Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, il y a presqu'un an nous révisions notre Constitution pour ajouter une phrase qui pouvait paraître à certains symbolique : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort ».
Pourtant, en inscrivant dans notre loi fondamentale l'interdiction de la peine de mort, nous mettions notre pays en accord avec les conventions internationales et au diapason des autres pays européens qui, pour certains, avaient depuis longtemps inscrit dans leur Constitution l'interdiction de la peine capitale.
La France, patrie des droits de l'homme, ne pouvait rester en retrait de ses partenaires européens sur ce sujet. Par cet acte, nous avons témoigné fortement de notre attachement aux valeurs de la dignité humaine en donnant un caractère quasi irréversible à la peine de mort.
Par cette inscription solennelle, nous achevions également un processus vers « l'abolition pure, simple et définitive » engagé depuis plus de vingt-cinq ans ; nous rejoignions enfin le propos de Victor Hugo selon lequel « une Constitution qui [...] contient une quantité quelconque de peine de mort n'est pas digne d'une République ».
Le combat, long et difficile, de l'abolition, gagné en France, doit désormais se poursuivre hors de nos frontières. Le droit de toute personne à la vie est en effet un droit universel.
Ce mouvement s'inscrit d'ailleurs pleinement dans un mouvement international puisque l'application de la peine de mort recule chaque année et que le nombre d'États abolitionnistes est devenu majoritaire dans le monde.
La France a été ainsi le dix-septième pays de l'Union européenne à conférer à la prohibition de la peine de mort valeur constitutionnelle.
Cependant, de nombreux pays, et non des moindres, pratiquent encore la peine de mort. Quelles actions notre pays peut-il mener pour convaincre ces pays d'abandonner ce châtiment contraire aux droits de l'homme ?
Ce sont ainsi soixante-neuf pays qui continuent d'appliquer cette peine.
En Afrique, vingt-deux États connaissent encore la peine de mort, le Libéria et le Sénégal ayant rejoint le camp abolitionniste récemment.
En Asie, ce sont encore trente États qui exécutent, dont le Japon, la Chine, l'Inde, l'Indonésie, les deux Corée, mais aussi la plupart des pays du Moyen-Orient.
Selon le rapport d'Amnesty International, en 2006, ce sont encore 3 861 personnes qui ont été condamnées à mort dans cinquante-cinq pays et au moins 1 591 personnes qui ont été exécutées dans vingt-cinq pays. Ces chiffres sont certainement en deçà de la réalité puisqu'il ne s'agit que des cas dont Amnesty International a eu connaissance.
L'immense majorité de ces exécutions sont le fait d'une minorité de pays : 91 % des exécutions recensées en 2006 ont en effet eu lieu dans six pays ! Il s'agit de la Chine, de l'Iran, du Pakistan, de l'Irak, du Soudan et des États-Unis. Toujours selon l'organisation internationale, entre 19 185 et 24 646 condamnés à mort seraient aujourd'hui dans l'attente de leur exécution.
S'agissant de la Chine, qui pratique massivement la peine capitale et où il est très difficile de connaître la réalité des exécutions puisqu'aucune donnée officielle n'est disponible, Amnesty International évoque 1010 personnes exécutées en 2006, mais certaines sources laissent penser qu'entre 7500 et 8000 exécutions auraient eu lieu cette année-là, ce qui place bien sûr la Chine en tête des pays pratiquant la peine de mort.
La communauté internationale doit profiter de l'organisation des jeux Olympiques, cet été à Pékin, pour faire pression sur les dirigeants chinois à propos de ce dossier. Les progrès économiques doivent s'accompagner d'avancées démocratiques sur la question des droits de l'homme, que ce soit sur la peine de mort ou encore sur la situation du Tibet, cher à notre collègue Louis de Broissia.
Aux États-Unis, ce sont cinquante-trois condamnés à mort qui ont été exécutés dans douze États. Je m'arrêterai sur ce pays pour une raison évidente : le maintien de la peine capitale dans la plus ancienne et la plus puissante des démocraties constitue un obstacle majeur à la cause abolitionniste.
Il s'agit d'un enjeu essentiel parce que les États-Unis restent, avec le Japon, le plus important régime démocratique à recourir à la peine capitale et qu'ils ont, malheureusement, valeur d'exemple pour de nombreux pays.
Alors qu'au début des années 1970, la pratique de la peine capitale était quasiment tombée en désuétude - la Cour suprême déclara en 1972 qu'elle constituait un châtiment inutile et dégradant -, les condamnations et exécutions ont repris depuis 1977, à la suite du revirement de jurisprudence de la Cour suprême de 1976. Depuis cette date, ce sont 1060 personnes, dont 379 au Texas, qui ont été exécutées ; la peine de mort figure dans la législation de 38 des 50 États de l'Union et elle a été instaurée de nouveau au niveau fédéral en 1988.
De plus en plus de voix s'élèvent pour demander l'abolition d'une peine qui met en lumière les faiblesses d'une société et ses inégalités sociales et raciales. L'erreur judiciaire mine le système : le nombre de condamnés à mort reconnus innocents après des décennies de procédures, parfois in extremis, est impressionnant, puisque 122 personnes seraient dans ce cas depuis 1973, sans compter celles qui ont été exécutées alors que leur innocence aurait pu être établie en recourant à des tests ADN. La peine de mort aux États-Unis peut s'apparenter à une loterie sanglante.
