Dans son principe, l'article 89 me paraît donc indiscutable et ne peut être récusé qu'à la condition de balayer avec lui l'équilibre institué par la loi Debré. Ce peut être un choix, mais ce n'est ni le mien, ni celui de la commission, ni, j'en suis sûr, celui de la majorité de nos compatriotes.
D'où viennent alors les malentendus et les désaccords que l'adoption de cet article a pu susciter ? Car, il est inutile de le nier, les dispositions dont il est aujourd'hui question ont fait couler beaucoup d'encre et ont éveillé bien des inquiétudes.
Cette confusion trouve son origine dans une incertitude apparente : l'article 89 ne fait-il pas plus que rétablir l'équilibre entre public et privé ? N'est-il pas plus favorable au privé ?
Les raisons qui ont pu faire naître un tel doute tiennent au fait que, pour encadrer l'arbitrage préfectoral en cas de désaccord au sujet d'une école publique, le législateur a prévu des conditions explicites qui, si elles sont réunies, contraignent la commune de résidence à participer au financement de l'école publique ou, au contraire, l'exonèrent de toute participation.
Ainsi, si la commune de résidence dispose des capacités d'accueil suffisantes dans ses écoles publiques, elle ne peut être tenue d'y participer, sauf à ce que le maire, préalablement consulté par les parents, ait donné son accord à l'inscription d'un enfant dans une école publique extérieure.
De même, si la commune de résidence ne dispose pas d'un service de garde, alors que les parents en ont impérativement besoin, ou si l'enfant en question doit être scolarisé ailleurs pour des raisons médicales, ou bien encore si son frère ou sa soeur sont déjà scolarisés dans la commune extérieure où est située l'école, la commune de résidence est tenue de participer au financement.
Or l'article 89 ne reprend pas explicitement ces conditions pour les appliquer aux écoles privées. C'est un oubli, et notre collègue Michel Charasse a rappelé à de nombreuses reprises qu'il souhaitait à l'origine le rendre applicable aux seuls cas où la commune de résidence ne disposait pas, ou plus, d'une école.
Cette lacune apparente a pu laisser penser qu'une commune pourrait être tenue de payer pour un enfant scolarisé dans une école privée extérieure, alors qu'elle ne le serait pas pour un enfant inscrit dans une école publique.
L'article 89 conduirait ainsi à un nouveau déséquilibre, qui serait, cette fois-ci, défavorable à l'enseignement public.
Mais, mes chers collègues, cette interprétation ne peut pas être retenue, et d'abord parce qu'elle serait sans doute contraire à la Constitution en privilégiant la liberté de l'enseignement aux dépens de l'organisation d'un service public, gratuit et laïque. Or le Conseil constitutionnel a été saisi de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales et n'a pas censuré l'article 89. Pourtant, si tel avait été réellement le sens de cet article, il n'aurait pas manqué de soulever d'office son inconstitutionnalité, comme il a l'habitude de le faire.
Ensuite, cette interprétation ne peut être retenue parce qu'il est constant qu'une disposition légale ne s'interprète jamais isolément, mais doit voir son sens accordé avec l'ensemble du droit en vigueur.
Or, aux termes de l'article L. 442-5 du code de l'éducation, « les dépenses de fonctionnement des classes sous contrat sont prises en charge dans les mêmes conditions que celles des classes correspondantes de l'enseignement public ». L'article 89 doit donc également être lu à la lumière de ces dispositions.
Ainsi, les conditions prévues pour le public doivent être reprises pour le privé dès lors qu'elles ne sont pas explicitement incompatibles avec le principe de la liberté de l'enseignement, qui interdit, par exemple, qu'une famille doive recueillir l'autorisation du maire pour inscrire son enfant dans une école privée.
C'est cette interprétation de l'article 89 qui s'est largement imposée, et qui a été reprise dans les deux circulaires publiées par les ministres concernés, lesquelles précisent explicitement que « conformément au principe de parité qui doit guider l'application de la loi, la commune de résidence doit participer au financement de l'établissement privé sous contrat dans tous les cas où elle devrait participer au financement d'une école publique qui accueillerait le même élève ».
