Séance en hémicycle du 6 février 2008 à 21h30

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La séance

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La séance, suspendue à dix-neuf heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 13 rectifiée de M. Georges Othily, président du groupe d'études des droits de l'homme, à Mme la secrétaire d'État chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme sur la politique de la France pour promouvoir le respect des traités internationaux concernant les droits de l'homme.

Cette question est ainsi libellée :

« M. Georges Othily attire l'attention de Mme la secrétaire d'État chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme sur la situation préoccupante des droits de l'homme dans certains pays. Malgré leur engagement répété mais formel en faveur de la Déclaration universelle des droits de l'homme, de nombreux pays continuent de bafouer, de façon ouverte ou camouflée, ces droits fondamentaux.

De trop nombreux êtres humains sont toujours persécutés ou victimes de discrimination pour des raisons ethniques, religieuses ou politiques.

Il lui demande comment le gouvernement français compte agir pour promouvoir le respect effectif de ces droits fondamentaux. »

La parole est à M. Georges Othily, président du groupe d'études des droits de l'homme et auteur de la question.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Othily

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de rendre un nouvel hommage à notre très regretté collègue Jacques Pelletier, qui, tout au long de sa vie politique, a mené un combat constant pour la promotion des droits de l'homme en France et dans le monde.

C'est d'ailleurs lui qui, en sa qualité de président de l'intergroupe de défense des droits de l'homme du Sénat, avait souhaité, il y a quelques mois, que notre assemblée débatte de la situation des droits de l'homme dans le monde d'aujourd'hui.

Si j'ai très volontiers repris cette idée, c'est que je suis persuadé que le débat, la communication et la publicité sont les meilleurs vecteurs pour faire progresser nos idéaux. Le silence est le meilleur allié de l'oppresseur ou du tyran.

Si l'on tente de dresser un panorama, on peut, dans un premier temps, constater avec satisfaction, comme l'a affirmé notre collègue Robert Badinter, que « les droits de l'homme, c'est une création continue ».

En effet, après les droits civils et politiques proclamés en 1789, les droits économiques et sociaux ont été aussi reconnus après la Seconde Guerre mondiale et, depuis le 10 décembre 1948, date de la Déclaration universelle des droits de l'homme, des avancées importantes ont été réalisées.

Laissez-moi en citer quelques-unes : le développement des garanties juridiques, la codification des droits de la personne, la déclaration sur les droits des femmes et des enfants, l'abolition du régime de l'apartheid, la chute du mur de Berlin, la fin de la guerre froide, la restauration de la démocratie en Europe de l'Est, l'effondrement des régimes totalitaires en Amérique du Sud, la création de la Cour pénale internationale et la multiplication des institutions nationales des droits de l'homme dans de nombreux pays, sont des événements tout à fait positifs.

L'espoir et les idéaux des rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l'homme sont devenus des réalités juridiques. Le moment est venu de traduire ces réalités juridiques en réalité quotidienne pour tous les individus à travers le monde.

Comme le disait Stéphane Hessel lors du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, « il reste aux siècles prochains à transformer le langage visionnaire en réalité dont tous les peuples auront le bénéfice collectif. Magnifique programme ! »

Bien entendu, on ne peut pas se contenter de cette description optimiste. On doit aussi, malheureusement, faire une longue liste des atteintes récurrentes et actuelles aux droits de l'homme. Je n'en citerai que quelques-unes : la traite des êtres humains, des enfants soldats, la pauvreté qui frappe deux milliards d'hommes, les populations déplacées. Le Darfour, la Tchétchénie, le Tchad, l'Ouzbékistan, la Birmanie, le Kenya, Haïti...

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Othily

... sont aussi des pays très durement touchés à l'heure actuelle.

Même si cela serait nécessaire, il n'est pas possible de dénoncer ici toutes les violations des droits de l'homme que nous connaissons grâce à l'action de toutes les associations qui se battent pour faire respecter ces droits fondamentaux et dénoncer les abus.

Je tiens, du haut de cette tribune, à rendre un hommage solennel à ces militants qui, grâce à leur courage exemplaire et souvent au péril de leur vie, réussissent à maintenir une flamme d'espoir dans des circonstances dramatiques. Nous devons écouter leurs témoignages et soutenir leurs actions.

En tant que responsables politiques et défenseurs des droits de l'homme, nous devons aussi réfléchir à de nouvelles problématiques. Après l'émergence des droits « contre l'État », les droits civils et politiques, puis des droits « grâce à l'État », les droits économiques et sociaux, apparaissent maintenant des droits mal définis, comme le droit au développement durable ou le droit à un environnement sain.

Si ces vues et ces revendications sont parfaitement légitimes, les présenter comme des droits soulève toute une série de questions liées tant à l'imprécision de leur objet qu'à l'indétermination de leurs titulaires, ainsi que de ceux sur qui pèse l'obligation de les protéger.

Comment, madame la secrétaire d'État, comptez-vous résoudre ces contradictions et mettre en oeuvre ces nouveaux droits ?

Nous devons aussi réfléchir à la protection des droits de l'homme, qui sont affaiblis par des impératifs sécuritaires et par le développement de nouvelles technologies.

Les nouvelles technologies de la communication et les progrès en matière biologique ou génétique permettent un contrôle social qui peut aller à l'encontre des libertés individuelles. La vidéosurveillance, le traitement informatique, les tests ADN peuvent être une menace importante pour nos libertés.

Nous savons que les droits de l'homme sont individuels et universels, mais, aujourd'hui, cette universalité est remise en cause par l'apparition de l'intégrisme religieux. Le fondamentalisme, qu'il soit chrétien, juif, musulman ou hindouiste, est aujourd'hui un adversaire redoutable des droits de l'homme.

La liberté individuelle peut-elle se concilier avec des religions comme l'hindouisme, qui définit l'individu par son appartenance à une caste ? De même, une certaine conception fondamentaliste de la charia est souvent en contradiction totale avec les droits de l'homme. On peut prendre comme exemple la place faite aux femmes dans l'ordre juridique et politique.

Nous avons encore de longs combats à mener pour que, comme l'a indiqué M. Boutros Boutros-Ghali, « les droits de l'homme soient le langage commun de l'humanité ».

Pouvez-vous nous indiquer, madame la secrétaire d'État, les moyens que le gouvernement français compte mettre en oeuvre pour que, progressivement, l'universalité, l'indivisibilité et l'effectivité des droits de l'homme soient reconnues dans tous les pays ?

De la même façon, selon quels critères le Gouvernement compte-t-il trouver un équilibre entre une vision à long terme des rapports internationaux privilégiant le respect des principes et valeurs universelles comme les droits de l'homme, et une vision à court terme fondée sur les nécessités économiques et le principe discutable de la non-ingérence dans les affaires intérieures d'un pays ?

Pour terminer, et avant de laisser la parole à mes collègues du groupe d'études des droits de l'homme, que j'ai l'honneur de présider, et qui rassemble des sénateurs appartenant à tous les groupes politiques, j'aimerais, madame la secrétaire d'État, vous poser trois questions précises.

J'ai été récemment saisi du drame que vivent les réfugiés tchétchènes, qui fuient leur pays dévasté et dont un grand nombre trouvent refuge en Europe, plus particulièrement en Pologne. Il semblerait urgent que l'Union européenne, notamment la France, aide ce pays, qui est débordé par l'accueil de ces populations ayant tout perdu et dont l'état sanitaire est très mauvais.

Par ailleurs, je suis très préoccupé par le sort des Haïtiens, qui travaillent dans des conditions très dures en République Dominicaine, en particulier dans les champs de canne à sucre.

Cette situation, déjà dramatique, risque de s'aggraver encore avec la mécanisation de l'économie sucrière. Que vont devenir ces Haïtiens émigrés s'ils sont totalement privés de travail ? Le risque de déstabilisation de la République de Saint-Domingue et de la République d'Haïti est très important et la communauté internationale doit se mobiliser.

Madame la secrétaire d'État, que compte faire le gouvernement français pour éviter des troubles graves dans la région Caraïbe, et singulièrement en Guadeloupe, en Martinique, et en Guyane ?

Enfin, pouvez-vous nous indiquer comment la France, qui présidera l'Union européenne, compte célébrer le soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme ? Selon moi, cela devrait être non pas simplement une manifestation commémorative, mais une occasion pour la France et, plus largement, l'Europe, de prendre des engagements nouveaux.

Madame la secrétaire d'État, soyez assurée que le Sénat sera toujours à vos côtés pour aider le Gouvernement à faire triompher les droits de l'homme, que ce soit dans le monde ou en France.

La lutte sera difficile et longue, mais n'oublions pas ce que disait Théodore Monod : « L'utopie n'est pas ce qui est irréalisable, mais ce qui n'est pas encore réalisé ».

Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UC-UDF, ainsi que sur celles du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le 16 mai dernier, lors de son discours d'investiture, le Président de la République avait indiqué qu'il ferait de la défense des droits de l'homme l'une des deux priorités de l'action diplomatique de la France dans le monde.

Dix ans auparavant, le Premier ministre britannique, M. Tony Blair, avait, lui aussi, opté pour une politique étrangère conforme à l'éthique, axée sur les grands principes du respect du droit international, des droits de l'homme, de la démocratie et sur la promotion des valeurs universelles.

Les valeurs, la morale et les droits de l'homme n'ont jamais été absents de la légitimation des politiques étrangères ; elles ont même fait souvent l'objet d'une instrumentalisation qui relève de ce que Stanley Hoffman appelait une « morale pour les monstres froids ».

Les politiques coloniales n'étaient-elles pas justifiées par le rôle colonisateur de l'homme blanc, qui devait amener les populations autochtones à la civilisation et au progrès ?

Après la Grande Guerre, ce fut le wilsonisme et le rêve fracassé de la Société des nations.

Après 1945, on a vu, en réaction au mal absolu que fut le nazisme et sa négation de l'homme, l'instauration progressive d'une justice internationale et la condamnation des crimes de génocide, des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre.

Avec le mur de Berlin, les analyses de la realpolitik ont connu une brève éclipse pendant laquelle un nouvel ordre mondial s'instaurait et où libéralisme politique et libéralisme économique allaient de pair, développant automatiquement les droits de l'homme et la démocratie. Parallèlement, le droit d'ingérence se transformait à l'ONU en obligation de protéger.

Mes chers collègues, les attentats du 11 septembre 2001 ont constitué une rupture dans ce nouvel idéalisme international. On a pu constater un double mouvement : le premier, justifié par la lutte contre l'hyper-terrorisme, a développé une morale sécuritaire visant à protéger le droit de vie des citoyens et prévalant sur d'autres morales, ce qui a malheureusement abouti aux dérives inacceptables de Guantanamo et d'Abou Ghraïb ; le second a, au contraire, conforté les analyses selon lesquelles la lutte contre la pauvreté, l'instauration de l'état de droit et le développement contribuaient directement à la sécurité globale du monde, justifiant ainsi un altruisme rationnel. Ce n'est jamais qu'une redécouverte des principes énoncés dès 1795 par Kant, selon lesquels les démocraties ne se font pas la guerre entre elles.

Cette courte analyse montre à quel point la dialectique entre les valeurs et les intérêts a toujours été présente en politique étrangère. L'utilisation d'arguments moraux ne constituant qu'une ruse pour la puissance, ou même, selon certains, pour l'impuissance est une grande constante

Il s'agit pourtant non pas de revenir à une vision cynique de la politique internationale, mais d'admettre ce que souligne Hubert Védrine dans son rapport au Président de la République sur la France et la mondialisation : « Ce n'est pas manquer d'humanité que d'estimer qu'une politique étrangère réaliste doit d'abord se préoccuper d'assurer à moyen et long terme notre sécurité géopolitique, stratégique, économique, écologique. »

Le fait d'inscrire comme l'une des priorités de la diplomatie française la défense des droits de l'homme s'inscrit-il en faux dans l'évolution récente ? Faut-il reprendre les termes du secrétaire général de Reporters sans frontières, lequel affirme « qu'imaginer que les droits de l'homme puissent constituer une politique est tout simplement absurde » ? Personnellement, je ne le crois pas. La défense des droits de l'homme doit être une préoccupation constante, même s'il paraît évident qu'elle ne peut pas être le seul axe de notre diplomatie ni le critère absolu de nos relations internationales.

La première obligation est bien évidemment de s'assurer pour soi-même et de promouvoir auprès des autres pays l'adhésion et la mise en oeuvre de l'ensemble de l'appareil juridique en matière de droits de l'homme et de droit humanitaire développé notamment à l'ONU et au Conseil de l'Europe. Vous nous direz, madame la secrétaire d'État, comment la France s'y emploie.

