Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, quelques années après la fin du Second Conflit mondial, Albert Camus écrit : « Sans la culture, et la liberté relative qu’elle suppose, la société, même parfaite, n’est qu’une jungle. C’est pourquoi toute création authentique est un don à l’avenir. »
Ces quatre mots – culture, liberté, création et avenir – composent presque autant un programme pour la réouverture des lieux culturels qu’un récit existentiel et civilisationnel.
Depuis plus d’un an, en effet, à l’exception de rares moments, nous avons expérimenté une vie sans culture vivante.
Certes, le numérique a permis d’apporter une forme d’ersatz culturel, et des choses formidables ont été réalisées. Néanmoins, la preuve est faite aussi qu’il ne peut se substituer à ce qui fonde les arts vivants et, plus globalement, l’acte culturel : ce partage avec les autres est le ressenti, en réalité, d’émotions et de réflexions aussi diverses que diffuses. Ce pouls-là, palpitant, nous a terriblement manqué.
Ainsi, à la gravité de la période que nous venons de traverser, doit désormais répondre une forme non pas d’insoutenable légèreté de l’être, mais de douce légèreté commune.
Il ne s’agit pas tant d’affirmer que rien n’est grave, mais plutôt, puisque tout est grave et que maintenant nous le savons, que nous pouvons aussi penser et nous extraire de cette réalité pour travailler et tendre vers d’autres imaginaires. C’est ce besoin, encore plus vital aujourd’hui, que la culture nous aide, entre autres, à assouvir.
Pour ce faire, et en vue de faciliter et de dynamiser la reprise des activités culturelles, les conditions de réouverture doivent être propices. C’est la raison pour laquelle notre groupe a demandé la tenue de ce débat, pour vous entendre, madame la ministre, et afin que vous puissiez répondre aux questions de mes collègues qui s’en posent encore.
J’en profiterai également pour avancer quelques idées, afin de participer à la réflexion, mais aussi de consolider la relance culturelle, y compris à moyen terme.
L’urgence de garantir un déconfinernent culturel réussi a trait au déploiement de ses modalités. Cela va du pass sanitaire à la cohérence d’ensemble des protocoles mis en œuvre. S’il ne s’agit nullement de reléguer l’impératif sanitaire au second plan, il convient néanmoins de rappeler que l’étude de mars 2021, menée par l’Institut Pasteur, sur les lieux de contamination au SARS-CoV-2, aboutissait à la conclusion que la fréquentation des lieux culturels n’avait pas été associée à un sur-risque d’infection pendant la période où ceux-ci étaient ouverts.
En d’autres termes, s’il est logique qu’ils soient soumis à des protocoles sanitaires, les établissements et les événements culturels n’ont pas à endurer des modalités de réouverture plus drastiques que d’autres lieux aux caractéristiques similaires. Je pense aux critères cumulatifs très lourds pour les festivals – mais cela va peut-être évoluer –, au pass, à la jauge et à la densité. C’est une question de sécurité, d’égalité de traitement, mais aussi d’accessibilité réelle à la culture.
À cet égard, le pass sanitaire, bien qu’il soit temporaire, et mieux cadré par le Sénat, soulève encore de multiples interrogations, et sa mise en œuvre se révélera compliquée et coûteuse.
Je tiens à rendre hommage à l’extrême agilité et pugnacité dont devront faire preuve les organisateurs de festivals et d’autres rencontres, qui ont décidé, et je m’en réjouis, de maintenir leur événement cet été, dans la mesure où ils se jettent, pour partie, dans l’inconnu.
Il faut les accompagner efficacement, par exemple par rapport aux dépenses supplémentaires. À cet égard, une garantie de redémarrage de la part de l’État ne serait-elle pas de nature à les rassurer ? Que pensez-vous, madame la ministre, de cette préconisation de la mission d’information sur les effets des mesures de confinement, dont M. Roger Karoutchi était le rapporteur ?
En plus des difficultés d’organisation, cet accompagnement est naturellement d’ordre financier. Chacun le sait : toutes les structures, les équipes et les artistes auteurs ont été fragilisés. La commission de la culture du Sénat avait alerté sur les pertes considérables que subissaient les différents secteurs culturels.