Toutefois, il convient de relever que, face à ces risques d'erreur flagrante, la Cour suprême des États-Unis s'attache à réduire le domaine de la peine de mort, notamment en interdisant l'application de ce châtiment aux déments et aux déficients mentaux et en refusant l'exécution des condamnés mineurs lors de l'accomplissement du crime.
Notons également que la peine de mort est devenue le talon d'Achille de l'Amérique dans presque toutes les instances multilatérales qui traitent des droits de l'homme ; espérons que cette situation aura un effet sur l'évolution de ce pays sur cette question.
Nous ne pouvons que constater et déplorer la persistance d'un nombre non négligeable d'États non abolitionnistes. Cependant, l'abolition de la peine de mort constitue à l'échelle du droit international un but ultime dans le domaine des droits de l'homme : depuis plus de vingt-cinq ans, traités, protocoles et déclarations se multiplient pour engager les États sur le chemin de l'abolition universelle de la peine de mort.
Ainsi, le Conseil de l'Europe joue un rôle majeur dans ce mouvement, tout comme, à l'échelle internationale, les Nations unies. Nous disposons d'outils juridiques internationaux pour promouvoir l'abolition.
À l'échelon du continent européen, c'est le protocole n° 6 additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, entré en vigueur au 1er mars 1985, qui a constitué le premier instrument juridiquement contraignant prévoyant l'abolition de la peine de mort en temps de paix. Avec le protocole additionnel n° 13 à la Convention, relatif à l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances, qui a été adopté par le Conseil de l'Europe à Vilnius le 3 mai 2002, un pas ultime a été franchi en direction de l'abolition de la peine de mort.
Ces protocoles ont marqué la reconnaissance du droit à la vie comme attribut inaliénable de la personne humaine et comme valeur suprême dans l'échelle des droits de l'homme au niveau international.
L'Europe est ainsi devenue une zone libérée de la peine de mort et l'abolition fait partie intégrante du socle des valeurs européennes puisque, je le rappelle, 43 des 44 États parties à la Convention européenne des droits de l'homme sont abolitionnistes. A ainsi été consacré en Europe le principe selon lequel la démocratie, fondée sur les droits de l'homme, est incompatible avec la peine de mort.
Toutefois, les tentatives de rétablissement de la peine de mort existent. Ainsi, en 2006, le président conservateur polonais Lech Kaczynski a réclamé, en évoquant la tenue d'un référendum sur ce sujet dans son pays, le rétablissement de la peine capitale en Pologne, mais aussi dans l'ensemble de l'Europe.
Sur le plan mondial, c'est le deuxième protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort, adopté à New York le 15 décembre 1989, qui engage les pays signataires à abolir la peine capitale. Il est venu compléter le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, qui limitait la peine de mort aux crimes les plus graves. Il s'agit du premier traité abolitionniste universel.
Par ailleurs, la communauté internationale a limité plus fortement le nombre des cas où la peine de mort pouvait être prononcée ou exécutée, en réaffirmant l'interdiction concernant les mineurs, les femmes enceintes, les jeunes mères et les personnes âgées.
Progressivement, nous le voyons, la prohibition de la peine de mort devient un principe du système juridique international, comme le prouve le rejet de cette peine par les juridictions internationales pourtant appelées à juger des crimes les plus graves, comme la Cour pénale internationale.
Au-delà des instruments juridiques, les institutions internationales incitent les États à adopter un moratoire. Ainsi, la commission des droits de l'homme des Nations unies, devenue Conseil des droits de l'homme, appelle depuis plusieurs années à l'abolition universelle de la peine de mort, dont la première étape serait un moratoire général.
L'Union européenne s'est elle aussi engagée sur cette voie. Estimant que ce châtiment n'a pas sa place dans le système pénal des sociétés démocratiques et que l'abolition de la peine de mort contribue au renforcement de la dignité humaine et au développement progressif des droits de l'homme, elle a, dans « l'appel de Strasbourg » de juin 2001, demandé aux États qui pratiquent la peine capitale ou la prévoient dans leur législation d'instaurer un moratoire des exécutions et d'abolir définitivement cette peine.
Madame la secrétaire d'État, il nous faut poursuivre ce combat. Il est nécessaire de convaincre les dirigeants des États non abolitionnistes de l'inutilité, qui est aujourd'hui largement admise, de la peine de mort ; convaincre que celle-ci n'est pas dissuasive et qu'aucune étude de criminologie n'a pu démontrer un lien entre la peine de mort et la courbe de la criminalité ; convaincre, enfin, que sa pratique est soumise à des erreurs judiciaires patentes.
Espérons que l'action de la communauté internationale fera comprendre aux opinions publiques que la peine de mort est toujours synonyme de « défaite de l'humanité », pour reprendre les mots de notre éminent collègue Robert Badinter.
Au terme de cette intervention, je souhaite, madame la secrétaire d'État, vous poser cette question très simple : comment le Gouvernement entend-il agir à l'échelle internationale pour convaincre des pays non abolitionnistes d'abandonner cette peine, qui constitue, pour suivre notre illustre collègue Victor Hugo, le « signe spécial et éternel de la barbarie » ?