C'est finalement une réflexion sur la démocratie vue comme un processus modulé qui peut donner les clés d'une application diplomatique de la défense des droits de l'homme. Comme le montre le premier des critères de Copenhague, qui exige des candidats à l'Union la mise en place d'« institutions stables garantissant l'État de droit, la démocratie, les droits de l'homme, le respect des minorités et leur protection », le respect des droits de l'homme est un absolu en Europe. Il constitue du reste un déterminant fondamental de la PESC, la politique étrangère et de sécurité commune, non seulement dans sa dimension « élargissement », mais également dans les relations de l'Union européenne avec le reste du monde.

L'une des illustrations les plus récentes n'est-elle pas la négociation de l'accord d'association avec la Serbie ? Une telle exigence s'applique également à ce même niveau avec nos principaux partenaires de la famille des démocraties, en particulier les États-Unis.

Au-delà de ce premier cercle, nous devons manifester une fermeté « amicale » à l'égard de l'ensemble de nos partenaires extérieurs, que ce soit au niveau bilatéral ou multilatéral, au sein de la PESC ou à l'ONU. Mais faisons-le, mes chers collègues, sans arrogance. Hubert Védrine le soulignait dans son rapport : « Aussi sincères que nous le soyons en le disant, faut-il sans arrêt rappeler que la France est la patrie des droits de l'homme ? D'abord, historiquement, la Grande-Bretagne - l'Angleterre, plutôt - et les États-Unis pourraient le revendiquer tout autant. Ensuite à quoi sert de répéter cette formule - même si ponctuellement elle peut être vraie, ou émouvoir - et créer des attentes puisque nous ne disposons pas d'une formule magique qui nous permettrait d'obtenir que les droits de l'homme soient respectés en Chine, en Russie, dans le monde arabe, en Afrique, etc., et que nous ne cesserons pas d'acheter du gaz aux Russes, du pétrole aux Saoudiens et de vendre nos technologies aux Chinois ? Davantage de modestie serait plus conforme à la réalité et n'affaiblirait en rien, par ailleurs, nos efforts concrets pour les droits de l'homme. »

Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je vois néanmoins deux obstacles à la mise en oeuvre de ces principes.

Le premier tient aux critiques selon lesquelles la France, comme d'autres pays démocratiques, d'ailleurs, aurait une politique de « deux poids, deux mesures », selon qu'il s'agit de petits pays, d'alliés politiques ou militaires, ou encore de grands pays qui sont des partenaires commerciaux majeurs comme la Russie ou la Chine.

Le second obstacle vient de ces mêmes puissances émergentes ou de certains pays islamiques qui contestent l'application des principes de la démocratie et de la défense des droits de l'homme et qui prétendent que ces principes sont adaptés à la civilisation occidentale, mais non transposables dans d'autres civilisations. Ces principes et les conditionnalités qui accompagnent un certain nombre de politiques, notamment économiques, sont également dénoncés comme un instrument de domination des puissances occidentales. On observe les effets d'une offre sans conditions que propose la Chine au continent africain.

L'orientation prioritaire définie par le Président de la République pose des questions de méthode, d'organisation, notamment au niveau de l'administration du ministère des affaires étrangères et des directives données à nos postes diplomatiques, lesquels doivent disposer d'instructions claires.

Je souhaiterais, madame la secrétaire d'État, que vous puissiez nous éclairer sur l'état de vos réflexions en la matière.

À ma connaissance, la seule formalisation en ce domaine concerne la stratégie sur la gouvernance, qui promeut l'intégration des droits de l'homme dans tous les programmes de la politique de coopération française. Cette circulaire du ministère donne effectivement un certain nombre d'indications aux postes diplomatiques, mais celles-ci sont limitées au secteur et à la politique de coopération. C'est un point particulièrement important puisque nos diplomates sont non pas des exégètes, mais les « appliquants » d'une politique définie par le pouvoir exécutif.

Par ailleurs, que signifie concrètement le souhait qui a été exprimé de voir nos ambassades devenir des « maisons des droits de l'homme » et d'être un point de référence pour ceux qui les défendent ?

Sans plus entrer dans le détail, mes chers collègues, on voit bien qu'une politique étrangère faisant des droits de l'homme une priorité ne peut tolérer l'improvisation et qu'elle doit au contraire être rigoureuse et parfaitement pensée.

Madame la secrétaire d'État, Serge Vinçon, le prédécesseur de Josselin de Rohan à la présidence de la commission des affaires étrangères, avait souhaité avec ce dernier que la commission des affaires étrangères suive étroitement, en son sein, ces questions et cette problématique. C'est la raison pour laquelle nous vous avions auditionnée dès le 15 octobre dernier.

L'un des rôles importants de la commission des affaires étrangères est de veiller à ce que les projets de loi autorisant la ratification des traités et conventions portant sur ces matières soient examinés dans les délais les plus brefs, afin que les instruments prévus puissent être mis en oeuvre.

Nous avons également profité de l'adoption de deux projets de loi portant ratification de conventions sur les droits de l'homme pour organiser un débat sur cette question au Sénat. En outre, nous ne manquons pas de l'évoquer systématiquement lors de déplacements à l'étranger ou à l'occasion des contacts que nous pouvons avoir en France avec nos homologues d'autres parlements.

Enfin, l'un des groupes de travail de notre commission se penche plus particulièrement sur cette question. Nous avons d'ailleurs prévu de nous rendre très bientôt à Genève, les 25 et 26 février prochains, pour rencontrer les principaux acteurs onusiens des droits de l'homme et, en particulier, les membres du Conseil des droits de l'homme.

Pour conclure, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je crois que nous devons également prendre en compte les préoccupations légitimes de nos sociétés. La transparence qu'impliquent la mondialisation, d'une part, et l'immédiateté des images et des communications, d'autre part, rendent obligatoire et inévitable un rapprochement de l'éthique de responsabilité et de l'éthique de conviction.

Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UC-UDF et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Josette Durrieu

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi d'avoir moi aussi une pensée pour notre ancien collègue Jacques Pelletier, dans la mesure où ce débat, à une certaine époque, a été initié avec le concours du Conseil de l'Europe ; M. del Picchia l'a évoqué il y a quelques instants. L'occasion m'est donnée ce soir d'en dire quelques mots et, notamment, de remercier cette assemblée de donner à douze sénateurs et sénatrices la possibilité d'y siéger avec vingt-quatre députés et députées

Je le rappelle, le Conseil de l'Europe a été créé en 1949, sur l'initiative de Churchill. Après la Seconde Guerre mondiale, l'objectif était en effet de promouvoir la démocratie, l'état de droit et les droits de l'homme. Aujourd'hui, il compte quarante-sept États et englobe tout le continent : c'est la « grande Europe », à laquelle ne manque que la Biélorussie.

En 1950, aussitôt après sa création, cette assemblée a adopté un texte fondamental : la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il se suffisait à lui-même et ne justifiait pas que l'on y ajoute une charte des droits fondamentaux. Cette convention, tous les États membres du Conseil de l'Europe l'ont adoptée - ils ont été obligés de l'adopter -, le Royaume-Uni et la Pologne n'en ont pas été dispensés, et ce texte fondamental est aujourd'hui ratifié par tous. Depuis, deux cents autres conventions et textes ont été élaborés.

Le Conseil de l'Europe a également créé une instance de contrôle indépendante : la Cour européenne des droits de l'homme, garante exceptionnelle de la protection judiciaire internationale des droits de l'homme ; ses membres, dont je fais partie, élisent les quarante-sept juges qui la composent.

Le Conseil de l'Europe a réalisé l'abolition de la peine de mort sur tout le continent en temps de paix. C'est le seul continent où il n'y a plus d'exécution capitale. En Russie, il n'y a pour le moment qu'un moratoire, mais la peine de mort n'y est pas appliquée. Dans le monde, soixante-huit pays appliquent encore la peine de mort et, malheureusement, parmi eux, se trouvent les États-Unis.

Cependant, on déplore toujours des violations des droits de l'homme partout dans le monde, y compris en Europe, et même en France, avec le drame des femmes battues. Bien sûr, les violations touchent également les zones des « conflits gelés » au sein de cette Europe des Quarante-Sept, en Tchétchénie, en Abkhazie, en Ossétie du Sud, en Transnistrie, au Haut-Karabagh.

Cela étant, je tiens à le souligner, le Conseil de l'Europe s'est honoré d'avoir publié un rapport difficile, porté par Dick Marty, mon collègue suisse, sur les fameux centres de détention secrets de la CIA en Europe, chez nous, très près de la France, mais, je l'espère en tout cas, pas sur notre territoire. Il a dénoncé ces « sites noirs », délocalisés en Europe, dans lesquels des prisonniers clandestins ont été transférés par avions spéciaux, en dehors de toute règle de droit national et international. La Cour suprême américaine s'est honorée en les dénonçant à son tour. Le fait que le président Bush ait reconnu leur existence prouve une chose : la violation des droits de l'homme, c'est partout et c'est toujours ; par conséquent, le combat est extrêmement difficile.

Par ailleurs, si je suis ravie ce soir de pouvoir parler ne serait-ce qu'un tout petit peu du Conseil de l'Europe, ce qui ne m'arrive pas assez souvent, c'est qu'il représente à la fois une conscience morale et le creuset où se forge véritablement la conscience européenne.

En ce qui concerne la Charte des droits fondamentaux, elle existe. Elle figurait dans le traité constitutionnel européen, mais elle ne semble plus intégrée au mini-traité, ce qui est regrettable. Elle n'a pas été imposée au Royaume-Uni et à la Pologne, ce qui est étonnant et également regrettable.

Elle définit six domaines de droits ainsi que les valeurs communes de l'Union : la dignité humaine, les libertés, l'égalité, mais pas la parité - il eût été normal et facile d'inclure dans la Charte ce principe, nouveau en France, mais pas dans la réalité de nombreux pays européens, notamment les pays nordiques, mais elle n'en parle pas ! - ; la solidarité, la citoyenneté et la justice.

Je note, comme vous, que ne figure pas dans la Charte cette valeur fondamentale pour les Français qu'est la laïcité. Je souhaite insister sur ce dernier principe et rappeler que la laïcité, c'est l'humanisme tolérant et résistant.

Le terme « résistance » est essentiel. Il est temps de prendre conscience que nous devons nous en emparer à nouveau. Je rappelle que ce mot figure à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui mentionne le « droit de résister à l'oppression ». Or, aujourd'hui, une confusion regrettable est faite entre le terrorisme, qui est une réalité, et la résistance, qui en est une autre.

La laïcité, c'est aussi un humanisme basé sur le respect et, tout d'abord, sur le respect de l'homme universel. Mieux vaut, en effet, affirmer les dimensions communes et universelles, que de souligner les différences et d'affirmer les minorités, visibles ou non.

Les rapports entre les majorités et les minorités changent parfois, comme le prouvent les cas de la Belgique et du Kosovo ; ils peuvent même s'inverser. Mais si l'on défend les droits de l'homme universel, que l'homme fasse partie d'une majorité ou d'une minorité, alors ses droits sont préservés.

La laïcité, c'est également un humanisme basé sur le respect de l'autre, de sa vie, de ses idées, de ses idéologies, du sens qu'il veut donner à son existence et au mystère de son origine.

Je me pose à cet égard une question : les droits de l'homme et les dogmes religieux sont-ils compatibles ?

Je réponds non si je me réfère à l'histoire, matière que j'ai enseignée longtemps, et notamment aux guerres de religion, ou à l'actualité, aux discours de haine et aux guerres de toutes sortes.

Je réponds oui si nous bâtissons un monde et des États tolérants et laïcs, tels que la France et la plupart des pays d'Europe.

Je réponds non si les textes fondateurs des religions, ainsi que les écrits des théologiens et des juristes, prescrivent une morale et des règles de vie et de comportement contraires à ces droits. J'ai une pensée pour les femmes excisées, voilées, lapidées.

Je réponds oui ou non, selon la façon dont les droits de l'homme sont transposés ou interprétés dans le droit canon, la charia ou le Talmud.

Je réponds oui ou non selon que les valeurs inscrites dans la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales se retrouvent ou non intégrées au corpus législatif de ces différentes religions.

Une société laïque a ses valeurs. Elle a aussi ses relais : la famille, l'école, l'État, s'il est démocratique et laïc, les associations et, bien sûr, les communautés religieuses.

Une société laïque a des objectifs et un idéal : former des individus libres et responsables, bâtir la citoyenneté, qui est la forme achevée de la laïcité. Au niveau de l'Europe, il faut encore définir et, surtout, conquérir cette citoyenneté.

Un idéal, pour certains, c'est faire le choix difficile du sol, qui est l'expression d'une « volonté de vivre ensemble » dans un lieu géographique et dans une communauté.

