiers. Il y a ainsi plus de vingt SDIS qui envoient chaque semaine des sapeurs-pompiers au siège de l'agence pour participer à la construction de l'outil. L'adhésion des SDIS est donc grande et ces derniers ont été nombreux à participer par des subventions d'investissement. Et si la part de l'État n'est que de 37 millions d'euros, elle a néanmoins été essentielle car elle a permis de lancer le développement du projet. Ainsi, en dépit de la crise sanitaire, le projet n'a que quelques mois de retard, cela aurait pu être bien plus.
En ce qui concerne les recommandations du rapport, il faut effectivement, dès le lendemain des élections départementales, nommer un nouveau président car c'est la condition sine qua non pour garantir la représentation des SDIS au conseil d'administration de l'agence, dont la gouvernance est assurée à parité par des élus et des représentants de l'État. C'est un outil qui est essentiel, car bon nombre de SDIS ont des systèmes de SGA/SGO quasi-obsolètes, et construit de façon intelligente. Par ailleurs, il faut monter le plafond d'emploi, en parallèle de l'engagement financier et humain croissant de la part des SDIS. C'est donc un outil qui permettra une mutualisation des moyens et des matériels, et qui mérite toute confiance.
Merci à notre rapporteur, pour une fois qu'on nous présente un projet informatique d'envergure qui ne se traduit pas par un naufrage cela nous donne un peu d'espoir. J'aimerais néanmoins avoir plus de détails sur la répartition des rôles entre l'agence qui a été créée et un prestataire de service chargé du développement.
Dans le rapport il est écrit que les activités de l'agence sont ainsi très peu internalisées à seulement 6 % ce qui est très en -dessous du ratio préconisé par la direction interministérielle du numérique », mais j'imagine que le travail de conception est effectué par l'agence et le prestataire de service met en musique. Est-on bien dans ce schéma classique ? Ou est-ce qu'en matière de développement il y a des parties conçues en interne et d'autres externalisées ?
Je voudrais moi aussi remercier le rapporteur spécial pour la qualité de son rapport. Tout d'abord, est-ce que le prestataire de service est français ou étranger ? Ensuite, au niveau des moyens de l'agence, a-t-on bien identifié dans les SDIS les moyens dédiés à ce logiciel et qui pourraient donc être mutualisés ? Par ailleurs, si je regarde la carte de déploiement, il y a un peu moins de la moitié des SDIS qui semblent volontaires, est-ce bien le cas ? Dernière question, il y a des articles médiatiques sur le regroupement des différents moyens d'appel, le 15, le 17 etc. Que peut-on attendre dans les années à venir de cette évolution ?
Ce rapport est très complet. Dans une vie antérieure j'étais cadre dans les services d'incendie de l'Hérault, j'ai vécu en direct le naufrage d'ANTARES, qu'on avait installé et qui n'a jamais fonctionné. Or, c'est une nécessité d'interconnecter tous les acteurs de la sécurité. Vous l'avez rappelé mais il faut le souligner, le SDIS, c'est le seul service public dans les territoires qui est présent, 365 jours par an, sept jours sur sept, 24 heures sur 24, même dans le hameau le plus éloigné. C'est donc un projet qui me paraît nécessaire, malgré une petite réticence de ma part compte tenu de mon expérience précédente, mais le projet pourra s'appuyer sur l'expérience de l'échec d'ANTARES.
Dans ce domaine, notre pays est loin d'être le meilleur en Europe, nous avons pris du retard, car les conclusions ne valent que ce que valent les hypothèses, et nous sommes partis sur des hypothèses très éclatées.
J'ai l'impression que nous reproduisons les mêmes erreurs aujourd'hui, car il n'y a pas d'accords entre les différents intervenants, notamment sur la question du numéro unique d'appel d'urgence qu'évoquait Michel Canévet. Le président du Samu de France affirme que le premier à décrocher un appel de santé doit être un professionnel de santé. Ceci sera-t-il toujours possible ?
Je m'inscris à la suite des questions évoquées par mes collègues. La commission d'enquête pour l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion, dont je fus la rapporteure, avait notamment entendu le colonel Grégory Allione, président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France. Son intervention avait clairement - et peut-être durement pour certains - fait état d'une mise à l'écart des sapeurs-pompiers dans la gestion de la crise, il y a maintenant un an de cela. Cette absence de synergie me semble inadmissible. Les investigations que vous avez réalisées en tant que rapporteur spécial ont-elles été l'occasion de constater une meilleure adéquation des ressources, en vue des prochaines crises ?
