Séance en hémicycle du 3 juin 2021 à 14h30

Résumé de la séance

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La séance

Source

La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Laurence Rossignol.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission des affaires européennes a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi tendant à abroger des lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit, présentée par M. Vincent Delahaye, Mme Valérie Létard et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 68, texte de la commission n° 627, rapport n° 626).

La conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre XIV bis du règlement du Sénat.

Au cours de cette procédure, le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l’ensemble du texte adopté par la commission.

Sont et demeurent abrogées sur tout le territoire de la République :

1° (Supprimé)

2° La loi du 27 septembre 1941 relative aux déclarations inexactes des créanciers de l ’ État ou des collectivités publiques ;

3° (Supprimé)

4° La loi du 22 décembre 1941 relative à la rémunération du personnel des journaux quotidiens ;

5° La loi du 28 juillet 1942 relative à l ’ organisation des services médicaux et sociaux du travail ;

6° La loi du 12 février 1943 modifiant le point de départ du délai de péremption de cinq ans prévu pour la validité des significations de cessions des allocations du crédit maritime ;

7° La loi du 12 avril 1943 relative à la publicité par panneaux -réclame, par affiches et aux enseignes ;

8° La loi du 18 janvier 1944 fixant la rémunération due aux officiers publics pour la rédaction des certificats de propriété en matière d ’ assurances sociales ;

9° La loi n° 44 -206 du 22 avril 1944 relative au travail de nuit dans la boulangerie ;

10° La loi du 16 juin 1944 relative à la prescription opposable aux porteurs de représentation de fractions de billets gagnants de la loterie nationale ;

11° La loi n° 45 -01 du 24 novembre 1945 relative aux attributions des ministres du Gouvernement provisoire de la République et à l ’ organisation des ministères ;

12° La loi n° 46 -437 du 16 mars 1946 relative à la suppression des formalités de délivrance d ’ une commission et de prestation de serment imposées aux titulaires de débits de tabac ;

13° (Supprimé)

14° La loi n° 46 -1650 du 19 juillet 1946 instituant une révision supplémentaire des listes électorales ;

15° La loi n° 46 -1889 du 28 août 1946 relative au contrôle des inscriptions sur les listes électorales et à la procédure des inscriptions d ’ urgence ;

16° (Supprimé)

17° La loi n° 46 -2173 du 1 er octobre 1946 fixant à vingt -trois ans l ’ âge de l ’ éligibilité aux assemblées ou collèges électoraux élus au suffrage universel et direct ;

18° (Supprimé)

19° La loi n° 47 -1733 du 5 septembre 1947 fixant le régime électoral pour les élections au conseil général de la Seine et au conseil municipal de Paris ;

20° La loi n° 48 -178 du 2 février 1948 portant aménagement de certaines dispositions de la réglementation des changes et, corrélativement, de certaines dispositions fiscales ;

21° La loi n° 48 -371 du 4 mars 1948 portant fixation des circonscriptions électorales pour la désignation des membres de l ’ assemblée algérienne ;

22° et 23° (Supprimés)

24° La loi n° 48 -1306 du 23 août 1948 portant modification du régime de l ’ assurance vieillesse ;

25° La loi n° 48 -1465 du 22 septembre 1948 relative à l ’ exercice de la médecine et de la chirurgie des animaux par des vétérinaires étrangers ;

26° La loi n° 48 -1480 du 25 septembre 1948 relative au renouvellement des conseils généraux ;

27° (Supprimé)

28° La loi n° 50 -275 du 6 mars 1950 relative aux élections aux conseils d ’ administration des organismes de sécurité sociale et d ’ allocations familiales ;

29° La loi n° 50 -340 du 18 mars 1950 concernant l ’ appel en 1950 des jeunes gens sous les drapeaux ;

30° La loi n° 50 -975 du 16 août 1950 adaptant la législation des assurances sociales agricoles à la situation des cadres des professions agricoles et forestières ;

31° La loi n° 50 -1013 du 22 août 1950 portant réglementation de l ’ emploi de certains produits d ’ origine végétale dans les boissons non alcooliques, en vue de protéger la santé publique ;

32° La loi n° 51 -144 du 11 février 1951 abrogeant les dispositions législatives qui en matière de droit commun suppriment ou limitent le droit qui appartient aux juges d ’ accorder le sursis aux peines qu ’ ils prononcent et de faire bénéficier le coupable de circonstances atténuantes ;

33° La loi n° 51 -1115 du 21 septembre 1951 portant ouverture de crédits sur l ’ exercice 1951 (Éducation nationale) ;

33° bis (nouveau) La loi n° 52 -377 du 9 avril 1952 portant modification des articles 48 à 58, 60 et 61 de la loi du 28 octobre 1946 sur les dommages de guerre ;

34° (Supprimé)

35° La loi n° 53 -248 du 31 mars 1953 relative au règlement, en cas de décès de l ’ assuré en temps de guerre, des contrats d ’ assurance en cas de vie souscrits auprès de la caisse nationale des retraites pour la vieillesse ou de la caisse nationale d ’ assurances en cas de décès ;

36° La loi n° 53 -1329 du 31 décembre 1953 relative au développement des crédits affectés aux dépenses du ministère des travaux publics, des transports et du tourisme pour l ’ exercice 1954 (III : Marine marchande) ;

37° La loi n° 53 -1346 du 31 décembre 1953 modifiant certaines dispositions du décret n° 53 -960 du 30 septembre 1953 réglant les rapports entre bailleurs et locataires, en ce qui concerne le renouvellement des baux à loyer d ’ immeubles ou de locaux à usage commercial, industriel ou artisanal ;

38° La loi n° 54 -740 du 19 juillet 1954 modifiant l ’ article 8 de la loi n° 48 -1471 du 23 septembre 1948 relative à l ’ élection des conseillers de la République ;

39° (Supprimé)

40° La loi n° 55 -20 du 4 janvier 1955 relative aux marques de fabrique et de commerce sous séquestre en France comme biens ennemis ;

41° et 42° (Supprimés)

43° La loi n° 56 -425 du 28 avril 1956 modifiant l ’ article 11 du décret réglementaire du 2 février 1852 pour l ’ élection des députés ;

44° (Supprimé)

45° La loi n° 57 -821 du 23 juillet 1957 accordant des congés non rémunérés aux travailleurs en vue de favoriser l ’ éducation ouvrière ;

46° La loi n° 57 -834 du 26 juillet 1957 modifiant le statut des travailleurs à domicile ;

47° La loi n° 59 -1483 du 28 décembre 1959 relative à la révision des loyers commerciaux ;

48° La loi n° 59 -1511 du 30 décembre 1959 modifiant et complétant l ’ ordonnance n° 58 -1341 du 27 décembre 1958 instituant une nouvelle unité monétaire ;

49° La loi n° 60 -768 du 30 juillet 1960 relative à l ’ accession des travailleurs français non -salariés du Maroc, de la Tunisie, d ’ Égypte et d ’ Indochine aux régimes d ’ allocation vieillesse et d ’ assurance vieillesse ;

50° La loi n° 60 -783 du 30 juillet 1960 modifiant les articles 1 er, 7, 9, 11, 14 et 20 du décret n° 53 -960 du 30 septembre 1953 réglant les rapports entre bailleurs et locataires en ce qui concerne le renouvellement des baux à loyer d ’ immeubles ou de locaux à usage commercial, industriel ou artisanal ;

51° La loi n° 60 -793 du 2 août 1960 relative à l ’ accession des membres du cadre auxiliaire de l ’ enseignement français à l ’ étranger au régime de l ’ assurance volontaire pour le risque vieillesse ;

52° La loi n° 61 -89 du 25 janvier 1961 relative aux assurances maladie, invalidité et maternité des exploitants agricoles et des membres non -salariés de leur famille ;

53° La loi n° 61 -1312 du 6 décembre 1961 tendant à accorder le bénéfice de la législation sur les accidents du travail aux membres bénévoles des organismes sociaux ;

54° La loi n° 61 -1413 du 22 décembre 1961 tendant à étendre la faculté d ’ accession au régime de l ’ assurance volontaire vieillesse aux salariés français résidant ou ayant résidé dans certains États et dans les territoires d ’ outre -mer ;

55° (Supprimé)

56° La loi n° 62 -864 du 28 juillet 1962 relative à la suppression de la commission supérieure de cassation des dommages de guerre ;

57° La loi n° 63 -558 du 10 juin 1963 étendant le bénéfice des dispositions de l ’ article L. 506 du Code de la santé publique relatif à l ’ exercice de la profession d ’ opticien lunetier détaillant ;

58° La loi n° 63 -1329 du 30 décembre 1963 étendant aux départements du Bas -Rhin, du Haut -Rhin et de la Moselle les dispositions législatives concernant les monuments historiques et relatives aux objets mobiliers ;

59° et 60° (Supprimés)

61° La loi n° 65 -526 du 3 juillet 1965 relative à la francisation des noms et prénoms des personnes qui acquièrent ou se font reconnaître la nationalité française ;

62° (Supprimé)

63° La loi n° 66 -360 du 9 juin 1966 étendant aux territoires d ’ outre -mer l ’ application des dispositions de l ’ article 23 du code pénal ;

64° La loi n° 66 -380 du 16 juin 1966 relative à l ’ emploi de procédés non manuscrits pour apposer certaines signatures sur les effets de commerce et les chèques ;

65° La loi n° 66 -381 du 16 juin 1966 complétant l ’ article 401 du Code pénal en matière de filouterie de carburants et de lubrifiants ;

66° à 68° (Supprimés)

69° La loi n° 66 -1008 du 28 décembre 1966 relative aux relations financières avec l ’ étranger ;

70° La loi n° 66 -1010 du 28 décembre 1966 relative à l ’ usure, aux prêts d ’ argent et à certaines opérations de démarchage et de publicité ;

71° La loi n° 67 -556 du 12 juillet 1967 portant dérogation dans la région parisienne aux règles d ’ organisation judiciaire fixées par l ’ ordonnance n° 58 -1273 du 22 décembre 1958 ;

72° La loi n° 68 -696 du 31 juillet 1968 relative aux forclusions encourues du fait des événements de mai et juin 1968 ;

73° La loi n° 69 -7 du 3 janvier 1969 relative aux voies rapides et complétant le régime de la voirie nationale et locale ;

74° La loi n° 69 -12 du 6 janvier 1969 modifiant la loi n° 66 -537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales ;

75° La loi n° 70 -6 du 2 janvier 1970 abrogeant les dispositions de l ’ article 2 de la loi n° 60 -713 du 23 juillet 1960 relatives à la création de corps, civil et militaire, d ’ ingénieurs des travaux maritimes ;

76° La loi n° 70 -480 du 8 juin 1970 tendant à réprimer certaines formes nouvelles de délinquance ;

77° La loi n° 70 -594 du 9 juillet 1970 relative à la mise à parité des pensions des déportés politiques et des déportés résistants ;

78° à 80° (Supprimés)

81° La loi n° 70 -1208 du 23 décembre 1970 portant modification de la loi n° 66 -537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales et de l ’ ordonnance n° 67 -833 du 28 septembre 1967 instituant l ’ Autorité des marchés financiers et relative à l ’ information des porteurs de valeurs mobilières et à la publicité de certaines opérations de bourse ;

82° (Supprimé)

83° La loi n° 70 -1284 du 31 décembre 1970 portant modification de la loi n° 66 -537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales ;

84° (Supprimé)

85° La loi n° 70 -1321 du 31 décembre 1970 relative aux actes de dispositions afférents à certains biens ayant appartenu à des contumax ;

86° à 90° (Supprimés)

91° La loi n° 71 -583 du 16 juillet 1971 portant modifications du régime de l ’ exemption temporaire de contribution foncière prévue en faveur des locaux d ’ habitation ;

92° La loi n° 71 -586 du 16 juillet 1971 relative à la prescription en matière salariale ;

93° (Supprimé)

94° La loi n° 71 -1050 du 24 décembre 1971 modifiant les titres II et V du code de la famille et de l ’ aide sociale et relative au régime des établissements recevant des mineurs, des personnes âgées, des infirmes, des indigents valides et des personnes accueillies en vue de leur réadaptation sociale ;

95° La loi n° 71 -1112 du 31 décembre 1971 relative à l ’ exercice de la profession d ’ infirmier ou d ’ infirmière dans les départements d ’ outre -mer ;

96° La loi n° 71 -1132 du 31 décembre 1971 portant amélioration des pensions de vieillesse du régime général de sécurité sociale et du régime des travailleurs salariés agricoles ;

97° (Supprimé)

98° La loi n° 72 -439 du 30 mai 1972 relative au contentieux des dommages de guerre ;

99° La loi n° 72 -516 du 27 juin 1972 amendant l ’ ordonnance n° 67 -813 du 26 septembre 1967 relative aux sociétés coopératives agricoles, à leurs unions, à leurs fédérations, aux sociétés d ’ intérêt collectif agricole et aux sociétés mixtes d ’ intérêt agricole ;

100° La loi n° 72 -1153 du 23 décembre 1972 modifiant les articles L. 71 () et L. 80 () du code électoral ;

101° La loi n° 72 -1201 du 23 décembre 1972 portant affiliation des maires et adjoints au régime de retraite complémentaire des agents non titulaires des collectivités publiques ;

102° La loi n° 72 -1203 du 23 décembre 1972 prolongeant l ’ âge limite d ’ ouverture du droit aux prestations d ’ assurance maladie et aux prestations familiales en faveur des enfants à la recherche d ’ un emploi à l ’ issue de leur scolarité obligatoire ;

103° La loi n° 72 -1221 du 29 décembre 1972 modifiant la loi n° 51 -356 du 20 mars 1951 sur les ventes avec primes et améliorant les conditions de concurrence ;

104° (Supprimé)

105° La loi n° 73 -10 du 4 janvier 1973 relative à la police des aérodromes, modifiant et complétant le code de l ’ aviation civile ;

106° La loi n° 73 -550 du 28 juin 1973 relative au régime des eaux dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de la Réunion ;

107° La loi n° 74 -1027 du 4 décembre 1974 modifiant certaines dispositions du code de la sécurité sociale relatives aux rentes attribuées aux ayants droit de la victime d ’ un accident du travail suivi de mort ;

108° La loi n° 75 -6 du 3 janvier 1975 portant diverses mesures de protection sociale de la mère et de la famille ;

109° La loi n° 75 -574 du 4 juillet 1975 tendant à la généralisation de la sécurité sociale ;

110° La loi n° 75 -603 du 10 juillet 1975 relative aux conventions entre les caisses d ’ assurance maladie du régime général de la sécurité sociale, du régime agricole et du régime des travailleurs non -salariés des professions non -agricoles et les praticiens et auxiliaires médicaux ;

111° La loi n° 75 -619 du 11 juillet 1975 relative au taux de l ’ intérêt légal ;

112° (Supprimé)

113° La loi n° 75 -626 du 11 juillet 1975 relative aux laboratoires d ’ analyses de biologie médicale et à leurs directeurs et directeurs adjoints ;

114° La loi n° 75 -628 du 11 juillet 1975 relative au crédit maritime mutuel ;

115° (Supprimé)

116° La loi n° 75 -1188 du 20 décembre 1975 portant dérogation, en ce qui concerne la cour d ’ appel de Versailles, aux règles d ’ organisation judiciaire ;

117° La loi n° 75 -1220 du 26 décembre 1975 relative à la fixation du prix des baux commerciaux renouvelés en 1975 ;

118° à 120° (Supprimés)

121° La loi n° 76 -394 du 6 mai 1976 portant création et organisation de la région d ’ Île -de -France ;

122° La loi n° 76 -463 du 31 mai 1976 tendant à faciliter l ’ accession des salariés à la location des locaux d ’ habitation destinés à leur usage personnel ;

123° La loi n° 76 -521 du 16 juin 1976 modifiant certaines dispositions du code des tribunaux administratifs et donnant force de loi à la partie législative de ce code ;

124° et 125° (Supprimés)

126° La loi n° 76 -656 du 16 juillet 1976 modifiant l ’ article L. 950 -2 du code du travail relatif à la participation des employeurs au financement des actions de formation en faveur des demandeurs d ’ emploi ;

127° La loi n° 76 -657 du 16 juillet 1976 portant institution d ’ un repos compensateur en matière d ’ heures supplémentaires de travail ;

128° La loi n° 76 -660 du 19 juillet 1976 portant imposition des plus -values et création d ’ une taxe forfaitaire sur les métaux précieux, les bijoux, les objets d ’ art, de collection et d ’ antiquité ;

129° La loi n° 76 -662 du 19 juillet 1976 relative à la nationalité française dans le territoire français des Afars et des Issas ;

130° La loi n° 76 -1106 du 6 décembre 1976 relative au développement de la prévention des accidents du travail ;

131° (Supprimé)

132° La loi n° 77 -486 du 13 mai 1977 autorisant le Gouvernement à émettre un emprunt bénéficiant d ’ avantages fiscaux ;

133° La loi n° 77 -531 du 26 mai 1977 modifiant la loi n° 72 -657 du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés ;

134° La loi n° 77 -616 du 16 juin 1977 aménageant la taxe professionnelle ;

135° La loi n° 77 -657 du 28 juin 1977 portant majoration des pensions de vieillesse de certains retraités ;

136° La loi n° 77 -748 du 8 juillet 1977 relative aux sociétés anonymes à participation ouvrière ;

137° (Supprimé)

138° La loi n° 77 -766 du 12 juillet 1977 instituant un congé parental d ’ éducation ;

139° La loi n° 77 -769 du 12 juillet 1977 relative au bilan social de l ’ entreprise ;

140° La loi n° 77 -773 du 12 juillet 1977 tendant à l ’ abaissement de l ’ âge de la retraite pour les anciens déportés ou internés ;

141° La loi n° 77 -774 du 12 juillet 1977 tendant à accorder aux femmes assurées au régime général de sécurité sociale, atteignant l ’ âge de soixante ans, la pension de vieillesse au taux normalement applicable à soixante -cinq ans ;

142° La loi n° 77 -825 du 22 juillet 1977 complétant les dispositions du code des communes relatives à la coopération intercommunale ;

143° La loi n° 77 -1356 du 10 décembre 1977 relative au recrutement des membres des tribunaux administratifs ;

144° La loi n° 77 -1409 du 23 décembre 1977 tendant à adapter les limites des circonscriptions électorales aux limites des départements ;

145° et 146° (Supprimés)

147° La loi n° 78 -5 du 2 janvier 1978 tendant au développement de la concertation dans les entreprises avec le personnel d ’ encadrement ;

148° La loi n° 78 -11 du 4 janvier 1978 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n° 75 -535 du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico -sociales et de la loi n° 70 -1318 du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière et portant dérogation, à titre temporaire, pour certains établissements hospitaliers publics ou participant au service public hospitalier, aux règles de tarification ainsi que, pour les soins donnés dans ces établissements, aux modalités de prise en charge ;

149° et 150° (Supprimés)

151° La loi n° 78 -730 du 12 juillet 1978 portant diverses mesures en faveur de la maternité ;

152° (Supprimé)

153° La loi n° 78 -1183 du 20 décembre 1978 complétant les dispositions du code des communes en vue d ’ instituer des comités d ’ hygiène et de sécurité ;

154° La loi n° 79 -1129 du 28 décembre 1979 portant diverses mesures de financement de la sécurité sociale ;

155° (Supprimé)

156° La loi n° 79 -1132 du 28 décembre 1979 tendant à augmenter l ’ effectif du conseil régional de la Corse ;

157° La loi n° 79 -1140 du 29 décembre 1979 relative aux équipements sanitaires et modifiant certaines dispositions de la loi n° 70 -1318 du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière ;

158° La loi n° 79 -1149 du 29 décembre 1979 relative au renouvellement des baux commerciaux en 1980 ;

159° La loi n° 79 -1150 du 29 décembre 1979 relative à la publicité, aux enseignes et préenseignes ;

160° (Supprimé)

161° La loi n° 80 -511 du 7 juillet 1980 relative au recrutement des membres des tribunaux administratifs, et des cours administratives d ’ appel ;

162° La loi n° 80 -545 du 17 juillet 1980 portant diverses dispositions en vue d ’ améliorer la situation des familles nombreuses ;

163° La loi n° 80 -546 du 17 juillet 1980 instituant une assurance veuvage en faveur des conjoints survivants ayant ou ayant eu des charges de famille.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Avant de mettre aux voix l’ensemble du texte adopté par la commission, je vais donner la parole, conformément à l’article 47 quinquies de notre règlement, au rapporteur de la commission, pour sept minutes, au Gouvernement, puis à un représentant par groupe, pour cinq minutes.

La parole est à Mme le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Di Folco

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons examiné la semaine dernière, selon la procédure de législation en commission, la proposition de loi de Vincent Delahaye, dite Balai II. Ce texte résulte des travaux de la mission de simplification législative, appelée « mission Balai », pour bureau d’annulation des lois anciennes et inutiles. Cette mission tend à identifier, puis à abroger via des propositions de loi les dispositions devenues obsolètes ou inutiles.

Cette proposition de loi vise ainsi à mettre en application les objectifs constitutionnels de clarté, d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi. Elle permet en effet de réduire le stock de normes, d’éviter tout risque de confusion avec des lois ultérieures et d’améliorer la lisibilité de notre droit.

Pour rappel, au mois de décembre 2019, la loi Balai I a permis d’abroger une cinquantaine de lois adoptées entre 1819 et 1940. La rédaction initiale de la proposition de loi Balai II tendait à en abroger 163, adoptées entre 1941 et 1980.

Si l’objet de ce texte était bien de diminuer le stock de lois, la commission des lois a toutefois souhaité garantir une parfaite sécurité juridique. En effet, le droit français ne prévoit pas d’abrogation expresse par le seul écoulement du temps. Ainsi, le juge, l’administration ou les justiciables peuvent mobiliser des textes anciens, parfois antérieurs à la Révolution française, ou s’en prévaloir, sous réserve de leur compatibilité avec le droit postérieur.

Le risque d’une opération balai est donc d’abroger par erreur un texte d’apparence obsolète, qui constituerait toujours, en réalité, la base légale d’un acte ou d’une situation actuels. Ainsi, les conséquences d’une abrogation accidentelle pourraient être particulièrement lourdes et préjudiciables.

C’est la raison pour laquelle nous avons travaillé avec la plus grande rigueur et la plus grande prudence pour examiner les mesures d’abrogation prévues dans ce texte, le doute conduisant toujours à renoncer à l’abrogation d’un texte en cas d’incertitude sur ses conséquences juridiques concrètes.

Nous nous sommes appuyés sur l’avis du Conseil d’État, rendu le 11 février dernier, pour examiner dans le détail les 163 lois proposées à l’abrogation, afin de nous assurer que chaque abrogation ne se heurtait à aucun obstacle juridique et ne soulevait pas d’objection en matière de bonne législation.

In fine, avec l’accord de Vincent Delahaye, la commission des lois a écarté 49 des 163 lois inscrites dans cette proposition de loi. Ces retraits sont fondés sur quatre motifs, qui se sont parfois cumulés.

Le premier motif concerne les lois qui sont toujours utilisées ou qui pourraient l’être.

Il en est ainsi des lois dont l’abrogation pourrait avoir des conséquences dommageables ou risquées, dès lors que leurs dispositions produisent toujours des effets de manière certaine ou sont toujours susceptibles de fournir une base légale à des situations ou à des actes.

C’est le cas de la loi du 27 décembre 1975 portant réforme du régime d’indemnisation des sapeurs-pompiers communaux non professionnels victimes d’un accident ou d’une maladie survenus en service commandé, puisqu’elle constitue encore le fondement légal du versement de la pension de 22 anciens sapeurs-pompiers.

Il en est de même de la loi du 11 juillet 1978 de programme sur les musées, dont l’article 3 prévoit, au bénéfice du Parlement, des pouvoirs de contrôle spécifiques relatifs au musée d’Orsay.

Le deuxième motif de retrait d’une loi de la liste concerne des lois dont l’abrogation nuirait à l’intelligibilité du droit en vigueur.

Certaines lois comportent en effet des articles qui ont introduit ou modifié des dispositions toujours en vigueur au sein d’un code ou d’une autre loi. Quel effet juridique pourrait avoir l’abrogation d’une disposition introductrice ou modificatrice ? Comment cette abrogation pourrait-elle être interprétée par le public ? Il nous a semblé inutile de créer de la confusion là où cette proposition de loi cherche au contraire à introduire de la lisibilité.

Aussi, la commission des lois a décidé de ne pas abroger les lois ayant introduit ou modifié des dispositions toujours en vigueur afin de garantir l’intelligibilité du droit positif.

Le troisième motif a trait au fait que l’abrogation ne doit pas introduire de risque par ricochet.

Des renvois au sein d’autres textes ont pu être établis par le législateur et il est parfois difficile de mesurer la conséquence de l’abrogation d’une disposition à laquelle un autre article fait référence.

Aussi, afin d’évaluer les problèmes de coordination que pourraient induire les abrogations proposées, nos travaux ont porté sur la recherche de ces renvois. Lorsque les renvois détectés se sont révélés caducs ou sans risque, nous avons accepté sans difficulté l’abrogation proposée. À l’inverse, lorsque le problème de coordination soulevé s’est montré complexe ou incertain, il est apparu prudent de maintenir en vigueur la loi en cause.

Enfin, des motifs plus ponctuels ont conduit la commission des lois à ne pas accepter l’abrogation de certaines lois.

Ainsi, certains textes ayant une valeur symbolique ont été conservés. C’est notamment le cas de la loi du 20 mars 1948 permettant aux femmes l’accession à diverses professions d’auxiliaires de justice ou encore de la loi du 3 juillet 1971, qui a permis la libre installation des médecins.

Pour d’autres lois contenant des dispositions qui sont aujourd’hui de niveau organique, il conviendra d’envisager un autre support législatif. C’est le cas pour la loi du 11 avril 1946 ayant pour objet de permettre aux femmes d’accéder à la magistrature.

Enfin, le Conseil d’État a souligné que le législateur national n’était plus compétent pour modifier certaines dispositions applicables outre-mer et qu’il devait en conséquence renoncer à abroger les lois dans lesquelles elles sont inscrites.

Ainsi, la commission des lois a supprimé 49 lois de la liste des abrogations proposées. En revanche, elle a complété l’abrogation de la loi du 30 mai 1972 relative au contentieux des dommages de guerre par celle de la loi du 9 avril 1952 portant modification des articles 48 à 58, 60 et 61 de la loi du 28 octobre 1946 sur les dommages de guerre.

Madame la ministre, je souhaite une nouvelle fois souligner la qualité de notre collaboration avec les agents de vos services et avec ceux de la direction des affaires juridiques de Bercy. Dans un laps de temps très contraint, nos administrateurs respectifs ont réalisé un travail à la fois très vaste et particulièrement méticuleux ; je tiens à les en remercier.

En conclusion de mon propos, je remercie également Vincent Delahaye de son implication au sein de cette mission de simplification législative pour faire la chasse aux fossiles législatifs, mais aussi de la compréhension bienveillante dont il a fait preuve à l’égard de notre méthode de travail prudente, qui permet in fine de conserver 70 % des abrogations initialement prévues.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie applaudit.