À ce sujet, j'ai une pensée pour le Kosovo, où l'on a fait la guerre pour que l'État ne soit pas monoethnique, et pour les peuples qui s'y sont succédé : les Serbes, hier, et les Albanais, aujourd'hui. L'indépendance est peut-être pour demain, mais dans quelles conditions ?

À la lueur de toutes ces réflexions, je souhaite vous faire part de mes inquiétudes après avoir entendu les discours du Président de la République de Saint-Jean de Latran, du 20 décembre 2007, et de Ryad, du 14 janvier 2008, prononcé devant le Roi d'Arabie Saoudite. Et c'était à l'étranger... Il s'agit de la parole officielle du Président de la République française, du chef de l'État laïc qu'est la France. Un seuil a été franchi ...

La parole du Président de la République est devenue prédication : « Ce sont les religions [...] qui nous ont les premières appris les principes de la morale universelle, l'idée universelle de la dignité humaine ». De la morale, peut-être, mais de la morale universelle, sûrement pas ! Pour ce qui est de la dignité humaine, je ne sais pas...

Je cite toujours le Président de la République : « L'Arabie Saoudite et la France n'ont pas seulement des intérêts communs. Elles ont aussi un idéal commun ». Lequel ?

Je me pose des questions et je vous les pose également, madame la secrétaire d'État.

Va-t-on réformer la loi de 1905 ? Les Français ne le souhaitent pas et les religions ne le demandent pas.

Va-t-on reconfessionnaliser l'espace public ?

À Saint-Jean de Latran, le Président de la République a dit que les religions étaient un plus pour la République : « La désaffection progressive des paroisses rurales, le désert spirituel des banlieues, la disparition des patronages, la pénurie des prêtres, n'ont pas rendu les Français plus heureux. [...] l'instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur [...] parce qu'il lui manquera toujours le sacrifice de sa vie et l'engagement porté par l'espérance ». Autant dire : la Révélation !

La laïcité est le fondement de la République et de la paix religieuse et sociale. On n'y touche pas ! Sauf à vouloir enflammer le débat républicain, sauf à penser que la laïcité est un concept dépassé.

Il y a d'autres combats à mener et d'autres défis à relever, contre l'intégrisme et le fanatisme, ou contre le terrorisme, qui n'exclut pas le droit légitime à la résistance à l'oppression.

J'y insiste : le terrorisme est redoutable, on le combat, mais on ne l'a toujours pas défini, ce qui entraîne une certaine confusion. Selon le côté où l'on se place, le Tchétchène, le Palestinien, le Kurde, sont des terroristes. Et si l'on n'y prend garde, on considérera bientôt que le républicain espagnol résistant au franquisme était aussi un terroriste. Moi-même, fille de résistant français, je pourrais être considérée comme fille de terroriste.

Nous devons revendiquer le droit à la résistance à l'oppression. Je vous assure que ce mot est aujourd'hui tabou. Il faut que nous nous en emparions à nouveau afin de le redéfinir.

D'autres combats sont à mener, contre l'ignorance, l'obscurantisme, le racisme et l'antisémitisme.

Sartre disait que le Juif n'existait pas et que c'était l'antisémitisme qui le créait. Soit ! Mais qui crée l'antisémitisme ? Et qui est l'antisémite ? Celui qui profane ? Celui qui injurie ?

Nous devons faire attention à l'instrumentalisation et à l'amplification, car tout cela est en marche.

Israël a le droit d'exister, nous devons le proclamer. Israël a droit à la sécurité, nous devons le répéter. Il n'en reste pas moins que le conflit israélo-palestinien est le noeud de tous les problèmes.

Les Palestiniens existent, eux aussi. Mais la Cisjordanie est occupée injustement et illégalement. Il y a 12 000 prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes et 1 200 000 prisonniers à Gaza. Prisonniers de qui ? Du Hamas, sûrement, mais aussi d'Israël !

Nous devons combattre ces injustices, le « deux poids, deux mesures » de la politique que nous pratiquons dans de trop nombreux endroits du monde. Cette politique, qui représente souvent une humiliation quotidienne, ne peut générer que revanche et vengeance.

Le dernier enjeu, c'est l'Europe. Il faut faire l'Europe ? Non, il faut finir l'Europe, c'est-à-dire faire ce que l'on ne veut pas faire : l'Europe de la défense et l'Europe politique.

Le veut-on ? Y est-on prêt ? Je crains que non, ni ici ni ailleurs. Le simple fait que l'on ait renoncé aux symboles, y compris au drapeau, en dit long sur un certain nombre d'intentions, qui ne sont pas encore des affirmations.

Quelle laïcité pour l'Europe du XXIe siècle ?

Il faut aller vite pour pouvoir vivre dans cette Europe ! L'Europe implose dans le bouillonnement de ses minorités exigeantes. Bâtissons une Europe qui représente l'Union des peuples, une communauté de valeurs et un destin commun. Faisons rêver la jeunesse d'Europe !

Applaudissements

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, « Pourquoi l'homme, justement l'homme, prétend-il avoir des droits ? Selon certains, il n'y a à cela aucune autre raison que le fait qu'étant nous-mêmes des hommes, nous revendiquons pour nous-mêmes, sans justification spéciale, un statut privilégié » : telle est la question que se posait la célèbre philosophe Jeanne Hersch, grande spécialiste des droits de l'homme.

Et elle répondait : « L'homme représente, dans le monde où il vit, une formidable exception. Il est, à ce qu'il semble, le seul à avoir ?une conscience de lui-même?, le seul à dire ?je? et à décider de ses actes, donc à les assumer et à s'en reconnaître responsable.

« Et c'est cette possibilité, unique en ce monde, dont chaque homme, chaque femme, chaque enfant, se doit d'approfondir en lui le sens et la portée. Car sur elle reposent les lois, les droits et la paix, en même temps que la distinction entre le bien et le mal. Et qu'étant responsable, l'homme peut aussi être et se juger coupable. »

Ces propos de Jeanne Hersch expliquent assez bien pourquoi la Déclaration des droits de l'homme doit être universelle, en se fondant non sur des règles particulières, mais sur la condition de sens de toute règle : la liberté responsable de chaque être humain.

Ce règne et cette exigence des droits de l'homme impliquent que, dans les sociétés humaines, le règne du droit remplace le règne de la force. Mais ce règne du droit lui-même, qui permet aux hommes de vivre leur vie quotidienne sans porter d'arme, ne peut renoncer à l'appui d'une police, donc à un recours possible à la force.

Nous le savons, mes chers collègues, la Déclaration universelle des droits de l'homme est l'une des premières grandes réalisations de l'Organisation des Nations unies. Mais il a fallu attendre trente ans après sa ratification par les États et l'entrée en vigueur des pactes internationaux et d'un protocole pour qu'elle soit appliquée.

La mise en vigueur des droits de l'homme suscite également des réflexions.

Si nous nous devons d'être pour le refus de la force et pour la défense des droits de l'homme, ces deux engagements ne peuvent cependant pas toujours être absolus, en tout cas pas les deux à la fois. Car les droits de l'homme ont besoin de la force pour s'imposer et être défendus, comme nous le constatons, malheureusement, dans le monde d'aujourd'hui. Nous sommes donc contraints d'assigner à ces droits certaines limites.

Il en est ainsi, par exemple, du droit à la vie : comme s'il y avait un droit à n'être menacé par rien et à ne jamais mourir ! Le droit à la santé n'a de sens que si on se limite à proclamer le droit à des conditions de vie saines et, en cas de maladie, le droit aux soins médicaux.

La proclamation des droits de l'homme et les tribunaux internationaux sont des instruments de plus en plus respectés et craints, au bénéfice de la défense des citoyens. Et pourtant, dans notre monde, en ce début 2008, les droits de l'homme, loin d'être respectés, sont violés pratiquement sur toute la planète.

Sans être exhaustive, la liste énumérée par notre collègue M. Othily est déjà très significative.

Alors, devons-nous désespérer ? Eh bien, non ! Car il est vrai que, lentement, trop lentement certes, malgré les effroyables rechutes encore constatées un peu partout, malgré la violence qui se développe, la cause des droits de l'homme s'est tout de même renforcée, parce qu'elle est mue par un espoir indestructible.

Voilà pourquoi, aujourd'hui, nous en débattons dans cet hémicycle, comme nous suivons l'application des traités internationaux.

J'ai fait un inventaire des instruments internationaux ; c'est assez surprenant : on compte 106 textes, sauf erreur ou omission, bien sûr. C'est dire la complexité du suivi ! Il est tout aussi difficile d'apprécier le rôle, également compliqué, du secrétariat d'État aux droits de l'homme, auquel incombent de véritables travaux d'Hercule.

Devraient alors être déterminées les actions prioritaires. Mais, comme dans le domaine des droits de l'homme, elles sont toutes prioritaires, et c'est un problème de plus pour votre secrétariat d'État.

Huit ans après les huit objectifs du Millénaire, adoptés en l'an 2000, près d'un milliard de personnes vivent encore avec moins de 1 dollar par jour. Chaque année, 6 millions d'enfants meurent de malnutrition avant l'âge de cinq ans. Dans les pays très pauvres, moins de la moitié des enfants vont à l'école primaire, et moins de 20 % à l'école secondaire. On est loin de la réalisation universelle des droits de l'homme ! Non seulement les traités ne sont pas respectés, mais les objectifs internationaux ne sont pas atteints.

Alors, que faire, sinon suivre, observer, surveiller, réagir ? La France, patrie des droits de l'homme, le fait au travers de votre secrétariat d'État. Mais il est vrai qu'il s'agit de suivre, voire de précéder toute l'actualité, toutes les tensions et crises pour éviter de nouvelles violations des droits de l'homme. C'est une mission de tous les instants, et une mission universelle.

Mais pour défendre son engagement à faire respecter les droits de l'homme, la France a aussi des atouts et des réseaux en dehors des Nations unies et du Conseil de l'Europe. C'est le cas, par exemple, de la francophonie.

À l'occasion du lancement, le 10 décembre dernier, de l'année de la célébration du soixantième anniversaire de la Déclaration des droits de l'homme, Abdou Diouf, secrétaire général de la francophonie, et Louise Arbour, Haut commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, ont appelé conjointement les États membres de l'OIF - qui regroupe cinquante-cinq États et dix observateurs - à la ratification généralisée des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme et à leur pleine mise en oeuvre.

À ce sujet, le centre de recherche sur les droits de l'homme et le droit humanitaire de l'université Panthéon-Assas de Paris II publie de nombreuses informations et tient à jour une véritable fiche technique sur tous les pays de la francophonie. Pour la France, on peut y voir, par exemple, que l'on attend certains rapports sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ou des conventions, comme celle sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, ou les protocoles sur les conflits armés ou la vente des enfants.

Peut-être, madame la secrétaire d'État, pourrez-vous nous en dire plus sur les raisons de ce retard. Pourquoi, par exemple, la France n'a-t-elle pas encore ratifié la convention-cadre pour la protection des minorités nationales ?

Mes chers collègues, notre Parlement, Assemblée nationale et Sénat, participe activement aux travaux de l'OIF, mais il participe aussi à l'Union interparlementaire. Les Parlements peuvent et doivent jouer leur rôle dans ce domaine. La défense et la promotion des droits de l'homme sont parmi les buts principaux de l'Union interparlementaire, créée, je vous le rappelle, par la France et la Grande-Bretagne en 1889.

L'article 1er des statuts de l'UIP définit le respect des droits de la personne comme un facteur essentiel de la démocratie et du développement.

Le Parlement, rappelle l'UIP, est l'institution de l'État qui représente le peuple et par laquelle celui-ci participe à la direction des affaires publiques. Comme tel, il lui incombe donc spécialement de promouvoir et de faire respecter les droits de l'homme. C'est aussi l'un des objectifs du Parlement.

D'ailleurs, le comité des droits de l'homme des parlementaires de l'UIP, créé en 1976, a établi sa réputation dans le monde entier et fait aujourd'hui autorité comme mécanisme spécialement conçu pour défendre les parlementaires victimes de violation de leurs droits fondamentaux. Il est très actif, car on en déplore encore beaucoup.

L'UIP s'est aussi penchée, dans ses nombreux rapports, sur la problématique de la protection des droits de l'homme lors de réconciliations au lendemain de conflits. C'est un domaine où la protection des droits de l'homme est, bien sûr, primordiale.

Comme l'écrivait Joseph Maïla : « Se réconcilier n'est pas seulement surmonter les raisons de se faire la guerre, c'est surtout inventer les conditions pour se parler. C'est aussi, face à une histoire de tumulte et de haine, trouver le bon équilibre de la mémoire : suffisamment oublier pour ne plus se combattre, suffisamment se souvenir pour ne pas recommencer ».

Je citerai deux exemples de ce processus de réconciliation : la réconciliation réussie de l'Allemagne avec la France et ses voisins après 1945, et la réconciliation, toujours en attente, celle-là, entre Israël et la Palestine.

