Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 6 février 2008 à 21h30
Droits de l'homme — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je m'associe évidemment à l'hommage qui a été rendu à notre regretté collègue Jacques Pelletier.

Dans le monde, des personnes sont empêchées de s'exprimer, empêchées d'agir, d'être libres, de faire valoir leurs droits. Elles subissent la répression, jusqu'à la mort. Des mineurs sont exécutés, des femmes lapidées, des homosexuels pendus.

En 2007, la France et l'ONU ont su donner un signe positif en interdisant la peine de mort « en toutes circonstances » pour l'une, en appelant à un moratoire mondial sur les exécutions pour l'autre. J'ai alors émis le voeu qu'à l'occasion des jeux Olympiques de 2008 la Chine et les Etats-Unis s'engagent sur un moratoire.

Mais, aujourd'hui, je suis indignée par la souffrance terrible du peuple de Gaza, assiégé, prisonnier sur son propre territoire, manquant de tout, images tragiques du peuple palestinien humilié.

Je suis indignée par la tragédie du peuple du Kenya, où les mutilations et les tueries ont déjà fait plus de 1000 morts, où plus de 255 000 personnes ont dû fuir. Je suis indignée par le drame vécu par le peuple du Tchad où, encore une fois, des innocents sont victimes des exactions des uns et des autres pour le pouvoir.

Ce n'est pas pour rien si, sur le plan international, des peuples nous demandent aujourd'hui des comptes en matière de génocides, de colonialisme.

Au Rwanda, où l'indicible s'est produit, on exige la fin de l'impunité, la reconnaissance des responsabilités, de toutes les responsabilités. Nous voudrions voir notre pays plus actif pour faire prévaloir la paix, le respect des peuples, le respect de chaque personne.

Promouvoir le respect des traités internationaux concernant les droits de l'homme, ce serait, pour le Gouvernement français, accepter enfin d'inscrire dans son projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale la compétence universelle et l'imprescriptibilité des crimes de guerre, qui sont précisément des instruments de lutte contre l'impunité et donc de respect des droits des individus et des peuples ; ce serait lever sans attendre la réserve de l'article 124.

Plus généralement, le fond du problème, c'est que près de la moitié de la population mondiale est humiliée, car elle subit la pauvreté, les inégalités, l'exode et le refus des pays riches - dont la France et l'Union européenne - de mener de véritables politiques de coopération et de développement permettant aux peuples de sortir de la misère et des dominations.

Pourtant, en 2002, Mme Mary Robinson, alors Haut-commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, disait : « Je suis toujours plus en colère quand je vois l'état du monde : le fossé inacceptable entre riches et pauvres, les inégalités de toutes sortes, en matière d'éducation, de santé, qui constituent autant de germes de conflit ».

Mme Louise .Arbour, qui lui a succédé, ne dit pas autre chose quand elle met en cause « la détermination des gouvernements à s'acquitter de leurs obligations ».

Fin 2008, nous célébrerons le soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Ses initiateurs ont eu le courage, au sortir de l'une des plus terribles catastrophes que le monde ait connues, l'holocauste, d'affirmer des droits fondamentaux pour les individus, pour les peuples, et d'en consacrer l'universalité. Il est de notre responsabilité de poursuivre ce chemin ; cela se prouve par des actes quotidiens.

L'année 2008, c'est aussi celle où la France accédera à la présidence de l'Union européenne. Le ministre de la défense tenait, le 31 janvier, des propos inquiétants dans Paris-Match concernant les « capitales européennes » : « tous sont conscients que 450 millions d'habitants représentant 25 % de la production mondiale doivent pouvoir défendre leurs intérêts et assurer leur sécurité ». Qu'est-ce à dire ?

C'est précisément au nom de leur sécurité que les Etats-Unis ont mis à mal des droits et des libertés. Mme la garde des sceaux soulignait ici même, il y a une semaine, que c'était l'émotion suscitée par la tragédie du 11 septembre qui avait permis le mandat d'arrêt européen.

Mais elle « oubliait », ce faisant, les « sites noirs de la CIA » externalisés par les Etats-Unis, y compris en Europe, pour se soustraire à l'interdiction de la détention arbitraire et de la torture qu'ils sont censés respecter. Elle « oubliait » la guerre en Irak et Guantanamo, que de plus en plus d'Américains eux-mêmes condamnent.

Il faut dire que, sur toutes ces graves atteintes aux droits de l'homme, nous n'avons pas beaucoup entendu la France et l'Union européenne.

Voilà où mènent la priorité donnée à la « logique des victimes » et l'instrumentalisation de leur souffrance !

C'est aussi au nom de la lutte contre le terrorisme que la France a intégré dans le droit commun des mesures dites exceptionnelles : réduction des droits de la défense, extension des écoutes téléphoniques, fichage généralisé, développement de la vidéosurveillance.