Je comprends les inquiétudes qu'il peut y avoir quand il s'agit de projets numériques d'une telle ampleur piloté par l'État. J'ai été plutôt rassuré pour NexSIS, car comme l'a souligné Françoise Dumont et les autres personnes entendues, c'est un projet pour les sapeurs-pompiers fabriqué par les sapeurs-pompiers. Cela apporte une garantie sur le bon aboutissement de ce projet, qui marque un saut technologique important : on passe de l'ère téléphonique à l'ère du numérique. Je me suis déplacé à l'Agence du numérique de la sécurité civile et j'y ai constaté la forte implication des techniciens dans la réalisation du projet. Il fait l'objet d'un contrôle régulier et a également été soumis à de nombreuses évaluations préalables. La coconstruction entre les élus locaux et l'État est également de nature à fiabiliser sa réussite.
En ce qui concerne le dialogue avec le ministère de la santé et le projet SI-SAMU, il y a en effet quelques complications. SI-SAMU a été lancé plusieurs années avant NexSIS, en 2012, et a pris beaucoup de retard. Mais le dialogue semble s'être amélioré, le ministère de la santé est en effet représenté au sein du conseil d'administration de l'agence du numérique.
Le projet de numéro d'appel commun est distinct du projet NexSIS. Une tribune de 200 signataires récemment publiée plaide pour conserver un numéro propre au SAMU. Le numéro unique est pourtant un projet sur lequel s'est engagé le président de la République qui date en 2017. Dans l'attente de précisions sur la réalisation de ce projet, j'estime qu'il faut encourager le développement des plateformes communes de traitement des alertes reçues au 15 et au 18. Les quelques plateformes communes qui existent à ce jour semblent bien fonctionner.
En réponse à la question de Philippe Dallier, l'Agence a passé trois principaux marchés, un premier sur la réalisation du produit, un deuxième sur l'assistance à la maîtrise d'ouvrage, un troisième sur l'assistance au déploiement. Ma collègue Françoise Dumont pourra vous donner son avis, mais je pense que si l'agence a davantage de ressources internes, elle pourrait mieux exercer les activités de pilotage de la réalisation du produit.
Des ressources internes supplémentaires seraient en effet les bienvenues, mais il faut relativiser le constat d'une trop grande externalisation. L'agence achète en fait des prestations de temps-hommes à des sociétés extérieures, mais leurs ingénieurs doivent travailler sur site. Il s'agit même d'une exigence prévue dans les marchés de l'agence. Cela permet des échanges plus fluides entre les décideurs, les utilisateurs et les développeurs.
Je reviens aux questions de Michel Canévet. Le marché de développement du produit a été confié au consortium Octo - Camp-to-camp, qui est essentiellement français. La carte de déploiement de NexSIS dont nous disposons montre en effet qu'une petite moitié des SIS seront équipés de NexSIS, mais d'ici fin 2023, et non d'ici fin 2026. Il est en effet difficile d'avoir une visibilité sur le déploiement qui sera réalisé au-delà de 2023, car l'agence a reçu un nombre de candidatures qui dépasse ses capacités, et elle a donc retenu par priorité, selon les critères que j'ai évoqués, les SIS identifiés sur la présente carte pour une livraison d'ici 2023. Ainsi, le SDIS de la Sarthe ne figure pas sur la carte, mais il compte bien adhérer à NexSIS, et a versé pour cela une contribution de préinvestissement de 200 000 euros pour cette année. Cet exemple n'est pas isolé, l'engouement des SIS pour NexSIS est réel. Le ressenti des présidents de conseil d'administration et des directeurs de départementaux de SIS contraste nettement avec celui qu'ils avaient eu vis-à-vis du projet ANTARES.
Le contrôle budgétaire que nous vous présentons aujourd'hui a été engagé en 2020, avant que l'épidémie de Covid-19 ne devienne une pandémie mondiale. L'objectif était alors d'évaluer, dans un contexte de baisse des moyens et des effectifs, si le réseau international de la direction générale du Trésor disposait encore des capacités nécessaires à la réalisation de ses missions.
Depuis, la crise liée à la Covid-19 a illustré d'une façon inédite l'importance de la diplomatie économique et modifiera de façon durable le rapport de l'État à l'économie et aux chaines de valeur.
Les services de l'État à l'étranger ont joué un rôle de premier plan pour le rapatriement en France de nos concitoyens et pour l'accompagnement des entreprises implantées localement. Ils ont participé à la sécurisation de l'approvisionnement en matériels médicaux et assuré, de façon très régulière, le suivi des mesures prises par les différents États.
Aujourd'hui, le réseau international de la direction générale du Trésor (DG Trésor), se compose de 502 agents, répartis en 31 services économiques régionaux, 64 services économiques et 25 délégués ou correspondants.
Le réseau doit assumer des missions très diverses : conseil aux chancelleries, animation de la communauté d'affaires française, information des pouvoirs publics, défense de l'attractivité du territoire ou encore accompagnement des entreprises.
De plus, les services oeuvrent dans un environnement complexe, avec des intervenants multiples : Business France pour l'accompagnement à l'export et la promotion de l'attractivité, Bpifrance pour les financements à l'export, mais également, pour l'animation de la communauté d'affaires, les chambres de commerce et d'industrie, et les conseillers au commerce extérieur de la France.
Nous avons auditionné ces différents acteurs qui ont unanimement salué la qualité des travaux du réseau.
Les chancelleries sont parmi les principaux interlocuteurs des chefs de service, ceux-ci étant également les conseillers économiques des ambassadeurs. Cependant, les relations des services économiques avec l'administration centrale du ministère de l'Europe et des affaires étrangères nous sont apparues insatisfaisantes. En effet, la direction de la diplomatie économique ne peut pas, à ce jour, recourir directement à l'expertise du réseau. Nous recommandons par conséquent de fluidifier les échanges entre l'administration du ministère de l'Europe et des affaires étrangères et le réseau de la DG Trésor en permettant des saisines directes, tout en veillant à ce que la direction centrale en soit toujours informée.
Par ailleurs, alors que le rôle de l'ambassadeur en matière de diplomatie économique a été renforcé, il nous apparait nécessaire de formaliser, sous son égide, des réunions annuelles de l'ensemble des intervenants de la communauté économique à l'étranger. Ces réunions doivent permettre d'organiser des programmes de travail communs et de formaliser les échanges.
De plus, lors de nos auditions, nous avons pu constater certaines lacunes en matière d'identification des projets d'investissement. À ce jour, il s'agit d'une mission conjointe de Business France et du réseau de la direction générale du Trésor. Cependant, pour des raisons purement internes à Business France, les projets sont dans plus de 95 % des cas labellisés comme ayant été identifiés par Business France, alors qu'en réalité, certains d'entre eux proviennent des services économiques. Nous recommandons à ce titre de mettre en place des procédures plus rigoureuses, permettant d'assurer une identification plus sincère des projets.
Enfin, pour conclure sur les missions générales du réseau et alors que la qualité des productions documentaires des services économiques a été unanimement saluée, nous recommandons de publier plus largement leurs travaux.
En particulier, les études comparatives internationales (ECI) constituent des sources d'information particulièrement riches pour éclairer la décision publique. Elles sont réalisées sur commande du Gouvernement, de corps d'inspection ou de parlementaires et permettent d'évaluer les réponses apportées dans différents États à une question donnée.
La DG Trésor a déjà commencé à publier des synthèses de certaines études à destination du grand public. Nous recommandons de généraliser la publication de ces synthèses et de nous communiquer, à nous parlementaires, l'ensemble de ces documents pour éclairer nos débats.
J'en viens désormais aux baisses d'effectifs auxquelles le réseau économique de la DG Trésor s'est trouvé confronté depuis une vingtaine d'années.
La direction comptait en effet, en 2004, 2 024 agents en poste à l'étranger. Elle n'en compte aujourd'hui plus que 502. Une part très importante de cette baisse résulte d'une double évolution de périmètre.
D'abord, les transferts d'effectifs les plus importants concernent Business France. Entre 2009 et 2012, le transfert de 839 agents a permis d'accompagner la dévolution des activités commerciales d'accompagnement à l'export à l'opérateur.
Dans une moindre mesure, le transfert des fonctions support, à hauteur de 79 emplois, au ministère de l'Europe et des affaires étrangères en 2019 participe de cette baisse.