Debut de section - Permalien
Amélie de Montchalin

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’emblée de saluer l’ampleur du travail réalisé par M. Vincent Delahaye, auteur de la proposition de loi tendant à abroger des lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit, et par votre rapporteure, Mme Catherine Di Folco.

Le texte que nous examinons aujourd’hui dépasse les clivages. Simplifier notre action publique et ainsi simplifier notre droit : voilà un objectif que nous partageons tous et qui doit tous nous mobiliser.

Une première proposition de loi tendant à améliorer la lisibilité du droit par l’abrogation de lois obsolètes promulguées entre 1880 et 1940 a déjà été adoptée avec le soutien du Gouvernement. Ce nouveau texte permet de balayer la période allant de 1940 à 1980.

Le texte qui vous est ici présenté est le résultat d’une collaboration fructueuse entre le Sénat et le Gouvernement. M. Delahaye et Mme la rapporteure ont en effet étroitement associé le Gouvernement et le Conseil d’État à leurs travaux, qui ont conduit à proposer la suppression d’environ 110 lois obsolètes à l’issue de la procédure de législation en commission qui a été suivie la semaine dernière.

Alors que nous disons souvent dans notre pays que nul n’est censé ignorer la loi, le volume des normes en vigueur aujourd’hui est devenu illisible pour la plupart de nos concitoyens, qu’ils soient usagers du service public, entrepreneurs ou simples citoyens. Cette inflation législative résulte d’une tendance à vouloir toujours plus répondre aux enjeux de l’action publique et aux problèmes de société par la norme et par la loi.

Avec cette proposition de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, vous contribuez indéniablement à la qualité et à l’applicabilité du droit. Je sais que le Sénat est particulièrement sensible à cette exigence fondamentale.

Vous connaissez l’attachement que je manifestais déjà en tant que députée à la qualité et à la simplicité du droit ; aujourd’hui, en tant que ministre, je continue à exprimer cette préoccupation. En effet, dans ce chantier de simplification normative, le Gouvernement prend lui aussi sa part.

Ainsi, depuis 2017, nous avons imposé que la création d’une norme réglementaire autonome s’accompagne toujours de l’abrogation de deux normes de même niveau. Nous avons en parallèle réduit drastiquement le nombre de circulaires publiées et nouvelles. Le résultat est là : le nombre de pages publiées sur Légifrance n’a jamais été aussi bas depuis 2004. Nous sommes revenus près de vingt ans en arrière !

Les projets de loi que nous présentons portent dans leurs contenus mêmes ce même objectif de simplification. C’est le cas du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dit 4D, que vous examinerez dans les semaines à venir. C’était déjà le cas de la loi pour un État au service d’une société de confiance, dite Essoc, qui a instauré le droit à l’erreur, mais aussi de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite Pacte, et de la loi d’accélération et de simplification de l’action publique, dite ASAP, qui ont supprimé de nombreux comités Théodule, comme on les appelle parfois, et simplifié de nombreuses démarches pour nos concitoyens.

Je profite de cette intervention pour élargir mon propos.

Comme l’a souligné le Président de la République lors de son intervention à l’occasion de la Convention managériale de l’État, le 8 avril dernier, la complexité administrative est source d’injustice et d’inefficacité. C’est l’esprit qui préside à la réforme de la haute fonction publique que j’ai présentée hier en conseil des ministres : nous devons passer d’une culture de production de la norme à une culture du résultat sur le terrain, c’est-à-dire à une culture de l’impact concret de notre administration et de nos réformes, jusqu’au dernier kilomètre, pour chacun de nos concitoyens.

Cette efficacité implique et exige la proximité, l’accessibilité et la bienveillance des services publics, pour que chacun accède à ses droits et que les projets sortent de terre.

J’ai ainsi engagé des chantiers qui sont à mon sens plus porteurs de simplification qu’une loi ou qu’un plan. Nous avons établi un baromètre partagé, transparent et accessible à chacun sur le site du Gouvernement, de manière à connaître, département par département, les résultats de l’action publique. Ainsi, chaque élu, chaque citoyen, toute personne, peut avoir des outils d’évaluation de l’action publique.

Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous menons aussi un acte de déconcentration des moyens budgétaires, des moyens de ressources humaines et des pouvoirs de décision pour renforcer ceux qui sont sur le terrain, les préfets et les sous-préfets.

Nous cherchons à accroître encore les possibilités de différenciation du droit et d’expérimentation. Nous voulons renforcer notre culture du service et du guichet, avec un visage accessible aux usagers.

Enfin, nous sommes en train de relancer fortement le dispositif France Expérimentation, qui permet à tout projet économique ou social innovant de solliciter une dérogation à une règle de droit devenue inadaptée aux enjeux d’aujourd’hui. Le principe est simple : la loi d’hier ne doit pas empêcher le progrès d’aujourd’hui et de demain.

Je tiens enfin à saluer la méthode rigoureuse et l’esprit constructif qui ont guidé ces travaux, en bonne intelligence entre le Gouvernement et le Parlement.

Nous avons ainsi identifié, avec Mme la rapporteure, en commission des lois, dans le cadre de la procédure de législation en commission, plusieurs dispositions sur lesquelles un doute subsistait quant à la nécessité de leur abrogation.

Dans un souci de sécurité juridique, qui ne doit pas nuire à la démarche qui est la vôtre, vous avez donc supprimé plusieurs dispositions d’abrogation des lois, suppressions sur lesquelles j’ai émis un avis favorable.

Au total, vous l’aurez compris, parce que cette proposition de loi se fixe un objectif largement partagé par le Gouvernement, en particulier par mon ministère, je lui donnerai, comme je l’ai fait en commission des lois la semaine dernière, un avis favorable. Ce texte trouve pleinement sa place dans l’action que nous menons résolument pour une plus grande clarté et une plus grande efficacité de l’action publique au service de nos concitoyens.

Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour le groupe Union Centriste.

Applaudissements sur les travées du groupe L es Répu blicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Voilà ce que j’ai dit en sollicitant la cosignature de mes collègues sur cette proposition de loi qui vise à abroger un certain nombre de textes obsolètes et inutilisés.

Je tiens à remercier Valérie Létard, mais aussi l’ensemble des collègues des différents groupes, qui ont accepté en grand nombre de cosigner cette proposition de loi, laquelle me semble faire œuvre utile. Je remercie aussi le président Gérard Larcher, qui a inscrit dans son programme de mandature cette opération balai, qui porte bien son nom… Il est en effet justifié que l’on passe du temps à essayer d’alléger notre droit de textes qui l’encombrent et qui nuisent à sa lisibilité, donc à sa bonne application.

Balai I s’est soldé par la suppression de quarante à cinquante textes, Balai II s’attaque aux textes de 1940 à 1980 et entendait supprimer un peu plus de 160 lois. J’adresse des remerciements à Mme la rapporteure de la commission des lois, à Mme la ministre et au Conseil d’État, ayant eu l’occasion de participer à une session de son assemblée générale. Je me suis rallié à leur préoccupation au nom du principe de précaution, que nous connaissons bien, et du principe de prudence, cher aux experts-comptables. Il est en effet apparu que certains textes pouvaient avoir encore des applications et qu’il était préférable de s’abstenir. Dans le doute, nous nous sommes donc abstenus.

J’ai approuvé cette démarche de retrait de textes dont la suppression aurait pu porter à conséquences. Je citerai l’exemple du comité interprofessionnel du cassis de Dijon. Le Conseil d’État a relevé que, si ce comité interprofessionnel a été dissous en 2017, certaines décisions pourraient néanmoins s’appuyer sur son existence et pâtir de sa suppression.

Nous avons bien fait de nous abstenir, parce que ce travail se veut consensuel ; il s’inscrit non pas dans un débat d’opportunités, mais plutôt dans une démarche de long terme. Les textes qui ont été retirés de cette proposition de loi par voie d’amendements feront l’objet d’une étude approfondie par la commission, par le Gouvernement ou par le Conseil d’État, afin que soient levés les doutes les concernant.

Nous aurons donc l’occasion d’y revenir : sans livrer de scoop, je peux vous indiquer qu’un Balai III est en préparation, qui sera consacré aux collectivités territoriales, concernées par des normes dont le nombre atteint plus de 400 000 aujourd’hui.

À ce titre, je suis heureux d’entendre Mme la ministre nous rappeler sa démarche de simplification des normes et des circulaires visant à diminuer un peu ce qui encombre notre vie démocratique.

Comme candidat sénateur, je m’étais engagé à essayer de faire accepter l’idée qu’à chaque nouvelle loi nous en supprimions deux. Ce serait un bon principe à appliquer, madame la ministre, pour obliger les administrations qui préparent les textes de loi à en supprimer progressivement et à s’attaquer ainsi au stock de textes sans se concentrer uniquement sur le flux, quand bien même celui-ci est important.

Comme le relevait le Conseil d’État en 1991, « qui dit inflation dit dévalorisation : quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite ». Il faut se méfier, car trop de textes tuent le texte ! On dit aux citoyens que nul n’est censé ignorer la loi, mais, s’il y a trop de textes, ils finissent par s’y perdre.

Cette démarche de clarté et de lisibilité que nous cherchons à promouvoir est une action de long terme. Nous allons la poursuivre et nous saurons faire preuve de persévérance pour aller plus loin.

Madame la ministre, madame la rapporteure, je vous remercie de votre avis favorable.

Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au 25 janvier 2019, le volume du droit français en vigueur s’élevait à 84 619 articles législatifs et 233 048 articles réglementaires.

Alors qu’un célèbre adage énonce que « nul n’est censé ignorer la loi », il semble aujourd’hui difficile, pour nombre d’entre nous, a fortiori pour nos concitoyens, de ne pas pâtir du manque de lisibilité du droit en vigueur.

Année après année, au gré d’une inflation législative constante, dont nous sommes parfois responsables, les productions normatives s’accumulent, quitte à parfois se contredire.

Une telle situation est regrettable ; elle met évidemment le législateur devant ses responsabilités, car, comme le disait Montesquieu en 1748, « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Il est donc de notre devoir, en tant que parlementaires, d’édicter le droit, mais aussi de rendre la loi intelligible pour chacun de nos concitoyens.

Or la présence dans notre législation de véritables « fossiles juridiques » ne facilite aucunement sa compréhension par les Français. C’est afin de remédier à cette problématique qu’a été créée au mois de janvier 2018 la mission Balai, pour bureau d’annulation des lois anciennes et inutiles – je salue d’ailleurs les auteurs de cet acronyme !

Sourires .

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

C’est dans la continuité de ces travaux que nous est aujourd’hui soumise cette nouvelle proposition de loi ayant pour objectif l’abrogation de 115 textes législatifs édictés entre 1940 et 1980.

Les catégories de lois visées rendent explicite la nécessité de cette démarche. Il s’agit, par exemple, de textes s’inscrivant dans le prolongement de la Seconde Guerre mondiale ou dont l’objet était tout simplement devenu obsolète, comme la loi du 30 décembre 1959 relative au passage au nouveau franc dans les départements d’outre-mer. Il peut encore s’agir de lois dont les effets juridiques étaient bornés dans le temps ou des textes législatifs au sein desquels ne subsistent que des dispositions d’abrogation, d’application ou d’entrée en vigueur, ainsi que l’a rappelé le Conseil d’État.

La volonté d’épurer notre droit de tous ses fossiles législatifs revêt un intérêt évident, particulièrement si les lois abrogées étaient susceptibles d’entrer en contradiction avec des législations aujourd’hui en vigueur, créant de fait une insécurité juridique pour les justiciables. C’est d’ailleurs la principale motivation de cette démarche. En ce sens, si, de prime abord, la portée de cette proposition de loi peut sembler cosmétique, elle permet néanmoins une déflation bienvenue de nos normes juridiques.

Il a fallu le travail méticuleux de nos collègues de ce bureau, dont nous partageons les objectifs, et de notre rapporteure Catherine Di Folco pour consolider la sécurité juridique de ce texte, car il ne fallait pas se laisser entraîner dans des abrogations allant au-delà du nécessaire.

Abroger les lois qui n’ont plus qu’un intérêt archéologique ou anecdotique ne peut que contribuer à faciliter l’accessibilité et la compréhension de la législation réellement applicable.

Pour cette raison, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain se prononcera en faveur de l’adoption de cette proposition de loi dont il remercie les auteurs et la rapporteure. J’associe à cette explication de vote Hussein Bourgi, qui a particulièrement suivi ce texte, mais qui est retenu dans son département.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

La parole est à M. Dany Wattebled, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Dany Wattebled

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi s’inscrit dans la suite logique de la mission de simplification législative dite Balai, créée par le bureau du Sénat au mois de janvier 2018. Elle marque la deuxième étape d’une opération qui, au nom de la crédibilité du droit et de sa lisibilité, a pour ambition de supprimer des textes adoptés entre 1940 et 1980.

Dans sa version initiale, ce texte proposait l’abrogation de 163 lois. Cette initiative apporte une simplification utile : nous constatons tous une inflation législative et normative.

Évidemment, bien des lois sont rendues nécessaires par la multiplication des sources du droit, tant externes, notamment en raison de la transposition de directives européennes, qu’internes. Cette prolifération normative s’explique également par l’émergence de nouveaux domaines et l’apparition de contraintes nouvelles.

Ainsi, en matière économique, de nombreux aspects du droit font l’objet d’adaptations à un environnement mondialisé. La libéralisation du secteur des transports ou de l’énergie requiert l’instauration de règles spécifiques. Dans le domaine scientifique, le développement des biotechnologies rend nécessaire la révision régulière des lois sur la bioéthique. L’essor des technologies de l’information et de la communication a notamment suscité la mise en place d’un cadre juridique adapté au développement de l’économie numérique et une autre approche de la propriété intellectuelle. La nécessité de la sauvegarde de l’environnement et du développement durable entraîne également l’intervention fréquente du législateur.

Néanmoins, le nombre de lois semble connaître une croissance exponentielle dont les causes sont très souvent liées à notre pratique législative, dénoncée par d’éminents juristes.

N’aurions-nous pas tendance à légiférer pour un oui ou pour un non ? Le professeur de droit Jean Carbonnier disait à ce propos : « À peine apercevons-nous le mal que nous exigeons le remède ; et la loi est, en apparence, le remède instantané. Qu’un scandale éclate, qu’un accident survienne, qu’un inconvénient se découvre : la faute en est aux lacunes de la législation. Il n’y a qu’à faire une loi de plus. Et on la fait. Il faudrait beaucoup de courage à un gouvernement pour refuser cette satisfaction de papier à son opinion publique. »

Pour le constitutionnaliste Guy Carcassonne, « tout sujet d’un “vingt heures” est virtuellement une loi », ajoutant : « Il faut, mais il suffit, que [ce sujet] soit suffisamment excitant, qu’il s’agisse d’exciter la compassion, la passion, ou l’indignation, pour qu’instantanément se mette à l’œuvre un processus, tantôt dans les rangs gouvernementaux, tantôt dans les rangs parlementaires, qui va immanquablement aboutir au dépôt d’un projet ou d’une proposition [de loi]. »

Si l’inflation est législative, elle est également réglementaire. À cet égard, un important travail de toilettage pourrait être entrepris, d’autant plus qu’il existe davantage de textes réglementaires que de textes législatifs. Cela a été rappelé, au 25 janvier 2019, le volume du droit consolidé en vigueur était de près de 85 000 articles législatifs et de 233 000 articles réglementaires.

La multiplication des normes et l’allongement des textes constituent des facteurs d’obscurité, de confusion et de complexité qui nuisent gravement à l’efficacité des politiques publiques, à la sécurité juridique et à l’attractivité économique de notre pays.

Dans De l ’ Esprit des lois, Montesquieu écrivait déjà que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Trois siècles plus tard, ce constat n’a rien perdu de sa pertinence. Si nous avons des difficultés à lutter contre l’inflation législative, nous pouvons, pour le moins, abroger ce qui n’a plus lieu d’être.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutient donc très fortement cette proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

La parole est à M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Benarroche

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il devient de plus en plus difficile de répéter que nul n’est censé ignorer la loi, quand la frénésie du législateur porte le nombre de normes à des niveaux qui ne permettent raisonnablement à personne de connaître l’ensemble des textes qui nous régissent : pas moins de soixante-quatorze codes et d’innombrables lois et ordonnances.

L’obsolescence programmée, contre laquelle nous avons voté une loi, ne concerne pas nos textes, malheureusement. Pourtant, comme certains produits naissent d’effets de mode exploités à but lucratif, certaines lois peuvent naître d’effets d’affichage exploités à des fins politiques.

Devant ce constat partagé et afin de permettre aux citoyens comme aux juges de mieux s’y retrouver, le bureau du Sénat a mis en place dès 2018 une mission Balai, dont le nom on ne peut plus explicite reflète l’ambition de se débarrasser des lois inutiles, que d’aucuns qualifient de « fossiles législatifs ».

De cette mission est née une première loi d’abrogation qui a porté sur une cinquantaine de textes adoptés entre 1800 et 1940. Le texte que nous nous apprêtons à voter porte sur plus du double de textes : plus d’une centaine de lois sur les 169 qui y étaient initialement inscrites.

Je salue le travail minutieux de notre rapporteure, de la commission et des administrateurs. Certaines lois, d’apparence obsolète, ont été conservées, à l’instar de la loi qui concerne les pensions de certains pompiers volontaires. Il faut saluer la prudence avec laquelle certaines lois ayant depuis été codifiées ont été conservées. En effet, la prudence est de mise lorsque les conséquences de la volonté de clarification du droit sont incertaines.

Cette retenue devrait aussi nous guider dans l’écriture du droit, l’inflation législative étant, hélas, un écueil que le Gouvernement, comme le Parlement, peine parfois à éviter pour des raisons bien trop politiciennes. « Un fait divers, une loi » : nous devons sortir de ce cycle infernal.

Certains ne verront dans ce nettoyage qu’une action cosmétique. Il n’en est rien. Il nous incite, voire nous oblige, à mieux appréhender note rôle de législateur et la retenue dont nous devons faire preuve dans la création normative qui reste notre rôle. Il invite aussi le Gouvernement à continuer, voire à amplifier le processus de codification permettant un accès facilité et lisible au droit applicable par l’ensemble des citoyens, notamment via le site legifrance.gouv.fr, récemment rénové.

Oserais-je dire qu’il oblige le Gouvernement à s’appliquer à lui-même le principe inscrit dans la circulaire du 26 juillet 2017 relative à la maîtrise du flux des textes réglementaires et de leur impact, selon lequel « toute nouvelle norme réglementaire doit être compensée par la suppression ou, en cas d’impossibilité avérée, la simplification d’au moins deux normes existantes » ?

Les attentes des citoyens et des collectivités locales sont réelles et les bafouillages des derniers mois, lors de la crise sanitaire, n’ont fait qu’empirer la perception d’un État kafkaïen qui norme à l’infini, sans cohérence. Nombre de citoyens, entrepreneurs et associations peinent à naviguer entre les injonctions juridiques et à percevoir de manière fiable le cadre juridique qui leur permet d’agir.

Pourtant, M. Dussopt, votre prédécesseur sur ce banc lors de la lecture de la première loi Balai, madame la ministre, a affirmé que « le Gouvernement [avait] décidé d’insérer, dans chaque projet de loi, un volet dédié à la simplification ».

Aussi, notre chambre des territoires, qui attend avec impatience l’examen du projet de loi 4D, pour déconcentration, décentralisation, différenciation, décomplexification, renommé 3DS, pour déconcentration, décentralisation, différenciation, simplification, reste très attentive aux difficultés des maires, qui n’arrivent pas toujours, sans un appui en ingénierie juridique, à naviguer dans les méandres des normes applicables. Parfois, construire un simple jardin d’enfants n’est pas un jeu d’enfant !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Benarroche

Enfin, par ces abrogations, nous sécurisons l’ensemble de notre système en facilitant le travail des juges et de tous les professionnels du droit. C’est pourquoi, au-delà des clivages politiques, nous serons sans doute unanimes pour voter la suppression de ces lois obsolètes et redonner tout leur sens, toute leur place, voire toute leur noblesse aux lois utiles.

Aussi, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera ce texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme cela avait déjà été le cas lors de l’examen de la proposition de loi Balai I, la conférence des présidents a décidé de recourir, en application de la réforme du règlement du Sénat adoptée le 14 décembre 2017, à la procédure de législation en commission pour la discussion du texte qui nous réunit aujourd’hui.

Vous nous l’aviez annoncé à l’époque, cher Vincent Delahaye : l’initiative d’amélioration de la lisibilité du droit devait conduire au dépôt de nouveaux textes, tant la tâche en la matière est immense.

En effet, la subsistance de lois obsolètes dans l’ordre juridique présente deux inconvénients majeurs. D’une part, elle fragilise l’adage selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi » ; d’autre part, elle nuit aux principes constitutionnels de clarté, d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi.

Le précédent texte, devenu depuis la loi du 11 décembre 2019 et traduisant les premiers travaux du bureau d’abrogation des lois anciennes et inutiles, créé par le Sénat au mois de janvier 2018, proposait d’abroger 44 lois. À l’issue des travaux de la commission et du travail de la rapporteure de l’époque, Mme Nathalie Delattre, 49 lois adoptées entre 1819 et 1940 ont finalement été totalement ou partiellement abrogées.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’attaquait initialement à l’abrogation de 163 lois manifestement obsolètes, promulguées sur une période comprise entre 1941 et 1980, dont les dispositions encore en vigueur ont épuisé leurs effets en raison de leur objet même.

Les travaux de Mme la rapporteure, conduits avec vigilance et une extrême prudence, ont mené à la suppression de l’abrogation de 49 lois visées par le texte initial, chaque fois qu’un doute sur les conséquences juridiques résultant de leur abrogation subsistait.

Il faut reconnaître que la complexité et la délicatesse de la manœuvre d’amélioration s’accroissent à mesure qu’avancent les travaux de la mission Balai. Les prochains textes qui en seront issus devraient d’ailleurs consister à abroger des dispositions que le juge a déclarées inconventionnelles ou des malfaçons législatives, ainsi que des contradictions entre plusieurs textes en vigueur. Je soumets cette idée !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

En définitive, ce travail d’élagage de notre législation, s’il est nécessaire, relève de la responsabilité qui est la nôtre en tant que législateur. Le Président de la République s’est engagé en faveur de la maîtrise de la production législative lors de son discours devant le Parlement réuni en Congrès le 3 juillet 2017.

La circulaire du 26 juillet 2017 relative à la maîtrise du flux des textes réglementaires et de leur impact institue la règle dite du deux pour un, prévoyant la suppression ou, en cas d’impossibilité avérée, la simplification, de deux normes existantes pour toute nouvelle norme réglementaire.

Pour poursuivre ce mouvement de simplification des normes législatives, dans une communication du 12 janvier 2018, le Premier ministre a annoncé que chaque projet de loi devrait, à l’avenir, inclure un titre comportant des mesures de simplification législative. Par ailleurs, sur l’initiative du Conseil d’État, le secrétariat général du Gouvernement a élaboré un tableau de bord des indicateurs de suivi de l’activité normative, qui a été mis en ligne le 7 mars 2018.

Le Sénat a pris sa part dans ce travail colossal, puisqu’il est à l’origine de nombreuses initiatives de rationalisation de la production du droit. J’ai à l’esprit cette mission Balai, mais également le renforcement du contrôle des irrecevabilités sur la base des articles 41 et 45 de la Constitution, sur proposition d’Alain Richard et de Roger Karoutchi, ou encore la mission confiée en 2014 par le bureau à la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation d’évaluer et de simplifier les normes applicables aux collectivités territoriales.

Pour ne pas allonger davantage nos débats et dans la continuité de notre vote lors de l’examen de la précédente proposition de loi Balai et des travaux du Sénat, le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants se prononcera en faveur de ce deuxième volet, ainsi modifié.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

La parole est à M. Bernard Fialaire, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Fialaire

M. Bernard Fialaire . Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je dois me faire pardonner de vous priver de l’accent du Lot du président de notre groupe, Jean-Claude Requier, retenu par la visite du Président de la République dans son département.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Fialaire

Dans maintenant moins d’un mois, le peloton du tour de France s’élancera depuis Brest avec l’espoir que nos champions français, comme Julian Alaphilippe ou Romain Bardet, viennent briller sur les routes de nos départements.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Fialaire

M. Bernard Fialaire. Derrière eux s’élancera également une camionnette blanche qui fera cauchemarder les compétiteurs. Sa mission est bien précise : ramasser les coureurs jetant l’éponge au cours de l’étape. Vous la reconnaîtrez facilement : elle est habillée d’un autocollant portant la mention « voiture-balai ».

Nouveaux sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Fialaire

Je me réjouis que notre Parlement ait aussi institué sa propre « voiture Balai » et que celle-ci fasse son œuvre pour la deuxième fois. Le travail législatif, comme le cyclisme, est un sport d’endurance et nos lois aussi doivent savoir jeter l’éponge lorsqu’elles cessent d’être normatives.

Ce projet a été initié dès 2018 via une mission ayant pour objectif d’améliorer la clarté et l’accessibilité de la loi et visant, dans un premier temps, à recenser les lois inappliquées et inapplicables et à élaborer des propositions de loi tendant à les abroger.

Par le biais d’un premier texte, dont Nathalie Delattre était rapporteure, un premier balayage des lois adoptées entre 1800 et 1940 a pu être réalisé. Avec ce nouveau texte, nous envisageons à présent les années allant de 1941 à 1980.

Je rejoins ceux qui ont souligné l’important travail accompli pour l’élaboration de cette proposition de loi. La liste des textes concernés est le fruit d’une fouille minutieuse, précise et patiente. Elle dit aussi quelque chose de notre histoire et des événements qui ont construit notre société.

Il en est ainsi de la loi du 11 avril 1946 ayant pour objet de permettre aux femmes d’accéder à la magistrature, que la commission a finalement désiré conserver symboliquement, de la loi du 12 juillet 1978 portant diverses mesures en faveur de la maternité ou encore de la loi du 31 juillet 1968 relative aux forclusions encourues du fait des événements de mai et juin 1968.

Cette proposition de loi nous offre aussi un rapide voyage à travers la diversité des métiers que connaît notre pays et qu’il faut soutenir : la loi du 22 avril 1944 relative au travail de nuit dans la boulangerie, celle du 31 décembre 1971 relative à l’exercice de la profession d’infirmier ou d’infirmière dans les départements d’outre-mer ou encore celle du 26 juillet 1957 modifiant le statut des travailleurs à domicile.

Ensuite, il me faut aussi saluer la prudence dont a su faire preuve la commission des lois, qui a scrupuleusement vérifié, pour chacun des textes, que son abrogation n’entraînerait pas la moindre conséquence juridique. L’effort de clarté ne doit pas être accompagné d’un risque d’imprévisibilité. En définitive, plus d’une centaine de lois seront abrogées si le texte est adopté en l’état.