D’un point de vue quantitatif, le Gouvernement a agi, et il faut le saluer. Des fonds ont été débloqués pour soutenir les acteurs culturels, via des aides transversales et sectorielles. Néanmoins, d’un point de vue qualitatif, quelques points peuvent être soulevés, qui auront peut-être demain des conséquences sur la reprise. En effet, je suis intimement convaincue que la période la plus délicate, qui est devant nous, va révéler la fois les vertus de notre robuste modèle culturel français, mais aussi ses fragilités.
La situation des équipes artistiques est ainsi préoccupante, et les lieux dans le domaine des arts visuels et du spectacle vivant auront une responsabilité majeure, en termes de solidarité, pour les soutenir et les accompagner à un moment où l’embouteillage des projets induira forcément une sélection plus dure. Il me semble, madame la ministre, que la vigilance sur ce sujet devra s’accompagner d’une évaluation de cette situation par les directions régionales des affaires culturelles, les DRAC.
La difficulté à adapter les aides transversales aux spécificités du secteur culturel a été réelle ; je pense aux « trous dans la raquette », aux artistes auteurs et aux établissements publics de coopération culturelle, les EPCC, qui ont pu en être exclus pour des raisons juridiques. Là encore, une analyse fine des situations devra être menée.
Enfin, s’agissant de la problématique récurrente de la déclinaison territoriale des crédits, les lieux intermédiaires et les associations culturelles n’ont pas été suffisamment appuyés, alors que leur ancrage territorial est important.
Si nous nous tournons vers l’avenir, il se révèle indispensable que le soutien à la culture ne s’arrête pas du jour au lendemain. Le prochain PLFR permettra d’aborder cette question. Pour les intermittents, je pense qu’une clause de rendez-vous à l’automne, liée à la prolongation de l’année blanche, peut être nécessaire. Quant au volet sur l’emploi artistique, il devra également faire l’objet d’une évaluation et être amplifié, singulièrement en direction des jeunes artistes.
Les acteurs culturels nous alertent : ils sont heureux de rouvrir, mais n’ont pas pour autant franchi le mur. Ils sont parfois plongés dans un paradoxe, où l’euphorie de la reprise n’apaise aucunement les craintes quant à la pérennité de leur activité. Pour eux, le juge de paix sera 2022, voire 2023.
C’est pourquoi, au regard de l’ampleur de la crise et par souci de visibilité, établir une programmation pluriannuelle pour la culture de 2022 à 2027, sur le modèle de celle qui est prévue pour la recherche, serait peut-être un bon moyen de rassurer les acteurs de la culture. Qu’en pensez-vous, madame la ministre ?
En effet, ce besoin impérieux de visibilité est l’une des grandes leçons de cette crise. La politique de stop and go a été difficile à vivre, d’autant plus que l’anticipation est un facteur décisif ; les équipes sont épuisées.
Afin d’anticiper la rentrée, et quoiqu’il arrive, un plan de maintien des activités culturelles devra être bâti, en lien avec les acteurs culturels, bien sûr, mais aussi en dialogue avec les collectivités. De la même façon, il faudra rapidement anticiper sur les protocoles et préciser ces derniers, pour que les festivals en jauge debout – je pense naturellement aux Rencontres trans musicales, cet hiver, dans mon département – puissent se préparer.
Puisque l’on parle d’anticipation, nous proposerons qu’un plan d’investissement en faveur de l’équipement en ventilation et aération des établissements culturels soit inscrit dans la prochaine loi de finances, en lien avec les fonds de soutien des collectivités déjà à l’œuvre.
En outre, les collectivités territoriales, partenaires naturels des acteurs culturels, sont très heureuses de voir la vie culturelle reprendre sur leur territoire. Elles ont un rôle central à jouer dans la relance culturelle. Les conseils des territoires pour la culture, les CTC, doivent, plus que jamais, jouer un rôle de veille, mais aussi de coordination et d’impulsion pour permettre une véritable territorialisation d’une action publique mieux concertée.
Enfin, la reprise des activités culturelles n’est pas qu’institutionnelle : en France, près d’une personne sur quatre pratique une activité culturelle en amateur. Autant dire que, pour beaucoup de nos concitoyens, le retour à la vie culturelle était attendu. Un certain nombre de points réglementaires, notamment sur les protocoles de divers établissements recevant du public, ou ERP, les empêchent encore de pratiquer. J’espère, madame la ministre, que vous les préciserez très prochainement.
Définitivement, la culture est tout sauf un privilège. Plus que nécessaire, elle nous est essentielle, et c’est peut-être la grande révélation de cette période difficile que nous venons de vivre.