Le processus de réconciliation suppose aussi le pardon réciproque et donc, de chaque côté, l'oubli des fautes et des crimes. Malheureusement, on en est encore loin !

La réconciliation passe-t-elle par la sanction ou l'absence de sanction ?

Mes chers collègues, les termes « amnistie » et « amnésie » dérivent tous deux du grec : amnêstia, de amnêstos, qui signifie oublié ; et amnêsia veut dire oubli.

La communauté internationale, notamment l'ONU, a choisi clairement de ne pas sacrifier la justice à la réconciliation et de faire de la justice un outil de réconciliation.

Sur le thème de la réconciliation après les conflits bafouant les droits de l'homme, le théorème de Joseph Maïla « s'en souvenir assez pour ne pas recommencer, mais oublier assez pour ne pas se venger doit être applicable et appliqué ; ce n'est pas toujours le cas !

Le soutien à la réconciliation a aussi ses limites sur le terrain, celles des droits de l'homme. La réconciliation, oui, mais à condition de ne pas oublier les droits de l'homme.

C'est pourquoi notre paix actuelle n'est pas la paix véritable, loin de là, si l'on considère la réalité, celle de l'actualité. La paix ne peut être visée aujourd'hui qu'à l'abri de la force, avec ténacité et patience, au travers d'une extension et d'une progression des droits de l'homme partout où cela est possible.

Bernanos a écrit, dans Les grands cimetières sous la lune, que « les hommes de ce temps ont la tripe sensible et le coeur dur ». Cette phrase fait mal, parce qu'elle est malheureusement vraie.

Considérant les droits de l'homme aujourd'hui, on devrait donc exclure « optimisme » et « triomphalisme ». Mais y renoncer, mes chers collègues, ce serait tout simplement renoncer à l'humanité. C'est exactement le contraire que nous voulons toutes et tous ici, ce soir, de toutes nos forces.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je m'associe évidemment à l'hommage qui a été rendu à notre regretté collègue Jacques Pelletier.

Dans le monde, des personnes sont empêchées de s'exprimer, empêchées d'agir, d'être libres, de faire valoir leurs droits. Elles subissent la répression, jusqu'à la mort. Des mineurs sont exécutés, des femmes lapidées, des homosexuels pendus.

En 2007, la France et l'ONU ont su donner un signe positif en interdisant la peine de mort « en toutes circonstances » pour l'une, en appelant à un moratoire mondial sur les exécutions pour l'autre. J'ai alors émis le voeu qu'à l'occasion des jeux Olympiques de 2008 la Chine et les Etats-Unis s'engagent sur un moratoire.

Mais, aujourd'hui, je suis indignée par la souffrance terrible du peuple de Gaza, assiégé, prisonnier sur son propre territoire, manquant de tout, images tragiques du peuple palestinien humilié.

Je suis indignée par la tragédie du peuple du Kenya, où les mutilations et les tueries ont déjà fait plus de 1000 morts, où plus de 255 000 personnes ont dû fuir. Je suis indignée par le drame vécu par le peuple du Tchad où, encore une fois, des innocents sont victimes des exactions des uns et des autres pour le pouvoir.

Ce n'est pas pour rien si, sur le plan international, des peuples nous demandent aujourd'hui des comptes en matière de génocides, de colonialisme.

Au Rwanda, où l'indicible s'est produit, on exige la fin de l'impunité, la reconnaissance des responsabilités, de toutes les responsabilités. Nous voudrions voir notre pays plus actif pour faire prévaloir la paix, le respect des peuples, le respect de chaque personne.

Promouvoir le respect des traités internationaux concernant les droits de l'homme, ce serait, pour le Gouvernement français, accepter enfin d'inscrire dans son projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale la compétence universelle et l'imprescriptibilité des crimes de guerre, qui sont précisément des instruments de lutte contre l'impunité et donc de respect des droits des individus et des peuples ; ce serait lever sans attendre la réserve de l'article 124.

Plus généralement, le fond du problème, c'est que près de la moitié de la population mondiale est humiliée, car elle subit la pauvreté, les inégalités, l'exode et le refus des pays riches - dont la France et l'Union européenne - de mener de véritables politiques de coopération et de développement permettant aux peuples de sortir de la misère et des dominations.

Pourtant, en 2002, Mme Mary Robinson, alors Haut-commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, disait : « Je suis toujours plus en colère quand je vois l'état du monde : le fossé inacceptable entre riches et pauvres, les inégalités de toutes sortes, en matière d'éducation, de santé, qui constituent autant de germes de conflit ».

Mme Louise .Arbour, qui lui a succédé, ne dit pas autre chose quand elle met en cause « la détermination des gouvernements à s'acquitter de leurs obligations ».

Fin 2008, nous célébrerons le soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Ses initiateurs ont eu le courage, au sortir de l'une des plus terribles catastrophes que le monde ait connues, l'holocauste, d'affirmer des droits fondamentaux pour les individus, pour les peuples, et d'en consacrer l'universalité. Il est de notre responsabilité de poursuivre ce chemin ; cela se prouve par des actes quotidiens.

L'année 2008, c'est aussi celle où la France accédera à la présidence de l'Union européenne. Le ministre de la défense tenait, le 31 janvier, des propos inquiétants dans Paris-Match concernant les « capitales européennes » : « tous sont conscients que 450 millions d'habitants représentant 25 % de la production mondiale doivent pouvoir défendre leurs intérêts et assurer leur sécurité ». Qu'est-ce à dire ?

C'est précisément au nom de leur sécurité que les Etats-Unis ont mis à mal des droits et des libertés. Mme la garde des sceaux soulignait ici même, il y a une semaine, que c'était l'émotion suscitée par la tragédie du 11 septembre qui avait permis le mandat d'arrêt européen.

Mais elle « oubliait », ce faisant, les « sites noirs de la CIA » externalisés par les Etats-Unis, y compris en Europe, pour se soustraire à l'interdiction de la détention arbitraire et de la torture qu'ils sont censés respecter. Elle « oubliait » la guerre en Irak et Guantanamo, que de plus en plus d'Américains eux-mêmes condamnent.

Il faut dire que, sur toutes ces graves atteintes aux droits de l'homme, nous n'avons pas beaucoup entendu la France et l'Union européenne.

Voilà où mènent la priorité donnée à la « logique des victimes » et l'instrumentalisation de leur souffrance !

C'est aussi au nom de la lutte contre le terrorisme que la France a intégré dans le droit commun des mesures dites exceptionnelles : réduction des droits de la défense, extension des écoutes téléphoniques, fichage généralisé, développement de la vidéosurveillance.

Avec les Vingt-Sept, elle a approuvé le transfert aux autorités américaines des fichiers des données passagers par les compagnies aériennes, au mépris des critiques émises par le Parlement européen.

Les pays occidentaux se sont érigés en seuls garants des droits des personnes ; ils en ont même fait une base idéologique pour leurs interventions, y compris par la guerre.

Or, on ne peut pas imposer la démocratie et les droits humains avec des bombes, pas plus qu'avec des contrats industriels ou commerciaux. Comme l'exprime le président de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, la CNCDH, M. Joël Thoraval, « le respect des droits essentiels, la démocratie, n'ont pas de meilleur émissaire qu'eux-mêmes ».

Quand la France et l'Europe fondent leur politique à l'égard des étrangers sur une logique sécuritaire, on ne peut pas dire qu'elles y contribuent.

Ainsi, promouvoir le respect des traités internationaux concernant les droits de l'homme, ce serait, pour notre pays, ratifier enfin la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

Évidemment, il y a un grand décalage entre le contenu de cette convention et le sort que la France fait subir aux travailleurs migrants : chasse aux sans-papiers, recul du droit d'asile, lois discriminantes avec l'immigration « choisie », les contrôles ADN ou les quotas envisagés par le Président de la République...

Quand au traité de Lisbonne, il confirme l'Europe comme un espace policier et judiciaire, une forteresse fermée aux étrangers.

D'ores et déjà, la « politique du chiffre » menée en France a, on le sait, des conséquences de plus en plus inhumaines.

Peu d'entre nous, hélas ! se donnent la peine de visiter des centres de rétention avant de voter des lois aggravant les reconduites aux frontières.

Quant au contrôleur général des lieux privatifs de liberté, nous ne savons toujours rien sur sa nomination.

Nous étions quelques parlementaires, le 19 janvier dernier, lors de la journée européenne contre l'enfermement des sans-papiers, au centre de rétention du Mesnil-Amelot.

Parmi leurs revendications, les détenus - car ce sont des détenus - inscrivent des demandes évidentes, comme une visite médicale préalable à l'admission en centre de rétention, des informations sur leur situation, des aliments qui ne soient pas en instance de péremption...

Mais c'est bien la question de fond qu'il faut se poser.

Les centres de rétention sont des prisons contrôlées par la police ; certains sont entourés de barbelés. Des femmes et des hommes y sont détenus, de plus en plus nombreux, avec 1 500 places aujourd'hui contre 786 en 2002, et de plus en plus longtemps : la durée de la rétention est passée de sept jours en 1981 à trente-deux jours en 2003, durée qui, si nous laissons passer une prochaine directive européenne, pourrait passer à dix-huit mois !

En 2006, 201 enfants ont été enfermés en centre de rétention, au mépris de la Convention internationale des droits de l'enfant.

Des hommes détenus au centre de rétention de Vincennes ont été jusqu'à la grève de la faim ; certains se mutilent ou tentent de se suicider pour échapper à un traitement humiliant pour tout être humain : chambres non chauffées, eau froide, nourriture immangeable, brimades

À propos de ce centre, où 250 détenus sont en attente d'une possible expulsion, le comité européen pour la prévention de la torture écrit dans son dernier rapport: que « la délégation a pu constater de visu le niveau d'infestation -tiques, puces, moustiques... - de certaines chambres » !

Dans ces prisons, on enferme des personnes considérées comme sans papiers, sous entendu sans papiers « valables » pour rester sur le territoire.

Est-il bien conforme aux droits universels de l'homme, au droit inaliénable de circuler à l'heure où l'on se plaît à nous dire que le monde est un village, d'être emprisonné sans avoir commis ni crime ni délit grave ?

La France ne livre pas au monde une bien belle image en ne résistant pas à cette effrayante conception de la sécurité.

Ainsi, promouvoir le respect des traités internationaux concernant les droits de l'homme, ce serait pour la France ratifier les textes internationaux positifs en matière de droits ; ce serait les appliquer elle-même et ne plus être montrée du doigt par des instances internationales, ne plus nourrir de rancoeurs.

Madame la secrétaire d'État, vous m'avez déjà répondu, quand je vous ai sollicitée, que votre fonction était de vous occuper des droits de l'homme dans le monde et non pas en France où ils étaient, selon vous - je vous cite approximativement -, acquis.

Permettez-moi de vous dire que, non seulement la France, si elle veut jouer un rôle, doit être en tête pour se plier aux règles internationales qui existent déjà, mais elle doit, sur son propre territoire, montrer l'exemple, montrer que l'on ne peut pas transiger, au nom, certes, de réalités qui souvent sont le fait des États, sur le rapport entre sécurité, prévention du terrorisme et violation des droits élémentaires des êtres humains.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je veux d'abord associer notre collègue Alima Boumediene-Thiery, qui n'a pu être présente ce soir, mais dont l'engagement pour la défense de la cause palestinienne et des droits de l'homme est connu de tous ici.

Vous l'aurez compris, et ce ne sera pas une surprise eu égard à une lourde hérédité familiale, je vais vous parler de la Palestine.

Le droit à la dignité est le premier droit de l'homme.

La liste est bien longue des errances françaises et des lâchetés internationales sur cette terre sainte.

Nous étions quelques-uns à penser que l'affaire du tramway de Jérusalem, dont je parlerai dans quelques minutes, avait marqué un point d'orgue, mais non ! Vous avez aimé le mur, vous avez aimé le tramway, vous allez adorer la suite, dans le silence - un silence assourdissant - et dans le recueillement...

La situation humanitaire à Gaza est désastreuse et l'image sans cesse transmise de ces Palestiniens, hommes, femmes et enfants, allant rechercher des denrées en Égypte est ou, plutôt, devrait être révoltante et insupportable au pays des droits de l'homme.

On sait tous le rôle que joue l'humiliation dans l'histoire, et quelques-uns l'ont rappelé ce soir. Que dire de ce peuple humilié et que penser de la reprise des attentats-suicides ? Quelle autre alternative donnons-nous à ce peuple qui n'a rien à perdre ? Et ce n'est pas M. Gouteyron, qui préside le groupe d'amitié France-Liban et connaît aussi les problèmes de la population palestinienne au Liban, qui me contredira !

Que dire de la construction du mur ? Humiliation et silence...

