Intervention de Jean-Claude Carle

Réunion du 6 février 2008 à 15h00
Libertés et responsabilités locales — Adoption des conclusions du rapport d'une commission tendant à ne pas adopter une proposition de loi

Photo de Jean-Claude CarleJean-Claude Carle, rapporteur de la commission des affaires culturelles :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'école est, à n'en pas douter, une passion républicaine. Mais cette passion, bien que vive et partagée par chacun d'entre nous, ne doit pas venir troubler notre jugement, au risque de réveiller ainsi des craintes anciennes, heureusement éteintes.

Lors de l'examen d'un tel sujet, notre premier souci doit être de retrouver la sérénité qui préside si souvent à nos échanges et qui a toujours fait la sagesse du Sénat.

C'est ce souci d'aborder avec sérénité cette question délicate qui avait amené la commission des affaires culturelles à se pencher sur ce texte avant même qu'elle soit saisie de la proposition de loi de notre collègue Jean-Marc Todeschini et de plusieurs autres sénateurs.

Ainsi, notre collègue Annie David, auteur et rapporteur d'une proposition de loi identique lorsqu'elle siégeait encore au sein de notre commission, avait commencé à étudier les questions soulevées par l'article 89 de la loi du 13 août 2004.

Je voudrais donc, tout d'abord, saluer la très grande qualité du travail qu'elle avait accompli, dont elle avait rendu compte à notre commission, avant de la quitter pour rejoindre celle des affaires sociales. Ces travaux ont en effet permis d'enrichir les réflexions de notre commission et d'aborder avec plus de recul le texte que nous examinons aujourd'hui.

À mes yeux, ce recul est le meilleur gage de la sagesse de nos travaux, une sagesse qui, mes chers collègues, exige avant tout que nous ne séparions pas l'article 89 de la loi du 13 août 2004 de tout l'édifice juridique et politique qu'il vient compléter et même parachever.

Cet édifice est empreint d'équilibre, car il est fondé sur deux principes constitutionnels, dont le respect s'impose au législateur.

Le premier d'entre eux concerne la liberté de l'enseignement, dont le Conseil constitutionnel a admis qu'elle constituait l'un des principes fondamentaux reconnus par la loi de la République, consacrés par le préambule de la Constitution de 1946.

Le second vise l'organisation d'un enseignement public, gratuit et laïque, dont le même préambule, qui a aujourd'hui encore valeur constitutionnelle, fait l'un des principes particulièrement nécessaires à notre temps, pour reprendre les termes même de notre charte fondamentale.

Chaque fois que nous abordons la question des rapports entre école publique et école privée, nous devons garder à l'esprit ces deux principes et veiller à les concilier, sans jamais sacrifier l'un à l'autre.

Cette exigence, le Conseil constitutionnel l'a rappelée par deux fois au législateur, lorsque celui-ci s'est avisé de l'oublier, en 1985 et en 1994.

Et par deux fois, ce fut aussi la France entière qui exigea des majorités d'alors qu'elles ne rallument pas une guerre scolaire que ce précieux équilibre avait permis d'éteindre.

Cette leçon, mes chers collègues, nous nous devons aussi de ne pas l'oublier, et il nous revient, à notre tour, de faire preuve de mesure, de cette juste mesure qui, aux yeux d'Aristote comme de Confucius, est la marque éternelle de la sagesse.

C'est ce souci d'équilibre qui a permis à la loi Debré, dont les dispositions essentielles sont toujours en vigueur, d'apaiser les tensions scolaires qui, des années durant, ont traversé notre pays. Cet équilibre s'est construit autour d'un principe simple, le principe de parité : lorsqu'une école privée accepte de se soumettre, par contrat d'association, aux mêmes obligations pédagogiques qu'une école publique, elle a droit au même soutien financier.

Ce principe trouve notamment sa traduction dans l'article L. 442-5 du code de l'éducation, aux termes duquel « les dépenses de fonctionnement des classes sous contrat sont prises en charge dans les mêmes conditions que celles des classes correspondantes de l'enseignement public ».

C'est en vertu de ce principe que les communes sont tenues de financer les dépenses de fonctionnement des écoles primaires publiques et privées sous contrat d'association situées sur leur territoire. Ce principe n'a jamais été remis en cause. Bien au contraire, le législateur s'est efforcé, au fil des ans, d'assurer le plein respect de cet équilibre.