Cette précision est à l'évidence de nature à lever toutes les inquiétudes sur l'effet éventuel que pourrait avoir l'article 89 sur le principe de parité.
De plus, et afin de rassurer définitivement tous ceux qui s'en inquiétaient, le Sénat a pris l'initiative, grâce à nos collègues Paul Girod et Yves Détraigne, d'encadrer le dispositif issu de l'article 89 à l'occasion de l'examen du projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école.
La loi garantit désormais que les communes ne pourront en aucun cas payer plus par élève pour les écoles privées que pour les écoles publiques.
Cette précision, parfaitement convergente avec l'interprétation développée par les deux circulaires, est aussi inspirée par le souci de rappeler que l'article 89 ne peut se lire indépendamment du principe de parité, également consacré par la loi.
Je viens d'évoquer le fait que deux circulaires ont été publiées. En effet, la première, annulée pour de pures raisons de forme, a dû être remplacée par une seconde, car elle avait été signée par les directeurs de cabinet des ministres, et non par les directeurs d'administration centrale concernés, comme cela aurait dû être le cas. Une seconde circulaire a donc été publiée le 27 août 2007, qui reprend l'essentiel du texte de la première. Celle-ci n'ayant pas été annulée pour des raisons de fond, il n'y avait aucune raison de ne pas publier de nouveau le même texte, mais, cette fois-ci, avec les bonnes signatures.
C'est donc bien cette lecture de l'article 89, éclairée par le principe de parité, qui a été retenue par les ministères et qui est à présent mise en oeuvre par les préfets.
Il reste, c'est vrai, que tous ne s'accordent pas sur cette interprétation. Certains, de part et d'autre, aimeraient voir retenue la lecture de l'article 89 qui prévaut lorsqu'il est sorti de son contexte. Pour les uns, la promotion de cette lecture que l'on pourrait dire « dure » va dans le sens des écoles privées ; pour les autres, elle permet de réclamer l'abrogation de dispositions apparemment déséquilibrées.
C'est pourquoi la seconde circulaire a été, comme la première, attaquée devant le Conseil d'État, donnant ainsi l'occasion à ce dernier de se prononcer dans les mois à venir sur le fond du différend.
Dans l'attente de cette décision, les différents partenaires sont convenus de continuer à faire ce qu'ils font déjà depuis 2006, depuis la signature d'un protocole d'accord provisoire élaboré sous l'égide du ministre de l'intérieur d'alors, Nicolas Sarkozy : ils appliquent l'article 89 tel qu'il est éclairé par les circulaires et font avant tout prévaloir l'esprit de concertation.
C'est cet esprit qui, pour l'heure, prévaut partout, ou presque, comme me l'ont d'ailleurs confirmé les partenaires concernés que j'ai auditionnés.
La rareté du nombre de contentieux en est d'ailleurs, mes chers collègues, la meilleure preuve : dix-neuf contentieux seulement dans toute la France, pour plus de 5 400 écoles privées, soit, en moyenne, quatre cas vraiment litigieux pour 1 000 écoles privées.
Je le sais, cette application pacifiée tient aussi à l'esprit de responsabilité des maires, toujours soucieux de respecter la loi. Elle trouve également son origine dans la modération dont font preuve la plupart des écoles privées.
Mes chers collègues, combien de lois avons-nous voté qui permettent de régler sereinement 99, 6 % des situations ? Peu de textes peuvent se prévaloir d'un tel résultat !
Aussi, rien ne me semble exiger l'abrogation immédiate et inconditionnelle d'une disposition dont le principe est incontestable et dont la mise en oeuvre se fait à présent dans des conditions satisfaisantes.
Au demeurant, je me dois de le souligner, le développement de l'intercommunalité permettra aussi de régler une large part des rares difficultés existantes, en faisant disparaître dans la majorité des cas la pertinence de la distinction entre commune d'accueil et commune de résidence, du moins lorsque l'EPCI en question est compétent en matière d'écoles primaires. Cet état de fait explique également le faible nombre de contentieux.
Tant que le Conseil d'État n'aura pas statué, il me semble donc inutile de remettre en cause ou de modifier des dispositions qui, pour l'heure, font l'objet d'un compromis juridiquement fondé et politiquement équilibré.