Cette construction, déclarée illégale par la Cour internationale de justice le 9 juillet 2004 et par la Cour suprême de justice israélienne le 14 décembre 2006, est une atteinte déplorable au droit des Palestiniens à circuler librement. Sa construction, violant les droits de propriétés des Palestiniens, est doublée d'une intensification du nombre de check points.

Que dire du tramway de Jérusalem, dont on a déjà un peu parlé ici, si ce n'est qu'il s'agit du triomphe du fait accompli ?

Rappelons que deux entreprises françaises, Alstom et Connex, ont remporté un appel d'offres pour un projet de tramway à Jérusalem ; seul petit bémol, l'itinéraire du tramway passe - léger détail ! - par des territoires occupés ! Il relie Jérusalem-Ouest à deux colonies juives de Jérusalem-Est, que Paris estime, jusqu'à preuve du contraire, « illégales ». Voila comment la France participe à une opération de plus de confiscation de Jérusalem-Est !

L'association France Palestine Solidarité, à laquelle s'est associée l'OLP, a engagé une procédure judiciaire contre les deux sociétés. Interrogé le 22 octobre dernier, le porte-parole du quai d'Orsay - votre ministère, madame la secrétaire d'État - a déclaré : « La question que vous évoquez relève des autorités judiciaires. Je rappelle cependant, comme nous l'avons déjà fait à plusieurs reprises, que la participation française à la construction du tramway de Jérusalem est le fait d'entreprises privées qui n'agissent en aucun cas pour le compte de l'État. Comme vous le savez, nous avons fait part de nos préoccupations aux dirigeants des entreprises concernées [...]. Cette situation qui est de nature commerciale ne reflète en aucun cas une évolution de la position française sur Jérusalem. »

Quelle magnifique réponse, mais, madame la secrétaire d'État, c'est mensonge et langue de bois !

En effet, le contrat pour le tramway a été signé, le 17 juillet 2005, en présence de l'ambassadeur de France, M. Gérard Araud, et dans les bureaux du premier ministre Ariel Sharon. Le bulletin de l'ambassade de France saluait « la cérémonie officielle de signature ». Ce n'est donc pas une affaire d'entreprises privées : c'est bien un contrat dans lequel la politique française est intervenue. Sinon, pourquoi l'ambassadeur aurait-il été présent à sa signature ? Je crois qu'il n'y a pas là de quoi être très fier !

Viennent ensuite les violations des règles fondamentales établies par des conventions internationales, des droits de la défense à la présomption d'innocence, en passant par les conditions de détentions : inventaire à la Prévert impossible à ignorer, sauf par qui ne veut ni voir ni entendre !

On citera, pêle-mêle, un rapport, intitulé Poursuites d'arrière-cour, de l'organisation israélienne Yesh Din - dont le nom hébreu fait référence à un droit en même temps qu'à un jugement - ou le très récent rapport du Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme du 29 janvier 2007 sur la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupés, condamnant, pour la deuxième ou la troisième fois, la « punition collective » infligée aux Palestiniens par la fermeture de la bande de Gaza.

Nous connaissons tous ici les outils dont on peut disposer pour tenter d'infléchir la politique d'un État : sanctions unilatérales ou pas, mesures de rétorsion, représailles sur les plans politique, diplomatique, commercial, économique ou financier.

Nous connaissons tous les difficultés politiques de la mise en oeuvre de telles procédures : les obstacles, on le sait, sont non pas juridiques, mais politiques.

Et qu'en est-il du fameux devoir d'ingérence ?

Pourquoi ne pas appliquer des sanctions ? Parce qu'il n'y a aucune volonté politique. Parce que chacun est las de ce conflit qui dure depuis si longtemps. Parce que de grandes embrassades sur le perron de l'Élysée ne font pas une politique. Parce que ce que n'a pas pu faire le « docteur Chirac », comme l'appelait Yasser Arafat, ce n'est pas Nicolas Sarkozy qui le fera, eu égard à notre alignement, désormais évident, sur la politique américaine.

Chaque occasion manquée, chaque humiliation de plus poussent, madame la secrétaire d'État, une nouvelle génération dans la voie du terrorisme.

Je vous le dis avec beaucoup d'inquiétude, moi qui ai partagé la vie et le combat d'un militant pour cette cause, le sénateur Daniel Goulet, fondateur de l'association parlementaire pour la coopération euro-arabe et des groupes d'amitié France-Palestine, ici et à l'Assemblée nationale : sans une paix juste et durable, la situation devient non seulement dramatique, mais totalement incontrôlable

À l'heure où le quai d'Orsay s'apprête à célébrer en grande pompe le soixantième anniversaire non pas seulement de la Déclaration universelle des droits de l'homme, mais aussi de la création de l'État d'Israël en prévoyant une grande exposition dans ses locaux, j'ai le regret de vous dire que le président Ahmadinedjan a raison lorsqu'il prétend que notre pays soutient la politique de l'État sioniste : c'est vrai, c'est lamentablement vrai, c'est lâchement vrai.

Madame la secrétaire d'État, vous avez dit non au Président Khadafi ; les membres du groupe d'information internationale France-Territoires palestiniens au Sénat, notamment sa présidente Monique Cerisier-ben Guiga, et Alima Boumediene-Thiery, vous demandent de dire non à tant d'injustices, qui sont autant de ferments et de justifications pour les terroristes de demain et d'éléments de fragilisation de notre sécurité intérieure.

M. Georges Othily applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, il y a presqu'un an nous révisions notre Constitution pour ajouter une phrase qui pouvait paraître à certains symbolique : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort ».

Pourtant, en inscrivant dans notre loi fondamentale l'interdiction de la peine de mort, nous mettions notre pays en accord avec les conventions internationales et au diapason des autres pays européens qui, pour certains, avaient depuis longtemps inscrit dans leur Constitution l'interdiction de la peine capitale.

La France, patrie des droits de l'homme, ne pouvait rester en retrait de ses partenaires européens sur ce sujet. Par cet acte, nous avons témoigné fortement de notre attachement aux valeurs de la dignité humaine en donnant un caractère quasi irréversible à la peine de mort.

Par cette inscription solennelle, nous achevions également un processus vers « l'abolition pure, simple et définitive » engagé depuis plus de vingt-cinq ans ; nous rejoignions enfin le propos de Victor Hugo selon lequel « une Constitution qui [...] contient une quantité quelconque de peine de mort n'est pas digne d'une République ».

Le combat, long et difficile, de l'abolition, gagné en France, doit désormais se poursuivre hors de nos frontières. Le droit de toute personne à la vie est en effet un droit universel.

Ce mouvement s'inscrit d'ailleurs pleinement dans un mouvement international puisque l'application de la peine de mort recule chaque année et que le nombre d'États abolitionnistes est devenu majoritaire dans le monde.

La France a été ainsi le dix-septième pays de l'Union européenne à conférer à la prohibition de la peine de mort valeur constitutionnelle.

Cependant, de nombreux pays, et non des moindres, pratiquent encore la peine de mort. Quelles actions notre pays peut-il mener pour convaincre ces pays d'abandonner ce châtiment contraire aux droits de l'homme ?

Ce sont ainsi soixante-neuf pays qui continuent d'appliquer cette peine.

En Afrique, vingt-deux États connaissent encore la peine de mort, le Libéria et le Sénégal ayant rejoint le camp abolitionniste récemment.

En Asie, ce sont encore trente États qui exécutent, dont le Japon, la Chine, l'Inde, l'Indonésie, les deux Corée, mais aussi la plupart des pays du Moyen-Orient.

Selon le rapport d'Amnesty International, en 2006, ce sont encore 3 861 personnes qui ont été condamnées à mort dans cinquante-cinq pays et au moins 1 591 personnes qui ont été exécutées dans vingt-cinq pays. Ces chiffres sont certainement en deçà de la réalité puisqu'il ne s'agit que des cas dont Amnesty International a eu connaissance.

L'immense majorité de ces exécutions sont le fait d'une minorité de pays : 91 % des exécutions recensées en 2006 ont en effet eu lieu dans six pays ! Il s'agit de la Chine, de l'Iran, du Pakistan, de l'Irak, du Soudan et des États-Unis. Toujours selon l'organisation internationale, entre 19 185 et 24 646 condamnés à mort seraient aujourd'hui dans l'attente de leur exécution.

S'agissant de la Chine, qui pratique massivement la peine capitale et où il est très difficile de connaître la réalité des exécutions puisqu'aucune donnée officielle n'est disponible, Amnesty International évoque 1010 personnes exécutées en 2006, mais certaines sources laissent penser qu'entre 7500 et 8000 exécutions auraient eu lieu cette année-là, ce qui place bien sûr la Chine en tête des pays pratiquant la peine de mort.

La communauté internationale doit profiter de l'organisation des jeux Olympiques, cet été à Pékin, pour faire pression sur les dirigeants chinois à propos de ce dossier. Les progrès économiques doivent s'accompagner d'avancées démocratiques sur la question des droits de l'homme, que ce soit sur la peine de mort ou encore sur la situation du Tibet, cher à notre collègue Louis de Broissia.

Aux États-Unis, ce sont cinquante-trois condamnés à mort qui ont été exécutés dans douze États. Je m'arrêterai sur ce pays pour une raison évidente : le maintien de la peine capitale dans la plus ancienne et la plus puissante des démocraties constitue un obstacle majeur à la cause abolitionniste.

Il s'agit d'un enjeu essentiel parce que les États-Unis restent, avec le Japon, le plus important régime démocratique à recourir à la peine capitale et qu'ils ont, malheureusement, valeur d'exemple pour de nombreux pays.

Alors qu'au début des années 1970, la pratique de la peine capitale était quasiment tombée en désuétude - la Cour suprême déclara en 1972 qu'elle constituait un châtiment inutile et dégradant -, les condamnations et exécutions ont repris depuis 1977, à la suite du revirement de jurisprudence de la Cour suprême de 1976. Depuis cette date, ce sont 1060 personnes, dont 379 au Texas, qui ont été exécutées ; la peine de mort figure dans la législation de 38 des 50 États de l'Union et elle a été instaurée de nouveau au niveau fédéral en 1988.

De plus en plus de voix s'élèvent pour demander l'abolition d'une peine qui met en lumière les faiblesses d'une société et ses inégalités sociales et raciales. L'erreur judiciaire mine le système : le nombre de condamnés à mort reconnus innocents après des décennies de procédures, parfois in extremis, est impressionnant, puisque 122 personnes seraient dans ce cas depuis 1973, sans compter celles qui ont été exécutées alors que leur innocence aurait pu être établie en recourant à des tests ADN. La peine de mort aux États-Unis peut s'apparenter à une loterie sanglante.

Toutefois, il convient de relever que, face à ces risques d'erreur flagrante, la Cour suprême des États-Unis s'attache à réduire le domaine de la peine de mort, notamment en interdisant l'application de ce châtiment aux déments et aux déficients mentaux et en refusant l'exécution des condamnés mineurs lors de l'accomplissement du crime.

Notons également que la peine de mort est devenue le talon d'Achille de l'Amérique dans presque toutes les instances multilatérales qui traitent des droits de l'homme ; espérons que cette situation aura un effet sur l'évolution de ce pays sur cette question.

Nous ne pouvons que constater et déplorer la persistance d'un nombre non négligeable d'États non abolitionnistes. Cependant, l'abolition de la peine de mort constitue à l'échelle du droit international un but ultime dans le domaine des droits de l'homme : depuis plus de vingt-cinq ans, traités, protocoles et déclarations se multiplient pour engager les États sur le chemin de l'abolition universelle de la peine de mort.

Ainsi, le Conseil de l'Europe joue un rôle majeur dans ce mouvement, tout comme, à l'échelle internationale, les Nations unies. Nous disposons d'outils juridiques internationaux pour promouvoir l'abolition.

À l'échelon du continent européen, c'est le protocole n° 6 additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, entré en vigueur au 1er mars 1985, qui a constitué le premier instrument juridiquement contraignant prévoyant l'abolition de la peine de mort en temps de paix. Avec le protocole additionnel n° 13 à la Convention, relatif à l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances, qui a été adopté par le Conseil de l'Europe à Vilnius le 3 mai 2002, un pas ultime a été franchi en direction de l'abolition de la peine de mort.

Ces protocoles ont marqué la reconnaissance du droit à la vie comme attribut inaliénable de la personne humaine et comme valeur suprême dans l'échelle des droits de l'homme au niveau international.

L'Europe est ainsi devenue une zone libérée de la peine de mort et l'abolition fait partie intégrante du socle des valeurs européennes puisque, je le rappelle, 43 des 44 États parties à la Convention européenne des droits de l'homme sont abolitionnistes. A ainsi été consacré en Europe le principe selon lequel la démocratie, fondée sur les droits de l'homme, est incompatible avec la peine de mort.