Il nous reste, malgré tout, à nous interroger quant aux objectifs de cette proposition de loi : lutter contre la prolifération des lois, contre l’accroissement du volume législatif ou encore participer à la clarté, à l’intelligibilité, à l’accessibilité et à la normativité de la loi. Je ne doute pas que ce texte y participe. Toutefois, nous le savons bien, ce qui porte le plus atteinte à la lisibilité du droit, ce ne sont pas les lois obsolètes que nous abrogeons, mais davantage le flux et le reflux des réformes incessantes.

Ainsi, le projet de loi 3D, dont nous entamerons bientôt l’examen, en est une parfaite illustration. Depuis 1982, notre administration locale est maniée, remaniée et sans cesse réformée. Or c’est ici que se joue la question de l’intelligibilité du droit.

Nous avons salué, il y a presque quarante ans, l’entrée dans cette nouvelle ère de la décentralisation. Depuis, les actes décentralisateurs se succèdent, au point de jouer contre nos administrations, lesquelles espèrent aujourd’hui non seulement de la clarté et de la simplicité dans leur droit, mais également de la stabilité et davantage de continuité normative.

Assimiler chaque réforme, chaque changement, c’est faire usage d’une énergie qui n’est pas dépensée ailleurs, c’est-à-dire qui n’est pas consacrée à l’administration de nos territoires.

Le texte que nous examinons aujourd’hui doit nous rappeler qu’il nous revient d’endiguer cette tendance, hélas devenue durable, de l’inflation législative. À l’avenir, nous devrons nous efforcer de contenir notre désir de loi.

Cette dernière remarque n’enlève rien à la qualité du texte que nous discutons et que le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen soutiendra unanimement.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la démarche vertueuse engagée avec la loi Balai I, qui a supprimé 49 lois obsolètes sur la période 1819-1940, se poursuit aujourd’hui avec l’abrogation de 115 lois également obsolètes, qui ont été adoptées entre 1940 et 1980.

Cette démarche est d’ailleurs appelée à se prolonger, puisqu’une troisième proposition de loi concernant les collectivités territoriales est déjà en cours de préparation.

Je tiens à remercier Vincent Delahaye et Valérie Létard, qui ont pris l’initiative non seulement de ces deux propositions de loi, mais aussi de la mission Balai, acronyme pour bureau d’annulation des lois anciennes et inutiles, dont les travaux ont abouti à l’élaboration de ces textes.

Il s’agit d’un travail législatif d’ampleur, marqué du sceau du Sénat, celui du sérieux de la Haute Assemblée qui, au-delà de la pluralité des expressions qu’elle autorise, sait prendre la hauteur de vue nécessaire pour servir le pouvoir législatif qu’elle incarne pour moitié.

Il s’agit en quelque sorte d’une « méta-loi », en d’autres termes d’une loi qui traite de la loi.

Réduire le stock des dispositions législatives permet d’éviter tout risque de confusion avec des lois ultérieures et d’améliorer la lisibilité de notre droit, comme l’expliquait Nathalie Delattre, alors rapporteure de la commission des lois sur la proposition de loi Balai I. Le groupe CRCE en est convaincu, comme il est convaincu que cette chasse aux « fossiles législatifs » permet d’atteindre les objectifs constitutionnels de clarté, d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi.

Aussi cette proposition de loi très consensuelle pouvait-elle se prêter à la procédure de législation en commission – vous savez pourtant ce que j’en pense !

Sourires .

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Sur le fond, si je prolonge un peu la réflexion sur notre manière de faire ou de défaire la loi, je m’interroge : les conditions souvent difficiles dans lesquelles nous sommes amenés à légiférer ces dernières années – la situation empire sous ce quinquennat et au fil des réformes du règlement du Sénat – nous conduisent souvent à le faire dans l’urgence et, parfois, mal, il faut le reconnaître.

L’ordre du jour souvent encombré, le manque de visibilité sur le calendrier des travaux, la réduction des temps de parole, la procédure accélérée trop souvent engagée par le Gouvernement nuisent à une bonne élaboration de la loi. Tout cela a récemment conduit le Conseil constitutionnel à censurer de nombreuses dispositions, comme dans la loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine ou la loi pour une sécurité globale préservant les libertés, ou à inciter le Parlement à légiférer, comme sur la question de la dignité en détention. Dans ce cadre, le Sénat est souvent amené à jouer le rôle de correcteur de la loi.

En outre, l’amoncellement de lois de circonstance ou de lois électoralistes, par exemple sur le thème de la laïcité ou sur celui de l’irresponsabilité pénale dernièrement, ne contribue pas non plus à la bonne lisibilité de notre droit, ni au sérieux de nos travaux.

Je ferai moi aussi référence à la fameuse mise en garde de Montesquieu : « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Il y aurait en effet de quoi s’interroger sur l’utilité et la nécessité des lois que nous produisons. Pour chaque loi, nous ne devrions nous poser qu’une seule question : quelle utilité et quelle nécessité y a-t-il à légiférer en ce sens, à ce moment précis, pour servir l’intérêt général ?

Ces quelques réflexions que je vous livre n’entament évidemment en rien notre vote en faveur de ce texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Bouloux, pour le groupe Les Républicains.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Bouloux

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qu’il nous est donné d’examiner aujourd’hui tend à améliorer la lisibilité du droit par l’abrogation de lois obsolètes.

Je salue le travail remarquable accompli par les membres de cette mission, dont l’objet est de recenser les lois inappliquées ou obsolètes.

C’est un véritable travail d’orfèvre qui ne laisse aucune place à l’erreur. Les conséquences de l’abrogation d’un texte qui servirait encore de base légale à des actes réglementaires seraient en effet dramatiques en termes de sécurité juridique.

Les travaux menés par la mission Balai doivent être poursuivis sur le long terme. Ils garantissent l’effectivité des objectifs constitutionnels de clarté, d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi.

Les propositions de loi qui en résultent contribuent non seulement à réduire le stock de normes et à éviter tout risque de confusion avec des lois ultérieures, mais aussi à améliorer la lisibilité de notre droit.

Si la première proposition de loi issue des travaux de cette mission prévoyait d’abroger une cinquantaine de lois, cette deuxième proposition de loi a pour ambition de supprimer 160 textes.

Cette montée en puissance des travaux de la mission va dans le bon sens. Trop de lois rendent en effet la société trop complexe. Plus encore qu’abroger des lois inapplicables ou inappliquées, il ne faudrait légiférer que lorsque cela est utile.

Depuis le début de cette XVe législature, 174 lois ont été promulguées, dont 47 pour la seule année 2020.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Bouloux

Seront-elles toutes utiles ?

Le projet de loi portant réforme du code pénal, déposé par Robert Badinter en 1986, ne comportait que 108 pages et environ 300 articles. Aujourd’hui, ce même code pénal compte 396 pages et plus d’un millier d’articles. Les Français ont-ils le sentiment d’être mieux protégés ? Assurément non ! En revanche, la tâche des officiers de police, de la gendarmerie et de la justice s’est complexifiée.

Le risque, amplifié par les réseaux sociaux, est que l’on traduise chaque fait divers en une loi qui, dans bien des cas, est inapplicable ou inappliquée, faute de disposer de moyens suffisants pour le faire.

Mieux légiférer, mieux évaluer, c’était le sujet d’un rapport d’information de l’Assemblée nationale publié en 2014. Plus que l’objectif d’intelligibilité, c’est bien celui de la qualité de la loi qui doit être visé.

L’exemple de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite ÉLAN, doit nous interpeller : le texte initial ne comportait que 65 articles, quand la loi promulguée en comprend 634 ; 569 articles, introduits par le biais d’amendements qui ont parfois été déposés par le Gouvernement lui-même, n’ont donc donné lieu à aucune étude d’impact. Deux ans et demi après la promulgation de la loi, nous sommes toujours dans l’attente de la publication de mesures réglementaires.

La proposition de loi que nous examinons contribue à une importante clarification du droit, mais il est tout aussi important de mieux légiférer que d’abroger les textes obsolètes.

Vous l’aurez compris, le groupe Les Républicains votera ce texte.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, la proposition de loi tendant à abroger des lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit.

La proposition de loi est adoptée.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à quinze heures vingt, est reprise à quinze heures vingt-cinq, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur la régulation des Gafam.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour le groupe auteur de la demande.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Raymond Hugonet

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la simple évocation de leurs noms suffit à nous plonger dans l’univers de la démesure : Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft – les Gafam.

Au fur et à mesure qu’elles ont tracé leur chemin, ces cinq superstars de la technologie ont pratiquement changé tout ce qu’elles touchaient.

Elles ont aspiré tant de données, embauché tant d’ingénieurs de haut niveau et racheté tant de rivaux que l’étendue de leurs pouvoirs a totalement remodelé et redéfini l’univers technologique.

Le processus commence par les milliards de smartphones qui se trouvent dans nos poches. Ils sont tellement pratiques que nous nous sommes avidement jetés dessus : nous avons ainsi confié des pans entiers de notre vie quotidienne à ces mini-supercalculateurs équipés de puces GPS, offrant des débits rapides et des caméras puissantes. Ils sont, de fait, devenus des appendices, voire le troisième hémisphère de notre cerveau.

Cette révolution numérique, alliée à l’instinct humain, a permis à une poignée de géants de dominer le secteur et à leurs créateurs de s’enrichir déraisonnablement.

Première conséquence évidente, ces quelques géants abusent de leur domination. Les énormes capitaux qu’ils accumulent leur permettent en effet de racheter toutes les sociétés qui pourraient contrarier leur situation monopolistique, comme l’ont fait Facebook avec Instagram et WhatsApp ou Google avec YouTube.

À présent, les obstacles pour empêcher les nouveaux entrants d’intégrer le marché sont tels que l’on imagine mal que certains puissent percer aux États-Unis. Cela pose un évident problème, puisque c’est précisément la concurrence qui stimule l’innovation.

Bien sûr, les Gafam sont régulièrement mis à l’amende par la Commission européenne, que ce soit pour abus de position dominante ou pour pratiques fiscales illicites.

Le dernier exemple en date est celui de Google, à qui la Commission européenne a infligé, au mois de mars 2019, une amende de 1, 5 milliard d’euros pour avoir biaisé la concurrence au profit de sa régie publicitaire, Google AdSense, en imposant des restrictions contractuelles anticoncurrentielles aux autres sites web.

Ce n’est là qu’une péripétie dans une longue suite de sanctions décidées par la Commission européenne ou par diverses autorités européennes, qui visaient tour à tour Google, Apple, Facebook, Amazon ou Microsoft. Ces dernières années, Facebook a ainsi été condamné par différentes autorités européennes à régler plusieurs amendes pour pistage illicite.

Nous-mêmes, mes chers collègues, cherchons à faire évoluer la loi de façon à mieux protéger les données personnelles et la propriété intellectuelle.

Avouons qu’il s’agit d’un exercice qui revêt parfois un caractère kafkaïen, tant nos sacro-saintes libertés individuelles s’accordent de moins en moins avec la survie collective de notre société où l’horreur le dispute à la cupidité.

Au pays de la loi antitrust, les Gafam ont tranquillement fait main basse sur les données du monde et concentrent aujourd’hui la rente technologique, précisément parce qu’elle profite à l’économie américaine.

D’où la faiblesse de la riposte antitrust, même si l’Oncle Sam semble comprendre qu’il a accouché d’un monstre lorsqu’il se remémore cette phrase de John Sherman, instigateur de la première loi antitrust aux États-Unis en 1890 : « Si nous refusons qu’un roi gouverne notre pays, nous ne pouvons accepter qu’un roi gouverne notre production, nos transports ou la vente de nos produits. »

Assurément, la régulation des Gafam et la lutte contre leurs pratiques anticoncurrentielles ne peuvent se concevoir que sur plusieurs fronts, en l’occurrence dans les domaines législatif et géopolitique.

Certes, la guérilla judiciaire et réglementaire européenne a sa part d’efficacité, mais elle est condamnée à demeurer insuffisante.

Elle bute d’abord sur la divergence des intérêts européens, notamment avec le jeu discordant du Danemark, de l’Irlande et de la Suède. Elle bute ensuite sur l’absence d’un engagement budgétaire coordonné, susceptible de favoriser l’émergence d’acteurs européens.

Aujourd’hui, si la situation de quasi-monopole des géants de l’internet inquiète les économistes, elle inquiète également le monde politique.

En contrôlant la circulation de l’information, les Gafam disposent désormais d’un pouvoir politique démesuré. C’est la raison pour laquelle on entend parler avec insistance d’un démantèlement partiel.

L’asymétrie du rapport de force actuel pourrait laisser croire que c’est une utopie. Selon moi, il n’en est rien : au contraire, il est de notre devoir d’envisager très sérieusement cette option.

Nous pourrions emprunter une voie relativement douce, qui consiste à mieux contrôler la croissance externe des Gafam et à limiter de la sorte l’extension de leurs pouvoirs à d’autres secteurs, comme lorsque Google a acheté Waze ou DoubleClick.

Nous pourrions aussi emprunter une voie plus dure en optant pour le démantèlement des géants du numérique, à l’instar de ce qui a été fait avec la Standard Oil au début du XXe siècle ou AT&T au début des années 1980.

Pour être efficace, le régulateur doit aussi remonter à la source du problème. Démanteler ne sert à rien si rien n’empêche la reconstitution des monopoles.

Dans cette optique, il faut non seulement renforcer les réglementations et les possibilités d’interconnexion, mais aussi agir au niveau des acteurs qui arment financièrement les stratégies de concentration.

Les mesures de confinement prises un peu partout sur la planète pour tenter d’endiguer le virus ont encore renforcé la place du numérique dans nos vies et, par conséquent, accru le poids des géants du secteur. C’est logique : quand on s’ennuie, confiné chez soi, on passe beaucoup plus de temps sur ses écrans et, lorsque les magasins sont fermés, on achète en ligne.

Non seulement les plateformes sont devenues aussi riches que bien des États, mais elles ont acquis un haut degré de contrôle sur la communication politique.

Les Gafam ne se contentent pas de fausser le marché, ils menacent la démocratie. C’est grâce aux géants du numérique que les complotistes les plus délirants trouvent désormais une large et pernicieuse audience et déstabilisent nos démocraties, en jetant la suspicion sur toute parole émise par une personne exerçant une autorité ou détenant une expertise.

Ce sont les réseaux sociaux qui, par leurs algorithmes, nous enferment dans des bulles cognitives où nous ne croisons bientôt plus que des gens qui pensent comme nous, créant ainsi l’illusion que tout le monde pense comme nous.

Plus grave encore peut-être, les plateformes se sont dotées de la capacité d’influencer le débat politique en favorisant tel ou tel courant d’opinion, selon les convictions de leurs dirigeants et de leur personnel.

Je conclus en évoquant le 10 décembre 1957, date à laquelle Albert Camus a reçu le prix Nobel de littérature. Dans un discours mémorable, il décrit déjà l’état du monde soumis à l’extension du libéralisme et à un progrès technique de plus en plus liberticide. Dans ce discours plein de lucidité, il nous rappelle en quoi consiste réellement l’engagement pour préserver un monde décent et vivable.

Soixante-quatre ans plus tard, alors que s’ouvre notre débat, permettez-moi, mes chers collègues, de rappeler ici la mission que se fixait Albert Camus et que nous pourrions faire nôtre, alors que nous réfléchissons à la régulation des Gafam : « [Notre] tâche […] consiste à empêcher que le monde ne se défasse. »

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Olivier Cigolotti, André Gattolin et Éric Bocquet applaudissent également.

Debut de section - Permalien
Agnès Pannier-Runacher

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, embrasser l’ère du numérique, c’est embrasser les occasions qu’elle offre à notre économie et à notre société, mais c’est aussi regarder en face les défis inédits que cette révolution lance à notre économie et à notre démocratie.

Pour le régulateur, l’ère de la maturité numérique revient à se donner les moyens de garantir que ce nouveau paradigme ne soit pas celui de la fin de l’État de droit, de l’ordre public en ligne, de la concurrence loyale ou de la protection des consommateurs.

Les modèles des plateformes numériques offrent à nos entreprises de nouvelles occasions de développement, mais l’essor de ces acteurs en Europe a aussi suscité risques et défis.

De grands acteurs ont aujourd’hui acquis un pouvoir de marché tel qu’ils seraient devenus incontournables mondialement et qu’ils sembleraient en mesure d’échapper aux régulations étatiques. Cette position crée des effets économiques néfastes, comme l’illustrent les pratiques de verrouillage de marché, les situations de rente ou encore la confiscation de l’innovation.

Ces vingt dernières années, nous avons également assisté à l’avènement des réseaux sociaux, devenus de véritables espaces publics de l’information et de la communication.

Pour autant, ces acteurs privés n’assument pas encore suffisamment les responsabilités démocratiques et juridiques que leur rôle implique.

C’est la raison pour laquelle le Gouvernement se mobilise depuis plus de trois ans pour la mise en œuvre d’un nouveau cadre de régulation des plateformes numériques. Il a œuvré pour que l’Union européenne se saisisse de manière ambitieuse de ce sujet.

Lorsqu’une partie croissante de nos vies dépend du numérique, ceux qui en maîtrisent les codes détiennent le pouvoir. L’absence de transparence des grands réseaux sociaux doit être regardée comme une aberration démocratique. Il appartient donc au régulateur public de répondre présent.

Dans ce contexte, nous avons d’abord agi à l’échelon national, en premier lieu, contre la désinformation et les fake news, grâce à la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information adoptée en 2018, en second lieu, contre la haine en ligne via des initiatives, comme le dispositif figurant dans le projet de loi confortant le respect des principes de la République et de lutte contre le séparatisme.

Ces initiatives nationales sont bien entendu nécessaires, car elles répondent à des enjeux démocratiques et républicains immédiats. Néanmoins, face à des acteurs mondialisés dont les activités transcendent les frontières, la régulation ne peut prendre sa véritable mesure qu’à l’échelle de notre continent, voire de la planète.

C’est dans cet esprit que la France soutient à l’échelon européen le Digital Services Act (DSA), un texte grâce auquel le Gouvernement a l’ambition d’encadrer les plateformes et leur politique de modération.

Se demander qui décide des règles sur les réseaux sociaux, c’est appeler à un retour du régulateur public et à une relation plus horizontale entre utilisateurs et opérateurs pour permettre au marketplace of ideas, le fameux « marché des idées » cher à John Stuart Mill, de retrouver son point d’équilibre.

Le Digital Services Act fixe des objectifs ambitieux que partage le gouvernement français : une responsabilisation des acteurs à la hauteur de leur rôle dans la diffusion des contenus, des obligations graduées et proportionnées à la taille des plateformes, l’expression d’un besoin de transparence sur la modération des contenus, ainsi qu’une supervision efficace avec à la clé des sanctions dissuasives pouvant aller jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires.

Ce texte mettra en place un nouveau régime juridique applicable aux plateformes numériques, les assujettissant à un devoir de diligence quant à leur politique de modération, par lequel le régulateur contrôlera l’adéquation des moyens mis en place par les opérateurs. C’est ainsi que nous protégerons les utilisateurs contre toute modération arbitraire de la part des plateformes et que nous garantirons la liberté d’expression sur celles-ci.

La semaine dernière encore, la France a plaidé au sein du Conseil « Compétitivité » pour un cadre réglementaire inédit, qui dépasserait la logique actuelle de signalement et de retrait, et ce afin de poser les bases d’un véritable encadrement des réseaux sociaux en matière de modération. Ce cadre fixerait des obligations de transparence et de moyens, mais aussi une obligation de coopération pour permettre aux autorités judiciaires de jouer leur rôle en termes de poursuites et de sanctions. Je remercie ici Cédric O, malheureusement retenu aujourd’hui, qui défend avec détermination ces sujets à l’échelon de l’Union européenne.

Nous souhaitons également que le projet de DSA soit complété, afin de renforcer les obligations des plateformes en ligne au regard des problèmes spécifiques que ces acteurs soulèvent, comme la vente de produits dangereux et la contrefaçon, mais également en vue d’assurer une information satisfaisante des consommateurs. Là encore, l’articulation entre le droit national et le droit européen est la clé de voûte d’une régulation efficace.

L’adoption de la loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière, dite Ddadue, a été l’occasion de le rappeler : en permettant à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, de bloquer les sites contrevenant à leurs obligations de conformité et de sécurité, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez rappelé le primat de la protection du consommateur.

De la même manière, les obligations que comporte le Digital Services Act devraient permettre d’assurer la protection des consommateurs français et européens et de garantir une concurrence loyale entre les plateformes et les industriels, importateurs et distributeurs français et européens.

Évoquer la régulation des contenus ne suffit pas : il faut également parler des phénomènes économiques qui sous-tendent les dérives que l’on constate.

La place des plateformes dans le débat public est à la mesure du quasi-monopole que celles-ci ont construit au fil des années. Cette situation résulte des caractéristiques propres à l’économie numérique : la gratuité apparente, les effets de réseau et la capacité à monétiser les données personnelles. En matière de plateforme numérique, « the winner takes all » – le gagnant prend tout. Pour empêcher cela, le régulateur a un rôle particulier à jouer.

Parvenir à réguler les réseaux sociaux implique d’avoir un système de coopération interétatique capable d’imposer des sanctions fortes.

Sans contrainte économique, pour reprendre les mots de Thierry Breton, les plateformes sont « too big to care », trop grandes pour faire attention. C’est tout l’enjeu du Digital Markets Act (DMA) également soutenu par la France à l’échelon européen.

Alors que les amendes pour abus de position dominante sont insuffisamment dissuasives, le Digital Markets Act prévoit une régulation ex ante et asymétrique, qui vise à compléter les outils concurrentiels actuels par des règles d’application immédiate pour les acteurs numériques structurants. Il ne s’agit donc pas de tuer la concurrence de plus petites plateformes qui viendraient à se développer.

Ces plateformes structurantes, ce sont les Gafam – elles ont été citées –, mais aussi les géants chinois que sont les BATX – Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi – ou certains géants européens. Nous souhaitons que le champ des acteurs visés reste limité à ces très grands acteurs et que les outils de régulation du DMA offrent davantage de souplesse grâce à un mécanisme de remédiation sur mesure du régulateur.

Le nouveau cadre doit en effet être suffisamment flexible pour permettre au régulateur de s’adapter à des pratiques en constante évolution.

À l’instar du DSA, le DMA marque une approche européenne innovante en matière de régulation du numérique et pose les jalons d’un nouveau droit de la concurrence, à la hauteur des défis de notre temps.

Plus largement, c’est en étudiant les failles des régulateurs passés que le Gouvernement a souhaité influencer le débat sur la place des géants du numérique à travers le monde. Aujourd’hui, il propose des solutions novatrices et courageuses. Nous avons ainsi été parmi les premiers pays à proposer une politique fiscale ferme à l’égard de ces acteurs. Cette décision s’est matérialisée par l’adoption de la taxe sur les services numériques en France.

C’est conscients de la force du multilatéralisme que, au sein de l’OCDE, nous poursuivons les négociations pour mieux agir et faire en sorte que les géants du numérique participent à un système d’imposition plus juste et équitable.

Pour conclure, le numérique a longtemps constitué une sorte d’exception en matière de régulation. Nous sommes convaincus que, pour aborder les problématiques de notre siècle, il est désormais primordial de sortir de cette exception et de revenir à une rationalité, qui protège nos institutions démocratiques et forge une société dans laquelle l’innovation reste au service du progrès.

Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Thierry Cozic.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Cozic

Madame la ministre, dans un rapport sénatorial corédigé l’an dernier par mon collègue Jean-Michel Houllegatte, il ressortait que le numérique a émis 15 millions de tonnes d’équivalent carbone en 2019, soit 2 % du total des émissions de CO2 de la France, pour un coût collectif de 1 milliard d’euros.

En 2040, à politique publique constante, le numérique serait à l’origine de l’émission de 24 millions de tonnes d’équivalent carbone, soit environ 7 % des émissions de CO2 de notre pays, pour un coût collectif de 12 milliards d’euros.

Face à ces augmentations spectaculaires en besoins énergétiques, les Gafam s’organisent.

Ainsi, Amazon a annoncé en février dernier son projet d’acheter la moitié de ses besoins énergétiques via l’énergie éolienne. Depuis 2017, la société Google achète l’équivalent de 100 % de l’électricité qu’elle consomme sous la forme d’énergies renouvelables par le biais de sa filiale Google Energy.

Nous ne sommes pas dupes. Investir dans les énergies vertes offre à ces géants la possibilité de sécuriser sur le long terme leur approvisionnement énergétique, tout en leur permettant de ne pas être dépendants des acteurs traditionnels du secteur. Des moyens sont mis en œuvre pour garantir la stabilité du coût des matières énergétiques. L’enjeu économique est prédominant dans cette démarche. Je rappelle, en effet, qu’une énergie renouvelable n’est pas forcément écologique.

En plus de viser un objectif écologique, cette régulation est aussi sociale. La question du consentement à l’impôt se pose. En effet, comme vous l’avez évoqué, madame la ministre, la recette de la taxe Gafam, que le Gouvernement nous a vantée, est estimée à 400 millions d’euros en 2019. Ce montant est symbolique et semble bien peu de chose, rapporté aux 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires dégagé en France et délocalisé dans les paradis fiscaux, par les Gafam.

Au regard des conséquences environnementales importantes liées au fonctionnement de ces plateformes, ne pensez-vous pas qu’il serait pertinent d’instaurer une taxe Gafam verte, dont une partie significative serait fléchée vers des investissements d’avenir plus soucieux de notre environnement ?

Debut de section - Permalien
Agnès Pannier-Runacher

Monsieur le sénateur Cozic, vous avez raison, ce sujet est important, même s’il ne représente aujourd’hui, comme vous l’avez rappelé, que 2 % de nos émissions de CO2, ce qui peut paraître modeste.

Cependant, la dynamique d’augmentation d’émissions de CO2 liées au secteur du numérique mérite toute notre attention. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement, par l’intermédiaire de Barbara Pompili et de Cédric O, a tracé une feuille de route environnementale pour le numérique. Celle-ci vise non seulement à aborder la question des devices, c’est-à-dire des outils qui sont la cause d’une grosse partie des émissions de CO2, mais également à prendre en compte celles qui sont liées à l’utilisation des réseaux. Le Gouvernement s’est fixé pour ambition que la France retrouve un niveau d’émissions de CO2 qui soit équivalent en 2025 à celui de 2020, pour l’ensemble des réseaux, y compris ceux qui sont fixes, notamment le réseau cuivre qui est paradoxalement très consommateur de CO2. Telle est donc notre stratégie.

S’agissant de l’outil fiscal, il nous faut privilégier la convergence et la lisibilité de notre fiscalité. Comme on l’a dit en introduction du débat, ces sujets sont d’envergure mondiale, de sorte qu’une législation nationale n’aura peut-être pas une portée pratique suffisante.

