Intervention de Pierre Moscovici

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 3 juin 2021 à 11h05
Audition de M. Pierre Moscovici président du haut conseil des finances publiques sur l'avis du haut conseil relatif au projet de loi de finances rectificative pour 2021

Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques :

Merci de m'inviter à nouveau devant votre commission pour vous présenter les principales conclusions de notre avis relatif au premier projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2021.

Voilà un an jour pour jour que j'occupe les fonctions de Premier président de la Cour des comptes ; en juin dernier, je renouais ainsi avec une institution, le Haut Conseil des finances publiques, que j'avais portée sur les fonts baptismaux en 2012, lorsque j'étais ministre des finances, à un moment où la révision de la gouvernance économique était devenue nécessaire dans le sillage de la crise économique de 2008 et de celle des dettes publiques souveraines de 2010-2011.

La crise économique et sanitaire que nous traversons depuis plus d'un an est de nature différente ; elle appelle un nouvel ajustement de notre cadre des finances publiques.

Au cours de l'année dernière, le Haut Conseil a rendu sept avis, cette activité inhabituellement soutenue reflétant le caractère inédit de la crise et donc des réponses apportées. Deux principaux constats découlent de ces avis : l'obsolescence de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 adoptée en janvier 2018 et le caractère absolument fondamental de la soutenabilité de notre endettement public. Après le bond de près de 20 points de PIB que nous connaîtrons entre l'avant et l'après-crise, il conviendra de maîtriser le niveau de notre dette publique afin de le faire refluer à moyen terme.

L'avis du Haut Conseil sur le premier PLFR pour 2021 renforce la portée de ces deux constats, lesquels, d'ailleurs, se font écho, appelant à la définition d'une nouvelle stratégie d'action qui prendra la forme, le moment venu, d'une nouvelle loi de programmation des finances publiques, à l'aube d'un nouveau quinquennat.

J'aurai d'ailleurs le plaisir de revenir prochainement devant vous en tant que Premier président de la Cour des comptes pour vous exposer un ensemble de recommandations que la Cour formule afin de guider l'élaboration de cette stratégie. Dans cette perspective, nous remettrons au Premier ministre, dans les semaines qui viennent, un audit extrêmement large qu'il nous a commandé.

J'en viens au présent avis.

Je vous indiquerai tout d'abord quelle est l'analyse du Haut Conseil sur les prévisions économiques du Gouvernement, puis formulerai plusieurs observations sur la trajectoire des finances publiques.

Le scénario macroéconomique présenté par le Gouvernement dans ce collectif budgétaire confirme le rebond de l'activité économique : après un recul de 7,9 % en 2020, le Gouvernement prévoit en effet une croissance de 5 % du PIB pour 2021, prévision inchangée par rapport à celle présentée en avril 2021. Il y a deux mois, le Haut Conseil avait qualifié ce scénario macroéconomique de « cohérent » vu le scénario sanitaire retenu d'une levée progressive à partir de mai 2021 des restrictions de déplacement et d'activité. Ce scénario s'est globalement réalisé et nous maintenons aujourd'hui cette appréciation en tenant compte des informations conjoncturelles publiées depuis avril.

Après une légère contraction du PIB, disons une « stabilité baissière », au premier semestre 2021, la poursuite de la levée des restrictions devrait permettre un rebond très net de l'activité. Les enquêtes de conjoncture publiées par l'Insee laissent même présager une résorption un peu plus rapide que prévue des pertes d'activité. Le Haut Conseil a décidé d'accorder le qualificatif de « réaliste » à la prévision du Gouvernement ; mais la prudence doit rester l'orientation dominante compte tenu du caractère un peu décevant des données du premier trimestre et des aléas qui continuent d'entourer la situation économique - évolution de la situation sanitaire, comportement de consommation des ménages, solvabilité des entreprises.

Au total - c'est l'essentiel -, nous considérons que la prévision de croissance du Gouvernement, 5 %, est réaliste pour 2021. Nous estimons par ailleurs que les prévisions d'emploi et de masse salariale sont plutôt prudentes. Quant à l'inflation, elle pourrait se révéler un peu supérieure à la prévision du PLFR, ce qui pourrait soutenir les regains de recettes publiques.

J'en viens aux prévisions de recettes et de dépenses du Gouvernement.

Depuis le programme de stabilité (PSTAB), le scénario de finances publiques a été révisé pour prendre notamment en compte le prolongement de certains dispositifs de soutien. Le niveau des dépenses publiques est ainsi revu en très forte hausse par rapport à la loi de finances initiale, pour s'établir à 60,6 points de PIB en 2021. Par rapport à 2020, les dépenses croissent de 66 milliards d'euros, soit une augmentation de 3,6 %, portées avant tout par les dépenses « ordinaires », qui ne comprennent pas les mesures de soutien et de relance - ces dépenses ont augmenté de 41 milliards d'euros cette année. Les dépenses de soutien et de relance sont également en hausse, de 25 milliards d'euros par rapport à 2020 ; les crédits ouverts sur la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire » sont en particulier en très forte hausse : ils passent de 6 milliards d'euros en loi de finances initiale à 44,7 milliards d'euros dans ce PLFR. Il faut souligner néanmoins que la majeure partie de ces crédits ont été ouverts avant ce collectif budgétaire par la voie réglementaire du report de crédits.

