Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, « Pourquoi l'homme, justement l'homme, prétend-il avoir des droits ? Selon certains, il n'y a à cela aucune autre raison que le fait qu'étant nous-mêmes des hommes, nous revendiquons pour nous-mêmes, sans justification spéciale, un statut privilégié » : telle est la question que se posait la célèbre philosophe Jeanne Hersch, grande spécialiste des droits de l'homme.
Et elle répondait : « L'homme représente, dans le monde où il vit, une formidable exception. Il est, à ce qu'il semble, le seul à avoir ?une conscience de lui-même?, le seul à dire ?je? et à décider de ses actes, donc à les assumer et à s'en reconnaître responsable.
« Et c'est cette possibilité, unique en ce monde, dont chaque homme, chaque femme, chaque enfant, se doit d'approfondir en lui le sens et la portée. Car sur elle reposent les lois, les droits et la paix, en même temps que la distinction entre le bien et le mal. Et qu'étant responsable, l'homme peut aussi être et se juger coupable. »
Ces propos de Jeanne Hersch expliquent assez bien pourquoi la Déclaration des droits de l'homme doit être universelle, en se fondant non sur des règles particulières, mais sur la condition de sens de toute règle : la liberté responsable de chaque être humain.
Ce règne et cette exigence des droits de l'homme impliquent que, dans les sociétés humaines, le règne du droit remplace le règne de la force. Mais ce règne du droit lui-même, qui permet aux hommes de vivre leur vie quotidienne sans porter d'arme, ne peut renoncer à l'appui d'une police, donc à un recours possible à la force.
Nous le savons, mes chers collègues, la Déclaration universelle des droits de l'homme est l'une des premières grandes réalisations de l'Organisation des Nations unies. Mais il a fallu attendre trente ans après sa ratification par les États et l'entrée en vigueur des pactes internationaux et d'un protocole pour qu'elle soit appliquée.
La mise en vigueur des droits de l'homme suscite également des réflexions.
Si nous nous devons d'être pour le refus de la force et pour la défense des droits de l'homme, ces deux engagements ne peuvent cependant pas toujours être absolus, en tout cas pas les deux à la fois. Car les droits de l'homme ont besoin de la force pour s'imposer et être défendus, comme nous le constatons, malheureusement, dans le monde d'aujourd'hui. Nous sommes donc contraints d'assigner à ces droits certaines limites.
Il en est ainsi, par exemple, du droit à la vie : comme s'il y avait un droit à n'être menacé par rien et à ne jamais mourir ! Le droit à la santé n'a de sens que si on se limite à proclamer le droit à des conditions de vie saines et, en cas de maladie, le droit aux soins médicaux.
La proclamation des droits de l'homme et les tribunaux internationaux sont des instruments de plus en plus respectés et craints, au bénéfice de la défense des citoyens. Et pourtant, dans notre monde, en ce début 2008, les droits de l'homme, loin d'être respectés, sont violés pratiquement sur toute la planète.
Sans être exhaustive, la liste énumérée par notre collègue M. Othily est déjà très significative.
Alors, devons-nous désespérer ? Eh bien, non ! Car il est vrai que, lentement, trop lentement certes, malgré les effroyables rechutes encore constatées un peu partout, malgré la violence qui se développe, la cause des droits de l'homme s'est tout de même renforcée, parce qu'elle est mue par un espoir indestructible.
Voilà pourquoi, aujourd'hui, nous en débattons dans cet hémicycle, comme nous suivons l'application des traités internationaux.
J'ai fait un inventaire des instruments internationaux ; c'est assez surprenant : on compte 106 textes, sauf erreur ou omission, bien sûr. C'est dire la complexité du suivi ! Il est tout aussi difficile d'apprécier le rôle, également compliqué, du secrétariat d'État aux droits de l'homme, auquel incombent de véritables travaux d'Hercule.
Devraient alors être déterminées les actions prioritaires. Mais, comme dans le domaine des droits de l'homme, elles sont toutes prioritaires, et c'est un problème de plus pour votre secrétariat d'État.
Huit ans après les huit objectifs du Millénaire, adoptés en l'an 2000, près d'un milliard de personnes vivent encore avec moins de 1 dollar par jour. Chaque année, 6 millions d'enfants meurent de malnutrition avant l'âge de cinq ans. Dans les pays très pauvres, moins de la moitié des enfants vont à l'école primaire, et moins de 20 % à l'école secondaire. On est loin de la réalisation universelle des droits de l'homme ! Non seulement les traités ne sont pas respectés, mais les objectifs internationaux ne sont pas atteints.
Alors, que faire, sinon suivre, observer, surveiller, réagir ? La France, patrie des droits de l'homme, le fait au travers de votre secrétariat d'État. Mais il est vrai qu'il s'agit de suivre, voire de précéder toute l'actualité, toutes les tensions et crises pour éviter de nouvelles violations des droits de l'homme. C'est une mission de tous les instants, et une mission universelle.
Mais pour défendre son engagement à faire respecter les droits de l'homme, la France a aussi des atouts et des réseaux en dehors des Nations unies et du Conseil de l'Europe. C'est le cas, par exemple, de la francophonie.