Vous mentionnez en effet la taxe sur les services numériques et vous posez la question de son niveau. Cependant, vous savez bien que la démarche du Gouvernement visait essentiellement à montrer que nous étions capables de taxer les grandes plateformes numériques, et que l’objectif politique que nous visions était évidemment d’embarquer l’ensemble des pays qui pouvaient avoir peur d’établir cette taxation, afin d’aboutir à un texte commun.

Je crois que nous avons accompli de grands progrès. Bruno Le Maire devrait, dans les prochains jours, obtenir de nouvelles avancées. Le sujet est donc important, mais il ne peut probablement pas être traité de manière pertinente à l’échelon national. En tout état de cause, nous devons, à notre niveau, mettre en œuvre une stratégie de maîtrise, si ce n’est de réduction, des émissions de CO2, pour l’ensemble du secteur numérique.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Cozic

Madame la ministre, j’entends l’ambition du Gouvernement. Néanmoins, je tiens à vous alerter sur un fait concret : le numérique consomme entre 5 % et 10 % de l’électricité mondiale. La réalité est simple, si Internet était un pays, ce serait le troisième plus gros consommateur d’électricité sur notre planète !

Les Gafam accumulent toutes nos données dans le cloud. Pour ce faire, il existe près de 500 data centers dans le monde, répartis dans 125 pays différents. Ils sont allumés sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. De fait, ils consomment énormément d’énergie.

Comme vous l’aurez compris, il y a urgence à agir si nous ne voulons pas atteindre la surchauffe.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Bouloux

Madame la ministre, la question de la régulation des Gafam est cruciale et a déjà fait l’objet de nombreux travaux. Leur capitalisation correspond à plus de deux fois celle du CAC 40 et dépasse les 4 000 milliards de dollars. Leur chiffre d’affaires est comparable aux recettes fiscales de l’État français. Outre les menaces d’atteinte à la souveraineté des États, cette domination du marché du numérique comporte un risque important de pratiques anticoncurrentielles.

Lors de la réunion du Conseil des ministres européens consacrée à la compétitivité, la France a affiché un très fort soutien aux deux projets de règlement européen. Dans le même temps, le 27 mai dernier, elle a publié avec l’Allemagne et les Pays-Bas une déclaration commune appelant au renforcement des mesures, notamment à une meilleure implication des États membres.

En mars dernier, à l’occasion de son audition devant la commission des affaires économiques du Sénat, la présidente de l’Autorité de la concurrence a souligné la nécessité de revoir le rôle des autorités de la concurrence des États membres, afin que celles-ci puissent intervenir en soutien de la Commission européenne. Le tout n’est pas d’édicter des règles, mais d’en assurer le respect, rapidement et efficacement. Or certaines décisions de la Commission européenne ont été prises dans un délai allant jusqu’à six ans après le début de l’enquête.

Comment le Gouvernement compte-t-il poursuivre son action, à l’échelle européenne, pour impliquer davantage l’autorité de la concurrence de chaque État membre ? Dans un cadre national, envisage-t-il parallèlement de renforcer les moyens de l’Autorité de la concurrence sur les sujets liés aux plateformes ?

Debut de section - Permalien
Agnès Pannier-Runacher

Monsieur le sénateur Bouloux, vous avez raison de souligner les avancées qui sont en train de se matérialiser. Pour qu’elles deviennent effectives, il faut que les moyens de régulation et de contrôle soient au rendez-vous.

Nous souhaitons que la Commission européenne reste l’autorité centrale dans le déploiement de ces mesures, car c’est là ce qui fera sa force, mais qu’elle puisse articuler son action avec celle des autorités nationales. Ce type d’articulation se pratique déjà en tant que de besoin, dans d’autres domaines, notamment celui du droit de la concurrence.

À l’échelon national, l’objectif est de mettre en relation les missions et les moyens. Comme vous le savez, nous avons renforcé le pôle d’expertise de la régulation numérique qui offre des compétences très pointues sur les sujets liés au numérique. Le service a déjà recruté treize professionnels et devrait en recruter vingt d’ici à la fin de l’année. Ces personnes pourront travailler en tant que de besoin pour différentes autorités. Elles ne seront pas mises à 100 % de leur temps à la disposition de l’Autorité de la concurrence, de sorte qu’elles pourront faire bénéficier de leur regard d’autres instances.

Un travail d’adéquation entre les moyens et les missions est en cours au niveau de l’Autorité de la concurrence, dans lequel nous intégrons la croissance du potentiel contentieux numérique. En effet, l’économie évolue et l’on constate, au niveau de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), que la part des contrôles effectués sur les plateformes numériques est en forte augmentation et constitue d’ores et déjà une priorité.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Jean Verzelen

Madame la ministre, on ne compte plus les attaques, les injures et les appels à la violence publiés sur les réseaux sociaux, pour toujours plus de clics, plus d’audience, plus de publicité et donc plus de profits.

Les algorithmes de ces plateformes sont calculés afin de mettre en avant les contenus qui font le buzz. Il faut bien comprendre que derrière un contenu, un commentaire, ou une photo, il y a un outil mathématique qui fait que l’information est mise en avant sur les murs des uns et des autres.

Derrière de nombreux drames qui trouvent leur origine dans des conversations ou des publications sur les réseaux sociaux, il y a un modèle mathématique qui a été travaillé. Il y a donc aussi un modèle économique.

Comme cela a déjà été dit, malgré la démonstration de leur puissance, qui devient de plus en plus importante, notamment lors de scrutins électoraux et démocratiques, qu’il s’agisse du Brexit ou des élections présidentielles américaines, les plateformes numériques conservent un régime d’irresponsabilité qui les a jusqu’à présent protégées.

Le droit actuel considère en effet que lorsqu’elles assurent le partage des contenus, elles sont de simples hébergeurs, et qu’elles ne peuvent donc pas être responsables de ces contenus. La question de savoir s’il faut les considérer comme des hébergeurs, des éditeurs, ou bien des intermédiaires fait l’objet de débats. Au-delà de ce point, il reste surtout à savoir si, derrière les algorithmes qui ont été décidés et travaillés, une responsabilité peut être mise en cause.

Par conséquent, madame la ministre déléguée, lorsque certaines publications mises en avant finissent par provoquer des drames ou des troubles dans la société, pensez-vous que ces fameux hébergeurs, intermédiaires, ou éditeurs peuvent être responsables pénalement ?

Debut de section - Permalien
Agnès Pannier-Runacher

Monsieur le sénateur, vous avez raison, un questionnement existe autour de la responsabilité des plateformes, comme je l’ai d’ailleurs indiqué dans mon propos liminaire.

Cependant, on ne peut pas dire que les plateformes sont irresponsables juridiquement. En effet, le régime qui leur est applicable, à savoir celui des hébergeurs, prévoit une responsabilité conditionnelle et limitée. Les plateformes ne peuvent être tenues pour civilement et pénalement responsables des contenus qu’elles hébergent que dans le cas où, après avoir eu connaissance effective du caractère illicite de ces contenus, elles ne sont pas intervenues pour les retirer. Le critère est donc celui d’un défaut d’action lorsque l’on porte à leur connaissance des contenus illicites.

Les autorités françaises n’entendent pas revenir sur ce régime de responsabilité civile et pénale. En revanche, nous pensons qu’il faut créer une nouvelle responsabilité pour les plateformes, à savoir celle d’un devoir de diligence. Il serait en effet trop facile qu’elles puissent dire ne pas être au courant, alors qu’elles n’auront fait que détourner le regard de la publication des contenus.

Le régulateur aurait donc vocation à contrôler de façon systémique l’adéquation des moyens mis en place par les opérateurs pour s’assurer qu’il n’y a pas de contenu illicite sur les plateformes. Ce contrôle doit se faire de manière proportionnée à la taille des plateformes et à leur vocation.

Nous ne souhaitons entrer ni dans une évaluation du choix des moyens ni dans un contrôle tatillon de chaque contenu mis en ligne. Cependant, tout comme un contrôle de conformité s’exerce dans les banques, il faudrait que s’applique un dispositif équivalent sur la nature licite des contenus qui sont mis en ligne.

Debut de section - PermalienPhoto de Thomas Dossus

Madame la ministre, dans le prolongement de la question de mon collègue, il me semble que les Gafam ont pris une place énorme dans notre quotidien et que ces plateformes se livrent parfois à des atteintes répétées et illégales contre notre vie privée.

Leur importance tient au rôle qu’elles jouent dans notre rapport au monde, aux idées et à la réalité. Elles nous mettent face à un vrai défi démocratique, grâce aux quantités astronomiques de données qu’elles traitent et à la manière dont elles les ordonnent grâce aux algorithmes, comme l’a expliqué mon collègue.

En effet, alors que ces algorithmes sont censés répondre aux attentes des utilisateurs, ils jouent le rôle de filtre de l’information et instaurent de nouvelles normes et de nouvelles règles. Il s’agit donc, par essence, d’un processus politique qui comporte des biais énormes.

Comme chacun peut le constater, au lieu d’encourager le débat, l’échange ou l’enrichissement mutuel, le traitement et la mise à disposition de l’information par les Gafam favorisent la segmentation et la radicalisation des blocs d’opinion. Ainsi, depuis un an, les fausses informations et les thèses les plus dangereuses pour la santé publique se sont diffusées, de façon parfois dramatique et à un rythme effréné.

Il est donc légitime de s’interroger sur le fonctionnement et la transparence de ces algorithmes. Dans la mesure où ils enferment les utilisateurs, cette question devient même une urgence démocratique absolue.

Lors d’un débat sur la haine en ligne, en novembre 2020, j’interrogeais M. le secrétaire d’État chargé de la transition numérique et des communications électroniques, Cédric O, sur la possibilité d’exercer une responsabilité politique face aux plateformes. Il m’avait alors répondu qu’il ne savait pas comment ces algorithmes mettaient en avant certains types de contenus, et que même si les plateformes le lui disaient, il n’aurait aucun moyen de contrôler la véracité de leurs déclarations.

C’est un aveu de faiblesse et nous ne pouvons pas nous contenter de l’impuissance. Le renoncement des gouvernements occidentaux face aux stratégies d’influence des Gafam, la passivité invraisemblable du monde occidental face à ce secteur devenu gigantesque sont inquiétants.

Madame la ministre déléguée, il n’est pas possible de se résoudre à l’impuissance. Il n’est pas non plus possible de se défausser uniquement sur les discussions à venir au niveau européen. Il est temps de demander un droit de regard démocratique sur ces algorithmes, non pas pour censurer, mais pour garantir la transparence et la pluralité des débats.

Au-delà de la régulation des contenus, quelles démarches le Gouvernement compte-t-il engager pour s’assurer de la transparence démocratique des algorithmes et des grandes plateformes numériques ?

Debut de section - Permalien
Agnès Pannier-Runacher

Monsieur le sénateur, ce sujet est précisément au cœur des discussions que nous avons sur le Digital Services Act. Nous souhaitons, en effet, demander aux plateformes numériques structurantes, c’est-à-dire celles qui ont un accès massif à la population et qui peuvent orienter des débats par l’utilisation d’algorithmes de ciblage, de faire la transparence sur ces algorithmes. Nous souhaitons également que des régulateurs puissent contrôler leur utilisation.

Telle est la position que nous défendons auprès du Conseil « Compétitivité » de l’Union européenne. Elle a d’ailleurs fait l’objet d’une discussion, la semaine dernière, où Cédric O et moi-même étions à Bruxelles. Nous continuerons de la défendre, avec pour ambition d’obtenir un accord du Conseil dans les prochains mois. Nous pourrons ensuite avancer sur la validation institutionnelle de ce texte.

Je voudrais signaler deux autres aspects liés à ce sujet. Tout d’abord, les pouvoirs publics doivent trouver les moyens de s’équiper pour savoir lire les algorithmes et avoir accès aux éléments de contrôle. C’est la raison pour laquelle nous avons créé, comme je l’ai déjà dit, le pôle d’expertise de la régulation numérique, en septembre dernier. On y recrute des personnes aux profils très particuliers qui viennent en appui des différents services amenés à faire des contrôles.

Ensuite, dans le cadre du travail que nous menons sur l’intelligence artificielle, le Fonds pour l’innovation et l’industrie a lancé un certain nombre d’appels à projets, dont l’un porte sur l’audit des algorithmes numériques.

Il faut premièrement savoir réguler, et l’acte que nous allons valider à l’échelon européen part de ce principe ; il faut deuxièmement disposer d’experts ; il faut troisièmement renforcer et améliorer notre maîtrise de l’audit des algorithmes d’intelligence artificielle. Celle-ci pourra d’ailleurs être exploitée à d’autres fins, puisque l’enjeu démocratique lié à l’intelligence artificielle va bien au-delà des seules plateformes de mise en ligne des contenus.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Madame la ministre, le titre de ce débat « sur la régulation des Gafam » me pose un problème, car il n’y a pas qu’une seule régulation, mais au moins trois. Parmi les textes européens, l’un régule l’organisation des marchés économiques et l’autre régule les contenus. À ce niveau, il faut en réalité non seulement réguler l’économie, les profits et les ressources, mais aussi les contenus, et enfin l’usage des données personnelles et le respect de la vie privée des personnes.

L’acronyme Gafam me gêne aussi beaucoup, dans la mesure où il désigne des entreprises nord-américaines. Je sais bien que depuis les affaires liées à la NSA (National Security Agency), nous vivons sous la férule Big Brother ! L’acronyme entretient le sentiment que tout le problème vient de cinq entreprises américaines alors que, en réalité, il faudrait parler des « géants d’Internet ».

Or ceux-ci n’existent pas qu’aux États-Unis, même s’ils y sont nés. Mme la ministre a en effet rappelé l’existence des BATX chinois, qui prennent une importance croissante.

On a longtemps cru que ces entreprises se développaient sur la base du libéralisme économique et des nouvelles technologies. En réalité, aujourd’hui, un géant de l’Internet ne peut exister sans l’appui d’une grande puissance. C’est d’ailleurs peut-être le drame de l’Europe d’être incapable de produire des géants numériques.

L’entreprise chinoise TikTok, filiale de ByteDance, est devenue en quelques années le premier média auprès des jeunes. L’information y est contrôlée puisqu’un message en faveur des Ouïghours, posté depuis la France, a été censuré et le compte de son auteur, un universitaire, a été fermé. Cet exemple montre qu’il existe aussi un problème de régulation des libertés et de la démocratie, et que celui-ci ne se pose pas dans les mêmes termes en Chine, aux États-Unis ou en Europe.

Debut de section - Permalien
Agnès Pannier-Runacher

Monsieur le sénateur, vous avez tout à fait raison de souligner la nécessité d’élargir le débat et de ne surtout pas le limiter à des acteurs d’origine américaine.

Tout d’abord, par principe, les plateformes numériques dont nous parlons sont en perpétuelle mutation économique, puisqu’elles peuvent faire des opérations d’acquisition, ou bien perdre un certain nombre de leurs consommateurs et par voie de conséquence de la richesse.

Deux grands pays, a minima, ont des plateformes numériques structurantes, dont les États-Unis, mais également la Chine. Les BATX, que vous avez cités, ont acquis une puissance très importante grâce au nombre de personnes qui sont affiliées à leurs plateformes. Ils sont également puissants en matière de contenus puisque, en offrant la possibilité de faire des paiements directs en ligne, ils ont accès à un nombre de données personnelles extraordinairement important.

Vous avez également raison de rappeler qu’il faut bien distinguer ce qui relève du contenu et ce qui relève du modèle économique. En effet, tout le propos du Digital Markets Act est de montrer comment ces plateformes empêchent paradoxalement l’innovation en épuisant les petites start-up qui cherchent à émerger, avec parfois des innovations technologiques très intéressantes, une qualité de service meilleure, ou bien encore une meilleure protection des données du consommateur.

Il faut également prendre en compte comme troisième élément les données personnelles des consommateurs et leur caractère privé.

Notre objectif est d’apporter une réponse qui prenne en compte toutes les données du problème. Certaines plateformes européennes, d’ailleurs, n’échapperont pas à la régulation. Nous privilégions une approche matricielle qui tient compte du contenu et de la dimension économique des plateformes. Le DSA et le DMA y contribuent. Comme vous le savez, une remise à plat du règlement e-privacy est également en cours ; nous traitons donc également le sujet des données personnelles.

Nous veillons également à développer une approche totalement transversale qui s’appliquera à l’ensemble des plateformes mondiales. Un critère important sera de pouvoir distinguer la petite plateforme locale qui cherche à se développer, qui apporte de la valeur et qui n’a pas forcément les moyens de mettre en place toutes les régulations. En effet, nous avons constaté, lors de la mise en œuvre du règlement général sur la protection des données (RGPD), …

Debut de section - Permalien
Agnès Pannier-Runacher

… que celui-ci avait favorisé les plus grosses plateformes, parce que c’était elles qui pouvaient le mieux s’y adapter. C’est la raison pour laquelle il nous paraît très important d’établir cette différenciation.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Fialaire

Madame la ministre, ma question porte sur le versant fiscal. Les nouveaux géants du numérique atteignent une valorisation boursière supérieure à celle des entreprises traditionnelles, et pourtant, leur taux d’imposition est largement inférieur, en raison du caractère immatériel de leur création de valeur qui leur permet de mettre en place des stratégies d’optimisation fiscale.

En effet, la taxation de ces géants échappe au cadre fiscal traditionnel où les bénéfices sont taxés par les États dans lesquels les entreprises ont leur siège, plutôt que là où elles exercent leurs activités, sauf établissement stable qui suppose des locaux et du personnel.

Cette fiscalité des géants du numérique suscite, depuis plusieurs années, d’âpres débats au sein de l’Union européenne. En mai dernier, Amazon a remporté une victoire lorsque la justice européenne a validé les rabais fiscaux obtenus par le géant du commerce en ligne au Luxembourg. Cette validation a été un camouflet pour la Commission européenne, qui y voyait des aides d’État illégales dont elle exigeait le remboursement.

Bruxelles avait déjà perdu face à Apple, en juillet 2020, devant cette même juridiction. Les juges avaient alors annulé le remboursement à l’Irlande de 13 milliards d’euros d’avantages fiscaux considérés comme indus par la Commission.

Face à l’enlisement de la situation, certains États ont tenté de faire cavalier seul. La France a ainsi adopté la taxe de 3 % sur le chiffre d’affaires réalisé par les géants du numérique, qui n’a rapporté, comme cela a déjà été dit, que 400 millions d’euros en 2019.

Pourtant, la France s’est exposée aux représailles des États-Unis qui ont relevé des droits de douane sur certains produits, tels que le vin – vous comprendrez que pour un élu du Beaujolais ce soit douloureux. Elle a également subi la réaction des Gafam, tels que Google ou Amazon, qui ont augmenté le tarif des publicités des annonceurs.

Joe Biden a suggéré, en avril dernier, de taxer à 21 % les multinationales partout dans le monde, mais le Trésor américain a depuis revu ses ambitions à la baisse, en proposant un taux de 15 % à ses partenaires.

Une étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur ces propositions a révélé qu’aucun pays, à part les paradis fiscaux, ne subirait de pertes de revenus au titre de l’impôt sur les sociétés. Encore mieux, les recettes fiscales de l’Union européenne pourraient gonfler de 13 % à 50 % selon l’ambition de la réforme en négociation. Nous voyons clairement se dessiner la perspective d’un accord historique lors du prochain G7, …

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Fialaire

… ou à l’occasion du G20 de Venise, en juillet prochain.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Cher collègue, vous avez dépassé votre temps de parole.

La parole est à Mme la ministre déléguée, qui aura certainement compris votre question.

Debut de section - Permalien
Agnès Pannier-Runacher

Monsieur le sénateur Fialaire, je pense que votre question porte sur ce qu’on peut espérer des négociations qui sont en cours au niveau de l’OCDE. Le premier pilier, qui est relatif à la révision des règles d’allocation des droits d’imposer des bénéfices dégagés par les entreprises les plus profitables, a vocation à s’appliquer de manière transversale à tous les secteurs d’activité. Quant au deuxième pilier, il est relatif à l’institution d’une règle mondiale d’imposition minimale effective des entreprises multinationales.

Comme vous le savez, nous sommes favorables à une négociation qui permette d’aboutir sur ces deux piliers. Nous soutenons, parce que nous l’avons toujours fait, l’objectif d’obtenir soit au G7, soit au G20, soit au sein de l’OCDE, soit au niveau de la Commission européenne, un système qui permette de mettre en place une imposition plus équitable et plus juste entre entreprises. Celle-ci portera sur le surprofit que font certaines d’entre elles de par leur modèle économique – c’est le premier pilier – et s’appliquera de manière générale aux entreprises qui se positionneraient dans des pays à très faible fiscalité et qui utiliseraient cet avantage. Celui-ci s’apparente, suivant notre lecture, à une aide d’État, car que l’on apporte une subvention ou que l’on refuse de taxer un bénéfice évident, la circulation de l’argent est la même entre le budget de l’État et le compte de résultats de l’entreprise.

Bruno Le Maire défendra cette approche. Nous avons bon espoir de pouvoir, lors du prochain G20, arriver à des avancées historiques. Je tiens à vous le dire, car nous avons depuis trois ans et demi continuellement repris ce dossier dans toutes les instances internationales. Nous avons également été le premier pays à mettre en place une taxe nationale, pour montrer l’exemple, en prenant le risque de rétorsions, comme vous l’avez très bien dit, en citant le Beaujolais.

Aujourd’hui, grâce à la détermination constante du ministre de l’économie, des finances et de la relance et du Président de la République, nous sommes en passe d’obtenir cet accord historique. Je crois qu’il faut continuer à remettre sans cesse l’ouvrage sur le métier et ne pas se réjouir trop tôt.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Je voudrais d’abord, madame la ministre déléguée, saluer l’excellente initiative de nos collègues du groupe Les Républicains d’avoir proposé ce débat sur la régulation des Gafam. Il aurait mérité, je crois, plus de temps encore.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

J’ai même applaudi les propos introductifs de notre collègue Jean-Raymond Hugonet.

En une génération, en effet, le numérique a complètement transformé le monde et nos sociétés. Chaque minute, sur la planète, l’être humain produit 300 000 tweets 15 millions de SMS, 204 millions de mails, et 2 millions de mots clés sont tapés dans le moteur de recherche de Google. Les technologies de l’information et de la communication sont plus répandues aujourd’hui que l’électricité sur la planète.

Toutes ces pratiques fournissent une matière première considérable, les données, que nous offrons gratuitement aux Gafam. Les entreprises du numérique ont atteint un poids financier et économique considérable. La valeur en bourse de l’entreprise Apple a dépassé le seuil des 2 000 milliards de dollars, soit la moitié du PIB du Royaume-Uni.

Mes chers collègues, le débat n’est pas aujourd’hui d’être pour ou contre le numérique ; la question est bien la nécessité évidente d’une régulation.

Pendant la récente campagne de l’élection présidentielle aux États-Unis, effectivement, le démantèlement de ces grands groupes fut évoqué.

En somme, l’objet de ces groupes est d’éliminer du monde toute marge d’incertitude, de rendre le monde et l’humanité prévisibles, de créer une sorte de marché de la certitude totale.

Je citerai pour conclure cette phrase d’une universitaire américaine, Mme Shoshana Zuboff : « Les capacités du numérique perfectionnent la prédiction et le contrôle comportemental, permettant à la connaissance parfaite de supplanter la politique comme moyen collectif de prise de décision. »

Facebook comptait en 2016, 1, 6 milliard d’usagers ; ils sont désormais 2, 8 milliards. Madame la ministre, n’y a-t-il pas un risque, selon vous, qu’une croissance illimitée des Gafam ne vienne défier un jour la souveraineté des États et la démocratie ?

Applaudissements sur les travées du groupe L es Répu blicains.

Debut de section - Permalien
Agnès Pannier-Runacher

Monsieur le sénateur Bocquet, tout l’objet du débat de cet après-midi est de pointer du doigt l’empreinte extraordinaire des plateformes numériques sur nos vies, combien elles peuvent, éventuellement, représenter une concurrence déloyale en matière économique, mais également nuire au débat démocratique et à sa qualité.

Tout l’enjeu, pour nous, responsables politiques – et la question dépasse le cadre national ; cet enjeu est international et engage la responsabilité de l’Union européenne et des différentes instances du multilatéralisme –, est de savoir comment nous allons parvenir à mettre en place une régulation, sans tomber dans le piège de la censure – ce qui peut facilement arriver : on se souvient des questionnements qu’ont suscités la fermeture un peu emblématique, en tout début d’année, du compte d’un personnage exerçant une fonction très importante.

Inversement, il ne faut pas être naïf et il faut se doter d’outils nationaux et transnationaux de régulation. Le choix que nous avons fait consiste à agir à l’échelon national et européen, à nous doter de moyens de contrôle humains tout en permettant l’adoption de sanctions financières de manière à reprendre la main sur la régulation. C’est tout le sens de la politique que nous menons aujourd’hui.

Je constate un certain consensus sur les travées de cette assemblée, ce qui me semble être une très bonne chose. Cela indique que nous sommes parvenus à un point de maturité : l’enjeu, c’est de réussir à trouver ensemble les moyens de cette régulation en préservant un juste équilibre entre, d’une part, la liberté d’opinion, de publier des posts, de travailler et d’entreprendre, et, d’autre part, la régulation et la protection des consommateurs et des citoyens – j’insiste sur ce dernier mot.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

L’outil numérique est une magnifique illustration de l’intelligence humaine ; il peut être un outil fantastique d’émancipation. Sans intervention politique, le risque existe qu’il se transforme en un outil de contrôle et d’asservissement de l’humanité.

Les Gafam imposent leur fiscalité – notre collègue l’a rappelé –, ils ont déjà imposé leur langue – on l’a entendu. Quoi d’autre demain ? Leur pensée ? Leur monnaie ? Leur vision du monde ? Je pose la question.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Moga

D’une promesse de marché libre, ouvert et décentralisé, la réalité des Gafam s’est traduite par un mouvement de concentration, de pratiques anticoncurrentielles et d’optimisation fiscale, renouvelant les problématiques du droit de la concurrence.

Nous le savons, le modèle de cette économie de l’oligopole se caractérise notamment par des pratiques d’optimisation à l’origine de milliards d’euros de pertes fiscales au niveau européen, pertes estimées à 623 millions d’euros pour la France en 2017, et certainement beaucoup plus aujourd’hui.

Dès lors, si notre pays a mis en place une taxe sur les services numériques en 2019, qu’en est-il de la réflexion au niveau de l’Union européenne et de l’OCDE, l’échelon européen étant l’échelon pertinent pour contrer l’inadaptation du droit fiscal national à l’économie numérique ?

À ce titre, deux projets de règlement européen ont été présentés à la fin de 2020 afin de « mettre de l’ordre dans le chaos » : il s’agit du DMA ainsi que du DSA.

Alors que la France a proposé, la semaine dernière, des amendements afin de durcir certaines des mesures contenues dans ces deux règlements, espérant qu’un accord sera trouvé lors de sa présidence du Conseil de l’Union européenne, quelles sont les orientations de telles propositions ?