C'est pourquoi la loi du 22 juillet 1983, adoptée à une époque où la majorité était peu suspecte d'accorder des avantages indus aux écoles privées, a prévu que, comme cela se faisait et se fait encore pour le public, les communes dont les enfants fréquentent une même école privée sous contrat d'association doivent s'entendre pour répartir entre elles les charges de fonctionnement de l'établissement.

Cette obligation, l'article 89 ne l'a donc en rien créée : en 2004, elle était déjà inscrite dans la loi depuis vingt et un ans. Le Sénat a simplement décidé de la rendre effective.

Car, si la loi du 22 juillet 1983 prévoyait l'obligation pour les communes de résidence des élèves de participer au financement des écoles privées sous contrat d'association extérieures, elle ne permettait pas de trancher les éventuels désaccords entre les communes sur le montant de leur contribution respective, et aucune sanction n'était prévue à l'endroit d'une éventuelle commune récalcitrante.

L'obligation, bien que prévue par la loi depuis vingt et un ans, resta donc lettre morte. Bien sûr, certaines communes d'accueil ou de résidence prirent en charge les frais de fonctionnement concernés. Mais il arrivait aussi que nul ne veuille les acquitter. Ainsi, la scolarité d'un certain nombre d'élèves inscrits dans une école privée sous contrat d'association aurait dû être prise en charge par une ou plusieurs collectivités, mais, de fait, ne l'était par personne.

C'était là, vous en conviendrez, mes chers collègues, une situation bien peu satisfaisante et parfaitement contraire aux principes mêmes de la loi Debré. Elle l'était d'autant plus que, pour les écoles publiques, la loi prévoit que, en cas de désaccord entre communes, le préfet tranche le différend et répartit les charges de fonctionnement entre elles.

Cet arbitrage préfectoral, prévu par l'article L. 212-8 du code de l'éducation, permet de garantir qu'il y aura toujours une ou plusieurs collectivités pour prendre en charge les dépenses de fonctionnement d'une école primaire publique.

De l'existence de cet arbitrage préfectoral pour les écoles publiques et de son absence pour les écoles privées découlait une inégalité que rien, ni des raisons de principe ni des circonstances particulières; ne pouvait justifier. Des élèves, des familles et des contribuables étaient ainsi inégalement traités, et cette inégalité ne venait pas seulement dessiner une ligne de fracture entre écoles publiques et privées, elle traversait aussi les écoles privées.

Si un enfant fréquentait une école privée sur le territoire de sa commune, les charges de fonctionnement qu'il occasionnait étaient obligatoirement prises en charge, mais s'il fréquentait une école privée en dehors de sa commune, elles ne l'étaient pas.

Par un paradoxe étonnant, ce déséquilibre, manifestement défavorable aux écoles privées, pouvait aussi peser sur les écoles publiques. Pour un maire, il était en effet tentant de conseiller aux familles d'inscrire leurs enfants dans une école privée voisine et non dans une école publique. La raison en était simple : dans le premier cas, sa commune n'avait rien à payer ; dans l'autre, elle y était contrainte.

C'est ce double déséquilibre qui a conduit notre collègue Michel Charasse à proposer cet amendement. Après que le gouvernement d'alors lui eut donné un avis favorable, le Sénat l'a adopté, et à l'unanimité, me semble-t-il. Cette disposition ne faisait qu'assurer le parallélisme des formes.

L'article 89 de la loi du 13 août 2004 permet en effet de rétablir l'équilibre là où il était compromis. Il étend au financement des écoles privées sous contrat d'association le principe d'un arbitrage par le préfet des éventuels désaccords entre les communes.

Ce faisant, il garantit qu'un forfait communal sera versé pour chaque enfant, où qu'il soit domicilié et quelle que soit l'école qu'il fréquente, qu'elle soit publique ou privée sous contrat d'association.

Cela est parfaitement conforme à l'esprit de la loi Debré, puisqu'il s'agit, ni plus ni moins, de faire effectivement respecter l'exigence de parité dans toutes ses dimensions.

De plus, l'article 89 précise que le préfet tient compte, dans son arbitrage, des ressources de la commune de résidence, ce qui lui permet de proportionner la participation de celle-ci à ses capacités financières et d'éviter ainsi qu'une petite commune rurale n'ait à acquitter des sommes manifestement excessives.

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