Après prise en compte de ces évolutions de périmètre, ce sont plus de 600 emplois qui ont été supprimés sur l'ensemble du réseau.
La réduction d'effectifs s'est néanmoins accompagnée d'un « repyramidage » des emplois, c'est-à-dire d'une hausse de la proportion relative des emplois les plus qualifiés. La part des emplois de catégorie A et A + est ainsi passée de 27 % des effectifs en 2010 à 48 % en 2020.
Alors que les objectifs du comité action publique 2022 prévoient la suppression de 24 postes sur la période 2018-2022, nous considérons que les baisses devront ensuite s'interrompre, alors que la diplomatie économique doit constituer une priorité pour l'action publique. L'importance de celle-ci s'est révélée sous un jour particulier dans le contexte de la pandémie mais ma collègue Frédérique Espagnac va le préciser.
Je vais en effet d'abord revenir sur la mobilisation exceptionnelle des services économiques à l'étranger dans le contexte de la pandémie.
Les services que nous avons auditionnés ont donné de nombreux exemples de leur mobilisation et je ne reviendrai que sur quelques-uns d'entre eux.
En Chine, le service économique régional a contribué à l'identification des fournisseurs fiables de matériels sanitaires et médicaux, permettant notamment la commande par l'État français de près de 4 milliards de masques et de 15 milliards de masques par les acteurs privés. L'identification des fournisseurs a concerné différents types de matériels et différentes zones géographiques, comme par exemple les Pays Bas pour les ventilateurs. En plus de l'identification des vendeurs fiables, les services économiques ont été mobilisés pour garantir l'acheminement de ces différents matériels.
Un autre exemple nous a été donné pour le Mexique, où le service est intervenu auprès des pouvoirs publics pour assurer la continuité de l'activité d'entreprises françaises, notamment dans le secteur automobile.
Les exemples de mobilisation concernent également le suivi des mesures prises par les différents États. Les services ont en effet réalisé de très nombreuses remontées à l'administration centrale et au Gouvernement, informant les pouvoirs publics sur les mesures prises à travers le monde pour lutter contre la pandémie et soutenir l'économie.
Un tel épisode montre bien l'importance de maintenir une présence forte de notre réseau et de bénéficier d'autant de relais de notre action de diplomatie économique.
Par ailleurs, à l'occasion des échanges que nous avons pu avoir avec les différents intervenants, il nous est apparu nécessaire de renforcer la sécurité informatique des communications des services économiques avec leurs partenaires.
Il nous semble en effet que les progrès réalisés en matière de déploiements d'outils informatiques ne vont pas assez loin. D'abord, concernant les liens avec Business France, l'insuffisance des outils de communication partagés nuit à la circulation des informations entre l'opérateur et le réseau. Nous recommandons à ce titre d'accélérer le chantier de développement d'applications informatiques communes à Business France et aux services économiques.
Notre deuxième recommandation en matière informatique concerne les cabinets du ministère de l'économie, des finances et de la relance. En effet, même si en principe les services à l'étranger n'ont pas à communiquer directement avec les cabinets ministériels, la crise a suscité de nombreux échanges, dont on ne doute pas du caractère parfois sensible. Si nous avons bien conscience du fait que les échanges doivent en principe transiter par l'administration centrale, il n'en demeure pas moins nécessaire d'établir un canal sécurisé entre les réseaux des services économiques à l'étranger et les cabinets du ministère de l'économie, des finances et de la relance. C'est pourquoi nous recommandons d'attribuer aux conseillers concernés une messagerie cryptée.
Enfin, pour conclure sur la dimension informatique, nous avons relevé des divergences persistantes entre la direction générale du Trésor et le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Celles-ci entravent en partie la capacité de réaction des deux ministères. Les difficultés de coordination entre les services engendrent d'importants délais d'ajustement.
Cela a évidemment été le cas pour l'accès à certains outils en télétravail pendant les différents confinements. C'est encore le cas aujourd'hui, en particulier concernant l'outil de suivi déployé par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères pour suivre les principaux dossiers de diplomatie économique, l'outil OSCOP qui n'est toujours pas accessible par les services économiques.