Si le démantèlement des Gafam américains n’est pas une solution en soi, car il conduirait à renforcer les BATX chinois, je n’ai qu’un seul regret : que notre continent assiste impuissant à l’émergence de plateformes numériques étrangères sans être capable de proposer une offre proprement européenne.

Debut de section - Permalien
Agnès Pannier-Runacher

Monsieur le sénateur Moga, vous avez raison de souligner la position préoccupante de l’Europe dans la compétition internationale en matière de plateformes numériques.

Seules quelques plateformes européennes de vente en ligne ou de réseaux sociaux sont soumises à la taxation sur les services numériques ; en effet, peu d’entre elles dépassent les seuils de taxation, à savoir 750 millions d’euros de chiffre d’affaires global et 25 millions de chiffre d’affaires lié à la publicité ou aux services numériques en France.

Cela signifie qu’il faut maintenant investir. La partie qui se joue aujourd’hui porte sur la production de données : des données industrielles, des données logistiques, des données d’activité économique. Nous comptons un certain nombre d’acteurs dont la taille n’est pas ridicule – je pense par exemple à Dassault Systèmes, qui est présent dans un projet sur deux, à l’échelle mondiale, de traitement des données de santé ; je pense à des entreprises comme Schneider ou à certaines entreprises allemandes, qui travaillent au modèle d’affaires, aux contenus technologiques, à l’analyse des données et à l’intelligence artificielle des plateformes.

C’est très probablement là le combat que nous devons mener pour refaire surface ou créer une puissance économique. Nous en avons les moyens au niveau européen. La Commission européenne comme les États membres ont un plan très clair, qu’il s’agisse du cloud souverain, de l’intelligence artificielle, de la 5G ou de la nanoélectronique, c’est-à-dire les semi-conducteurs qui sont utilisés pour tous ces usages : le but est de redévelopper des capacités en recherche et développement et des capacités de production.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à M. Jean-Pierre Moga, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Moga

Madame la ministre, j’ai bien entendu ce que vous me disiez, mais il est grand temps que nous réagissions, que l’Europe réagisse. Ces situations de monopole constituent un vrai risque au niveau mondial et peuvent représenter des milliards d’euros de pertes pour notre pays et pour l’Union européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Claudine Lepage

Le secteur culturel n’est pas épargné par l’appétit grandissant des Gafam. La presse, et en particulier les éditeurs et agences de presse, fait depuis de nombreuses années l’objet d’un véritable pillage par Google, qui refuse de rémunérer les contenus dont il tire pourtant un bénéfice financier.

Notre pays a toujours été à la tête du combat pour parvenir à une juste rémunération des différents acteurs : je pense notamment à la loi du 24 juillet 2019, rédigée par David Assouline, qui a créé un nouveau droit voisin en faveur des éditeurs et agences de presse. Ce droit soumet à autorisation préalable l’exploitation des contenus qui ouvre droit à une rémunération équitable.

Néanmoins, malgré l’adoption de cette loi, Google n’a pas cédé et s’affranchit à ce jour des droits voisins, pourtant reconnus au niveau européen et par la loi française. Cette attitude est inacceptable dans un État de droit, où la liberté de la presse et l’accès à la libre information sont des valeurs cardinales.

Madame la ministre, quelles sont les mesures que vous comptez prendre pour que Google respecte la loi ?

L’attitude hégémonique des Gafam touche également le sport puisque, pour la première fois cette année, Amazon diffuse en exclusivité des matchs du tournoi de tennis de Roland-Garros.

Presse, sport, cinéma : c’est en réalité l’ensemble du secteur culturel qui est menacé. À quand, madame la ministre, une réponse ferme de l’Europe, de l’État, pour contrer cette toute-puissance qui menace notre équilibre démocratique ?

Debut de section - Permalien
Agnès Pannier-Runacher

Madame la sénatrice, vous avez raison d’indiquer que la consécration des droits d’auteur et des droits voisins par notre droit national est un combat complexe, face à un acteur qui ne respecte pas notre loi.

La presse française, dans le cadre du contentieux qui a été engagé, a fait valoir un certain nombre d’éléments face à Google, qui avait décidé unilatéralement de moins bien référencer les journaux qui refusaient de laisser exploiter gratuitement leurs contenus, titres, extraits d’article et les vignettes. Elle a donc saisi l’Autorité de la concurrence, qui a ordonné en avril 2020 à Google de mener une négociation de bonne foi avec les éditeurs.

En janvier 2021, un accord global est intervenu entre Google et les principaux représentants de la presse française, sauf l’AFP et les autres agences de presse.

Le contentieux engagé devant l’Autorité de la concurrence se poursuit, l’enjeu étant de savoir si cet accord est équilibré, s’il a été conclu au terme d’une négociation loyale.

L’Autorité de la concurrence, qui est une autorité indépendante, continue à travailler sur ce sujet pour défendre le contenu intellectuel des éditeurs en ligne.

S’agissant plus généralement des autres éléments que vous avez mentionnés – la culture, le sport, etc. –, il faut essentiellement vérifier l’absence de tout abus de position dominante et, si nécessaire, activer les différents outils que nous offre le droit de la concurrence. Ce doit être là notre ligne rouge. Comme vous le savez, le Digital Markets Act nous permettra de compléter l’ensemble de cet arsenal pour mieux faire respecter l’équilibre des relations entre grandes plateformes et acteurs privés.

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Chevrollier

La montée en puissance des entreprises mondiales du numérique que représentent Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft soulève des questions politiques majeures.

En effet, nous observons depuis quelques années une hausse considérable de l’activité numérique, celle-ci allant jusqu’à exercer un poids politique.

Nous l’avons vu lors de nombreuses élections, les Gafam transgressent totalement le champ d’application qui leur est normalement attribué, à savoir diffuser l’information. L’affaire Cambridge Analytica, qui a touché Facebook lors de la campagne présidentielle américaine de 2016, a mis en lumière ce rôle parfois opaque des réseaux sociaux dans le jeu politique outre-Atlantique.

Le fait que des élections aient pu être influencées par la manipulation de données collectées à l’insu même des utilisateurs met en lumière la fragilité de nos démocraties devant ces grandes firmes numériques.

Il s’agit d’un vrai problème démocratique : n’oublions pas nos combats pour les libertés fondamentales, notamment la liberté d’expression, qui ne sauraient être bafouées par des algorithmes.

Nous devons donc nous mobiliser et mettre des limites à ces plateformes numériques, qui exercent une influence sur la vie politique des États et portent atteinte à leur souveraineté.

La révision de la directive sur le droit d’auteur de 2019, qui prévoit une responsabilité des plateformes de stockage de données dans le contrôle des contenus qu’elles hébergent, a été déterminante en Europe, mais il faut aller plus loin.

Madame la ministre, l’élection présidentielle française se tiendra l’année prochaine. Le gouvernement français ainsi que l’Union européenne doivent renforcer leur politique de régulation des collectes de données, mais également éduquer les internautes, notamment les plus jeunes, qui lisent moins la presse écrite, consomment des réseaux sociaux et ne savent plus vraiment distinguer le vrai du faux.

Madame la ministre, comment sécuriser l’élection présidentielle française de 2022 ? Comment permettre que les électeurs votent en toute conscience et en toute liberté ? Quels sont les instruments ambitieux que vous comptez mettre en place ?

Debut de section - Permalien
Agnès Pannier-Runacher

Monsieur le sénateur Chevrollier, la question que vous posez est assez complexe dans la mesure où elle comporte différents aspects.

Premier élément : l’action que nous menons en matière de régulation et de modération des contenus au travers du Digital Services Act et, au niveau du droit national, pour faire en sorte que les contenus illicites soient retirés le plus rapidement possible des plateformes.

Deuxième élément : l’utilisation de moyens destinés à fragiliser la qualité des débats – du hacking, des montages faussés, etc. Vous le savez, le Gouvernement est fortement impliqué dans le renforcement de la cybersécurité, qu’il s’agisse des services publics ou de l’accompagnement des entreprises privées.

Troisième élément : comment fait-on vivre le débat démocratique ? Il faut mener un travail pédagogique collectif pour apprendre à lire le contenu des plateformes et poursuivre ce travail mené par la société civile et les journalistes de fact checking, comme l’on dit en mauvais français.

Je n’aurai pas l’outrecuidance de penser que l’État dispose de tous les moyens pour s’assurer que, à chaque moment, à chaque instant, des fake news ne sont pas diffusées, comme on l’a vu à l’occasion d’autres élections. Ce sera la responsabilité de chacun d’entre nous, en tant que citoyens, de prendre cette distance, de contribuer à la qualité du débat public et de minimiser la diffusion de toutes ces infox.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Chevrollier

Effectivement, nous évoluons dans un monde complexe, mais l’Union européenne s’est fait dépasser par les Gafam américains et les BATX chinois. L’année prochaine, à l’occasion de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, il serait important de mettre à l’agenda la souveraineté technologique et numérique européenne pour disposer de davantage de moyens de régulation et de contrôle, ce qui permettrait un débat démocratique dans l’ensemble des pays de l’Union européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Catherine Loisier

Le sujet de la régulation, c’est en fait celui de la souveraineté numérique. À cet égard, vous le savez, madame la ministre, nous sommes tous inquiets. Hier encore, ma collègue Catherine Morin-Desailly pointait la « gafamisation » grandissante des grands services de l’État et de nos fleurons, dont les données sont ainsi confiées à des opérateurs étrangers, essentiellement américains, et donc soumis à la loi FISA, ou Foreign Intelligence Surveillance Act, c’est-à-dire à l’interception de communications, y compris sans mandat et hors cadre légal, par les services de renseignement américains.

Nous pensons bien sûr au Health Data Hub, confié à Microsoft, à l’entreprise américaine Palantir, à laquelle on a confié des données de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), mais également d’Airbus – peut-être est-ce parce que l’actuel directeur général de Palantir est l’ancien directeur général d’Airbus…

Nous pensons aussi aux prêts garantis par l’État, les fameux PGE, confiés donc à Amazon Website, lequel dispose donc aujourd’hui de toutes les informations stratégiques sur les entreprises françaises pour cibler des acquisitions opportunes.

Certes, ces géants du numérique américains ont un savoir-faire technologique, mais cela signifie-t-il, madame la ministre, que le Gouvernement a rendu les armes et se soumet à la domination technologique américaine en livrant les données de la France et des Français ?

Vous parlez de reconquérir notre souveraineté numérique et de faire de l’achat public un levier majeur. Mais, dans la pratique, vous ne privilégiez pas nos offres souveraines sur les marchés d’intérêt général, alors que ces offres françaises ou européennes sont souvent équivalentes à leurs concurrentes étrangères et ont justement besoin de ces marchés pour monter en gamme dans la course technologique.

Pourquoi cette défiance à l’égard des acteurs français ?

Enfin, s’agissant du cloud européen Gaïa-X, sur lequel nous fondons de grands espoirs, il semblerait qu’il se construise en définitive comme une base de données unifiée et qu’il associe ces fameux Gafam. Cela n’aurait alors plus rien à voir avec ce fameux outil de souveraineté et de protection des données européennes que nous attendons.

Debut de section - Permalien
Agnès Pannier-Runacher

Madame la sénatrice Loisier, en matière d’achat public, nous sommes évidemment extrêmement vigilants – tout comme l’est l’Union européenne – à la qualité des offres. Si les offres étaient équivalentes ou meilleures, il serait très simple de retenir celles qui émaneraient d’acteurs d’origine européenne. Objectivement, l’ensemble des briques technologiques des offres des entreprises européennes accusent un retard technologique, un retard dans les investissements et l’interopérabilité ou, à tout le moins, dans leur disponibilité.

La stratégie que mènent Bruno Le Maire et Cédric O – que je soutiens comme « cliente » en tant que ministre des entreprises industrielles – consiste à créer une offre de cloud souverain de confiance avec des briques technologiques soit européennes, soit fournies par des acteurs étrangers répondant à un cahier des charges extrêmement exigeant quant à l’utilisation des données, précisant en particulier qu’elles ne peuvent pas faire l’objet d’un traitement extraterritorial.

Cette démarche en faveur d’un cloud de confiance garantit une immunité maximale face aux lois extraterritoriales, mais également une protection maximale en matière de cybersécurité. L’enjeu est de créer les cas d’usage pour permettre à un maximum d’acteurs publics et privés d’y avoir accès, condition pour financer par la suite l’innovation des acteurs en question.

Le travail que mène Amélie de Montchalin avec sa stratégie Tech.gouv intègre évidemment cette dimension de souveraineté. Aussi, au-delà des administrations, j’invite les acteurs privés, notamment les grandes entreprises, à être particulièrement vigilants et à devenir clients de ces offres de confiance. C’est ainsi qu’un marché pourra ainsi être créé.

Debut de section - PermalienPhoto de Rémi Cardon

On parle souvent de la volonté de créer des géants européens du numérique, mais on a vu la difficulté de développer le moteur de recherche européen Qwant.

Madame la ministre, que faites-vous pour aider ces entreprises européennes à se développer ? Surtout, que faites-vous pour protéger ces entreprises françaises qui réussissent déjà ?

Le Bon Coin, le leader de la vente de seconde main, se fait rattraper par Amazon Marketplace et Facebook Marketplace. Deezer, le leader du streaming musical, est concurrencé par Apple Music, Amazon Music et Youtube Music. Et que dire des acteurs de la vente en ligne comme Cdiscount ou fnac.com ?

Selon vous, la psychose française autour d’Amazon n’a pas beaucoup de sens. Mais quel sens donnez-vous aux chiffres quand le nombre de visiteurs mensuels uniques sur Amazon représentait presque la moitié de la population française, avec une avance importante sur ses concurrents ?

Ces chiffres nous indiquent clairement qu’Amazon est numéro un sur le marché et sera rapidement majoritaire face à ses concurrents dans l’Hexagone.

Allez-vous, comme avec cette crise sanitaire, attendre le dernier moment pour commencer à vous alarmer ?

Debut de section - Permalien
Agnès Pannier-Runacher

Monsieur le sénateur Cardon, je crois d’abord qu’il ne faut pas sous-estimer les acteurs français que vous avez mentionnés. Il se trouve que leurs parts de marché en France sont plutôt supérieures à celles d’acteurs équivalents dans d’autres pays européens.

Vous mentionnez Amazon qui représente, certes, 20 % de parts de marché en France, mais bien plus dans un certain nombre de pays, pas seulement européens.

En termes de dynamique, le sujet, c’est aussi le consommateur. Or il n’appartient pas à l’État régulateur de lui imposer le choix du service auquel il doit avoir accès.

En revanche, il appartient à l’État régulateur de faire en sorte que la protection du consommateur soit maximale, de faire en sorte que les conditions de concurrence soient les plus loyales possible. C’est là tout l’enjeu de la taxation minimale, d’une part, et du Digital Markets Act, d’autre part, le but étant de demander des comptes aux grandes plateformes structurantes qui peuvent utiliser leur position dominante pour écraser la concurrence.

C’est aussi l’enjeu du travail d’information du consommateur que nous menons et, plus largement, du travail tendant à rendre palpable l’intérêt économique de se rapprocher d’acteurs installés en France par rapport à des acteurs qui ne le seraient pas. Cette dimension est bien comprise par les Français, et même de plus en plus si l’on se réfère aux enquêtes d’opinion qui ont été menées notamment pendant le confinement.

S’agissant de la qualité des services, il faut aussi que, collectivement, nous nous y investissions, que nous fassions en sorte que les différents acteurs européens proposent la meilleure qualité de service, parce que c’est la meilleure façon de s’imposer sur le marché européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Rémi Cardon

Madame la ministre, je répète ma question : allez-vous agir pour protéger nos entreprises nationales des Gafam américains et des BATX chinois, ou allez-vous tout simplement laisser nos entreprises être achetées ou décliner comme Alcatel et Dailymotion, en France, où Nokia et TomTom, ailleurs en Europe ? Cette question est très simple.

Vous rejetez la responsabilité partielle de cette situation sur les consommateurs, mais, du point de vue fiscal, il me semble que l’État français a des responsabilités à prendre.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Segouin

Madame la ministre, depuis des années, les Gafam défrayent malheureusement la chronique par leur manque de contribution à l’impôt dans notre pays et, plus largement, dans une Union européenne confrontée à des problématiques d’uniformisation fiscale.

Un simple exemple : une entreprise comme Google déclare aujourd’hui dans notre pays 411 millions d’euros de chiffre d’affaires, mais ne paye que 17 millions d’euros d’impôts, soit 4, 13 %, bien loin donc des 28 % dont doivent s’acquitter toutes les entreprises présentes sur le territoire national, et, surtout, loin des 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires réellement réalisé.

L’inégalité fiscale que Bruno Le Maire s’était engagé à combattre par sa taxe Gafam est donc toujours une réalité et engendre une concurrence déloyale pour les entreprises françaises qui payent l’intégralité de leur impôt.

Il existe donc bel et bien en France une distorsion de marché qui pèse sur nos entreprises nationales, qui se font souvent racheter par ces grandes entreprises disposant d’un capital et d’une trésorerie suffisants du fait de ces exonérations fiscales.

Plus grave encore, la justice européenne a encore récemment validé les rabais fiscaux octroyés à ces entreprises destructrices d’emploi et peu contributives aux économies nationales et aux finances des États.

Alors, que faire ? On nous vante les mérites du système européen en la matière depuis des années, en nous disant que c’est le seul échelon qui peut nous prémunir contre ce risque. Mais force est de constater que rien n’est fait et que l’apathie européenne en matière de contrainte des géants, mais également d’harmonisation fiscale, est réelle.

La France taxe aujourd’hui ses entreprises à hauteur de 28 %, alors que l’Irlande, pays appartenant au même marché commun, ne les impose qu’à hauteur de 12, 5 %. Le déséquilibre est donc immense. L’Europe peut-elle rétablir la justice ? Permettez-moi d’en douter…

On nous vante également, à présent, les mérites d’un taux minimal de taxation des entreprises à l’échelle internationale. Il est vrai que l’idée d’un impôt minimal mondial sur les multinationales paraît idéale, plus ambitieuse que le rêve européen, et que cet impôt permettrait de projeter la lutte contre l’évasion fiscale au-delà de toutes les frontières nationales.

Or ce projet idéaliste non seulement dépasserait le cadre qui lui était initialement conféré en affectant les plus grandes sociétés, mais ne résoudrait pas le problème de l’écart d’imposition.

Madame la ministre, ma question est la suivante : quelle stratégie comptez-vous adopter pour assurer la justice fiscale à nos entreprises françaises, et à quel échelon – national, européen ou international – pensez-vous la mettre en place ?

Debut de section - Permalien
Agnès Pannier-Runacher

Monsieur le sénateur Segouin, permettez-moi de vous faire observer que c’est précisément dans le cadre de l’Union européenne et dans un cadre multilatéral que l’on enregistre des avancées.

Si j’observe la situation qui prévaut sur d’autres continents ou dans d’autres pays, je constate l’absence de toute convergence fiscale ou même l’absence de toute discussion approfondie comparable à celle que l’on observe au sein de l’Union européenne. Il est important de le signaler.

Effectivement, d’ailleurs poussée en ce sens par le Président de la République et le ministre de l’économie, des finances et de la relance, qui défend depuis maintenant quatre ans la question de la taxation des services numériques, l’Union européenne s’est emparée de ce sujet. Certes, tous les pays n’ont pas encore basculé – la décision doit être adoptée à l’unanimité –, mais vingt-trois d’entre eux ont désormais rejoint le camp du soutien à la taxation des services numériques.

De même, c’est le gouvernement français qui a créé les conditions pour autoriser un certain nombre de pays européens à adopter des législations similaires à celle qu’a mise en place la France. Aujourd’hui, nous sommes en passe de parvenir à un accord au niveau de l’OCDE.

La détermination avec laquelle le gouvernement français a défendu ce dossier au niveau de l’OCDE, au niveau du G7, au niveau du G20 et au niveau de l’Union européenne paye aujourd’hui.

Est-ce suffisant ? On peut toujours considérer que le verre est à moitié vide. Je constate néanmoins que, en quatre ans, il a été beaucoup plus fait qu’au cours des dix dernières années. Il faut aussi savoir s’en réjouir.

Applaudissements sur les travées du groupe L es Répu blicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne Ventalon

La crise sanitaire a révélé notre dépendance à l’égard des Gafam. Or, en nous appuyant massivement sur des technologies non européennes, nous risquons de perdre notre souveraineté et mettons en danger la survie de notre industrie.

Ma question portera sur le renforcement de l’expertise publique en matière numérique.

En effet, l’économie numérique repose sur la combinaison d’algorithmes et de données souvent complexes à analyser. La compréhension du fonctionnement des plateformes nécessite le recrutement de compétences adaptées : notamment des data scientists, des spécialistes des algorithmes et de l’intelligence artificielle.

Ces compétences seront particulièrement nécessaires au sein des autorités indépendantes appelées à intervenir dans la régulation des opérateurs de plateformes en ligne. Or ces profils sont quasiment absents de nos administrations tant nationales qu’européennes.

Face aux enjeux numériques, l’inspection générale des finances (IGF) préconise dans un rapport de faire monter en compétence la direction générale de la concurrence de la Commission européenne par le recrutement de spécialistes.

Au niveau national, à l’occasion de l’examen du projet de réforme de l’audiovisuel, le Gouvernement a dressé lui-même un constat sévère quant au manque de moyens d’expertise technique de l’État.

La rigidité des règles de recrutement public est l’un des facteurs expliquant ces difficultés. S’y ajoute la faible attractivité des emplois publics face aux grilles salariales proposées pour le même type de postes dans le secteur privé.

Il est aujourd’hui indispensable de construire une stratégie publique pour attirer et retenir les talents du numérique.

Madame la ministre, prévoyez-vous d’adapter la politique de recrutement des services de l’État et des autorités administratives pour répondre à cet enjeu ?

Debut de section - Permalien
Agnès Pannier-Runacher

Madame la sénatrice Ventalon, je vous remercie de cette question, qui met en lumière tout le travail que nous avons mené pour créer, en France, le pôle d’expertise de la régulation numérique.

Tout d’abord, de récentes lois et leurs textes d’application ont permis d’assouplir le recrutement de profils à forte expertise dans la fonction publique.

Ensuite, nous avons constitué cette force de frappe mutualisée, mobilisable par nos administrations, spécialisée sur les enjeux du numérique et, en particulier, des algorithmes.

Ce service a été créé en septembre 2020. Il s’agit d’une expérience unique au monde, qui suscite d’ailleurs un fort intérêt à l’étranger. Dans ce cadre, cinq projets ont d’ores et déjà été menés à bien et vingt autres sont en cours de réalisation, qu’il s’agisse de l’audit d’algorithmes d’intelligence artificielle, de l’évaluation de la modération des réseaux sociaux ou encore de la collecte d’indices permettant de s’assurer que les plateformes respectent leurs obligations. Chaque fois, ce travail est mené sous l’autorité des administrations compétentes.

En outre, des projets d’expérimentation sont en cours avec les grandes plateformes et avec l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria), spécialisé dans le domaine de l’intelligence artificielle. Aujourd’hui, nous disposons à ce titre d’une équipe de treize experts de haut niveau ; nous comptons porter cet effectif à vingt d’ici à la fin de l’année.

Bref, l’effort est en marche à l’échelle nationale et, selon nous, cette démarche a vocation à faire école à l’échelle de l’Union européenne !

Debut de section - PermalienPhoto de Anne Ventalon

Madame la ministre, le renforcement de l’expertise publique est un défi de taille en matière de ressources humaines. Les autorités publiques doivent le relever rapidement pour être à la hauteur des enjeux d’aujourd’hui et de demain.

La France, riche d’ingénieurs dont la formation est reconnue et convoitée, devrait être à l’avant-garde sur ce sujet et servir d’aiguillon à l’Europe !

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Le Rudulier

Madame la ministre, la lutte contre les contenus haineux sur le web constitue aujourd’hui un combat indispensable pour apaiser notre démocratie. Mais les armes efficaces nous font défaut, au regard de l’envolée du nombre de faits signalés.

Les Gafam ne peuvent ni ne souhaitent endiguer ces dérives incontrôlées du web. Chaque fois, les cyberdélinquants semblent avoir un temps d’avance par rapport aux dispositifs mis en place.

Certes, la loi Avia, en 2020, a représenté une première tentative de prendre à bras-le-corps cette problématique des contenus haineux en ligne. Néanmoins, comme vous le savez, le Conseil constitutionnel a censuré la majeure partie de ces dispositions, jugeant qu’elles portaient atteinte aux libertés individuelles et à la liberté d’expression.

Vous l’avez dit : la Commission européenne a quant à elle annoncé le déploiement du Digital Services Act à l’horizon de 2022 dans chaque pays membre de l’Union européenne. L’objectif est double : d’une part, protéger le consommateur en améliorant l’encadrement et la transparence des informations figurant sur les plateformes ; d’autre part, donner une plus grande responsabilité aux hébergeurs face aux contenus illicites, dangereux ou contrefaits.

En parallèle, le projet de loi confortant le respect des principes de la République, dont l’examen se poursuit, prévoit entre autres la création d’un délit de mise en danger de la vie d’autrui par diffusion d’informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle.

Dès lors, ma question est assez simple : les mesures proposées par ce texte de loi vous semblent-elles pertinentes, suffisantes et efficientes dans un contexte transitoire, à un an du déploiement du Digital Services Act à l’échelle européenne ?

Debut de section - Permalien
Agnès Pannier-Runacher

Monsieur le sénateur Le Rudulier, avant tout, je tiens à préciser que le Digital Services Act est en cours de négociation. Je serais ravie qu’il soit en cours de déploiement, mais je crains que nous ne devions franchir quelques étapes intermédiaires avant d’arriver à ce résultat.

C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons pris, à l’échelle nationale, un certain nombre de mesures dont certaines tirent les conclusions de la décision du Conseil constitutionnel relative à la loi Avia. Nous déployons en quelque sorte des mesures de sauvegarde au sujet des contenus haineux dans le cadre du projet de loi confortant le respect des principes de la République en cours d’examen.

L’enjeu est d’obtenir des plateformes le retrait rapide des contenus illicites. Le temps laissé à ces plateformes pour agir a soulevé des interrogations : le Conseil constitutionnel l’a jugé insuffisant, eu égard à leurs capacités d’action. Nous en avons tiré les conséquences et j’invite la Haute Assemblée à soutenir les nouvelles dispositions que nous avons prises. Elles permettront d’agir très rapidement.

Le Digital Services Act va plus loin. Non seulement il constitue un règlement structurant, mais il présente l’intérêt de s’appliquer à l’ensemble des pays de l’Union européenne : il concerne aussi bien les autorités de régulation d’implantation des plateformes que les autorités de régulation des consommateurs, qui doivent travailler ensemble dans ce cadre.

La somme des deux dispositifs permettra de mieux protéger les citoyens et les consommateurs !

Debut de section - PermalienPhoto de Céline Boulay-Espéronnier

Madame la ministre, après une décennie d’extension du domaine de la lutte numérique au cœur de nos territoires, l’heure est bel et bien venue d’imposer un cadre à l’expansion des Gafam. Nous sommes mûrs pour cela : vous l’avez vous-même rappelé il y a quelques instants.