Avec les Vingt-Sept, elle a approuvé le transfert aux autorités américaines des fichiers des données passagers par les compagnies aériennes, au mépris des critiques émises par le Parlement européen.

Les pays occidentaux se sont érigés en seuls garants des droits des personnes ; ils en ont même fait une base idéologique pour leurs interventions, y compris par la guerre.

Or, on ne peut pas imposer la démocratie et les droits humains avec des bombes, pas plus qu'avec des contrats industriels ou commerciaux. Comme l'exprime le président de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, la CNCDH, M. Joël Thoraval, « le respect des droits essentiels, la démocratie, n'ont pas de meilleur émissaire qu'eux-mêmes ».

Quand la France et l'Europe fondent leur politique à l'égard des étrangers sur une logique sécuritaire, on ne peut pas dire qu'elles y contribuent.

Ainsi, promouvoir le respect des traités internationaux concernant les droits de l'homme, ce serait, pour notre pays, ratifier enfin la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

Évidemment, il y a un grand décalage entre le contenu de cette convention et le sort que la France fait subir aux travailleurs migrants : chasse aux sans-papiers, recul du droit d'asile, lois discriminantes avec l'immigration « choisie », les contrôles ADN ou les quotas envisagés par le Président de la République...

Quand au traité de Lisbonne, il confirme l'Europe comme un espace policier et judiciaire, une forteresse fermée aux étrangers.

D'ores et déjà, la « politique du chiffre » menée en France a, on le sait, des conséquences de plus en plus inhumaines.

Peu d'entre nous, hélas ! se donnent la peine de visiter des centres de rétention avant de voter des lois aggravant les reconduites aux frontières.

Quant au contrôleur général des lieux privatifs de liberté, nous ne savons toujours rien sur sa nomination.

Nous étions quelques parlementaires, le 19 janvier dernier, lors de la journée européenne contre l'enfermement des sans-papiers, au centre de rétention du Mesnil-Amelot.

Parmi leurs revendications, les détenus - car ce sont des détenus - inscrivent des demandes évidentes, comme une visite médicale préalable à l'admission en centre de rétention, des informations sur leur situation, des aliments qui ne soient pas en instance de péremption...

Mais c'est bien la question de fond qu'il faut se poser.

Les centres de rétention sont des prisons contrôlées par la police ; certains sont entourés de barbelés. Des femmes et des hommes y sont détenus, de plus en plus nombreux, avec 1 500 places aujourd'hui contre 786 en 2002, et de plus en plus longtemps : la durée de la rétention est passée de sept jours en 1981 à trente-deux jours en 2003, durée qui, si nous laissons passer une prochaine directive européenne, pourrait passer à dix-huit mois !

En 2006, 201 enfants ont été enfermés en centre de rétention, au mépris de la Convention internationale des droits de l'enfant.

Des hommes détenus au centre de rétention de Vincennes ont été jusqu'à la grève de la faim ; certains se mutilent ou tentent de se suicider pour échapper à un traitement humiliant pour tout être humain : chambres non chauffées, eau froide, nourriture immangeable, brimades

À propos de ce centre, où 250 détenus sont en attente d'une possible expulsion, le comité européen pour la prévention de la torture écrit dans son dernier rapport: que « la délégation a pu constater de visu le niveau d'infestation -tiques, puces, moustiques... - de certaines chambres » !

Dans ces prisons, on enferme des personnes considérées comme sans papiers, sous entendu sans papiers « valables » pour rester sur le territoire.

Est-il bien conforme aux droits universels de l'homme, au droit inaliénable de circuler à l'heure où l'on se plaît à nous dire que le monde est un village, d'être emprisonné sans avoir commis ni crime ni délit grave ?

La France ne livre pas au monde une bien belle image en ne résistant pas à cette effrayante conception de la sécurité.

Ainsi, promouvoir le respect des traités internationaux concernant les droits de l'homme, ce serait pour la France ratifier les textes internationaux positifs en matière de droits ; ce serait les appliquer elle-même et ne plus être montrée du doigt par des instances internationales, ne plus nourrir de rancoeurs.

Madame la secrétaire d'État, vous m'avez déjà répondu, quand je vous ai sollicitée, que votre fonction était de vous occuper des droits de l'homme dans le monde et non pas en France où ils étaient, selon vous - je vous cite approximativement -, acquis.

Permettez-moi de vous dire que, non seulement la France, si elle veut jouer un rôle, doit être en tête pour se plier aux règles internationales qui existent déjà, mais elle doit, sur son propre territoire, montrer l'exemple, montrer que l'on ne peut pas transiger, au nom, certes, de réalités qui souvent sont le fait des États, sur le rapport entre sécurité, prévention du terrorisme et violation des droits élémentaires des êtres humains.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion