Le président de la commission des finances est un sage qui voit bien les problèmes... Je me permets de redire qu'il est nécessaire d'élargir le mandat du Haut Conseil des finances publiques. Les questions que vous posez ne relèvent pas toutes du mandat du Haut Conseil et pourtant, théoriquement, dans un univers bien conçu, une institution budgétaire indépendante devrait pouvoir vous délivrer des avis économiques plus éclairés. Je vais donc jongler avec mes deux casquettes, mais, très honnêtement, vos interventions plaident en faveur d'un élargissement raisonnable du mandat du HCFP pour que nous puissions avoir un débat plus éclairé, que nous devrons diriger ensuite vers celui auquel nous avons les uns et les autres, en tant que représentants d'institutions, à rendre des comptes : le citoyen.
Les questions relatives aux collectivités territoriales et à la dette sociale s'adressent plutôt à la Cour des comptes ; j'aurai donc l'occasion d'y revenir, comme Premier président de cette institution, lorsque nous publierons le rapport sur La Situation et les perspectives des finances publiques, le rapport d'audit au Premier ministre, le rapport sur les finances publiques locales et celui sur la loi de financement de la sécurité sociale.
Dans le contexte de crise, le législateur a mis en oeuvre, au travers des lois de finances rectificatives du printemps et de l'été 2020, des mesures de soutien aux collectivités territoriales, afin de lisser l'impact de la crise sur leurs recettes. Le plan de relance n'apporte pas de modification substantielle à ces mesures, mais il y a une territorialisation du plan de relance.
J'ai apprécié l'optimisme de certains sénateurs, qui relève en réalité de la prudence. Le HCFP souligne dans son avis, monsieur Karoutchi, que « le déficit pourrait être creusé par une éventuelle dégradation de la situation sanitaire ». On ne peut pas faire comme si la pandémie était derrière nous ; ce n'est pas le cas. Pour autant, il relève de la responsabilité de l'exécutif de prendre les mesures sanitaires nécessaires et de soutenir la relance de l'activité économique. Le scénario privilégié est celui d'une amélioration de la situation, même s'il faut demeurer très vigilant sur l'évolution de la situation sanitaire. Depuis un an et demi, la situation sanitaire, la situation économique et celle des finances publiques sont étroitement corrélées, le déterminant de base étant la situation sanitaire.
Sur le « quoi qu'il en coûte », le jugement à porter est nuancé. Chacun peut constater le rôle de l'État pour stabiliser la situation macroéconomique et préserver la croissance ; personne ne dira, je pense, qu'il ne fallait pas prendre les mesures importantes pour soutenir ceux qui ont été privés d'activité et les entreprises et préserver la cohésion sociale. Les différents pays européens ont fait à peu près la même chose ; il s'est agi d'un mouvement coordonné à l'échelon européen, avec le soutien de la Banque centrale. Cela ne signifie pas que la situation de nos finances publiques soit meilleure que celle de nos voisins, ce n'est pas le cas, mais la réponse est comparable.
Cela dit, nous avons besoin d'un débat sur la soutenabilité de la dette en sortie de crise et sur la sortie du « quoi qu'il en coûte ». Je n'interviendrai pas dans ce débat politique, mais il est fondamental que nous puissions sortir du « quoi qu'il en coûte ». Du reste, c'est ce qui est en train de se produire : les mesures d'urgence sont petit à petit débranchées, elles ne dureront pas pour l'éternité, et c'est à ce sujet que je vous rejoins, monsieur le sénateur : nous avons un besoin fondamental de pédagogie. On ne peut pas laisser croire que les mesures se prolongeront ad vitam æternam, que la dépense publique peut croître infiniment, que la dette publique n'est pas un problème, ni que les taux d'intérêt resteront éternellement bas, puisque, pendant un moment, on s'endettait, mais la charge de la dette baissait. L'importance du stock de dette est une question déterminante. C'est pourquoi le HCFP et la Cour des comptes développeront l'idée qu'il faut assurer la soutenabilité de la dette publique. Les chemins politiques pour y parvenir peuvent différer, mais il faut traiter le problème.
Il est extrêmement compliqué de classer les dépenses entre urgence et relance. Certains dispositifs se trouvent à la frontière entre le soutien et la relance - l'activité partielle, par exemple - et les mesures n'ont pas le même impact financier selon qu'on les analyse en comptabilité nationale ou en comptabilité budgétaire.
J'en reviens tout de même au message central : il faut faire de la pédagogie sur l'après-crise, sur l'état de nos finances publiques et sur la soutenabilité de la dette. C'est le rôle de la Cour des comptes ; nous l'assumerons. Les pistes sont toujours de trois natures. Il faut d'abord une action sur la croissance. Toute stratégie de finances publiques à moyen terme repose nécessairement sur une stratégie de croissance ; il faut améliorer le niveau de croissance potentielle et de croissance effective. Cela passe par des investissements, en insistant sur la qualité de la dépense publique, afin de favoriser l'investissement, par exemple en matière d'écologie ou de numérique. Néanmoins, la croissance n'y suffira pas seule, il faut le dire. Une revue des dépenses publiques sera indispensable. Enfin, il y a un débat politique sur le niveau des prélèvements obligatoires ; je ne m'y engagerai pas.
J'en viens à l'article de Wolfgang Schäuble, que je connais bien, puisqu'il a été mon homologue comme ministre des finances. Nous n'étions pas toujours de la même opinion, mais c'est un ami et j'ai de l'admiration pour lui. Il pointe avec raison, dans son papier, le risque d'une expansion budgétaire et monétaire trop mécanique. À un moment, il faudra reprendre le chemin de la responsabilité ; on a fait ce qu'il fallait pendant la crise, mais quand celle-ci sera passée, il faudra revenir à une situation normale. Par ailleurs, Wolfgang Schäuble cite Keynes un peu quand ça l'arrange, sans mentionner les excédents allemands. Or, si les déficits budgétaires et de la balance des paiements constituent des déséquilibres macroéconomiques, la situation symétrique - l'importance des excédents budgétaires et de la balance courante - représente un autre déséquilibre macroéconomique, qui engendre une surépargne. Cette tribune a un grand mérite : elle rappelle la nécessité de mûrir le débat, à l'échelon européen, sur la gouvernance économique et budgétaire.
Le HCFP n'est pas compétent pour se prononcer sur la sincérité du budget de l'État, contrairement à la Cour des comptes, laquelle a souligné l'ampleur des reports de crédits de 2020 sur 2021 - 30 milliards d'euros -, qui ne sont pas conformes au principe d'annualité budgétaire.
Voilà les réponses que je souhaitais apporter à vos questions. J'aurai l'occasion de revenir sur ces questions, d'ici quelques semaines, pour vous présenter les rapports de la Cour des comptes.
Je rappelle en conclusion un message simple : il faut regarder la situation de nos finances publiques en face. Il fallait répondre à la crise ; cela a été fait dans un cadre européen et la France a agi de manière comparable à ce qui s'est fait ailleurs, mais la situation de nos finances publiques est dégradée et la question de la soutenabilité de notre dette se pose ; il faudra donc faire des choix. Nous serons là pour alimenter ce débat à vos côtés.