Actuellement, 70 % du marché de l’hébergement des données est détenu par Amazon, Microsoft et Google. Chaque fois que nous écrivons un mail, activons notre géolocalisation ou visionnons des publicités, nous envoyons des données qui sont stockées dans des serveurs américains.

Or une donnée n’est pas une simple information numérique : c’est un véritable trésor national. En fournissant nos données aux Gafam, nous leur permettons non seulement d’en tirer d’immenses bénéfices, mais aussi de développer leurs programmes d’intelligence artificielle. Nous accumulons ainsi un immense retard dans la révolution économique et industrielle en cours.

À la lueur de ces signaux d’alarme, un objectif clair s’impose à l’État français : organiser le rapatriement et le stockage des données dans des data centers implantés partout sur le territoire national.

Certes, le Gouvernement a présenté le 17 mai dernier sa stratégie nationale du cloud. Un nouveau cadre réglementaire imposera désormais à l’administration française de recourir à un cloud « protégé contre toute réglementation extracommunautaire », afin d’empêcher que la justice ou les services de renseignement américains n’accèdent aux données hébergées hors des États-Unis. Mais la stratégie cloud de l’État ne permettra pas de résoudre le problème de la souveraineté numérique du jour au lendemain.

En effet, la nouvelle réglementation ne s’applique pas au secteur privé, qui représente une part importante du marché de la donnée. De plus, les solutions hybrides, alliant par exemple actionnariat européen et technologie américaine, risquent de cantonner les entreprises françaises dans le seul hébergement de données. Dès lors, on abandonnerait aux Américains les couches logicielles les plus valorisées.

Quant au projet franco-européen Gaïa-X, il est destiné à faire émerger des services cloud conformes aux valeurs européennes. Mais on peut redouter que les entreprises américaines ou asiatiques qui comptent parmi ses membres ne l’utilisent comme un cheval de Troie.

Madame la ministre, quelle stratégie entendez-vous déployer pour permettre aux acteurs économiques du secteur privé de sécuriser leurs données personnelles et de les rapatrier sur le territoire national ?

Debut de section - Permalien
Agnès Pannier-Runacher

Madame la sénatrice Boulay-Espéronnier, vous le savez, toutes les données traitées par les Gafam – je pense notamment à Amazon Web Services (AWS) – ne sont pas nécessairement stockées aux États-Unis : un certain nombre d’entre elles sont stockées en Europe. D’ailleurs, il s’agit souvent d’une des conditions contractuelles que les entreprises négocient.

Ensuite, le RGPD demeure une réglementation protégeant les Européens quant à l’utilisation de leurs données privées. Quant au Digital Services Act, il a pour but de donner aux autorités de régulation les moyens de contrôler plus avant l’utilisation concrète de ces données et le recours aux algorithmes. Je pense notamment aux éventuels algorithmes biaisés.

Tout ce travail est en cours à l’échelle européenne, suivant un calendrier – on l’a dit et répété dans cet hémicycle – couvrant les douze à dix-huit prochains mois. Il est important de le souligner.

En outre, nous construisons des solutions européennes qui ne se limitent pas au cloud. Vous avez parfaitement raison, il ne faut pas se contenter de cet enjeu : il faut investir d’autres dimensions, comme le traitement des algorithmes et l’intelligence artificielle. Or, en la matière, nous disposons de grands acteurs que j’ai déjà cités, comme Dassault Systèmes : ils maîtrisent une couche logicielle que l’on retrouve partout, y compris dans les Gafam.

Ainsi, la réalité est plus intriquée qu’il n’y paraît : on ne peut, sans faire de raccourci, prétendre que tout se passe aux États-Unis et que les Européens sont privés de tout moyen, de toute brique technologique.

Bien sûr, il faut aller plus avant…

Debut de section - Permalien
Agnès Pannier-Runacher

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. C’est tout l’enjeu, notamment, du programme d’investissements d’avenir (PIA) : faire de la cybersécurité, du cloud souverain ou encore de la 5G des éléments centraux d’investissements massifs. En parallèle, il convient de lancer, à l’échelle de l’Union européenne, des IPCEI

Important Project of Common European Interest

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

En conclusion de ce débat, la parole est à M. Gérard Longuet, pour le groupe auteur de la demande.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Longuet

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Les Républicains m’a confié la responsabilité de conclure ce débat, organisé sur son initiative.

Je tiens à remercier l’ensemble des orateurs, au premier rang desquels Jean-Raymond Hugonet, qui a ouvert ces discussions. Ayant été, il y a un peu plus d’un an, le rapporteur d’une commission d’enquête sénatoriale relative à la souveraineté numérique, instance présidée par mon collègue Franck Montaugé, je puis témoigner de la pertinence des seize interventions et des seize réponses. Chacune a enrichi le débat et montre la forte implication de notre assemblée sur ce sujet absolument majeur : il y va des rapports de puissance entre, d’une part, les Gafam ainsi que les BATX, évoqués par André Gattolin, et, de l’autre, nos démocraties ouvertes.

Y a-t-il des éléments positifs ? Oui. J’insisterai sur le premier d’entre eux, même s’il est fragile : c’est la convergence des volontés, au-delà des divisions politiques, pour préserver un système qui respecte l’homme. Il y a d’autres points de convergence, comme la propriété intellectuelle : le temps qui m’est imparti ne me permet pas de les détailler.

Quoi qu’il en soit, cet élément est extrêmement positif. Est-il durable ? Oui, à condition que les réponses nationales, européennes et mondiales soient rapides et ambitieuses. En effet, nous sommes face à deux obstacles majeurs.

Premièrement, alors que la décision politique est lente, l’imagination des acteurs du numérique est à peu près sans limite, qu’il s’agisse de l’industrie ou des services. Le ressort technologique est inépuisable – on pense aux lois de Moore, à la fibre optique, aux algorithmes ou encore à l’imagination marketing : qui aurait pensé que TikTok séduirait des centaines de millions de jeunes gens en quelques mois, en entraînant – c’est rassurant ! – la disparition d’autres réseaux ?

Or, j’y insiste, les lois et les règlements exigent des négociations interminables aux différents niveaux, par exemple à l’échelle de l’Union européenne ou de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), s’agissant des dispositions fiscales évoquées par de très nombreux collègues.

Deuxièmement, le système s’installe et sa force d’inertie ne s’explique pas par la seule puissance de ces entreprises. Elle tient également à la présence des clients – ils ne sont pas très fidèles, mais il y en a et ils constituent un atout considérable. Il y a également des fournisseurs, qui finalement s’en sortent. Certes, ils sont exploités, mais les plateformes leur permettent d’accéder à une clientèle qu’ils n’auraient pas pu atteindre autrement. Et il y a évidemment les actionnaires, et des intérêts économiques considérables qui se construisent.

Bref, si la politique veut garder sa place, elle doit agir à un rythme soutenu. Ce débat, voulu par le groupe Les Républicains, est donc tout à fait justifié.

Madame la ministre, nous, parlementaires, avons un devoir : vous empoisonner l’existence.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Longuet

Reste une question majeure : que se passera-t-il aux États-Unis ? Si l’Europe adopte une attitude raisonnable et réfléchie – on a invoqué l’acte sur les marchés du numérique et l’acte sur les services du numérique : je le dis en français, cela me fait plaisir !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Longuet

Jean-Raymond Hugonet a évoqué les démantèlements doux et carrés : comme j’aime l’histoire, je pense aux compagnies de chemins de fer et aux compagnies pétrolières. J’évoquerai également le démantèlement d’AT&T, qui a eu lieu alors que j’étais ministre des postes et télécommunications – c’était au siècle dernier.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Longuet

Cet exemple prouve que les États-Unis savent limiter le pouvoir des grandes entreprises. À cet égard, ils appliquent la très belle formule citée par Jean-Raymond Hugonet : parce qu’ils n’ont pas choisi de roi, ils n’ont pas l’intention de subir l’autorité d’un monarque autodésigné par sa performance industrielle ou de marketing. Ces performances sont parfaitement respectables et elles garantissent le confort des actionnaires, mais elles ne confèrent aucune légitimité pour gouverner nos sociétés !

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Nous en avons terminé avec le débat sur la régulation des Gafam.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-sept heures trois, est reprise à dix-sept heures cinq.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, sur le thème : « Rétablissement du contrôle aux frontières nationales depuis 2015 : bilan et perspectives. »

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour le groupe auteur de la demande.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Taillé-Polian

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au moment même où nous ouvrons ce débat, des hommes et des femmes risquent leur vie pour trouver refuge en France. S’ils quittent leur pays et leur famille au péril de leur vie, c’est certainement parce qu’ils n’ont pas d’autre choix.

Face à cela, nous agissons à rebours de notre histoire et de notre tradition. La France contrevient à ses valeurs et au droit de l’Union européenne en renouvelant tous les six mois le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures depuis 2015 : récemment encore, cette décision a été prolongée jusqu’au 31 octobre prochain. Invoquant la lutte contre le terrorisme, elle s’assoit sur ses obligations juridiques en inscrivant dans la durée une mesure censée être exceptionnelle.

Comment le Gouvernement justifie-t-il ce non-respect du délai prévu par un texte européen ?

La France se décharge de toute responsabilité quant à l’accueil des personnes exilées : elle se défausse sur ses voisins, quitte à se mettre en situation d’otage à l’égard d’autres pays, y compris des États n’appartenant pas à l’Union européenne.

De manière hypocrite, la France délègue aux organisations non gouvernementales (ONG) et aux associations de terrain qui viennent en aide tous les jours aux personnes exilées le soin et le devoir d’accueillir et de prendre en charge avec le moins de moyens possible, pour tenter de dissuader les bénévoles comme les exilés.

Dès lors, nous posons la question : où sont nos valeurs de solidarité lorsque nous laissons des personnes mourir dans la Méditerranée ou à la frontière franco-italienne ?

Où sont nos valeurs de solidarité lorsque le Gouvernement ordonne aux forces de police d’empêcher quasiment à tout prix les exilés d’entrer sur notre sol – c’est ce que nous avons observé –, en allant parfois jusqu’au harcèlement des individus qui souhaitent fuir leur pays, au point de les mettre en danger ?

Où sont nos valeurs de solidarité lorsque les femmes et les hommes engagés dans les réseaux solidaires sont criminalisés ?

Mes chers collègues, toutes ces questions sont à l’origine du débat que le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires vous propose aujourd’hui.

Nous en appelons à l’état d’urgence humanitaire pour le respect de la dignité, pour un accueil respectueux des droits fondamentaux, pour la fraternité et pour la solidarité.

Depuis janvier dernier, dix-sept élus du Sénat et du Parlement européen se sont rendus à Montgenèvre aux côtés de l’Association nationale des villes et territoires accueillants (Anvita) pour observer l’action des associations de défense des droits des personnes exilées – Médecins du monde, l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé), Tous Migrants, etc. – mobilisées depuis des années sur ce point de passage extrêmement dangereux.

C’est à leurs côtés que nous avons opposé la solidarité et la fraternité humaines aux politiques du Gouvernement, que je qualifierai de brutales et d’inefficaces.

Les réseaux solidaires qui œuvrent sur l’ensemble du territoire font notre fierté. Nous tenons à les remercier et à les soutenir dans leur action de solidarité.

Nous assumons un message clair : tout être humain, indépendamment de ses origines, mérite le respect et la dignité, mérite l’accès aux soins, l’accès à ses droits et le respect de son intégrité physique et psychique. Trop souvent, le push back, le refoulement à la frontière sont sources d’humiliations ou de mises en danger.

Il ne s’agit pas seulement de faire de la morale : nous refusons cette politique non seulement au nom de nos valeurs, mais aussi en raison de son inefficacité.

Le rétablissement des contrôles frontaliers à l’intérieur de l’espace Schengen met en danger les personnes qui tentent de traverser les frontières. Celles-ci empruntent des chemins de plus en plus dangereux : on déplore déjà cinq morts à la frontière entre Montgenèvre et Oulx et plus d’une vingtaine entre Vintimille et Menton, sans parler des amputations dues aux gelures.

Alors que la traversée de la montagne est source de nombreux risques pour la santé, en particulier l’hiver, les personnes arrivent dans un état de santé de plus en plus fragile.

On voit de plus en plus d’enfants en bas âge et de femmes enceintes. Le 13 février dernier, notre collègue eurodéputé Damien Carême a assisté au renvoi en Italie d’une femme qui était sur le point d’accoucher. Elle demandait à voir un médecin ; or la maternité la plus proche était du côté français.

L’arsenal politique et policier déployé aux frontières, censé dissuader l’arrivée des personnes exilées par l’intimidation et l’enfermement, conduit en fait à des situations périlleuses. Il bafoue le droit français et international en contrevenant à l’obligation de porter secours aux personnes en danger.

Ce qui se passe aujourd’hui à nos frontières est donc insupportable. Mais, depuis plusieurs mois, le Gouvernement continue sa politique de militarisation des frontières. Les exilés seraient dangereux, les militants solidaires complices des passeurs.

Si certains exilés sont dangereux, ne vaudrait-il pas mieux les accueillir et les surveiller comme il se doit, dans un cadre légal correct ? À l’inverse, la politique menée les conduits à multiplier les tentatives de franchir la frontière ; et, de l’aveu même des policiers, ils finissent toujours par passer !

Les solidaires, quant à eux, ne sont pas des coupables. Le 6 juillet 2019, le Conseil constitutionnel reconnaissait la fraternité comme principe à valeur constitutionnelle. La Cour de cassation l’a confirmé le 31 mars dernier en relaxant définitivement Cédric Herrou. La solidarité n’est pas un délit !

Le 22 avril s’est ouvert un nouveau procès en première instance à l’encontre des solidaires pour « aide à l’entrée illégale et à la circulation sur le territoire national de personnes en situation irrégulière ». Ce procès met en lumière la situation à la frontière franco-italienne, à Montgenèvre, où répression policière et protection des personnes exilées se confrontent.

Or, depuis près de cinq ans, à Briançon et ailleurs en France, des bénévoles soignent, accueillent et entourent, avec toute la chaleur qu’il leur est encore possible de rassembler, les femmes, les enfants et les hommes qui arrivent là faute d’autre choix et qui, quand ils sont refoulés, tentent de passer de nouveau.

J’y insiste, cette politique est totalement inefficace : des policiers et des policières nous l’ont dit eux-mêmes. D’ailleurs, ces moments ne sont guère agréables pour eux non plus : je doute qu’ils se soient engagés dans la fonction publique pour mettre en œuvre cette forme d’horreur banalisée.

J’ai moi-même observé ces chasses à l’homme, la nuit, dans le froid glacial de la montagne à Montgenèvre. Or les policiers et les policières nous le disent : « Nous les arrêtons une première, une deuxième fois, mais ils finissent toujours par passer. » Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont pas d’autre choix : c’est le choix de la vie qu’ils font.

À quoi bon déployer tant de moyens humains et financiers pour une politique totalement inefficace, qui met en danger les personnes essayant de passer ? C’est totalement absurde et inhumain : cela ne peut plus durer.

Les flux migratoires ne vont pas cesser : les conflits, les guerres, le réchauffement climatique sont bien là. Au lieu de persister dans cette politique de déni et d’hypocrisie, nous ferions mieux d’assumer le problème tel qu’il est.

Les renouvellements successifs des contrôles aux frontières nationales, décidés par ce gouvernement, ne font qu’empirer la situation : c’est la France qui se rend alors coupable de drames humains, sans résoudre en rien les difficultés rencontrées.

Cette politique assumée du déni des droits et de la dissuasion doit cesser. Il est urgent que ce gouvernement s’engage dans une démarche permettant d’accueillir dignement, d’accompagner et de protéger les mineurs isolés, de garantir leurs droits aux migrants tout en déployant les moyens de détecter d’éventuels exilés dangereux.

Aujourd’hui, les idées d’extrême droite progressent dans notre pays. Elles sont, selon moi, profondément antirépublicaines, mais elles s’imposent dans notre débat public. Dans le même temps, des milices identitaires s’estiment en droit de faire la chasse aux personnes exilées.

Nous souhaitons véritablement que le débat soit posé et qu’il s’inscrive dans le cadre républicain. Nous devons répondre à ces défis dans le respect de nos valeurs, de manière digne, efficace, intelligente et républicaine !

Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.

Debut de section - Permalien
Marlène Schiappa

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie les élus du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires d’avoir souhaité provoquer ce débat devant la Haute Assemblée. J’y représente le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin.

Ce débat nous offre l’occasion de revenir sur la détermination du Gouvernement à agir sur tous les fronts de notre sécurité.

En effet, c’est bien de cela qu’il s’agit : notre sécurité. C’est elle qui a motivé, dès 2015, à la suite des attentats que nous avons subis, le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures à Schengen. C’est elle encore qui a conduit au doublement des forces affectées à ces contrôles, en novembre 2020. C’est elle enfin qui sous-tend nos propositions d’amélioration des contrôles aux frontières extérieures de l’Europe, que nous défendons dans le cadre des négociations européennes.

Dans cette intervention liminaire, j’évoquerai trois points principaux.

Tout d’abord, il me semble qu’il nous faut faire preuve de réalisme : la menace terroriste est toujours présente. Les raisons qui nous ont conduits à rétablir des contrôles aux frontières intérieures en 2015 n’ont, hélas ! pas disparu, du fait d’une conjoncture internationale très perturbée.

Ensuite, le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures apporte une réponse proportionnée et efficace à ces menaces, comme en témoignent les chiffres.

Enfin, cette politique doit être complétée par des initiatives fortes à l’échelon européen afin d’améliorer Schengen. Je reviendrai sur les axes que nous défendons à Bruxelles dans la perspective de la présidence française de l’Union européenne.

Le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures demeure d’actualité, dans un contexte international perturbé.

La France a réintroduit les contrôles aux frontières intérieures avec la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne, la Confédération helvétique, l’Italie et l’Espagne, ainsi qu’aux frontières aériennes et maritimes, lors de la COP21, sur le fondement de l’article 25 § 1 du code frontières Schengen (CFS), qui prévoit une telle possibilité en cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure d’un État membre – catégorie des événements dits prévisibles.

Cependant, à la suite des attentats de Paris et de Saint-Denis, l’état d’urgence a été décrété et cette réintroduction a été prolongée. Actuellement, la France est en prolongation de la réintroduction pour une durée de six mois.

Les raisons qui expliquent cette longue prolongation du rétablissement des contrôles aux frontières intérieures sont doubles.

La principale raison est la menace terroriste. En trois ans, nos services spécialisés ont déjoué 32 attentats. Hélas, cela n’a pas empêché notre pays d’être frappé par trois attentats islamistes, y compris très récemment. L’un d’entre eux, celui de Nice, a été commis par un ressortissant tunisien entré illégalement en Italie avant d’arriver en France par la frontière de Menton-Vintimille.

Cette menace terroriste ne faiblit pas. Les groupes djihadistes restent actifs au Sahel, en Libye, ainsi que dans la zone syro-irakienne. Plusieurs d’entre eux ont des agendas internationaux et alimentent de multiples réseaux criminels qui utilisent le commerce de stupéfiants ou le trafic de migrants pour agir ou amplifier leurs actions.

La deuxième raison qui a conduit à la prolongation est conjoncturelle, mais s’impose à nous tous : c’est la lutte contre la propagation de la covid-19 et la nécessité d’harmoniser les pratiques entre les différents États européens. Ainsi, dans sa communication du 19 janvier 2021, intitulée Un front uni pour vaincre la COVID-19, la Commission européenne a souligné que tous les déplacements non essentiels devaient « être fortement découragés jusqu’à ce que la situation épidémiologique se soit considérablement améliorée ».

Au demeurant, la pression migratoire demeure et connaît une forte hausse : en 2020, les flux de migrants atteignant l’Europe ont connu une augmentation par rapport à 2019 sur les routes occidentales et centrales, ainsi que sur celle des Balkans. Seule la route orientale affiche une baisse.

Par ailleurs, au premier semestre 2021, on a décompté 36 076 entrées irrégulières au sein de l’Union européenne, soit une hausse de 32 % par rapport à la même période de 2020, principalement vers l’Italie et l’Espagne.

Ce sont surtout les flux secondaires, qui touchent la France depuis les autres pays européens, qui sont en augmentation. Ainsi, les non-admissions prononcées en 2020 sont en hausse de 55 % par rapport à l’année précédente, sur les frontières terrestres. La tendance se poursuit sur les trois premiers mois de l’année 2021, une augmentation de 221 % par rapport à 2020 ayant été constatée. Ce sont évidemment les frontières espagnoles et italiennes qui sont les plus concernées.

Ces flux migratoires secondaires pèsent lourdement sur nos dispositifs d’accueil. La France enregistre les chiffres parmi les plus élevés en matière de demandes d’asile : 152 000 demandes ont été déposées en 2019 et 93 000 en 2020.

À cet égard, la France n’est pas isolée et n’est pas la seule à avoir choisi le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures et à l’avoir renouvelé à plusieurs reprises. En effet, plusieurs autres États membres – l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, la Suède et la Norvège – ont également réintroduit ces dernières années les contrôles à certaines de leurs frontières intérieures.

Les résultats obtenus grâce au rétablissement des contrôles aux frontières intérieures sont positifs, dans le cadre d’une coopération active avec les États riverains.

Le contrôle aux frontières repose, aux frontières belge, allemande et suisse, sur les effectifs de douane et de police en poste, soit un peu moins de 2 000 personnes. Aux frontières espagnoles et italiennes, les effectifs ont été portés, depuis les décisions du Président de la République de novembre 2020, de 2 400 à 4 800 policiers, gendarmes et militaires de l’opération Sentinelle.

Les contrôles aux frontières intérieures ont fait la preuve de leur utilité pour prévenir le terrorisme, la criminalité organisée et pour lutter contre l’immigration irrégulière et les filières. Outre leur caractère dissuasif, ils ont permis la surveillance d’individus signalés dans les bases de données européennes et nationales en raison de la menace terroriste qu’ils représentent pour notre territoire. Ils ont également révélé toute leur pertinence dans la lutte contre la fraude documentaire.

À titre d’illustration, permettez-moi de vous livrer quelques chiffres. Depuis novembre 2015, 274 millions de personnes ont franchi les frontières françaises, extérieures ou intérieures ; 102 millions ont fait l’objet de contrôles, 93 millions de passages fichiers, soit plus d’un tiers du total des passages aux frontières. Sur ce total, 121 000 fiches ont été découvertes et 300 000 personnes ont été non admises.

Ces résultats signifient deux choses. La première, c’est que les contrôles fonctionnent et entretiennent un flux réel de non-admissions : un nombre significatif de personnes, approximativement 50 000 par an, sont détectées comme n’ayant aucun droit de se rendre sur notre territoire. Au vu des volumes de circulation, ces contrôles n’entravent nullement la liberté de circulation, qui reste le principal acquis de Schengen.

Il est à noter que les droits des voyageurs et des migrants sont pleinement respectés. En cas de non-admission, notamment à la frontière franco-italienne, des locaux ont été mis à disposition des personnes à qui l’entrée est refusée, le temps qu’elles soient remises aux autorités italiennes.

Ces contrôles aux frontières s’effectuent dans le cadre d’une coopération solide avec les États voisins. L’intégralité des contrôles aux frontières est menée dans le respect du principe de proportionnalité et en étroite coopération avec les autorités des États membres voisins.

En matière de coopération, des analyses de risques sont régulièrement partagées et actualisées avec les États membres limitrophes, en fonction de la situation rencontrée et selon les services considérés – police nationale, douanes et gendarmerie nationale. C’est le cas, par exemple, entre la police et la gendarmerie françaises et les services italiens à la frontière. Ces analyses visent notamment à prévenir le développement d’organisations criminelles transfrontalières et sont diffusées à l’échelon départemental, régional et national.

Les contrôles aux frontières terrestres sont donc aménagés en fonction de ces échanges d’informations et réalisés par des patrouilles fixes et mobiles, qui effectuent une surveillance adaptée entre les différents points de passage.

Par ailleurs, sur le fondement de la convention d’application de l’accord de Schengen, des accords visant à renforcer la coopération policière et douanière ont été signés avec les États frontaliers. Ils prévoient notamment l’installation de centres de coopération policière et douanière (CCPD) facilitant l’échange d’informations entre les différentes parties prenantes.

À terme, le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures ne pouvant être maintenu indéfiniment, c’est vers la réforme de Schengen que nous devrons nous orienter.

Debut de section - Permalien
Marlène Schiappa

Très récemment, le ministre de l’intérieur a adressé à la Commission européenne, avec son homologue allemand, une lettre conjointe en ce sens. Hier, la Commission européenne a publié sa stratégie Schengen, soit les grands axes d’une réforme vers un espace Schengen rénové.

Bref, l’enjeu que nous traitons avec nos partenaires, c’est le contrôle des frontières extérieures et le rétablissement de la confiance et de la coopération entre États membres. Le but, vous l’avez bien compris, est bien de préserver cette avancée irremplaçable qu’est la libre circulation.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et que le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Roger Karoutchi.

Applaudissements sur les travées du groupe L es Répu blicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

Tout État souverain a naturellement le droit de définir sa politique migratoire et les catégories de populations ayant le droit d’entrer sur son territoire. Aucun État n’est une page blanche. On ne peut y entrer ou en sortir comme dans un moulin ! Cela n’existe pas…

En France, le Gouvernement a rétabli le contrôle aux frontières depuis les attentats de 2015. Vous venez de rappeler un certain nombre de chiffres, madame la ministre, mais nous sentons bien que le contrôle aux frontières à l’intérieur de l’Europe n’a de sens que si nous réformons Schengen et si nous renforçons Frontex.

Si une course-poursuite s’engage entre les différents États à l’intérieur de l’Europe, mais qu’il est possible d’entrer très facilement ou clandestinement en Europe, alors c’est un jeu à somme nulle, pour ne pas dire un jeu de dupes.

Madame la ministre, vous avez évoqué le Schengen rénové envisagé par l’Union européenne à la fin de votre intervention. Comment comptez-vous coordonner la politique française et la politique européenne en matière de contrôle des frontières ? Comment renforcer les capacités de Frontex ? Une politique migratoire européenne commune soutenant Frontex et le contrôle aux frontières de l’Europe est-elle dans les tuyaux ?

Debut de section - Permalien
Marlène Schiappa

Monsieur le sénateur, je comprends bien sûr votre question et je vous assure que le Gouvernement partage votre volonté de mener une politique de contrôle aux frontières qui soit efficace, juste et bien évidemment coordonnée.

Vous l’avez dit, le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures répond à des impératifs majeurs de sécurité, notamment de lutte contre le terrorisme. Cela étant, malgré l’excellent travail des agents de la lutte contre le terrorisme, qui ont déjoué 51 attentats depuis 2015 et que je tiens à saluer ici, la menace reste extrêmement forte. Nous ne pouvons pas baisser la garde.

