Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie les élus du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires d’avoir souhaité provoquer ce débat devant la Haute Assemblée. J’y représente le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin.
Ce débat nous offre l’occasion de revenir sur la détermination du Gouvernement à agir sur tous les fronts de notre sécurité.
En effet, c’est bien de cela qu’il s’agit : notre sécurité. C’est elle qui a motivé, dès 2015, à la suite des attentats que nous avons subis, le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures à Schengen. C’est elle encore qui a conduit au doublement des forces affectées à ces contrôles, en novembre 2020. C’est elle enfin qui sous-tend nos propositions d’amélioration des contrôles aux frontières extérieures de l’Europe, que nous défendons dans le cadre des négociations européennes.
Dans cette intervention liminaire, j’évoquerai trois points principaux.
Tout d’abord, il me semble qu’il nous faut faire preuve de réalisme : la menace terroriste est toujours présente. Les raisons qui nous ont conduits à rétablir des contrôles aux frontières intérieures en 2015 n’ont, hélas ! pas disparu, du fait d’une conjoncture internationale très perturbée.
Ensuite, le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures apporte une réponse proportionnée et efficace à ces menaces, comme en témoignent les chiffres.
Enfin, cette politique doit être complétée par des initiatives fortes à l’échelon européen afin d’améliorer Schengen. Je reviendrai sur les axes que nous défendons à Bruxelles dans la perspective de la présidence française de l’Union européenne.
Le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures demeure d’actualité, dans un contexte international perturbé.
La France a réintroduit les contrôles aux frontières intérieures avec la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne, la Confédération helvétique, l’Italie et l’Espagne, ainsi qu’aux frontières aériennes et maritimes, lors de la COP21, sur le fondement de l’article 25 § 1 du code frontières Schengen (CFS), qui prévoit une telle possibilité en cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure d’un État membre – catégorie des événements dits prévisibles.
Cependant, à la suite des attentats de Paris et de Saint-Denis, l’état d’urgence a été décrété et cette réintroduction a été prolongée. Actuellement, la France est en prolongation de la réintroduction pour une durée de six mois.
Les raisons qui expliquent cette longue prolongation du rétablissement des contrôles aux frontières intérieures sont doubles.
La principale raison est la menace terroriste. En trois ans, nos services spécialisés ont déjoué 32 attentats. Hélas, cela n’a pas empêché notre pays d’être frappé par trois attentats islamistes, y compris très récemment. L’un d’entre eux, celui de Nice, a été commis par un ressortissant tunisien entré illégalement en Italie avant d’arriver en France par la frontière de Menton-Vintimille.
Cette menace terroriste ne faiblit pas. Les groupes djihadistes restent actifs au Sahel, en Libye, ainsi que dans la zone syro-irakienne. Plusieurs d’entre eux ont des agendas internationaux et alimentent de multiples réseaux criminels qui utilisent le commerce de stupéfiants ou le trafic de migrants pour agir ou amplifier leurs actions.
La deuxième raison qui a conduit à la prolongation est conjoncturelle, mais s’impose à nous tous : c’est la lutte contre la propagation de la covid-19 et la nécessité d’harmoniser les pratiques entre les différents États européens. Ainsi, dans sa communication du 19 janvier 2021, intitulée Un front uni pour vaincre la COVID-19, la Commission européenne a souligné que tous les déplacements non essentiels devaient « être fortement découragés jusqu’à ce que la situation épidémiologique se soit considérablement améliorée ».
Au demeurant, la pression migratoire demeure et connaît une forte hausse : en 2020, les flux de migrants atteignant l’Europe ont connu une augmentation par rapport à 2019 sur les routes occidentales et centrales, ainsi que sur celle des Balkans. Seule la route orientale affiche une baisse.
Par ailleurs, au premier semestre 2021, on a décompté 36 076 entrées irrégulières au sein de l’Union européenne, soit une hausse de 32 % par rapport à la même période de 2020, principalement vers l’Italie et l’Espagne.
Ce sont surtout les flux secondaires, qui touchent la France depuis les autres pays européens, qui sont en augmentation. Ainsi, les non-admissions prononcées en 2020 sont en hausse de 55 % par rapport à l’année précédente, sur les frontières terrestres. La tendance se poursuit sur les trois premiers mois de l’année 2021, une augmentation de 221 % par rapport à 2020 ayant été constatée. Ce sont évidemment les frontières espagnoles et italiennes qui sont les plus concernées.