En dépit d'un environnement macroéconomique meilleur qu'en 2020, le déficit public se dégraderait donc en 2021, sous l'effet notamment de ces mesures supplémentaires, pour s'établir à 9,4 points de PIB, en hausse de 0,2 point de PIB par rapport à 2020. Cette prévision est entourée de deux types d'aléas qui jouent en sens inverse : dans un sens, le déficit pourrait être amoindri par un rebond économique plus vigoureux ou par une moindre montée en charge du plan de relance ; dans l'autre, le déficit pourrait être creusé par une nouvelle dégradation de la situation sanitaire ou par l'adoption de mesures additionnelles de soutien - ainsi de la réforme de la dépense fiscale applicable au gazole non routier annoncée par le Gouvernement.

Par ailleurs, le scénario de finances publiques prévoit une dégradation du solde structurel de 5 points entre 2020 et 2021 ; ce solde s'établirait à -6,3 points de PIB en 2021, mouvement très spectaculaire. Il convient toutefois de ne pas accorder trop de crédit à ces chiffres : d'abord parce qu'ils sont calculés sur le fondement de l'hypothèse de croissance potentielle de la loi de programmation des finances publiques de janvier 2018, qui constitue une référence très clairement dépassée, ensuite parce que la méthode de comptabilisation des mesures de soutien a évolué entre 2020 et 2021. Ainsi, l'année dernière, elles étaient considérées comme temporaires, « one-off », tandis qu'elles apparaissent désormais dans le solde structurel, ce qui est assez logique - un one-off, par définition, n'arrive qu'une fois.

En tout état de cause, l'ampleur du déficit structurel témoigne de la situation très dégradée des finances publiques de la France en 2021. Ce n'est pas faire preuve de catastrophisme que de le dire ni porter un jugement - cela, le Haut Conseil ne le fait pas, et la Cour des comptes s'exprimera plus en détail sur le fond. C'est simplement constater que la crise sanitaire a entraîné des mesures qui, pour nécessaires et légitimes qu'elles fussent - le fameux « quoi qu'il en coûte » -, ont aggravé une situation des finances publiques qui était déjà moins favorable que celle de nos partenaires avant 2019, même si la France était sortie de la procédure de déficit excessif.

Avec un déficit public plus creusé en 2021 qu'en 2020, en dépit du rebond de l'activité économique, le ratio de dette publique augmenterait de 20 points de PIB entre 2019 et 2021 pour atteindre plus de 117 points de PIB. Cette évolution appelle la plus grande vigilance sur le chemin de résorption du déficit public et sur la soutenabilité de la trajectoire de finances publiques, dans un contexte où l'inflation, assez présente outre-Atlantique, semble menacer en Europe et où le niveau des taux d'intérêt, sans être préoccupant, reste extrêmement bas - mais nous sommes sortis du territoire négatif.

Avant de répondre à vos questions, je souhaiterais conclure en disant quelques mots d'un sujet qui me tient à coeur, celui de la gouvernance des finances publiques. Vous êtes en discussion avec vos homologues de l'Assemblée nationale sur une proposition de loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, qui prévoit notamment d'adapter le mandat du Haut Conseil. En la matière, je souscris aux modifications qui sont portées par les auteurs de cette proposition de loi organique. Le Haut Conseil est au service du débat démocratique, donc au service du Parlement. Or il arrive souvent que nous ne puissions répondre aux questions que vous lui posez, parce qu'elles sont hors de son mandat.

Quand je compare avec la quasi-totalité des pays européens, je constate que le mandat du HCFP est significativement plus étroit que celui des autres institutions budgétaires indépendantes, au détriment du débat public et de l'information du Parlement, et donc du poids de celui-ci dans les débats.

L'élargissement de la compétence du Haut Conseil à l'appréciation du réalisme des prévisions de recettes et de dépenses, mais aussi à l'examen de la soutenabilité de la dette publique, me semble absolument nécessaire à la rénovation de notre cadre de gouvernance des finances publiques.

J'ajouterai trois ajustements complémentaires.

Le premier concerne l'appréciation de la trajectoire de finances publiques : pour que le HCFP puisse apprécier le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses, il devrait pouvoir examiner les mesures nouvelles les plus significatives portées par les textes financiers. Par exemple, on pourrait envisager un seuil financier fixé par la loi organique pour que cette contre-expertise soit réservée aux seules mesures ayant une forte incidence sur ladite trajectoire.

Le deuxième ajustement a trait au suivi en continu de l'exécution de la trajectoire de finances publiques. Ce suivi pourrait être rendu plus opérationnel via une procédure d'identification des risques d'écart : le Haut Conseil pourrait suivre au cours de l'année la réalisation de la trajectoire, et formuler un avis en cas de risque d'écart. Il s'agirait d'un mécanisme de préalerte, complémentaire du mécanisme actuel de correction, lequel n'a pas pleinement fait la preuve de son efficacité.

Le troisième est relatif à la simplification et à la clarification du mandat du Haut Conseil. Quelques dispositions pourraient faire ponctuellement l'objet d'ajustements, notamment celles relatives au délai de saisine, qui ne sont pas tout à fait satisfaisantes. Le présent avis l'illustre à nouveau : le HCFP n'a disposé pour examiner le PLFR que de cinq jours, réduits à moins de trois à l'issue de la saisine rectificative effectuée par le Gouvernement. Cette situation n'est pas conforme à ce que devrait être le fonctionnement d'une institution budgétaire indépendante. Chacun en est conscient, y compris au ministère des finances, et il est temps d'y remédier. Je suis, quant à moi, très attaché à la modernisation du cadre de gouvernance organique des finances publiques et à un travail harmonieux avec le Parlement, notamment avec votre commission. Ces réformes y contribueront.

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