Toutefois, les tentatives de rétablissement de la peine de mort existent. Ainsi, en 2006, le président conservateur polonais Lech Kaczynski a réclamé, en évoquant la tenue d'un référendum sur ce sujet dans son pays, le rétablissement de la peine capitale en Pologne, mais aussi dans l'ensemble de l'Europe.

Sur le plan mondial, c'est le deuxième protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort, adopté à New York le 15 décembre 1989, qui engage les pays signataires à abolir la peine capitale. Il est venu compléter le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, qui limitait la peine de mort aux crimes les plus graves. Il s'agit du premier traité abolitionniste universel.

Par ailleurs, la communauté internationale a limité plus fortement le nombre des cas où la peine de mort pouvait être prononcée ou exécutée, en réaffirmant l'interdiction concernant les mineurs, les femmes enceintes, les jeunes mères et les personnes âgées.

Progressivement, nous le voyons, la prohibition de la peine de mort devient un principe du système juridique international, comme le prouve le rejet de cette peine par les juridictions internationales pourtant appelées à juger des crimes les plus graves, comme la Cour pénale internationale.

Au-delà des instruments juridiques, les institutions internationales incitent les États à adopter un moratoire. Ainsi, la commission des droits de l'homme des Nations unies, devenue Conseil des droits de l'homme, appelle depuis plusieurs années à l'abolition universelle de la peine de mort, dont la première étape serait un moratoire général.

L'Union européenne s'est elle aussi engagée sur cette voie. Estimant que ce châtiment n'a pas sa place dans le système pénal des sociétés démocratiques et que l'abolition de la peine de mort contribue au renforcement de la dignité humaine et au développement progressif des droits de l'homme, elle a, dans « l'appel de Strasbourg » de juin 2001, demandé aux États qui pratiquent la peine capitale ou la prévoient dans leur législation d'instaurer un moratoire des exécutions et d'abolir définitivement cette peine.

Madame la secrétaire d'État, il nous faut poursuivre ce combat. Il est nécessaire de convaincre les dirigeants des États non abolitionnistes de l'inutilité, qui est aujourd'hui largement admise, de la peine de mort ; convaincre que celle-ci n'est pas dissuasive et qu'aucune étude de criminologie n'a pu démontrer un lien entre la peine de mort et la courbe de la criminalité ; convaincre, enfin, que sa pratique est soumise à des erreurs judiciaires patentes.

Espérons que l'action de la communauté internationale fera comprendre aux opinions publiques que la peine de mort est toujours synonyme de « défaite de l'humanité », pour reprendre les mots de notre éminent collègue Robert Badinter.

Au terme de cette intervention, je souhaite, madame la secrétaire d'État, vous poser cette question très simple : comment le Gouvernement entend-il agir à l'échelle internationale pour convaincre des pays non abolitionnistes d'abandonner cette peine, qui constitue, pour suivre notre illustre collègue Victor Hugo, le « signe spécial et éternel de la barbarie » ?

Applaudissements

Debut de section - Permalien
Rama Yade, secrétaire d'État chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d'abord m'associer à l'hommage que vous avez rendu à Serge Vinçon, le regretté président de la commission des affaires étrangères du Sénat, qui aura laissé la marque d'un président rigoureux et juste au sein de cette institution.

J'ai également une pensée forte pour Jacques Pelletier, qui, lui aussi, nous a quittés. C'était un homme et un élu au dévouement sans faille pour la cause des droits de l'homme, en France et dans le monde.

Je souhaite ensuite vous remercier, monsieur Othily, d'avoir eu l'initiative du débat qui nous réunit ce soir. Je ne puis que me satisfaire de l'intérêt que vous portez à la question des droits de l'homme et, à travers vous, de l'importance qu'accorde le Sénat à cette question. Cet intérêt est pour moi un encouragement dans l'accomplissement de ma mission, en même temps qu'une obligation - « ardente », selon la formule consacrée - de résultats.

Avant de répondre avec autant de précision qu'il me sera possible aux questions que vous m'avez posées, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de définir le cadre général dans lequel j'ai inscrit mon action de secrétaire d'Etat chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme.

J'ajouterai que j'exerce bien évidemment la mission qui m'a été confiée sous l'autorité du Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, et du ministre des affaires étrangères, M. Bernard Kouchner, qui ont chacun à coeur de faire vivre cette dimension des droits de l'homme dans notre politique extérieure.

Afin d'être bien claire, je rappellerai tout d'abord que je ne suis pas en charge des droits de l'homme en France, ce qui ne veut pas dire que je ne suis pas sensible à cette question. Lorsque la France se trouve condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme, cela ne me fait jamais plaisir, car lorsqu'il me faut intervenir à l'étranger, je préfère parler au nom d'un pays exemplaire.

Nous pouvons tous ici être d'accord pour affirmer que notre pays attache au respect des droits humains une place essentielle : les droits de l'homme font aussi partie de notre identité nationale.

Certes, nous ne devons jamais nous endormir sur nos lauriers ; il nous faut toujours être vigilants. Mais, de grâce, ne cédons pas au relativisme culturel qui conduit à penser que tout se vaut et que, puisqu'il arrive à la France d'être imparfaite, elle est très mal placée pour critiquer les imperfections des autres. Il y a, chez nous, en France, et dans les démocraties en général, des valeurs fondamentales qui ne sont pas négociables.

M. de Rohan citait dans son intervention des propos de M. Védrine nous invitant à la modestie. M. Védrine a raison, s'il entend par modestie le refus de l'arrogance. Mais sachons également rester ambitieux.

Qu'on le veuille ou non, la « patrie des droits de l'homme » est une marque de notre histoire, que nous ne pouvons ni ne devons renier. Elle nous est d'ailleurs régulièrement rappelée par les peuples étrangers, par les opposants, dissidents et défenseurs des droits de l'homme pourchassés dans le monde. Elle constitue une incitation permanente à assumer notre devoir. Car c'est bien de cela qu'il s'agit : un devoir, une responsabilité.

Pour le reste, que nous ne soyons pas les seuls à pouvoir revendiquer cette mission ne peut être que positif, tant la tâche est immense. Bien sûr, nous ne disposons pas d'une formule magique pour faire en sorte que les droits de l'homme soient respectés en Russie, en Chine, dans le monde arabe, en Afrique, mais est-ce une raison pour arrêter de nous battre ?

Quand vous vous déplacez à l'étranger et que vous rencontrez des défenseurs des droits de l'homme, vous lisez dans leurs yeux cette attente vis-à-vis de la France, parce que, pour eux, la France c'est avant tout la « patrie des droits de l'homme » et être Français c'est être libre. Devrions-nous par avance refuser ce défi ? Je suis bien convaincue que non.

Comme l'a souligné M. de Rohan, le Président de la République a fait de la promotion des droits de l'homme l'une des toutes premières priorités de l'action diplomatique de la France.

Affaires étrangères et droits de l'homme, cette association est, a priori, paradoxale. En effet, si le rôle de notre diplomatie est de défendre les intérêts de notre pays, le combat pour les droits de l'homme dans notre politique étrangère peut se heurter, bien évidemment, à la poursuite de ces intérêts.

Néanmoins, cette vision du caractère inconciliable de la promotion de nos intérêts et de la lutte pour les droits de l'homme, qui a été, du moins théoriquement, une constante de la politique extérieure française, a bien changé, et d'abord parce que le Président de la République s'est inscrit en faux avec cette vision.

Alors qu'il était candidat, il déclarait, le 28 février dernier : « notre identité démocratique nous destine à promouvoir la liberté et le respect des droits de l'individu dans le monde [...] Valeurs et intérêts, en réalité, se rejoignent. Il faut refuser l'opposition stérile entre réalisme et idéalisme ». Et le 6 mai dernier, au soir de sa victoire, il ajoutait : « Je veux lancer un appel à tous ceux qui, dans le monde, croient aux valeurs de tolérance, de démocratie et d'humanisme, à tous ceux qui sont persécutés par les tyrannies et par les dictatures, à tous les enfants et à toutes les femmes martyrisés dans le monde, pour leur dire que la France sera à leurs côtés, qu'ils peuvent compter sur elle ».

À titre d'exemple, lorsqu'il s'est rendu en Inde voilà quelques jours, le Président de la République a eu à coeur de plaider auprès des autorités indiennes la cause de Taslima Nasreen qui, comme vous le savez, est cette écrivaine du Bengladesh qui a été menacée de mort par une fatwa et qui erre de ville en ville en Inde. De même a-t-il contribué fortement à la libération des infirmières bulgares.

Je crois que son message est passé et s'est concrétisé.

Ainsi, dès son entrée en fonction, Nicolas Sarkozy a mis en adéquation ses actes avec ses déclarations. Espérons que les objectifs pourront être atteints en ce qui concerne la libération d'Ingrid Betancourt et des autres otages des FARC, les forces armées révolutionnaires de Colombie. Nous y travaillons en tout cas au quotidien !

Permettez-moi aussi de vous exprimer une conviction personnelle : dans un monde de plus en plus dangereux, où les risques de prolifération nucléaire s'accroissent, où les groupes terroristes multiplient les tentatives pour acquérir, avec la complicité de certains États, des armes chimiques, biologiques et nucléaires, notre intérêt est, plus que jamais, de promouvoir la démocratie et les droits de l'homme.

Si, dans le passé, on pouvait s'accommoder de l'existence de dictatures lointaines, aujourd'hui, il n'y a plus de lointain. Tout est devenu proche : une Corée du Nord dotée de missiles à longue portée est devenue notre voisine.

Je suis donc convaincue, comme vous, j'en suis sûre, que les États de droit qui respectent les libertés fondamentales de l'être humain sont moins dangereux pour la paix du monde que les autres. Le propos de Kant sur les démocraties qui ne se font pas la guerre entre elles est toujours, et peut-être plus que jamais, d'actualité.

J'en viens maintenant à ma mission elle-même, ce qui me permettra de répondre à certaines des interrogations qui ont été exprimées.

Le sénateur Georges Othily évoque des droits de l'homme qui se multiplient, au point que l'on a du mal à distinguer l'essentiel de l'accessoire ; je sais que les puristes des droits de l'homme, les tenants de leur caractère indivisible, c'est-à-dire du « tout ou rien », pourraient être choqués par de tels propos.

Le principal écueil que je souhaite éviter est celui du « droit de l'hommisme ». Invoquer les droits de l'homme à tout propos ne peut que se retourner contre nous : nous pourrions entendre des chefs d'État, qui n'ont qu'un souverain mépris pour ces droits, nous accuser de ne pas les respecter nous-mêmes. On a ainsi pu entendre, à la tribune de l'ONU, le président iranien invoquer plusieurs fois les droits de l'homme, pour mieux accuser l'Occident de ne pas les respecter. Entendre cela du président d'un pays où une femme vaut la moitié d'un homme ne peut pas manquer de nous faire réagir !

La promotion des droits de l'homme ne vise pas les droits à tout et à n'importe quoi. Pour moi, c'est avant tout le droit à vivre dans la paix et la sécurité, un droit indissociable de celui de vivre libre.

C'est pour en rester à l'essentiel que j'ai décidé, dès le début de ma mission, de me fixer des priorités. L'action politique consiste en effet à faire des choix, car le champ est vaste. De nouveaux droits économiques et sociaux ont fait leur apparition et méritent également qu'on leur accorde une attention particulière. Toutefois, si l'on veut être efficace, il est plus aisé de se concentrer sur quelques axes fondamentaux ; j'en ai choisi trois.

Ma première priorité concerne les femmes et les enfants, qui sont les premières victimes des sociétés archaïques ou des conflits ; les enfants-soldats ou les femmes victimes de violence sont au coeur de mon action.

Ma deuxième priorité est la liberté d'expression, en particulier la liberté de la presse.

Ma troisième priorité porte sur la justice pénale internationale, qui permet de montrer que les droits de l'homme ne sont pas que des mots et qu'il n'est plus possible de tuer impunément, à l'abri de ses frontières, sans avoir un jour à rendre des comptes.

Bien sûr, ces trois priorités ne m'interdisent pas d'intervenir dans d'autres domaines, comme la lutte pour l'abolition universelle de la peine de mort, la violation massive des droits de l'homme dans certains conflits, comme celui du Darfour, ou la répression brutale des manifestations pacifiques des Birmans. Nous nous devons d'être à la hauteur de notre réputation, quitte parfois à être transgressifs. Il est vrai que cela peut nous coûter cher, notamment en termes d'intérêts. Il faut donc trouver un équilibre.