Nous recommandons donc à ce titre d'améliorer la coordination entre la direction du numérique du ministère de l'Europe et des affaires étrangères et le bureau compétent de la DG Trésor afin de faire converger les « bulles informatiques » des deux ministères et assurer une parfaite communication entre ces bulles.
Je souhaite conclure sur deux recommandations plus générales portant sur l'organisation du réseau.
La première concerne notre soutien au mouvement de régionalisation des compétences. Celui-ci a déjà été largement entamé par la direction générale du Trésor et nous tenons à saluer cette évolution, qui nous semble aller dans le bon sens.
Il est absolument nécessaire de renforcer le rôle d'animation des chefs de services économiques régionaux et de localiser les compétences sectorielles au niveau régional. Cet échelon doit être l'échelon de référence pour la constitution de pôles de compétences.
Les services économiques situés dans leur ressort doivent pouvoir les saisir lorsqu'ils ont besoin d'une expertise sur un sujet donné. Le mouvement de régionalisation doit par conséquent être poursuivi.
La deuxième recommandation générale, et notre dernière recommandation, concerne la continuité de l'activité dans les pays dans lesquels la DG Trésor n'est pas présente - les pays qu'elle qualifie d'orphelins.
Nous considérons que la DG Trésor doit mieux organiser la prise de relais par les différents acteurs, à savoir le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, les chambres de commerce et d'industrie et les conseillers du commerce extérieur.
En associant mieux ces intervenants, il nous semble possible de renforcer, à effectif constant, le suivi de ces pays. Nous recommandons ainsi de nommer, au sein des ambassades des pays concernés, des conseillers d'ambassade aux profils plus économiques pour être des relais de l'action de la DG Trésor.
En parallèle, les conseillers du commerce extérieur et les chambres de commerce doivent également être associés pour garantir la continuité de l'action économique de l'État à l'étranger. Nous considérons cependant que la décision finale d'évolution du réseau devra toujours relever de la DG Trésor, afin qu'elle puisse bénéficier de toute la flexibilité nécessaire pour adapter son réseau à l'évolution de la conjoncture politique et des opportunités économiques.
Je me souviens être allé il y a deux ans en Europe du Nord, dans le contexte d'un déplacement du bureau de la commission des finances.
Nous avons visité trois pays, ce qui nous a permis d'apprécier la qualité des travaux du réseau de la direction générale du Trésor. Vous avez rappelé la problématique des transferts de personnel, en indiquant qu'il subsistait un delta de moins 600 postes.
Lors de notre déplacement, nous avons pu disposer d'informations d'un excellent niveau. La montée en compétence figure d'ailleurs dans vos conclusions. En effet, les effectifs ne font pas tout, il faut également une bonne organisation et des équipes de qualité sur le terrain. Cette représentation constitue le porte-voix du rôle et de la place de la France dans le monde.
Votre diagnostic ne méconnaît pas les évolutions en termes d'effectifs mais a le mérite d'évaluer la capacité de rayonnement de notre pays au niveau international, en soulignant la nécessité d'être présent au bon niveau, avec les bonnes compétences.
Vous avez souligné l'opportunité d'avoir eu accès à certains matériels, notamment aux Pays-Bas, pendant la crise sanitaire grâce à nos services à l'étranger. La région Grand-Est était également en première ligne, mais cette fois ce sont les services de la région qui ont identifié des opportunités. Nous devons garder cette présence au niveau international, notamment au niveau européen, car elle doit concourir à donner plus de consistance à la force économique européenne.
Le travail des deux rapporteurs spéciaux m'intéresse d'autant plus qu'avec Vincent Delahaye, nous sommes rapporteurs spéciaux de la mission « Action extérieure de l'État ».
Thierry Cozic a fait le lien avec la question du pilotage imparfait de l'action de la France à l'étranger. Les volontés de rationalisation, d'amélioration de l'organisation, se traduisent bien souvent sur un plan budgétaire, vous l'avez rappelé.
Je souhaite vous interroger sur le rôle de l'ambassadeur : à votre avis, y a-t-il une méthode appliquée dans l'ensemble des pays du monde quant au pilotage des services par l'ambassadeur ou est-ce dépendant des pays, des postes à l'étranger, des personnalités ?
Y a-t-il une volonté de mise en cohérence entre les affaires étrangères, le Trésor et plus largement Bercy pour avoir une action extérieure plus cohérente et donner un rôle économique aux ambassadeurs ? D'ailleurs, serait-ce une bonne chose ou cela pourrait-il avoir une influence sur le rayonnement à la France ?