Le rétablissement a porté ses fruits, bien qu’il ne constitue pas la seule solution. Vous le savez, monsieur le sénateur, le Gouvernement nourrit l’ambition forte d’un contrôle commun aux frontières extérieures de l’Union européenne.

Pour répondre très clairement à la question que vous me posez, et comme je l’ai dit brièvement dans mon propos liminaire, nous croyons en Schengen. Toutefois, comme l’a dit le Président de la République, pour sauver Schengen, il faut le transformer. La politique de la France en la matière ne peut bien évidemment se faire ni contre l’Union européenne ni différemment d’elle. Je vous confirme qu’un travail diplomatique est en cours avec nos partenaires, avec l’ensemble des ministres concernés à l’échelon européen, afin d’améliorer Schengen. Tel est le sens que nous souhaitons donner à la présidence française de l’Union européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

Madame la ministre, cela fait des années, cinq ou dix ans, que l’on dit qu’il faut réformer Schengen. Il est donc temps que soit mise en œuvre une politique d’immigration commune à l’ensemble de l’Europe, dotée de moyens de contrôle communs aux frontières, et que Frontex soit renforcée.

Cela étant, je ne rêve pas ! Chaque État membre conservera sa souveraineté à l’intérieur de ce Schengen 2, car il y a peu de chances que tous les États européens mènent strictement la même politique migratoire. La France doit donc impérativement conserver sa souveraineté sur son territoire et pouvoir décider qui a le droit d’entrer ou non sur son territoire.

Applaudissements sur les travées des groupes L es Répu blicains et UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Jean Verzelen

Madame la ministre, les accords de Schengen permettent la libre circulation des personnes entre vingt-six États, qui ne sont d’ailleurs pas tous membres de l’Union européenne. Aux côtés de la libre circulation des marchandises et des capitaux, celle des personnes illustre la grande intégration des États membres.

Cette liberté est une chance pour le peuple européen. Comme le permettent les accords de Schengen, un certain nombre de restrictions à la libre circulation des personnes ont cependant été mises en œuvre ces dernières années. Différents motifs ont été invoqués, comme la lutte contre le terrorisme, le contrôle des flux migratoires ou encore la lutte contre la pandémie.

Depuis les attentats de Paris en 2015, la France a rétabli la possibilité d’effectuer des contrôles à ses frontières. Certains y voient la fin de l’espace Schengen. Nous pensons qu’il s’agit plutôt d’une mesure de sécurité, que chacun peut comprendre.

L’année 2015 a aussi été marquée par une crise migratoire majeure. Cela a été dit, Frontex disposait de moyens trop faibles pour assurer l’intégrité des frontières extérieures de l’Union. Ses compétences et ses moyens ont été renforcés après cet épisode, mais une réforme plus globale est nécessaire, notamment pour assurer l’interopérabilité des fichiers.

Pour se reposer sur les frontières extérieures, les États ont besoin de savoir que ces frontières sont fermement tenues. Ils ont également besoin de connaître qui les franchit.

Monsieur le ministre, ces objectifs sont-ils atteignables à vingt-six ? Ne faut-il pas prévoir un espace de libre circulation plus restreint, mais mieux maîtrisé ?

Debut de section - Permalien
Marlène Schiappa

Monsieur le sénateur, vous me posez une question fort intéressante, qui sera abordée lors de la présidence française du Conseil de l’Union européenne. Le Président de la République s’est d’ailleurs lui-même déjà exprimé dans votre sens. Il est vrai qu’il est extrêmement difficile à vingt-six ne serait-ce que de se mettre d’accord sur le partage d’un certain nombre de données et sur leur fiabilité.

Vous avez soulevé la question des moyens. Entre 2021 et 2027, le nombre de garde-frontières de Frontex augmentera de 10 000. Par ailleurs, le budget alloué à cette agence a considérablement augmenté. Nous appelons de nos vœux la mise en œuvre rapide de procédures efficaces aux frontières extérieures. Dans ce sens, nous soutenons la proposition de la Commission qui vise à rendre obligatoire le contrôle avant le passage de la frontière extérieure de l’Union européenne, notamment l’enregistrement dans Eurodac.

Les procédures d’asile à la frontière doivent aussi nous permettre d’identifier rapidement les personnes manifestement inéligibles à l’asile afin de favoriser leur éloignement, tout en respectant leurs droits fondamentaux. Cela nous permettra par ailleurs de réduire le délai de réponse aux demandes d’asile. Dans le même temps, nous devons définir un cadre de responsabilité plus efficace afin de réduire les demandes multiples et d’empêcher les abus.

Nous plaçons de grands espoirs dans le code de coopération policière annoncé par la Commission afin de renforcer la coopération policière transfrontalière. Il est essentiel de pratiquer davantage les contrôles autorisés dans les zones frontalières, tels qu’ils sont d’ailleurs prévus dans le code frontières Schengen, de permettre aux États membres d’y recourir plus largement et de faciliter les remises d’étrangers en situation irrégulière d’un État membre à l’autre.

Pour conclure, nous pensons que le rétablissement temporaire des contrôles aux frontières doit permettre aux États qui y recourent de réagir rapidement et efficacement à des menaces sur leur territoire, en coopération toujours plus étroite et améliorée avec la Commission et les autres États membres.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymonde Poncet Monge

Madame la ministre, durant plusieurs semaines, nous avons constaté que la police aux frontières refoulait systématiquement les personnes appréhendées, même en cas de demande d’asile. Malgré nos demandes, aucune justification légale de cette pratique ne nous a été fournie. Ces pratiques entrent pourtant en contradiction avec le droit et la jurisprudence, comme en attestent les recherches juridiques que nous avons effectuées.

En effet, de 2019 à 2021, le Conseil d’État ou la Cour de cassation ont clairement affirmé à au moins cinq reprises que le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures, tel qu’il est prévu par le code frontières Schengen, ne permet pas de signifier des refus d’entrée sans avoir tenu compte du droit de demander l’asile à la frontière.

En 2019, la Cour de cassation a clairement considéré que « la seule réintroduction de contrôles aux frontières intérieures d’un État membre n’a pas pour conséquence qu’un ressortissant de pays tiers, en séjour irrégulier et appréhendé à l’occasion du franchissement de cette frontière […], puisse être éloigné plus rapidement » via un refus d’entrée sans prise en compte du droit d’asile. Le Conseil d’État est arrivé à la même conclusion à trois reprises.

Par ailleurs, la Cour de justice de l’Union européenne a indiqué que le « code Schengen s’oppose à ce qu’une frontière intérieure sur laquelle des contrôles ont été réintroduits soit assimilée à une frontière extérieure ». Les règles d’exception au droit d’asile ne s’appliquent donc pas.

De même, le règlement de Dublin prévoit que la demande d’asile doit être instruite par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).

Comment expliquer que nous ayons constaté à plusieurs reprises que les demandes d’asile n’étaient pas prises en compte à Montgenèvre ? Madame la ministre, vous avez rétabli les frontières, mais nous vous demandons de rétablir le droit !

Debut de section - Permalien
Marlène Schiappa

Madame la sénatrice Poncet-Monge, je sais que vous vous êtes rendue sur place et je salue votre engagement et le fait que votre question émane directement du terrain.

Très concrètement, même si un contrôle est exercé aux frontières intérieures de l’Union européenne, il n’en demeure pas moins que la frontière extérieure de l’Union européenne, c’est celle de l’Italie. Le règlement de Dublin prévoit que c’est le franchissement d’une frontière extérieure qui est pris en compte pour déterminer la responsabilité d’un État membre dans le traitement d’une demande d’asile. À cet égard, les procédures Dublin sont parfaitement claires et respectées par la France.

Il ne fait aucun doute pour nous que les étrangers interpellés lorsqu’ils franchissent la frontière italienne le sont dans le respect du droit. Les migrants conservent bien sûr la faculté juridique de demander l’asile. Ils relèvent alors soit de l’Italie, selon le critère de Dublin, soit de la France s’ils disposent d’éléments probants attestant d’un lien avec notre pays, par exemple la présence de membres de leur famille. Seuls ces éléments juridiques sont pris en compte dans ce cadre.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymonde Poncet Monge

Madame la ministre vos propos sont en contradiction avec la décision de la Cour de justice de l’Union européenne. Je vous le répète, le code frontières Schengen s’oppose à ce qu’une frontière intérieure rétablie – c’est ce que nous connaissons depuis cinq ans – sur laquelle des contrôles ont été réintroduits soit assimilée à une frontière extérieure.

Vous me dites que c’est la frontière extérieure qui prime. Je vous redis que les règles d’exception au droit d’asile ne s’appliquent pas ! Le règlement de Dublin ne justifie pas un renvoi immédiat, la demande d’asile devant au préalable être instruite par l’Ofpra.

Nous avons vu, de nos yeux vu, que les personnes appréhendées étaient directement renvoyées à la police italienne, sans que leur situation fasse l’objet d’une instruction préalable.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Duranton

Madame la ministre, il y a trente-six ans, cinq États membres de l’Union européenne convenaient de supprimer entre eux les contrôles aux frontières. Aujourd’hui, 3, 5 millions de personnes se déplacent chaque jour au sein de l’espace Schengen. La Commission européenne a présenté hier une proposition de révision du mécanisme de contrôle. Son bon fonctionnement repose sur trois piliers : une gouvernance solide, une gestion efficace des frontières extérieures et le renforcement des mesures policières pour compenser l’absence de contrôles intérieurs.

Or ces contrôles ont été réintroduits en France le 13 novembre 2015 en prévision de la tenue de la COP21. Comme le prévoit l’article 25 du code frontières Schengen, le contrôle aux frontières intérieures a été prolongé une cinquantaine de fois, pour cause de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure. Plusieurs autres États membres ont justifié une telle reconduction en raison de circonstances exceptionnelles. L’article 28 du code autorise également le rétablissement des contrôles intérieurs, pour une période limitée.

Ces rétablissements et prolongations successifs des contrôles aux frontières intérieures, décidés pour des motifs légitimes, posent toutefois la question de l’application de ce cadre et de son esprit initial.

Certes, les récents rétablissements des contrôles aux frontières sont parfois perçus comme des réactions de repli, un manque de confiance. Face à un état de crise quasiment permanent, qu’il soit migratoire, terroriste ou sanitaire, il faut s’interroger plus profondément sur l’adéquation du cadre en vigueur.

Nous nous accorderons sur ce point : les contrôles aux frontières nationales ne suffisent pas. Il existe d’autres façons d’assurer la sécurité de nos concitoyens et de réguler les flux de personnes, notamment la protection des frontières extérieures de l’Union par l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, dont les moyens doivent être renforcés.

La France va devoir défendre une position dans la perspective de la révision prochaine du code frontières Schengen. Madame la ministre, comment concilier la nécessité d’assurer la sécurité et le respect de l’esprit du code Schengen, qui confère un caractère exceptionnel au rétablissement des frontières intérieures ?

Debut de section - Permalien
Marlène Schiappa

Madame la sénatrice Duranton, vous l’avez rappelé, les attentats de 2015 qui ont durement frappé notre pays, comme ceux de cette année, ont justifié, conformément aux dispositions du code frontières Schengen, le choix de la France de rétablir des contrôles aux frontières intérieures. Les gouvernements qui se sont succédé ont par la suite maintenu et prolongé ces contrôles.

Toutefois, vous avez parfaitement raison de rappeler qu’il nous faut veiller à ne pas dénaturer l’espace Schengen, qui est l’un des acquis les plus précieux de la construction européenne. La suppression des contrôles aux frontières intérieures a contribué à l’amélioration du marché unique et a permis aux citoyens de l’Union européenne de bénéficier des avantages d’une Europe unie.

Pour concilier l’esprit du code Schengen et les exigences impérieuses de sécurité, il nous faut faire du contrôle de la frontière extérieure la clé de voûte de la nouvelle stratégie Schengen qui est en cours de préparation. La France appelle donc de ses vœux la mise en œuvre rapide de procédures aux frontières extérieures efficaces et soutient, comme je l’ai déjà dit, la proposition de la Commission qui vise à rendre obligatoire le contrôle avant l’entrée à la frontière extérieure de l’Union européenne, notamment l’enregistrement dans Eurodac. Selon nous, c’est ce qui va véritablement permettre d’améliorer la situation.

Dans le même temps, nous devons définir un cadre plus efficace en matière d’asile. On voit bien les problèmes qui se posent en France et partout en Europe pour réduire les demandes multiples, empêcher les abus de l’actuel système de Dublin.

Nous pensons également que le code de coopération policière annoncé par la Commission pour renforcer la coopération transfrontalière est une bonne solution et qu’il est essentiel d’utiliser davantage les contrôles qui sont déjà autorisés dans les zones frontalières, dans le respect bien sûr du code frontières Schengen, en permettant aux États membres d’y recourir plus largement.

Pour conclure, la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures doit permettre aux États membres qui y recourent de réagir rapidement et efficacement à des menaces sur le territoire national, en coopération avec la Commission et les autres États membres. Cela, c’est pour le présent, mais cela ne doit pas nous empêcher de nous tourner vers l’avenir, de poursuivre ensemble la construction européenne et de franchir la nouvelle étape de Schengen, main dans la main avec nos partenaires européens.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Fialaire

Le contrôle aux frontières et le défi migratoire doivent nécessairement susciter une réflexion technique et pratique sur les démarches relatives aux droits au séjour et aux naturalisations auxquelles sont confrontées les personnes arrivant dans notre pays.

Comme nos concitoyens, les personnes qui demandent un titre de séjour sont confrontées à une nouvelle pratique administrative : la dématérialisation !

Notre assemblée a déjà montré sa sensibilité à la question de l’illectronisme, qui creuse certaines fractures et constitue un handicap majeur dans une société toujours plus numérisée.

Dans ces circonstances, nous imaginons facilement dans quelle précarité peuvent être plongées les personnes faisant une demande de titre de séjour lorsqu’il est nécessaire pour y parvenir de verser en ligne des pièces jointes au format PDF compressé, après avoir complété, via des portails numériques, des formulaires préalables à toute prise de rendez-vous. Encore faut-il qu’elles aient accès à internet dans des conditions convenables…

Une telle question avait été soulevée par un arrêt du Conseil d’État rendu le 11 novembre 2019, à la suite d’une requête formée par la Cimade, le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), la Ligue des droits de l’Homme et le Syndicat des avocats de France. Le Conseil d’État souligna alors que les difficultés rencontrées par les ressortissants étrangers pour prendre rendez-vous dans les préfectures trouvaient leur origine dans les décisions rendant obligatoire la prise de ces rendez-vous sur internet.

Aussi, madame la ministre, quelles mesures comptez-vous prendre afin de vous assurer que les personnes immigrant en France puissent être en mesure d’effectuer dignement leurs démarches en vue de régulariser leur situation ?

Debut de section - Permalien
Marlène Schiappa

Monsieur le sénateur, Fialaire, la dématérialisation des procédures ne saurait se traduire pas une baisse de la qualité du service rendu à l’usager. Les procédures relatives au droit des étrangers font partie de celles qui ont été le moins dématérialisées. Les guichets demeurent dans toutes les préfectures.

Pour répondre plus précisément à votre question, l’accès à des rendez-vous en ligne pour obtenir un titre de séjour a été mis en œuvre pour répondre aux contraintes sanitaires. Il ne doit pas être confondu avec la dématérialisation des demandes de titres en ligne. Pour l’instant, seuls sont concernés les titres étudiants, les autorisations de travail et les passeports talents. À ce stade, cela ne pose pas de difficultés majeures.

Pour l’accès à la nationalité, un plan est prévu pour accompagner les étrangers dans leurs démarches. Ainsi, les demandeurs d’accès à la nationalité française pourront bénéficier de la mission d’accompagnement numérique des usagers étrangers en préfecture. Par ailleurs, sur les sites des préfectures, des vidéos didactiques sont mises à disposition des usagers afin de leur permettre de bien se repérer dans le déroulé des grandes étapes administratives de leur dossier et d’être guidés dans la phase préparatoire du dépôt de leur demande. En outre, le Centre de contact citoyens de l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) sera mobilisé pour répondre aux demandes des postulants à la nationalité française.

De manière générale, la dématérialisation des procédures « étrangers » s’est faite autour de l’usager : le numéro de dossier unique le suit désormais tout au long de son parcours, les délais d’instruction ont été réduits, tout comme le nombre de passages obligatoires en préfecture. Enfin, des moyens alternatifs d’accompagnement sont prévus pour les étrangers pour lesquels les moyens actuels ne seraient pas adaptés.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à M. Bernard Fialaire, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Fialaire

Il semblerait que certaines administrations n’aient pas tenu compte de ces avertissements. Un certain nombre de recours juridictionnels ont en effet été introduits afin de contester des arrêtés de préfecture imposant aux personnes étrangères de déposer en ligne leur demande de titre de séjour. Je pense par exemple à la décision du tribunal administratif de Rouen en date du 18 février 2021.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Madame la ministre, la tenue de la COP21 et les attentats de novembre 2015 qui ont endeuillé la France ont donné le coup d’envoi à de multiples dérogations au code frontières Schengen. En pratique, la libre circulation des personnes au sein de la zone ne s’applique plus dans la pratique.

Censés être transitoires, les contrôles aux frontières sont devenus permanents, malgré les rappels à l’ordre de l’Union européenne, la crise de la covid-19 fournissant une nouvelle occasion d’utiliser la clause de sauvegarde par les États membres.

Après ces six années de régime d’exception en matière de politique migratoire, le bilan est pour le moins déplorable : la politique sécuritaire en la matière, la criminalisation de la solidarité et la pénurie de moyens nous éloignent toujours plus d’une coopération réelle et du respect des droits fondamentaux des personnes migrantes.

Dans un avis rendu sur la situation à la frontière franco-italienne, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) déclarait avoir « été profondément choquée par les violations des droits des personnes migrantes constatées et par les pratiques alarmantes observées sur ces deux zones frontalières, où la République bafoue les droits fondamentaux, renonce au principe d’humanité et se rend même complice de parcours mortels ». Il semblerait que la situation se répète actuellement à la frontière espagnole.

Madame la ministre, à moins d’un an de la présidence française de l’Union européenne, n’est-il pas temps de rompre avec ces mauvaises pratiques et de renouer avec nos valeurs et nos principes républicains en la matière ?

Debut de section - Permalien
Marlène Schiappa

Madame la sénatrice Assassi, j’ai rappelé dans mon intervention liminaire que la politique de contrôle aux frontières s’effectuait dans le respect du droit et sous le contrôle du juge. À la frontière italienne, le Conseil d’État n’a pas jugé illégaux les dispositifs de mise à l’abri des migrants dans des décisions de 2017 puis de 2021, mais a enjoint à l’administration d’y apporter des améliorations, ce qui est d’ores et déjà en cours.

Le principe, c’est qu’un État doit savoir qui entre sur son territoire. Mieux contrôler les personnes qui tentent d’entrer irrégulièrement sur le territoire, ce n’est, somme toute, que les contrôler au moins aussi bien que les personnes qui franchissent les frontières régulièrement tous les jours par voie terrestre, maritime ou aéroportuaire, qui sont contrôlées et passées au fichier pour vérifier que la sécurité des Français n’est pas menacée.

Cette attention légitime à la sécurité de nos concitoyens n’est pas incompatible avec le réel effort de solidarité que nous assumons. La France est l’un des États qui accueillent le plus grand nombre de demandeurs d’asile – 133 000 enregistrements par l’Ofpra en 2019 – au sein de l’Union européenne.

Nous nous adaptons à cette réalité. Le parc d’hébergement des demandeurs d’asile a doublé en cinq ans, avec plus de 110 000 places aujourd’hui. La France, par solidarité avec les pays européens, a relocalisé plus de 5 000 personnes depuis la Grèce et l’Italie entre 2015 et 2018, 1 000 de plus depuis la Grèce pour la seule année 2020. Elle a aussi été à l’initiative du mécanisme dit de La Valette pour les secours en mer, qui représente 1 200 relocalisations dans ce cadre.

La France n’a donc pas à rougir des réels efforts de solidarité qu’elle mène à cet égard.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cigolotti

Madame la ministre, dans sa Lettre aux Européens publiée au printemps 2019, le Président de la République notait : « aucune communauté ne crée de sentiment d’appartenance si elle n’a pas des limites qu’elle protège », avant d’ajouter : « la frontière, c’est la liberté en sécurité ».

Même si je souscris à ce constat, il me paraît important de souligner que nous devons remettre à plat l’espace Schengen, déjà sérieusement remis en question depuis l’accentuation de la menace terroriste et, depuis peu, avec la crise de la covid.

Tous ceux qui veulent y participer doivent assumer leurs obligations, avec notamment un contrôle rigoureux aux frontières, mais aussi leurs responsabilités, avec le devoir de solidarité qui nous incombe via la politique d’asile qui gagnerait à être harmonisée.

Mon interrogation concerne le projet de réforme de l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne, appelée couramment Frontex. Depuis 2018, il est question de doter cette agence de ses propres navires, avions et véhicules, et d’un corps permanent de l0 000 agents. Selon le Parlement européen, cette réforme devrait être « pleinement opérationnelle d’ici à 2027 ».

Madame la ministre, le déploiement du premier contingent de garde-frontières Frontex était annoncé pour le 1er janvier 2021 : pouvez-vous nous confirmer si ce calendrier a bien été respecté et quelles sont les prochaines étapes ? Plus largement, dans le cadre des réflexions autour de l’évolution du système Schengen, devons-nous redouter une dépossession supplémentaire de notre souveraineté en matière de contrôle des frontières ?

Debut de section - Permalien
Marlène Schiappa

Monsieur le sénateur, la montée en puissance de l’agence européenne Frontex est fondamentale pour accompagner la nouvelle stratégie Schengen que nous évoquions précédemment, dont la clé de voûte doit être le contrôle des frontières extérieures.

Pour rappel, Frontex a été créée en 2004 et, depuis sa création, a vu ses moyens et ses compétences se renforcer considérablement. Sur la réorganisation administrative, l’agence est dans les délais ; elle est même en avance au regard de la feuille de route qui lui a été fixée. La réorganisation sera finalisée à la suite du recrutement des trois directeurs exécutifs adjoints qui prendront leur poste en septembre 2021, à l’issue de la procédure de recrutement dont est chargée la Commission européenne.

Cette réorganisation s’accompagne d’une augmentation considérable de ses moyens humains, avec la création d’un corps de garde-frontières et de garde-côtes européens de 10 000 effectifs à l’horizon de 2027. Le corps permanent sera composé, à cette échéance, de trois catégories de personnels : des agents statutaires que l’Agence engage, forme et rémunère directement, avec un objectif de 3 000 en 2027 ; des personnels qui continueront à être rémunérés par leur administration nationale et seront mis à disposition de l’Agence pour une période de deux ans renouvelable une fois, avec un objectif de 1 500 en 2027 ; des personnels mis à disposition par les États membres pour une courte durée, la capacité théorique de personnels pouvant être déployée en cinq jours.

J’ajoute que le budget sera porté à 5, 6 milliards d’euros sur la période allant de 2021 à 2027.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à M. Olivier Cigolotti, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cigolotti

Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse. Toutefois, si l’Europe veut éviter de se retrouver à la merci des politiques de certains États sans scrupules, elle doit impérativement imaginer et mettre en œuvre rapidement des mécanismes permanents et solidaires visant à assurer une véritable régulation des flux migratoires, certes respectueuse des valeurs d’accueil, mais stricte sur le contrôle des frontières extérieures.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Madame la ministre, ce que nous avons vécu en 2015 en matière d’entrées illégales sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne, mais aussi en matière de risque terroriste, a illustré les limites de la construction de l’espace Schengen. Cependant, tant le gouvernement de l’époque que la commission d’enquête conduite par le Sénat ont considéré que Schengen n’était pas le problème, mais la solution, qu’il était illusoire de reconstruire des frontières intérieures pour les surveiller et qu’il fallait au contraire renforcer la surveillance des frontières extérieures ainsi que la coopération et les fichiers interopérables.

C’est finalement sur cette base qu’un certain nombre de choses ont été réalisées. À partir de 2015, le gouvernement français a ainsi formulé des propositions et obtenu de nos partenaires que les négociations aboutissent sur le renforcement du mandat de Frontex et de ses moyens, sur des évaluations systématiques de la manière dont les États contrôlent leurs frontières extérieures, sur la mise en place du PNR (fichier des données des dossiers passagers), sur l’interopérabilité des fichiers, sur l’instauration d’un contrôle biométrique systématique à l’entrée et à la sortie de l’espace Schengen, et sur le système européen d’autorisation d’entrée dans la zone Schengen Etias (European Travel Information and Authorization System), qui sera opérationnel en 2022.

Alors, madame la ministre, ma question est simple : votre gouvernement s’inscrit-il dans cette continuité ?

Debut de section - Permalien
Marlène Schiappa

Monsieur le sénateur, nous pensons, dans la droite ligne de mon propos liminaire et de mes réponses précédentes, qu’il y a un véritable travail partenarial à mener. La présidence française de l’Union européenne sera l’occasion de mener cette discussion et d’agir de façon résolue.

J’ai déjà répondu sur les objectifs, la durée, les moyens, y compris humains, que nous voulons mettre en œuvre pour pouvoir atteindre cet objectif commun. Nous avons là une ligne de crête à trouver avec nos partenaires européens et avec les instances européennes pour répondre à ces grands enjeux, continuer à garantir la sécurité de chaque État membre, dans le respect de sa politique nationale, et bien sûr dans le calendrier que j’évoquais précédemment.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Le problème, madame la ministre, c’est que le Président de la République passe son temps à dire qu’il faut refonder Schengen, mais que la France ne gagne plus aucune négociation européenne sur ce sujet.

Pourquoi ? Parce qu’elle n’est plus crédible ! Force est de constater que, quoi qu’elle obtienne, elle maintient ses frontières fermées. De plus, elle ne veut rien entendre en matière de solidarité. Votre réponse à notre collègue Poncet Monge l’illustre parfaitement : rien sur Dublin ! On cherche à durcir le pacte migratoire de la Commission européenne. Enfin, la France parle d’Eurodac, mais lorsqu’elle est face à ses responsabilités et doit enregistrer des personnes en situation irrégulière, elle ne le fait pas parce qu’elle ne souhaite pas recevoir des « dublinés ».

Voilà la position de la France, voilà sa crédibilité aujourd’hui ! Le problème, ce n’est pas Schengen, qui est la solution, c’est le comportement du Gouvernement !

Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Babary

Madame la ministre, pensée sous le seul prisme économique, l’Europe s’est construite autour de la notion de libre circulation des personnes et des marchandises. La suppression des contrôles aux frontières intérieures devait alors être compensée par la mise en place d’un contrôle unique aux frontières extérieures de l’Europe. Inconscients des enjeux sécuritaires et dorénavant sanitaires, les États membres ont, inégalement, mis en œuvre ce contrôle.

