Intervention de Pierre Moscovici

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 3 juin 2021 à 11h05
Audition de M. Pierre Moscovici président du haut conseil des finances publiques sur l'avis du haut conseil relatif au projet de loi de finances rectificative pour 2021

Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques :

Le HCFP estime que la prévision de croissance de 5 % présentée par le Gouvernement pour 2021 est réaliste. Elle est certes plus basse que celle de l'OCDE, mais le contexte d'incertitude qui s'est installé depuis le début de la pandémie invite à prendre du recul par rapport aux chiffres macroéconomiques.

La prévision gouvernementale tient compte de la révision à la baisse de la croissance du PIB pour le premier trimestre, de + 0,4 à - 0,1 point. L'acquis de croissance pour 2021 diminue à l'issue du premier trimestre de 0,6 point, et passe de 4,1 à 3,5. Cet effet explique en partie l'écart entre la prévision du Gouvernement et celle des autres institutions, qui ne l'intègrent pas encore. Du fait de la volatilité, de l'élasticité et de la réactivité de l'économie, on peut cependant attendre de bonnes surprises. Aussi le chiffre de 5 % est-il certes réaliste, mais aussi quelque peu prudent.

Les taux d'intérêt auxquels la France emprunte ont augmenté en 2021, c'est un fait. Les taux des obligations françaises à dix ans se situent désormais à + 0,17 %, alors qu'ils étaient à - 0,38 % en décembre 2020. Cette hausse n'est pas propre à la France mais commune aux États européens et aux États-Unis. La hausse des taux est le reflet d'anticipations positives dans le cadre du redémarrage, encore progressif, des économies : les investisseurs anticipent, à la fois, un peu plus de croissance et un peu plus d'inflation, du fait de la levée des restrictions d'activités et de déplacements liée à la montée en puissance des campagnes de vaccination et aux plans de relance américain et européen.

Parmi les causes possibles de l'inflation figurent les tensions et perturbations affectant les prix de l'énergie et des matières premières, la réouverture des services et des commerces ainsi que des goulets d'étranglement temporaires dans les chaînes de production. Une inflation persistante pourrait être favorable au solde, en jouant sur les recettes, mais aussi avoir un effet négatif sur les taux d'intérêt qu'elle pousserait à la hausse. C'est donc à surveiller de très près.

Je lis les écrits économiques sur l'inflation, par exemple ceux de Raymond Barre, qui fut considéré comme le meilleur économiste de France. Au final, je constate que l'on ne sait pas grand-chose sur le sujet. Les banques centrales sont confrontées à une grande question : l'inflation semble de retour aux États-Unis, pour des raisons différentes de celles que nous connaissons. Les plans de relance affichent dans ce pays une tout autre dimension que chez nous, ce dont certains se félicitent, quand d'autres estiment qu'ils risquent d'entraîner un risque de surchauffe ; c'est notamment le point de vue de l'économiste et Secrétaire du Trésor Janet Yellen, qui craint une réaction de la Réserve fédérale (FED) et une hausse des taux d'intérêt. En Europe, on observe non pas de contagion mécanique, mais une reprise extrêmement limitée de l'inflation, qui ne semble pas de nature à changer à ce stade la guidance de la politique monétaire. Je ne m'engagerai pas davantage sur ce terrain, car la prudence est de rigueur.

Les taux d'intérêt demeurent donc bas et leur augmentation est très limitée. Néanmoins, cet enjeu est crucial pour la soutenabilité de nos finances publiques. Cette remontée des taux, extrêmement légère et indolore, doit servir de piqûre de rappel. Il est imprudent de penser que l'on peut faire n'importe quoi en matière de finances publiques parce que les taux d'intérêt seraient éternellement bas.

Si la remontée des taux observée au cours des dernières semaines devait se poursuivre ou s'accélérer, elle pourrait avoir des conséquences notables sur la prévision d'évolution de la charge d'intérêt. Voilà pourquoi le Haut Conseil appelle à la plus grande vigilance sur la soutenabilité de la trajectoire de finances publiques à moyen terme.

Comme vous l'avez noté, la charge de la dette s'est réduite avec la baisse des taux, mais la forte croissance de la dette publique la rend plus sensible à une hausse des taux d'intérêt. C'est incontestablement un point de vulnérabilité. L'Agence France Trésor estime qu'une hausse d'un point du taux d'intérêt renchérirait la charge d'intérêt de la dette de 2,5 milliards d'euros la première année, et de 28,9 milliards d'euros à l'horizon de dix ans, une estimation plus forte que celle réalisée avant la crise sanitaire.

Je ne m'engagerai pas trop à ce stade sur la question du déficit public. J'y reviendrai dans le cadre du rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques et dans le cadre de l'audit demandé par le Premier ministre. Pour répondre au rapporteur général, si l'on veut revenir au déficit d'avant-crise - je rappelle qu'à l'époque, la France était certes sortie de la procédure de déficit excessif, mais le taux était encore autour de 3 % -, il faudra, en toute hypothèse, du temps, et même pas mal de temps ! La question est : combien de temps ? Quels seront les choix faits pour infléchir la courbe de la dette et celle des déficits ? J'aurai l'occasion de vous présenter des scénarios plus élaborés, mais ce n'est pas le rôle du Haut Conseil des finances publiques. Monsieur le rapporteur général, vous avez raison : nous ne sommes pas prêts de revenir au niveau d'avant la crise avant plusieurs années. C'est une question de choix et de débat public et politique.

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