Je remercie les rapporteurs spéciaux pour la qualité de leur exposé, à l'occasion duquel on constate que des fonctionnements en silos persistent.
Il n'y a donc pas nécessairement un travail collectif au sein des services de l'État, d'où émergent d'ailleurs vos recommandations. On parle d'une réforme de la haute fonction publique : faut-il conserver à l'étranger des entités administratives rattachées à telle ou telle direction ? Ne faudrait-il pas, au contraire, un corps global avec des fonctions qui permettent de travailler pour différentes directions, afin d'améliorer l'efficience, sous la houlette de l'ambassadeur qui a un rôle de coordination très important.
Ma deuxième question est la suivante : l'agence française de développement intervient également en direction des entreprises par le biais de sa filiale Proparco : à votre connaissance, les conseillers économiques travaillent-ils étroitement avec les opérateurs de cette filiale ou y a-t-il là encore un travail en silo ?
Le projet de loi sur l'aide publique au développement tente d'éviter ce phénomène, en constituant un comité local sous la houlette de l'ambassadeur pour organiser les interventions diverses de la France dans chaque pays, y compris celles de l'AFD.
Enfin, vous avez évoqué la réduction significative des moyens humains des services économiques : des priorités géographiques ont-elles été déterminées dans l'implantation de nos services ? Faut-il un effectif moyen dans tous les pays ou y a-t-il des enjeux plus forts pour certains pays notamment par l'intensité des relations commerciales ? Les effectifs sont-ils déterminés en fonction de cette intensité commerciale ou en fonction d'autres objectifs ?
Ma question est dans la ligne de la première question de Michel Canévet et porte sur le statut des agents. Dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique, les agents du ministère des affaires étrangères réclament de pouvoir garder un corps spécifique au regard des missions qu'ils accomplissent à l'étranger.
Les agents de la DGT qui vont travailler dans les missions économiques sont-ils toujours les mêmes et changent-ils simplement de missions ou a-t-on des profils plus diversifiés, comme un agent de Bercy qui serait mis à disposition ou en détachement, envoyé dans une mission économique sans pour autant appartenir au Trésor ? Il me semblait que des hauts fonctionnaires d'autres ministères pouvaient candidater à ce type de poste. Est-ce une problématique que vos interlocuteurs ont évoquée ? Il faut mutualiser mais en même temps, l'endroit où ces agents travaillent implique souvent de conserver une spécialisation.
Dans une vie antérieure, j'ai eu la chance d'être ambassadeur auprès de l'OCDE. J'avais deux services à disposition : un service dont les agents venaient de Bercy, du Trésor, et un autre dont les agents appartenaient au Quai d'Orsay. Chaque service avait son étage, les agents ne se parlaient pas, et n'avaient qu'un seul facteur commun : moi. Et encore ! Les bons jours !
Les mauvais jours, les agents des services économiques me faisaient savoir que Bercy primait sur ce que je pouvais dire. Ils acceptaient tout de même de venir aux réunions communes, mais le travail était totalement délirant. Mes collègues ambassadeurs à l'étranger et en poste diplomatique, ceux qui avaient des services économiques étaient dans la même situation. En réalité, comme il n'y a pas de gestion commune, le personnel diplomatique est géré par le Quai, le personnel de Bercy par Bercy. Ce ne sont pas les mêmes carrières, ni les mêmes profils, ce n'est pas la même ambiance de travail. On est dans un système un peu fou car l'efficacité est assez faible ; chacun fait des notes à sa hiérarchie, en ne communiquant pas avec l'autre service ni avec les agents locaux. A-t-on avancé sur ce sujet ? Je me souviens d'une réunion d'ambassadeurs, où ils réclamaient que l'autorité de l'ambassadeur s'applique sur tous les personnels, d'où qu'ils viennent. Quand j'ai quitté mes fonctions, cela n'avait pas évolué d'un iota. Qu'en est-il aujourd'hui ? Y a-t-il toujours deux hiérarchies, ce qui n'est pas très efficace pour la vision de la France à l'étranger ?