L’Union européenne, ce sont 12 000 kilomètres de frontières extérieures terrestres, 32 000 kilomètres de frontières extérieures maritimes, avec au total près de 1 900 points de passages autorisés. Chaque année, plus de 700 millions de citoyens européens et de ressortissants de pays tiers franchissent les frontières extérieures de l’Union européenne. C’est dire l’ampleur de la tâche de surveillance et de contrôle à assurer !

La prise de conscience de la nécessité d’une protection efficace des frontières est née des attentats de 2015 et de la crise migratoire de 2017. La France n’a pas fermé ses frontières nationales, mais en a rétabli le contrôle le 13 novembre 2015. Cette mesure temporaire s’inscrit dans la durée.

Pourtant, dès 2017, les franchissements illégaux détectés aux frontières de l’Union avaient baissé de 60 %. Cela représentait cependant toujours 204 000 personnes !

L’Europe est-elle en mesure de mettre en place une politique de l’immigration, de doter Frontex de moyens financiers, matériels et humains, mais aussi d’une gouvernance énergique permettant d’assurer un contrôle efficace de ses frontières extérieures ? À défaut, l’État français est-il prêt à renforcer le contrôle de ses propres frontières ?

M. Yves Bouloux applaudit.

Debut de section - Permalien
Marlène Schiappa

Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur les moyens concrets, humains et financiers, de Frontex et affirmez la nécessité d’une « gouvernance énergique ». Nul ne peut dire que le Président de la République n’a pas fait de l’Europe l’une des priorités de son agenda. Parmi les priorités fixées à son gouvernement figurent l’Europe, le travail européen et la manière dont nous pouvons améliorer les dispositifs existants. Cette gouvernance énergique, je ne peux donc que vous répondre, sans aucune objectivité, qu’elle est présente, que c’est le travail que nous menons avec nos partenaires.

Sur les moyens humains et financiers, j’ai répondu précédemment. Vous avez rappelé les enjeux multiples, y compris les chiffres colossaux illustrant l’immensité des frontières. La réorganisation administrative de Frontex, avec un corps permanent, de nouveaux moyens humains, ainsi que son budget, porté à 5, 6 milliards d’euros sur la période 2021-2027, permettront d’avancer dans ce sens. C’est inédit, et cela nous montre comment la gouvernance énergique que vous évoquiez se traduit concrètement dans les moyens et dans les actes.

Enfin, un travail de diplomatie est mené par Jean-Yves Le Drian et Clément Beaune, qui préparent assidûment la présidence française de l’Union européenne. Je puis vous assurer que Gérald Darmanin et moi-même avons la volonté d’inscrire ce sujet en haut de l’agenda.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Babary

Madame la ministre, la lenteur de la mise en place des moyens que vous évoquez nous fait forcément douter d’une volonté énergique : douze ans séparent 2015 de 2027…

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

Madame la ministre, la question de l’immigration clandestine et de la protection des groupes vulnérables est devenue un sujet de préoccupation majeur dans l’Union européenne, notamment depuis 2015 et le début de la crise migratoire. L’incendie qui a ravagé le plus grand camp de réfugiés d’Europe sur l’île de Lesbos est venu rappeler à tous la nécessité urgente de réformer le système d’asile et de migration.

Alors que le dossier était au point mort, la Commission européenne a présenté, en septembre dernier, son « Pacte sur la migration et l’asile », un premier pas pour une évolution de la politique européenne en la matière.

Comme par le passé, celle-ci se heurte à de nombreux défis. Parmi eux, on compte notamment une asymétrie marquée du nombre de demandes d’asile, sollicitant surtout les États frontaliers de l’Union européenne et certains États cibles, dont l’Allemagne. L’actuel système, fondé sur le règlement de Dublin, ne compense pas ces asymétries, à cause du manque partiel d’homogénéité entre les différents États membres dans la mise en œuvre du régime d’asile européen commun (RAEC).

Si l’Europe a toujours été une terre d’immigration en raison de sa relative prospérité économique et de sa stabilité politique, les suites de la crise sanitaire font désormais douter de sa capacité à faire face à une augmentation du nombre des demandeurs d’asile.

Au total, la réforme en profondeur de l’espace Schengen, engagée en 2015, reste un chantier inachevé. Les négociations se focalisent sur le mécanisme de répartition des demandeurs d’asile en cas de crise : doit-il être obligatoire ou non ? La solidarité peut-elle prendre d’autres formes, financières notamment, que l’accueil ? Quelle sera la position de la France dans le débat à venir sur une harmonisation des pratiques nationales en matière d’asile ?

Debut de section - Permalien
Marlène Schiappa

Monsieur le sénateur, je ne reviens pas sur les orientations générales de la réforme de l’espace Schengen, précédemment évoquées.

S’agissant plus précisément de la gestion des demandeurs d’asile, la Commission européenne, en septembre 2020, a présenté son nouveau Pacte sur la migration et l’asile. Beaucoup d’approximations voire de fausses informations ont circulé à ce sujet, je veux donc rappeler ici qu’il s’agit d’un ensemble de textes dont l’objet est bien de réformer en profondeur la politique migratoire européenne.

Dans ce cadre, la Commission a réalisé un exercice de simulation – il s’agit bien d’un simple exercice – sur l’un des aspects du Pacte, l’effort de solidarité, afin d’évaluer l’impact sur les États membres d’un mécanisme de répartition obligatoire visant à assurer la solidarité entre ces derniers.

À ce stade, les simulations de la Commission omettent de prendre en compte des éléments fondamentaux de la pression migratoire que nous subissons. Je pense à l’absence de considération des flux secondaires, que la France, comme d’autres pays de destination, subit particulièrement, ou encore à l’absence de prise en compte de la pression sur la demande d’asile. Nous défendons par ailleurs l’idée qu’il faudrait y ajouter la question de ceux qui auraient pu faire l’objet d’un « transfert Dublin » et qui, faute de coopération de la part d’autres États membres, ont abouti à des requalifications, concernant environ 40 000 personnes en 2019.

Sous ces hypothèses, la France et l’Allemagne totaliseraient à elles seules plus de 55 % du volume de relocalisations et des prises en charge de retour. C’est un chiffre équivalant à celui des engagements franco-allemands dans le cadre du mécanisme de La Valette : nous sommes évidemment opposés à cette solution.

Les échanges au niveau technique vont se poursuivre et la France, soutenue par plusieurs États membres d’importance, y contribuera activement, afin que soient pris en compte les nouveaux paramètres. Si nous prônons la solidarité, nous n’acceptons pas que celle-ci mette en péril nos dispositifs d’accueil et notre politique migratoire en la matière.

Enfin, en matière de compensations financières, la question reste ouverte, puisque le Pacte prévoit que les contributions de solidarité dépendront des négociations en cours sur le mécanisme de relocalisation.

Debut de section - PermalienPhoto de Claudine Lepage

Madame la ministre, depuis 2015, la question des frontières et de leur contrôle a envahi de nouveau le débat public en France et en Europe, à la suite notamment des attentats de novembre 2015, des conséquences migratoires de la guerre en Syrie, mais également de la pandémie de la covid-19. Pour ma génération qui a connu la construction européenne, avec en point d’orgue la chute du mur de Berlin, le retour à la frontière marque, c’est certain, un net retour en arrière.

Ces dernières années, la vision humaniste d’accueil de notre pays, mais également du continent européen, a été sérieusement écornée par une gestion uniquement sécuritaire des migrations. Cette gestion a occasionné et occasionne toujours de terribles drames humains. Nous avons pu le voir encore récemment avec ces images de réfugiés, pour la plupart marocains, tentant de rejoindre l’enclave de Ceuta ; et nous pouvons malheureusement l’observer, chaque mois, chaque semaine, en Méditerranée, où des dizaines de milliers de réfugiés ont péri noyés depuis 2015.

Ces drames à répétition montrent bien qu’une gestion uniquement sécuritaire n’a que peu de conséquences sur la venue des réfugiés, qui préféreront toujours prendre tous les risques pour rejoindre l’Europe plutôt que de rester dans leur pays d’origine.

Cette déshumanisation de la question migratoire s’illustre également dans la gestion des centres de rétention administratifs, en Europe, mais également en France : je pense notamment au centre du Mesnil-Amelot, que j’ai visité plusieurs fois et où les conditions de rétention sont plus que difficiles, pour employer un euphémisme…

Madame la ministre, la réponse à la crise migratoire sera européenne, mais la position française restera-t-elle uniquement sécuritaire ? À quand, enfin, une dimension solidaire et humaniste ?

Debut de section - Permalien
Marlène Schiappa

Madame la sénatrice, la France reste une terre d’accueil pour ceux qui sont menacés dans leur pays. L’attention que nous portons à la sécurité de nos concitoyens n’est évidemment pas incompatible avec les efforts de solidarité consentis par la France, dans la grande tradition de notre pays. La France est l’un des États membres qui accueillent le plus grand nombre de demandeurs d’asile, avec, je l’ai dit, 133 000 enregistrements par l’Ofpra en 2019. La France est ainsi positionnée haut dans ces classements, si l’on peut le dire de cette manière arithmétique, au sein de l’Union européenne.

D’ailleurs, nous avons renforcé considérablement les moyens correspondants, et nous nous y attelons régulièrement : j’ai lancé la semaine dernière le plan « vulnérabilité » pour augmenter les dispositifs d’hébergement destinés aux demandeurs d’asile souffrant de persécutions LGBTphobes dans leur pays, aux femmes persécutées ou victimes de violences conjugales. Plus largement, le parc d’hébergement des demandeurs d’asile a doublé en cinq ans, avec plus de 110 000 places aujourd’hui.

On ne peut donc pas dire que la France est absente de la solidarité, bien au contraire. La France a d’ailleurs, par solidarité avec les pays européens, relocalisé plus de 5 000 personnes depuis la Grèce et l’Italie entre 2015 et 2018, 1 000 de plus depuis la Grèce pour la seule année 2020. Le Président de la République a été à l’initiative du mécanisme dit de La Valette sur les secours en mer, vous le savez. Nous sommes évidemment aussi bouleversés par les images que vous avez mentionnées concernant ce qui se passe entre le Maroc et l’Espagne. La France, chaque fois, prend sa part, et toute sa part.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Le Rudulier

Madame la ministre, la libre circulation, oui, les flux migratoires incontrôlés, non ! L’Europe ne peut être un ventre mou, un espace ouvert à tous les vents. Or force est de constater que les flux migratoires, ces dernières années, malgré le rétablissement des frontières, demeurent à un seuil préoccupant.

Je vous rappelle que, si la France avait choisi de partager dans ce domaine sa souveraineté avec l’Europe, c’était pour promouvoir une culture, une civilisation et ses valeurs ; c’était pour être mieux protégée. Si la France avait accepté la libre circulation à l’intérieur de l’Europe, c’était pour que les frontières de l’Europe soient mieux défendues. Car, quand il y a des frontières, celui qui vient d’ailleurs est toujours reçu en ami. Quand il n’y a plus de frontières, celui qui vient d’ailleurs peut malheureusement être perçu comme une menace.

Je reste convaincu que l’Europe doit refonder en profondeur sa politique migratoire. En effet, si elle ne le fait pas, la France ne pourra plus accueillir dignement ceux qui arrivent ; elle ne pourra plus répondre à l’exigence d’intégration, d’assimilation de ceux qui ont tant de mal à trouver leur place dans la société ; et elle ne pourra plus financer sa protection sociale. Je pense que cette vérité peut être partagée, car c’est la réalité.

Alors, madame la ministre, ma question est la suivante : l’Europe peut-elle continuer à être la seule région du monde à si mal faire respecter ses frontières, à si peu défendre ses intérêts, à tant ignorer les angoisses de ses citoyens sur le devenir de leur civilisation ?

Debut de section - Permalien
Marlène Schiappa

Monsieur le sénateur Le Rudulier, vous avez raison de souligner l’importance de la gestion des flux migratoires pour demeurer en mesure d’intégrer les réfugiés ou les étrangers qui ont vocation à s’installer durablement en France.

De manière générale, l’immigration irrégulière est déterminée par trois facteurs : l’asymétrie politique, économique et sociale entre le pays d’origine et le pays de destination, qui motive des comportements dits individuels de migration ; la porosité des frontières en sortie du pays d’origine ou en entrée dans le pays de destination ; l’exigence d’un système de traitement de l’immigration irrégulière et de retour performant dans les pays de destination pour dissuader les flux entrants.

Sur ces trois piliers, les leçons respectives sont les suivantes.

La question de la lutte contre les causes profondes de la migration, dans un contexte de croissance démographique des pays de départ, doit être une priorité. C’était le sens du récent déplacement en Afrique du Président de la République. Comme l’a démontré le succès de la stratégie de la feuille de route des pays prioritaires déployée par la France, l’approche globale des questions de développement, de mobilité légale, de lutte contre l’immigration irrégulière nous semble être la méthode pertinente, à 360 degrés. Il en est de même avec l’élaboration de plans de lutte contre l’immigration irrégulière associant le pays d’origine, dont le contenu « cousu main » permet d’obtenir de bons résultats.

S’agissant de la porosité des frontières en sortie du pays d’origine ou en entrée dans le pays de destination, le soutien des institutions internationales, régionales ou des pays de destination à l’élaboration d’une stratégie dite frontière avec le pays d’origine est essentiel. C’est l’exemple des actions que nous conduisons dans un cadre bilatéral avec le Sénégal dans le cadre de la feuille de route des pays prioritaires et la création d’une direction centrale de la police aux frontières (DCPAF).

L’autre élément est notre action commune pour renforcer nos frontières. C’est le sens du Pacte sur la migration et l’asile, qui tend à construire une procédure uniforme de filtrage lors du franchissement des frontières extérieures de l’espace Schengen, pour vérifier les conditions d’entrée et, le cas échéant, orienter vers une procédure de retour. C’est le sens du rétablissement des contrôles aux frontières internationales au niveau national.

Enfin, l’existence d’un système de retour efficace nous semble essentielle dans la gestion de l’immigration. Cela implique notamment une bonne coopération avec les pays d’origine, et c’est le sens de la tournée menée par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, au moment de sa nomination. Le défi s’est d’ailleurs renforcé à la faveur de la crise sanitaire, les États tiers méconnaissant leur obligation internationale de réadmission sans condition en affichant diverses exigences sanitaires, ce que nous déplorons.

Nous devons maintenant nous montrer exigeants envers les pays tiers pour qu’ils puissent définir et mettre en œuvre des procédures claires, y compris avec notre soutien, pour identifier et réadmettre leurs nationaux.

Debut de section - Permalien
Marlène Schiappa

Pour conclure, monsieur le président, le seul système de retour forcé ne suffit pas. Il importe de créer les conditions d’un retour durable : c’est l’action résolue menée par la France en matière de retour volontaire et de réinsertion.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à M. Stéphane Le Rudulier, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Le Rudulier

Madame la ministre, le phénomène de l’explosion démographique de certains continents, notamment du continent africain, n’a pas été suffisamment souligné dans ce débat.

Au-delà de la politique migratoire, il faut engager une politique de codéveloppement avec ces pays pour maîtriser les flux migratoires. À défaut, notre ascenseur social étant déjà en panne, je crains une déflagration dans notre société.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Pour faire face à l’épidémie de covid-19, le Premier ministre a pris des mesures de limitation de déplacements, notamment en provenance de l’étranger : la circulaire du 22 février 2021 visait en particulier le droit des futurs conjoints de Français à venir en France pour se marier.

Le 9 avril, le juge des référés du Conseil d’État a considéré que, compte tenu du faible effet de ces déplacements – seul un faible nombre de couples sont concernés – et du maintien de l’obligation de présentation d’un test PCR négatif, ces mesures de limitation constituaient une atteinte disproportionnée au droit ou à la liberté du mariage. Il a donc décidé de suspendre l’exécution de la circulaire du Premier ministre et d’enjoindre au ministère de l’intérieur d’ordonner aux autorités consulaires de procéder systématiquement à l’enregistrement et à l’instruction des demandes de visa en vue de se marier en France avec un Français.

Madame la ministre, avez-vous effectivement donné ces instructions ? Des visas ont-ils été délivrés ?

Debut de section - Permalien
Marlène Schiappa

Monsieur le sénateur, la réponse est « oui ». Il va de soi que le Gouvernement va appliquer la décision du Conseil d’État sur la délivrance de visas pour les étrangers souhaitant se marier avec un Français ou une Française. Une note donnant pour instruction de la mettre en œuvre a été adressée à nos postes diplomatiques le 22 avril dernier par le ministère de l’intérieur.

Pour rappel, le 9 avril 2021, le Conseil d’État a enjoint, d’une part, au Premier ministre de prendre les mesures réglementaires strictement proportionnées aux risques sanitaires liés à l’entrée en France des personnes titulaires d’un visa délivré en vue de se marier en France avec un Français ou une Française et, d’autre part, au ministère de l’intérieur d’ordonner aux autorités consulaires de procéder systématiquement à l’enregistrement et l’instruction des demandes de visa en vue de se marier en France avec un Français ou une Française. M. le ministre de l’intérieur a donc demandé à nos postes à l’étranger de recevoir systématiquement toutes ces demandes de visa sans condition.

Alors, oui, conformément à la décision du Conseil d’État, nous délivrons systématiquement les laissez-passer sur ces dossiers en vue de mariage, sur la base, bien entendu, du certificat de publication des bans et de non-opposition.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Madame la ministre, je vous remercie de cette réponse.

Cela étant, vous voyez bien le problème. On nous dit qu’il faut fermer nos frontières pour nous protéger des autres. Dont acte. Mais à force de ne pas respecter les droits fondamentaux, on les laisse se faire grignoter petit à petit. C’est ce qui s’est passé, en l’occurrence sur le droit des Français à la vie privée et familiale. Heureusement, le Conseil d’État était là pour arrêter une telle dérive. Faisons très attention : si nous ne sommes pas vigilants, ce que l’on observe aujourd’hui sur les droits des étrangers se vérifiera demain sur les droits de tous.

Il est donc indispensable d’être extrêmement attentifs à l’alerte que nos collègues du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ont lancée en sollicitant ce débat.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Laménie

Je remercie les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires d’avoir pris l’initiative de ce débat interactif, qui nous permet d’évoquer des problèmes humains prioritaires.

Mon département, les Ardennes, est frontalier de la Belgique. Dans les années 1960 et 1970, il y avait de nombreux points frontière, parfois assez petits, entre nos deux pays, avec des accès multiples. Ces points de passage étaient tantôt ferroviaires tantôt routiers.

Depuis 2015, nous avons connu des drames, avec des victimes innocentes. Ils ont nécessité l’intervention de policiers, de gendarmes, de militaires, dans le cadre de l’opération Sentinelle, et, plus généralement, de l’ensemble des services de sécurité civile et de sécurité intérieure, qui relèvent de différents ministères.

Je centrerai mon propos sur l’administration des douanes, qui est placée sous l’autorité du ministère de l’économie et des finances. Les douaniers ont un rôle complémentaire à celui des personnels que je viens d’évoquer. Les moyens humains, qui sont si importants pour la sécurité, seront-ils maintenus, voire renforcés ?

Debut de section - Permalien
Marlène Schiappa

La France compte 122 points de passage frontaliers (PPF) – il s’agit de frontières extra-Schengen –, dont 78 points sont aériens, 33 sont maritimes et 11 sont terrestres.

Le contrôle aux frontières extérieures sur ces PPF se répartit entre la police aux frontières et la direction générale des douanes et droits indirects, qui constituent des corps de garde-frontières. La police aux frontières est compétente sur 44 PPF, ceux dont les flux de passages sont les plus denses, et la douane sur les 78 autres.

La douane compte 17 000 agents, qui sont implantés sur 156 postes douaniers en France métropolitaine et en outre-mer, au sein de 200 unités de surveillance terrestre et maritime. La police aux frontières est composée de 12 290 agents, dont 3 645 garde-frontières.

Sur les frontières intérieures, ces deux mêmes administrations se répartissent la compétence des contrôles sur les points de passage autorisés (PPA), dont la dernière liste notifiée par la France à la Commission européenne date du 7 avril 2021 et détaille précisément l’implantation des 173 points de passage terrestres, qui sont restés ouverts.

À date du 1er juin 2021, le différentiel avec les 190 points mentionnés plus haut s’explique par une fermeture de 17 PPA en frontière franco-espagnole exclusivement. Les dispositifs opérationnels de contrôle sont déployés sur ces points, afin de faire respecter les conditions d’entrée sur notre territoire et de veiller au respect des obligations sanitaires. Les entrées en France en provenance de l’Union européenne sont toujours conditionnées aux obligations sanitaires, dont la présentation du test covid négatif de moins de soixante-douze heures.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Laménie

Madame la ministre, je vous remercie de ces informations chiffrées, mais je me permets d’insister sur la pérennité des moyens humains consacrés à notre protection. Le sujet est particulièrement important pour la sécurité des personnes et des biens, la libre circulation et le respect de tous.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

En conclusion de ce débat, la parole est à M. Thomas Dossus, pour le groupe auteur de la demande.

Debut de section - PermalienPhoto de Thomas Dossus

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà quelques semaines, j’étais au poste-frontière de Montgenèvre, entre l’Italie et la France. Pour quelqu’un comme moi, né en pleine construction du projet européen, un projet de paix bâti sur la fin d’un certain nombre de barrières et de frontières, ce fut une grande tristesse de constater ce terrible revirement, qui dure depuis cinq ans.

Oui, le rétablissement des contrôles aux frontières nationales depuis 2015 remet en cause les fondements du projet européen : un projet de libre circulation, de solidarité et de respect des droits humains qui vole en éclat face à nos peurs et à nos renoncements !

Ce contrôle aux frontières, rétabli à l’origine pour faire face à la menace terroriste, a été constamment reconduit depuis 2015, comme outil de maîtrise de l’immigration illégale.

Mais, en réalité, c’est un outil qui ne maîtrise rien. J’invite tous les parlementaires à aller constater l’absurdité de la situation franco-italienne. Des familles, des femmes, des hommes, des enfants tentent de passer au péril de leur vie dans la neige, dans la nuit noire. Ils sont parfois attrapés, renvoyés en Italie, d’où ils retentent leur chance. Chaque soir. Tout le temps. Ils finissent par passer.

Entre-temps, ils ont servi à remplir des tableaux statistiques absurdes qui permettent aux différents ministres de fanfaronner au mépris des vies humaines.

Pérenniser des outils d’exception taillés pour le terrorisme et les faire entrer dans le droit commun est, hélas ! une constante française. C’est une pente glissante pour notre État de droit.

À cette politique nationale s’ajoute aussi et surtout une politique globale européenne scandaleuse : une politique qui combine le rejet de la responsabilité et le manque de courage politique ; une politique qui, à l’échelle de l’Europe, divise les États membres au lieu de les rassembler. Un poison pour notre puissance européenne !

La responsabilité de la France en tant que pays moteur de l’Union est pleine et entière. Notre pays est responsable des conditions de vie intolérables dans les hotspots. Notre pays est responsable de ce qui se passe en Turquie, en Libye. Notre pays est responsable des morts en Méditerranée.

Murmures sur les travées du groupe L es Répu blicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Thomas Dossus

Comment s’incarne cette politique européenne ? Elle passe par les funestes accords de Dublin. Avec ces accords, la responsabilité du traitement des migrants repose presque uniquement sur les pays d’entrée dans l’Union européenne, c’est-à-dire la Grèce et l’Italie. Cette pression et le délaissement de ces États nourrissent la montée de l’extrême droite ; nous le voyons en Italie.

À cet abandon de responsabilité au sein de l’Union européenne s’ajoute celui, encore plus scandaleux, que l’on constate à l’extérieur de ses frontières. Je parle ainsi des régimes autoritaires, comme la Turquie, que nous payons en espèces sonnantes et trébuchantes, près de 6 milliards d’euros, pour gérer à notre place les migrations, loin de nos regards. Résultat ? Des prestataires de la honte ! Des despotes qui n’hésitent pas à utiliser par la suite ce levier migratoire si notre politique étrangère ne va pas dans leur sens !

Puisqu’il s’agit toujours d’argent, évoquons également le fonds fiduciaire pour l’Afrique, doté de 3, 9 milliards d’euros entre 2015 et 2019. Initialement pensé comme un outil d’aide au développement, il a glissé peu à peu vers un outil financier destiné à donner une carotte aux pays qui maîtriseraient les flux migratoires en direction de l’Europe.

Et que dire de Frontex, qui a vu son budget passer de 3 millions d’euros en 2003 à 544 millions en 2021 ? Cette structure, fidèle à la doctrine de l’Europe forteresse, reste passive face aux drames et aux morts par milliers qui font de la Méditerranée une fosse commune mondiale.

Écoutez les témoignages des exilés qui arrivent sur nos côtes ! Écoutez comment les garde-côtes libyens financés par l’argent européen retiennent, dans des conditions épouvantables, les personnes migrantes, réduites à l’esclavage, violées, torturées ! Ces actes de barbarie sont commis avec l’aval implicite de l’Europe, donc de la France.

Jusqu’ici, nous pouvions nous voiler la face, nous dire que tout cela se passait loin de chez nous, que nous ne pouvions rien faire. Or, depuis 2015, l’Europe forteresse déploie ses barbelés jusqu’à notre frontière avec l’Italie.

Lors de nos déplacements à la frontière franco-italienne, avec d’autres parlementaires, nous avons vu aussi comment la fraternité du peuple français reste vivace. Nous avons vu des montagnards, des habitants de Briançon, des bénévoles, des humanitaires qui arpentent les routes, les cols, les chemins, toutes les nuits, quelle que soit la température, pour porter secours et assistance aux exilés. Je souhaite rendre hommage à leur dignité et à leur sens de la fraternité.

Nous avons aussi été témoins du harcèlement inacceptable exercé par certains agents de police qui utilisaient les restrictions sanitaires pour verbaliser des médecins et des soignants bénévoles.

Madame la ministre, mes chers collègues, ici, nous débattons, mais partout à nos frontières, des gens meurent. Ils meurent à cause de vos politiques. Ils meurent à cause de nos peurs. Ils meurent à cause de l’abandon de nos valeurs.

Nous demandons ici, collectivement, solennellement, la fin de ces contrôles à nos frontières intérieures, après la pandémie évidemment, l’accueil de ceux qui sont en route et l’amorce d’une politique d’accueil, de développement réel et humaniste, seule solution durable à la question migratoire.

Il s’agit aujourd’hui de faire vivre le principe républicain de fraternité.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Rétablissement du contrôle aux frontières nationales depuis 2015 : bilan et perspectives. »

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 8 juin 2021 :

À quatorze heures trente et le soir :

Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 24 et 25 juin 2021 ;

Proposition de loi visant à améliorer l’économie du livre et à renforcer l’équité entre ses acteurs, présentée par Mme Laure Darcos (procédure accélérée ; texte de la commission n° 663, 2020-2021).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

La séance est levée à dix-huit heures vingt-cinq.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a présenté une candidature pour la commission des affaires européennes.

Aucune opposition ne s ’ étant manifestée dans le délai prévu par l ’ article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Jean-Michel Houllegatte est proclamé membre de la commission des affaires européennes, en remplacement de M. Gilbert-Luc Devinaz, démissionnaire.