À l'occasion du lancement, le 10 décembre dernier, de l'année de la célébration du soixantième anniversaire de la Déclaration des droits de l'homme, Abdou Diouf, secrétaire général de la francophonie, et Louise Arbour, Haut commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, ont appelé conjointement les États membres de l'OIF - qui regroupe cinquante-cinq États et dix observateurs - à la ratification généralisée des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme et à leur pleine mise en oeuvre.
À ce sujet, le centre de recherche sur les droits de l'homme et le droit humanitaire de l'université Panthéon-Assas de Paris II publie de nombreuses informations et tient à jour une véritable fiche technique sur tous les pays de la francophonie. Pour la France, on peut y voir, par exemple, que l'on attend certains rapports sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ou des conventions, comme celle sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, ou les protocoles sur les conflits armés ou la vente des enfants.
Peut-être, madame la secrétaire d'État, pourrez-vous nous en dire plus sur les raisons de ce retard. Pourquoi, par exemple, la France n'a-t-elle pas encore ratifié la convention-cadre pour la protection des minorités nationales ?
Mes chers collègues, notre Parlement, Assemblée nationale et Sénat, participe activement aux travaux de l'OIF, mais il participe aussi à l'Union interparlementaire. Les Parlements peuvent et doivent jouer leur rôle dans ce domaine. La défense et la promotion des droits de l'homme sont parmi les buts principaux de l'Union interparlementaire, créée, je vous le rappelle, par la France et la Grande-Bretagne en 1889.
L'article 1er des statuts de l'UIP définit le respect des droits de la personne comme un facteur essentiel de la démocratie et du développement.
Le Parlement, rappelle l'UIP, est l'institution de l'État qui représente le peuple et par laquelle celui-ci participe à la direction des affaires publiques. Comme tel, il lui incombe donc spécialement de promouvoir et de faire respecter les droits de l'homme. C'est aussi l'un des objectifs du Parlement.
D'ailleurs, le comité des droits de l'homme des parlementaires de l'UIP, créé en 1976, a établi sa réputation dans le monde entier et fait aujourd'hui autorité comme mécanisme spécialement conçu pour défendre les parlementaires victimes de violation de leurs droits fondamentaux. Il est très actif, car on en déplore encore beaucoup.
L'UIP s'est aussi penchée, dans ses nombreux rapports, sur la problématique de la protection des droits de l'homme lors de réconciliations au lendemain de conflits. C'est un domaine où la protection des droits de l'homme est, bien sûr, primordiale.
Comme l'écrivait Joseph Maïla : « Se réconcilier n'est pas seulement surmonter les raisons de se faire la guerre, c'est surtout inventer les conditions pour se parler. C'est aussi, face à une histoire de tumulte et de haine, trouver le bon équilibre de la mémoire : suffisamment oublier pour ne plus se combattre, suffisamment se souvenir pour ne pas recommencer ».
Je citerai deux exemples de ce processus de réconciliation : la réconciliation réussie de l'Allemagne avec la France et ses voisins après 1945, et la réconciliation, toujours en attente, celle-là, entre Israël et la Palestine.
Le processus de réconciliation suppose aussi le pardon réciproque et donc, de chaque côté, l'oubli des fautes et des crimes. Malheureusement, on en est encore loin !
La réconciliation passe-t-elle par la sanction ou l'absence de sanction ?
Mes chers collègues, les termes « amnistie » et « amnésie » dérivent tous deux du grec : amnêstia, de amnêstos, qui signifie oublié ; et amnêsia veut dire oubli.
La communauté internationale, notamment l'ONU, a choisi clairement de ne pas sacrifier la justice à la réconciliation et de faire de la justice un outil de réconciliation.
Sur le thème de la réconciliation après les conflits bafouant les droits de l'homme, le théorème de Joseph Maïla « s'en souvenir assez pour ne pas recommencer, mais oublier assez pour ne pas se venger doit être applicable et appliqué ; ce n'est pas toujours le cas !
Le soutien à la réconciliation a aussi ses limites sur le terrain, celles des droits de l'homme. La réconciliation, oui, mais à condition de ne pas oublier les droits de l'homme.
C'est pourquoi notre paix actuelle n'est pas la paix véritable, loin de là, si l'on considère la réalité, celle de l'actualité. La paix ne peut être visée aujourd'hui qu'à l'abri de la force, avec ténacité et patience, au travers d'une extension et d'une progression des droits de l'homme partout où cela est possible.
Bernanos a écrit, dans Les grands cimetières sous la lune, que « les hommes de ce temps ont la tripe sensible et le coeur dur ». Cette phrase fait mal, parce qu'elle est malheureusement vraie.
Considérant les droits de l'homme aujourd'hui, on devrait donc exclure « optimisme » et « triomphalisme ». Mais y renoncer, mes chers collègues, ce serait tout simplement renoncer à l'humanité. C'est exactement le contraire que nous voulons toutes et tous ici, ce soir, de toutes nos forces.