Ces flux migratoires secondaires pèsent lourdement sur nos dispositifs d’accueil. La France enregistre les chiffres parmi les plus élevés en matière de demandes d’asile : 152 000 demandes ont été déposées en 2019 et 93 000 en 2020.
À cet égard, la France n’est pas isolée et n’est pas la seule à avoir choisi le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures et à l’avoir renouvelé à plusieurs reprises. En effet, plusieurs autres États membres – l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, la Suède et la Norvège – ont également réintroduit ces dernières années les contrôles à certaines de leurs frontières intérieures.
Les résultats obtenus grâce au rétablissement des contrôles aux frontières intérieures sont positifs, dans le cadre d’une coopération active avec les États riverains.
Le contrôle aux frontières repose, aux frontières belge, allemande et suisse, sur les effectifs de douane et de police en poste, soit un peu moins de 2 000 personnes. Aux frontières espagnoles et italiennes, les effectifs ont été portés, depuis les décisions du Président de la République de novembre 2020, de 2 400 à 4 800 policiers, gendarmes et militaires de l’opération Sentinelle.
Les contrôles aux frontières intérieures ont fait la preuve de leur utilité pour prévenir le terrorisme, la criminalité organisée et pour lutter contre l’immigration irrégulière et les filières. Outre leur caractère dissuasif, ils ont permis la surveillance d’individus signalés dans les bases de données européennes et nationales en raison de la menace terroriste qu’ils représentent pour notre territoire. Ils ont également révélé toute leur pertinence dans la lutte contre la fraude documentaire.
À titre d’illustration, permettez-moi de vous livrer quelques chiffres. Depuis novembre 2015, 274 millions de personnes ont franchi les frontières françaises, extérieures ou intérieures ; 102 millions ont fait l’objet de contrôles, 93 millions de passages fichiers, soit plus d’un tiers du total des passages aux frontières. Sur ce total, 121 000 fiches ont été découvertes et 300 000 personnes ont été non admises.
Ces résultats signifient deux choses. La première, c’est que les contrôles fonctionnent et entretiennent un flux réel de non-admissions : un nombre significatif de personnes, approximativement 50 000 par an, sont détectées comme n’ayant aucun droit de se rendre sur notre territoire. Au vu des volumes de circulation, ces contrôles n’entravent nullement la liberté de circulation, qui reste le principal acquis de Schengen.
Il est à noter que les droits des voyageurs et des migrants sont pleinement respectés. En cas de non-admission, notamment à la frontière franco-italienne, des locaux ont été mis à disposition des personnes à qui l’entrée est refusée, le temps qu’elles soient remises aux autorités italiennes.
Ces contrôles aux frontières s’effectuent dans le cadre d’une coopération solide avec les États voisins. L’intégralité des contrôles aux frontières est menée dans le respect du principe de proportionnalité et en étroite coopération avec les autorités des États membres voisins.
En matière de coopération, des analyses de risques sont régulièrement partagées et actualisées avec les États membres limitrophes, en fonction de la situation rencontrée et selon les services considérés – police nationale, douanes et gendarmerie nationale. C’est le cas, par exemple, entre la police et la gendarmerie françaises et les services italiens à la frontière. Ces analyses visent notamment à prévenir le développement d’organisations criminelles transfrontalières et sont diffusées à l’échelon départemental, régional et national.
Les contrôles aux frontières terrestres sont donc aménagés en fonction de ces échanges d’informations et réalisés par des patrouilles fixes et mobiles, qui effectuent une surveillance adaptée entre les différents points de passage.
Par ailleurs, sur le fondement de la convention d’application de l’accord de Schengen, des accords visant à renforcer la coopération policière et douanière ont été signés avec les États frontaliers. Ils prévoient notamment l’installation de centres de coopération policière et douanière (CCPD) facilitant l’échange d’informations entre les différentes parties prenantes.
À terme, le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures ne pouvant être maintenu indéfiniment, c’est vers la réforme de Schengen que nous devrons nous orienter.