C'est cet argument qui est avancé, notamment à propos de la Chine. Mais cette position ne me convainc pas : après tout, les États-Unis n'hésitent pas, pour leur part, à évoquer la question des droits de l'homme avec les Chinois, tout en concluant avec eux des contrats commerciaux. Comme vous, madame Morin-Desailly, je pense que l'on ne peut pas ignorer cette question, à six mois de la tenue des jeux Olympiques à Pékin, même s'il ne faut pas se focaliser exagérément sur cet événement. Sans vexer, sans blesser, sans humilier, j'estime possible de rappeler la Chine à ses devoirs. Elle sera bientôt la vitrine du monde, le temps des jeux Olympiques. De ce fait, elle ne peut se permettre d'offrir une image régressive de l'olympisme.

C'est dans cet esprit que le Président de la République a parlé de la peine de mort et de la liberté d'expression avec les dirigeants chinois. C'est également dans cet esprit que je suis intervenue, voilà deux jours, auprès des autorités chinoises pour défendre le cas de M. Hu Jia, un blogger dont la liberté d'expression lui a valu des ennuis judiciaires.

Les Français ne comprendraient pas nos silences face à certaines violations des droits de l'homme qui les choquent. Notre activisme en la matière doit toutefois se fonder sur une méthode.

Ainsi, face à une certaine impatience médiatique et à une volonté d'indignation systématique, il faut parfois savoir rester discret pour être efficace ; je pense, par exemple, à la Tunisie. Si l'on veut obtenir la libération d'un prisonnier politique comme maître Abbou, la discrétion doit, dans un premier temps, être de mise ; c'est l'attitude que le Président de la République et moi-même avons adoptée lorsque nous nous sommes rendus dans ce pays au mois de juillet dernier. Plutôt que de faire du tapage médiatique et risquer ainsi d'aggraver la situation de ce prisonnier, j'ai considéré que mon devoir était d'abord d'expliquer aux autorités tunisiennes pourquoi l'emprisonnement de cet homme était choquant et nuisait à l'image de la Tunisie. Si cette approche se révèle inefficace, alors nous prendrons l'opinion publique à témoin.

En procédant ainsi, j'essaie d'éviter de montrer du doigt les autorités tunisiennes, de blesser ou d'insulter, ce qui n'aurait pour résultat que de braquer les autorités en question et de prolonger le calvaire du prisonnier.

Cette méthode n'interdit pas la fermeté. Il n'est pas acceptable, par exemple, que les droits de l'homme soient remis en cause par certains pays, qui considèrent que le développement économique doit primer sur le respect des droits humains ou qui préfèrent le particularisme de leur culture à l'universalité de ces droits.

En ce qui me concerne, je ne crois pas du tout à l'approche culturaliste, selon laquelle certaines traditions interdiraient à des catégories de la population d'avoir accès à ce type de droits. En effet, si je respecte les traditions de certains pays, je considère qu'on ne peut résolument pas, au nom de ces traditions, accepter que des femmes soient lapidées ou des adolescents pendus en place publique. On ne peut pas non plus, au nom de ces traditions, accepter que des femmes s'immolent par le feu après un viol, pour échapper à un mariage forcé, ou après une telle union.

Enfin, nous nous devons d'être en contact permanent avec les défenseurs des droits de l'homme partout où ils sont. Il est important que nos ambassades soient les avant-postes de la défense des droits de l'homme. Lorsqu'un opprimé ou un militant des droits de l'homme frappe à la porte de l'une de nos ambassades, l'ambassadeur a le devoir de lui ouvrir sa porte, ne serait-ce que pour lui prêter une oreille attentive.

C'est pourquoi, lors de la Conférence des ambassadeurs, au mois d'août dernier, j'ai fait part de ma volonté de voir nos postes devenir des maisons des droits de l'homme. En France, nous ne devons pas hésiter à élargir nos partenariats à des acteurs très engagés en matière de politique étrangère - je pense aux parlementaires ou aux collectivités territoriales -, notamment dans leur dialogue avec les sociétés civiles.

La méthode dépend donc du contexte. Le pragmatisme et la recherche de l'efficacité doivent prévaloir.

Au-delà de mes déplacements, je souhaite ne jamais oublier les priorités que je me suis fixées : la liberté d'expression et l'égalité des droits entre les femmes et les hommes. Ce sont sans doute les deux meilleurs critères à l'aune desquels on peut juger de la vie démocratique d'un pays.

En ce qui concerne les violations massives et systématiques des droits de l'homme, monsieur Othily, vous avez cité le Darfour, la Tchétchénie, l'Ouzbékistan, le Kenya et le Tchad, pays pour lesquels notre mobilisation est permanente. Hélas ! la liste des pays dans lesquels les hommes et les femmes ne sont pas assurés de leurs droits fondamentaux pourrait s'allonger de dizaines d'autres noms !

Le combat pour les droits de l'homme dans notre politique étrangère ressemble souvent à l'oeuvre de Pénélope ou aux travaux d'Hercule, comme l'a relevé M. del Picchia : on a l'impression qu'une victoire un jour est suivie d'un échec le lendemain. Certes, des institutions existent - Conseil des droits de l'homme des Nations unies, Conseil de l'Europe, Cour européenne des droits de l'homme... -, mais nous devons sans cesse, dans notre action diplomatique, ranimer et faire vivre nos principes.

Pour redonner une nouvelle force à notre message, je souhaite provoquer une réunion de tous nos partenaires européens, afin de rassembler nos forces autour d'un message simple et clair, qui soit conforme à l'idéal européen. Je compte aussi me rendre au Conseil des droits de l'homme, au début du mois de mars, pour rappeler notre message et évoquer la question du suivi de la conférence de Durban, qui aura lieu en 2009.

Enfin, cette année, la France a deux rendez-vous qu'elle ne peut ni ne doit manquer : la présidence de l'Union européenne et le soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'Homme. La coïncidence entre ces deux événements majeurs est l'occasion pour notre pays d'être à la hauteur de l'héritage de ses ancêtres, qui lui ont légué le beau titre de gloire de « patrie des droits de l'homme ». Il s'agit pour la France non pas de faire une commémoration de plus, mais de revivifier, avec le soutien de tous ses partenaires européens, les principes et les valeurs pour lesquels des hommes et des femmes ont lutté, souvent au péril de leur vie. Il est plus que temps de réaffirmer haut et fort ce en quoi nous croyons et pour quoi nous sommes prêts à lutter, même s'il y a un prix à payer.

Telle est la présentation générale que je tenais à faire devant votre Haute Assemblée, mesdames, messieurs les sénateurs. Je tenterai à présent de répondre brièvement à vos questions, sans prétendre à l'exhaustivité. En effet, la variété des problèmes liés à la protection des droits de l'homme justifierait presque un débat spécifique pour chaque sujet.

Monsieur Othily, vous avez exprimé votre préoccupation sur le cas très particulier des coupeurs haïtiens de canne à sucre en République dominicaine. Vous savez l'attachement que je porte à Haïti, où je suis allée au mois de septembre dernier. Jean-Marie Bockel s'y est également rendu pour le deux cent troisième anniversaire de l'indépendance, le 1er janvier dernier. Le Président de la République lui-même s'est engagé à faire ce déplacement, ce qui serait historique, car aucun chef d'État français n'a encore été reçu en Haïti depuis l'indépendance de ce pays.

Le nombre d'émigrés haïtiens en République dominicaine atteindrait environ 1 million de personnes, des clandestins, pour la plupart. Il s'agit d'une émigration Sud-Sud qui part d'un pays déshérité, Haïti, vers un pays à l'économie certes dynamique, mais qui doit lui aussi faire face au problème de la pauvreté. Le nombre des coupeurs de canne haïtiens en République dominicaine n'est pas facile à déterminer, mais concernerait plusieurs dizaines de milliers de personnes. L'exposition « Esclaves au paradis » organisée l'an dernier par Amnesty international a jeté une lumière crue sur cette situation.

Si les conditions de vie des coupeurs de canne haïtiens demeurent indécentes, certains propriétaires fonciers ont pris cependant conscience du problème et construisent des logements, des cantines, installent l'électricité, l'eau courante. Avec la baisse de l'exploitation de la canne à sucre, le nombre des coupeurs de canne est amené à se réduire mécaniquement. Nous y comptons bien !

Si nous voulons vraiment aider les coupeurs de canne à sucre haïtiens, nous devons contribuer à maintenir un dialogue amical entre Haïti et la République dominicaine, malgré le passé. Ancienne colonie française et pays francophone, Haïti figure dans la zone de solidarité prioritaire de notre coopération. Mais nous y avons aussi inclus la République dominicaine, parce que la situation de ces deux pays ne peut être traitée séparément. C'est sur ce point que nos projets de coopération se concentreront ; l'Union européenne travaille elle aussi sur ce sujet. Ainsi a-t-elle construit dans la localité de Dajabón un marché binational, haïtien et dominicain.

MM. Othily, de Rohan et del Picchia, se sont interrogés sur la mise en oeuvre, au sein du ministère des affaires étrangères et européennes, de la nouvelle impulsion donnée à la dimension des droits de l'homme dans la politique extérieure de la France.

Je tiens à souligner que la priorité que nous accordons à la défense des droits de l'homme dans notre politique étrangère n'est pas seulement formalisée dans la stratégie de gouvernance développée au travers de nos programmes de coopération, comme le soulignait M. de Rohan. C'est ainsi que les « accords de sécurité intérieure » que nous sommes amenés à négocier avec de nombreux partenaires excluent tout échange de données personnelles avec ceux d'entre eux qui ne donnent pas les garanties requises de respect de l'état de droit.

En outre, une série d'instruments très divers existe. L'attention des ambassades a été appelée sur la situation des défenseurs des droits de l'homme par voie de circulaire. J'ai rappelé l'importance que nos postes devaient accorder à cette question. L'impulsion passe aussi par les déclarations, les discours, les communiqués de presse officiels et leur diffusion dans nos ambassades. Je n'oublie pas non plus les instruments européens que sont les lignes directrices servant de cadre pour les actions en matière de droits de l'homme ; on en dispose sur cinq thèmes très importants : peine de mort, enfants-soldats, torture, défenseurs des droits de l'homme, droits de l'enfant.

Il faut également laisser un peu de souplesse aux ambassades, qui doivent adapter nos directives aux contraintes du terrain. J'observe à cet égard que de plus en plus de chefs de postes choisissent de confier à un diplomate de leur chancellerie politique un suivi spécifique de la question des droits de l'homme dans leur pays de résidence.

En ce qui concerne le suivi des conventions internationales, celles-ci sont très nombreuses et nous avons effectivement du retard en la matière ; c'est un peu la rançon du succès, car nous comptons au nombre des bons élèves qui sont parties à la quasi-totalité des textes internationaux.

Nous faisons tout pour rattraper ce retard. Ainsi, en 2008 et 2009, nous prévoyons de présenter cinq rapports. Le rapport sur la discrimination à l'égard des femmes a été présenté au mois de janvier dernier. Le rapport sur la Convention des droits de l'enfant et le rapport sur le Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels ont été transmis. Le rapport sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le rapport sur la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sont en cours de préparation. Comme vous pouvez le constater, nous mettons les bouchées doubles pour être exemplaires !

Monsieur del Picchia, vous avez évoqué la non-ratification de « certains protocoles et conventions ». Je suppose que vous pensiez au protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Les deux textes sont en cours d'examen au Conseil d'État : celui-ci vient d'émettre un avis favorable sur le premier, tandis que le second, dont la France est à l'origine et figure parmi les premiers signataires, vient de lui être transmis.

Madame Durrieu, vous avez évoqué la laïcité. Il s'agit de la forme typiquement française de protection de l'un des droits de l'homme les plus fondamentaux, la liberté de croyance, qui doit s'entendre comme la liberté de croire ou de ne pas croire. Vous avez raison, madame le sénateur, de souligner qu'elle constitue un fondement, inscrit dans notre Constitution.

Le Président de la République n'a rien dit d'autre dans ses discours prononcés au Vatican et en Arabie saoudite. À Saint-Jean de Latran, il a fait l'éloge d'une laïcité positive, qui est « tout autant que le baptême de Clovis [...] un fait incontournable dans notre pays » ; à Riyad, il a souligné l'importance de « faire en sorte que chacun, qu'il soit juif, catholique, protestant, musulman, athée, franc-maçon ou rationaliste, se sente heureux de vivre en France ».

Ce ne sont pas là des propos complaisants pour ses hôtes. Ils dessinent une ligne d'action politique qu'il avait déjà annoncée dans un livre d'entretiens paru en 2004 et intitulé La République, les religions, l'espérance : elle consiste non pas à prononcer le décès de la laïcité, mais bien au contraire à la vivifier en l'adaptant à des réalités qui ne sont plus les mêmes qu'il y a un siècle.