Pour répondre à Christine Lavarde, je rappellerai tout d'abord que les agents de la direction générale du Trésor ont une obligation de mobilité. Les agents en poste à l'étranger doivent nécessairement occuper, à un moment ou à un autre, des postes en administration centrale. Plus largement, les agents présents dans les différents services économiques à l'étranger sont issus de différentes directions comme la direction générale des finances publiques ou de la direction générale des douanes. D'autres ministères sont également représentés.
Pour préciser, à ce jour, 43 agents sont issus du ministère de l'agriculture, 27 agents des ministères de la transition écologique et solidaire, de la cohésion des territoires et de la mer et 6 attachés financiers sont issus de la Banque de France.
Pour répondre à Rémi Féraud sur le pilotage à l'étranger par les ambassadeurs, nous avons pu constater que les pratiques étaient assez aléatoires. Si, à partir de 2012, il y a bien eu une volonté de coordination sur le terrain, depuis, les pratiques ont divergé. Notre recommandation est donc de formaliser, a minima, une réunion annuelle. Nous avons été très étonnés des distorsions existantes d'un pays à l'autre.
Pour répondre à Michel Canévet, nous avons surtout pu constater un besoin d'expertise dans les services à l'étranger : sur la propriété intellectuelle, le développement durable ou encore le secteur financier.
Concernant Proparco, les services économiques sont évidemment amenés à travailler avec cette filiale de l'Agence française de développement, en particulier dans l'instruction des dossiers de financement, plusieurs outils de financement étant gérés en centrale par la direction générale du Trésor. Leurs liens se sont renforcés dans le contexte de la pandémie.
Par ailleurs, les effectifs sont réorientés vers les zones prioritaires, en particulier vers l'Asie. Il y a, en tout état de cause, un rééquilibrage permanent en fonction de l'évolution des perspectives économiques et de la conjoncture politique. Aux États-Unis, le service de Houston doit fermer dans les mois à venir.
La problématique de la gestion commune soulevée par Roger Karoutchi nous semble être essentielle car c'est un constat que nous rejoignons pleinement. Des efforts de synergie existent et l'on peut citer la « Team export » qui rassemble différents acteurs et les conduit à travailler ensemble. Cependant, il existe bel et bien une certaine autonomie des services économique à l'étranger. Aujourd'hui, dans leurs relations avec l'administration centrale, les services économiques ne dépendent que de Bercy.
Au lendemain de la crise que nous venons de vivre, nous avons plus que jamais besoin de coordination et de fluidité entre les services, afin de garantir l'efficacité de leur action. C'est le sens des propositions que nous avons formulées.
Les efforts de mutualisation des fonctions support montrent cependant que certains points avancent et que des progrès ont malgré tout été réalisés.
Durant la crise, les services se sont réorganisés très rapidement, permettant la continuité de leurs activités. Le réseau lui-même reste relativement agile : dans le contexte du Brexit il faudra qu'ait lieu rapidement un renforcement du service économique régional situé aux Pays-Bas avec une compétence agriculture et pêche.
Il y aussi de très importants écarts de dimensionnement entre les différents services économiques. Les services économiques de Pékin et de la Haye n'ont évidemment pas grand-chose à voir entre eux. Pour le Benelux, les moyens sont beaucoup moins importants.
Merci pour ces différentes réponses qui montrent qu'il reste encore beaucoup à faire en matière d'organisation des services à l'étranger. Où doivent être positionnés les effectifs lorsque ces derniers sont contraints, quelles sont les priorités ? Je pense que l'on peut tirer de vos propos que la DG Trésor tient compte des principales évolutions économiques actuelles, aussi bien pour la Chine que par rapport à nos voisins du Benelux.
Il me semble qu'il faudra tout de même se poser la question de ce que l'on attend d'un ambassadeur. Plus le temps passe et moins la présence diplomatique a de sens. Les chefs d'État ou les ministres se téléphonent directement.
Il faudra un jour se demander s'il n'est pas nécessaire de créer un corps d'ambassadeurs formés sur le modèle Bercy, ceux-ci étant ensuite envoyés dans les postes les plus intéressants économiquement pour la France.
Il est absurde de nommer des ambassadeurs n'ayant aucune formation économique dans des grands pays avec lesquels nous avons des liens importants.
C'est bien le sens d'une de nos recommandations, qui vise à ce que certains conseillers d'ambassades aient un profil plus économique pour être des relais de notre diplomatie économique.