On peut se demander s'il est normal que l'entretien des édifices des cultes catholique, protestant et juif soit assuré par les communes dans la mesure où ils existaient déjà avant 1905, alors que tel n'est pas le cas des édifices de la religion islamique, religion dont le nombre de pratiquants sur notre sol s'est accru depuis.

Ne pas trouver de solution à ce problème reviendrait à ouvrir la voie à toutes les dérives fondamentalistes et radicales, à un islam des garages. Tel est le sens de la fondation pour l'islam de France, habilitée à recueillir les financements étrangers destinés à créer de nouveaux lieux de culte islamique, dont le Gouvernement vient de favoriser la création.

Je ne veux pas aller plus avant dans la description de cette politique, qui dépend d'abord de ma collègue Michèle Alliot-Marie, chargée des cultes.

Le Président de la République m'a fait l'honneur de me nommer secrétaire d'État au sein du ministère des affaires étrangères. Vous connaissez sans doute ce mot célèbre de Léon Gambetta, pour lequel la laïcité n'est pas un « article d'exportation ». Je ne vois rien d'autre dans le propos présidentiel que la volonté de mieux prendre en considération l'explosion du fait religieux dans les relations internationales, constat qui ne menace en rien la laïcité française. C'est d'ailleurs pour cela que Bernard Kouchner a lancé, au sein de notre ministère, une réflexion sur le sujet visant à renforcer les instruments d'analyse du phénomène religieux.

Vous avez également évoqué le Conseil de l'Europe. Vous avez raison, son rôle est important en matière de défense des droits de l'homme sur un espace européen plus large que l'Union européenne. Vous lui rendez justice parce qu'on en parle trop peu, tout comme la Cour européenne des droits de l'homme ; j'ai reçu les principaux responsables et je suis allée rendre visite aux autres.

Vous avez parlé, madame Durrieu, de la Transnistrie. Nous nous sommes rendues toutes les deux en Moldavie, au mois de juillet. Ce fut d'ailleurs mon premier déplacement à la suite de ma prise de fonction. Croyez bien que le Conseil de l'Europe n'est pas négligé au sein de l'Union européenne, dont les décisions sont complémentaires. Ainsi, le traité de Lisbonne, signé le 13 décembre dernier, ne s'oppose pas au Conseil de l'Europe. Ce traité a pour objet essentiel d'améliorer les traités existants d'Amsterdam et de Nice. Il ne présente pas de caractère constitutionnel et sa ratification ne nécessite pas de référendum. C'est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez avalisé la révision de la Constitution, avant-hier, en vue de cette ratification.

Monsieur del Picchia, je veux, en cet instant, revenir sur vos propos et aborder la notion de réconciliation. Comme vous le savez, le Président de la République a évoqué dans son récent discours au corps diplomatique du 8 janvier une « diplomatie de la réconciliation », qui correspond au fait que « la France doit parler avec tout le monde », attitude qui n'est pas contradictoire avec la promotion et la défense des droits de l'homme, puisqu'elle laisse la porte ouverte aux dirigeants qui voudraient corriger les erreurs du passé. À défaut de gages suffisants, il est mis fin à la politique de réconciliation, comme ce fut le cas avec la Syrie, notamment.

Au terme « rédemption », parfois employé dans la presse, je préfère l'expression « réinsertion dans la communauté internationale », car il est très difficile aujourd'hui pour un pays, quel qu'il soit, de rester durablement isolé dans un contexte de globalisation croissante. Cela ne veut pas dire oubli, amnésie ou, pis, amnistie. Mais il est de l'intérêt des peuples que nous obtenions des résultats immédiatement tangibles pour eux.

Monsieur le sénateur, vous avez évoqué, dans une acception plus restrictive, les « processus de réconciliation ». À mes yeux, ils ne sont pas contradictoires avec les procédures de pénalisation des crimes les plus graves ; ils leur sont complémentaires, comme nous le montrent les modèles argentin et chilien.

Madame Borvo Cohen-Seat, nous aussi, nous pensons à Gaza, au Kenya, aux autres zones de crise. La France mène une diplomatie proactive. De ce fait, elle ne s'interdit rien et elle est présente partout, même en Birmanie, pays très éloigné du nôtre, géographiquement comme culturellement.

Un projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale doit être présenté très prochainement au Parlement ; les arbitrages sont en cours.

Par ailleurs, la France n'a pas à avoir honte de ses trois grandes lois sur le terrorisme de 1986, 1995 et 2006. Ces textes sont appliqués sous le contrôle du juge et ne comportent aucune mesure d'exception, contrairement à ce qui existe dans d'autres pays, comme les États-Unis ; à titre d'exemple, je citerai la prison de Guantanamo. C'est la raison pour laquelle les autres démocraties envient notre dispositif sécuritaire, qui est de surcroît efficace.

J'en viens à votre réquisitoire sans nuance - permettez-moi cette appréciation - relatif aux droits de l'homme, qui seraient, selon vous, bafoués en France.

M. Robert Bret s'exclame.

Debut de section - Permalien
Rama Yade, secrétaire d'État chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme

Vous m'avez d'ailleurs déjà interpellée sur la question, notamment à propos des sans-papiers, par le biais d'un communiqué de presse. Je vous ai reçue le lendemain, pendant une heure, et nous avons pu échanger sur ce sujet ; je ne crois pas vous être apparue comme une dangereuse fasciste.

Madame Goulet, nous connaissons tous le problème posé par la mise en cause systématique d'Israël, au sein du Conseil des droits de l'homme, par les États de l'Organisation de la conférence islamique. Nous savons également qu'Israël est une démocratie, qui présente toutes les caractéristiques d'un État de droit et possède, notamment, une Cour suprême indépendante de l'exécutif. Mais, quelquefois, la situation sur le plan de la sécurité exige des mesures d'exception.

La position de la France vis-à-vis de ce dossier particulièrement complexe est claire : comme l'Union européenne, elle reconnaît l'état préoccupant de la situation des droits de l'homme au Proche-Orient.

Dans ce cadre général, la quatrième convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre impose à l'État d'Israël des obligations en tant que puissance occupante des territoires palestiniens. Israël a le droit de prendre les mesures nécessaires à la protection de sa population contre la violence et le terrorisme, que la France condamne sans réserve. Mais soyez assurée que notre pays rappelle régulièrement à Israël, notamment lors de rencontres bilatérales, mais aussi dans les enceintes multilatérales pertinentes, ses obligations en matière de respect du droit international humanitaire dans les territoires palestiniens.

Cette thématique spécifique s'inscrit dans le cadre plus général des efforts français et européens accomplis en vue de la recherche d'une paix globale, juste et durable au Proche-Orient.

La France et l'Union européenne ont une position claire et constante sur le caractère illégal des activités de colonisation, contraires au droit international et aux engagements pris par Israël au titre de la feuille de route, et facteurs de blocage du processus de paix. Nous considérons qu'une paix juste et durable ne sera possible qu'en reconnaissant aux Palestiniens leur droit à édifier un état viable, tout en garantissant à Israël sa pleine sécurité.

La France a salué la réunion d'Annapolis, le 27 novembre dernier, et la reprise des négociations israélo-palestiniennes en vue d'un règlement final. La conférence internationale des donateurs pour l'État palestinien, que la France a organisée le 17 décembre, a été un succès ; elle a constitué un signal fort du soutien politique et financier apporté à l'Autorité palestinienne. Soyez assurée, madame le sénateur, que nous sommes préoccupés par la situation des populations civiles dans cette région du monde et que nous ne manquerons pas de poursuivre nos efforts en faveur du respect des droits de l'homme dans la région.

Madame Morin-Desailly, je vais terminer par votre intervention, parce que la question de la peine de mort est l'une de celles qui, bien évidemment, me tiennent le plus à coeur.

Vingt-sept ans après l'abolition de la peine de mort en France, qui peut aujourd'hui mettre en doute l'engagement de notre pays en la matière ? Nous sommes les acteurs les plus engagés en faveur de cette cause.

Sur le plan interne, l'inscription de la peine de mort dans la Constitution nous a permis de ratifier les deux instruments internationaux qui proscrivent la peine de mort en toutes circonstances. La France a apporté son haut-patronage, en 2007, au troisième congrès mondial contre la peine de mort, qui s'est tenu à Paris.

Sur le plan international, l'abolition universelle de la peine de mort est une priorité de la politique de l'Union européenne et de la France en matière de droits de l'homme. Des lignes directrices ont été adoptées par l'Union européenne en 1988. Nous effectuons régulièrement des démarches en faveur de cas individuels de condamnés à mort.

Ainsi, après ma prise de fonction, j'ai été amenée à intervenir auprès du gouverneur du Texas en faveur d'un jeune homme âgé de trente ans condamné à mort, dont la peine a été finalement commuée. Ma conviction selon laquelle il est absolument nécessaire d'être vigilant sur la question de la peine de mort s'en est trouvée renforcée.

Aux Nations unies, au mois de décembre dernier, un pas historique a été franchi avec l'adoption, par plus de cent pays, d'une résolution présentée sur l'initiative de l'Union européenne et associant d'autres pays, appelant à un moratoire universel et à l'abolition de la peine de mort. Cela marque un tournant sur le chemin de l'abolition universelle.

Cela démontre aussi que la peine de mort ne se limite absolument pas à notre continent. L'Europe, libérée de la peine capitale, n'en est pas le sanctuaire. Et l'on s'en félicite ! Les abolitionnistes sont en train de gagner la bataille ; c'est un mouvement irréversible, en tout cas j'y crois profondément.

Mais avant de goûter cette victoire de l'humanité sur la barbarie, le chemin à parcourir reste long. Il faut donc, plus que jamais, rester mobilisé. En effet, même affaiblie, la peine de mort reste présente aux États-Unis, en Chine, en Iran, en Arabie Saoudite. C'est une lutte de longue haleine qui sera achevée lorsque sera réalisé le voeu de Victor Hugo, c'est-à-dire son « abolition, pure, simple et définitive ».

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, ratifiant l'ordonnance n° 2007-613 du 26 avril 2007 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine du médicament.

Le projet de loi sera imprimé sous le n° 198, distribué et renvoyé à la commission des affaires sociales.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

J'ai reçu de M. le président de l'Assemblée nationale une proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative aux conditions de commercialisation et d'utilisation de certains engins motorisés.

La proposition de loi sera imprimée sous le n° 197, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative au stockage géologique du dioxyde de carbone et modifiant les directives 85/337/CEE et 96/61/CE du Conseil, ainsi que les directives 2000/60/CE, 2001/80/CE, 2004/35/CE, 2006/12/CE et le règlement (CE) n° 1013/2006.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-3774 et distribué.

J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Projet de décision-cadre 200./.../JAI du Conseil du ... relative à l'exécution des jugements par défaut et portant modification de :

- la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres

- la décision-cadre 2005/214/JAI du Conseil du 24 février 2005 concernant l'application du principe de reconnaissance mutuelle aux sanctions pécuniaires

- la décision-cadre 2006/783/JAI du Conseil du 6 octobre 2006 relative à l'application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions de confiscation

- (la décision-cadre .../.../JAI du Conseil du ... concernant l'application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution dans l'Union européenne).

Ce texte sera imprimé sous le n° E-3775 et distribué.

J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de décision du Conseil concernant la conclusion, au nom de la Communauté européenne, de l'accord relatif aux pêches du sud de l'océan Indien.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-3776 et distribué.

J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Projet de décision du Conseil sur le renforcement d'Eurojust portant modification de la décision 2002/187/JAI du Conseil du 28 février 2002 instituant Eurojust afin de renforcer la lutte contre les formes graves de criminalité, telle que modifiée par la décision 2003/659/JAI du Conseil.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-3777 et distribué.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

J'ai reçu de MM. Michel Billout, Claude Biwer et Daniel Reiner un rapport d'information fait au nom de la commission des affaires économiques par la mission d'information portant sur le fonctionnement et le financement des infrastructures de transports terrestres.

Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 196 et distribué.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 7 février 2008 :

À neuf heures trente :

1. Examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

Rapport (192, 2007-2008) de M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour le Sénat.

2. Suite de la discussion du projet de loi (149, 2007-2008) relatif aux organismes génétiquement modifiés (urgence déclarée).

Rapport (181, 2007-2008) de M. Jean Bizet, fait au nom de la commission des affaires économiques.

À quinze heures :

3. Questions d'actualité au Gouvernement.

Délai limite d'inscription des auteurs de questions : jeudi 7 février 2008, à onze heures.

4. Suite de la discussion du projet de loi (149, 2007-2008) relatif aux organismes génétiquement modifiés (urgence déclarée).

Le soir :

5. Sous réserve de sa transmission, discussion du projet de loi autorisant la ratification du traité de Lisbonne modifiant le traité sur l'Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne.

Personne ne demande la parole ?...

La séance est levée.

La séance est levée à vingt-trois heures vingt-cinq.