Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d'abord m'associer à l'hommage que vous avez rendu à Serge Vinçon, le regretté président de la commission des affaires étrangères du Sénat, qui aura laissé la marque d'un président rigoureux et juste au sein de cette institution.
J'ai également une pensée forte pour Jacques Pelletier, qui, lui aussi, nous a quittés. C'était un homme et un élu au dévouement sans faille pour la cause des droits de l'homme, en France et dans le monde.
Je souhaite ensuite vous remercier, monsieur Othily, d'avoir eu l'initiative du débat qui nous réunit ce soir. Je ne puis que me satisfaire de l'intérêt que vous portez à la question des droits de l'homme et, à travers vous, de l'importance qu'accorde le Sénat à cette question. Cet intérêt est pour moi un encouragement dans l'accomplissement de ma mission, en même temps qu'une obligation - « ardente », selon la formule consacrée - de résultats.
Avant de répondre avec autant de précision qu'il me sera possible aux questions que vous m'avez posées, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de définir le cadre général dans lequel j'ai inscrit mon action de secrétaire d'Etat chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme.
J'ajouterai que j'exerce bien évidemment la mission qui m'a été confiée sous l'autorité du Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, et du ministre des affaires étrangères, M. Bernard Kouchner, qui ont chacun à coeur de faire vivre cette dimension des droits de l'homme dans notre politique extérieure.
Afin d'être bien claire, je rappellerai tout d'abord que je ne suis pas en charge des droits de l'homme en France, ce qui ne veut pas dire que je ne suis pas sensible à cette question. Lorsque la France se trouve condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme, cela ne me fait jamais plaisir, car lorsqu'il me faut intervenir à l'étranger, je préfère parler au nom d'un pays exemplaire.
Nous pouvons tous ici être d'accord pour affirmer que notre pays attache au respect des droits humains une place essentielle : les droits de l'homme font aussi partie de notre identité nationale.
Certes, nous ne devons jamais nous endormir sur nos lauriers ; il nous faut toujours être vigilants. Mais, de grâce, ne cédons pas au relativisme culturel qui conduit à penser que tout se vaut et que, puisqu'il arrive à la France d'être imparfaite, elle est très mal placée pour critiquer les imperfections des autres. Il y a, chez nous, en France, et dans les démocraties en général, des valeurs fondamentales qui ne sont pas négociables.
M. de Rohan citait dans son intervention des propos de M. Védrine nous invitant à la modestie. M. Védrine a raison, s'il entend par modestie le refus de l'arrogance. Mais sachons également rester ambitieux.
Qu'on le veuille ou non, la « patrie des droits de l'homme » est une marque de notre histoire, que nous ne pouvons ni ne devons renier. Elle nous est d'ailleurs régulièrement rappelée par les peuples étrangers, par les opposants, dissidents et défenseurs des droits de l'homme pourchassés dans le monde. Elle constitue une incitation permanente à assumer notre devoir. Car c'est bien de cela qu'il s'agit : un devoir, une responsabilité.
Pour le reste, que nous ne soyons pas les seuls à pouvoir revendiquer cette mission ne peut être que positif, tant la tâche est immense. Bien sûr, nous ne disposons pas d'une formule magique pour faire en sorte que les droits de l'homme soient respectés en Russie, en Chine, dans le monde arabe, en Afrique, mais est-ce une raison pour arrêter de nous battre ?
Quand vous vous déplacez à l'étranger et que vous rencontrez des défenseurs des droits de l'homme, vous lisez dans leurs yeux cette attente vis-à-vis de la France, parce que, pour eux, la France c'est avant tout la « patrie des droits de l'homme » et être Français c'est être libre. Devrions-nous par avance refuser ce défi ? Je suis bien convaincue que non.
Comme l'a souligné M. de Rohan, le Président de la République a fait de la promotion des droits de l'homme l'une des toutes premières priorités de l'action diplomatique de la France.
Affaires étrangères et droits de l'homme, cette association est, a priori, paradoxale. En effet, si le rôle de notre diplomatie est de défendre les intérêts de notre pays, le combat pour les droits de l'homme dans notre politique étrangère peut se heurter, bien évidemment, à la poursuite de ces intérêts.
Néanmoins, cette vision du caractère inconciliable de la promotion de nos intérêts et de la lutte pour les droits de l'homme, qui a été, du moins théoriquement, une constante de la politique extérieure française, a bien changé, et d'abord parce que le Président de la République s'est inscrit en faux avec cette vision.
Alors qu'il était candidat, il déclarait, le 28 février dernier : « notre identité démocratique nous destine à promouvoir la liberté et le respect des droits de l'individu dans le monde [...] Valeurs et intérêts, en réalité, se rejoignent. Il faut refuser l'opposition stérile entre réalisme et idéalisme ». Et le 6 mai dernier, au soir de sa victoire, il ajoutait : « Je veux lancer un appel à tous ceux qui, dans le monde, croient aux valeurs de tolérance, de démocratie et d'humanisme, à tous ceux qui sont persécutés par les tyrannies et par les dictatures, à tous les enfants et à toutes les femmes martyrisés dans le monde, pour leur dire que la France sera à leurs côtés, qu'ils peuvent compter sur elle ».
À titre d'exemple, lorsqu'il s'est rendu en Inde voilà quelques jours, le Président de la République a eu à coeur de plaider auprès des autorités indiennes la cause de Taslima Nasreen qui, comme vous le savez, est cette écrivaine du Bengladesh qui a été menacée de mort par une fatwa et qui erre de ville en ville en Inde. De même a-t-il contribué fortement à la libération des infirmières bulgares.
Je crois que son message est passé et s'est concrétisé.
Ainsi, dès son entrée en fonction, Nicolas Sarkozy a mis en adéquation ses actes avec ses déclarations. Espérons que les objectifs pourront être atteints en ce qui concerne la libération d'Ingrid Betancourt et des autres otages des FARC, les forces armées révolutionnaires de Colombie. Nous y travaillons en tout cas au quotidien !
Permettez-moi aussi de vous exprimer une conviction personnelle : dans un monde de plus en plus dangereux, où les risques de prolifération nucléaire s'accroissent, où les groupes terroristes multiplient les tentatives pour acquérir, avec la complicité de certains États, des armes chimiques, biologiques et nucléaires, notre intérêt est, plus que jamais, de promouvoir la démocratie et les droits de l'homme.
Si, dans le passé, on pouvait s'accommoder de l'existence de dictatures lointaines, aujourd'hui, il n'y a plus de lointain. Tout est devenu proche : une Corée du Nord dotée de missiles à longue portée est devenue notre voisine.
Je suis donc convaincue, comme vous, j'en suis sûre, que les États de droit qui respectent les libertés fondamentales de l'être humain sont moins dangereux pour la paix du monde que les autres. Le propos de Kant sur les démocraties qui ne se font pas la guerre entre elles est toujours, et peut-être plus que jamais, d'actualité.
J'en viens maintenant à ma mission elle-même, ce qui me permettra de répondre à certaines des interrogations qui ont été exprimées.
Le sénateur Georges Othily évoque des droits de l'homme qui se multiplient, au point que l'on a du mal à distinguer l'essentiel de l'accessoire ; je sais que les puristes des droits de l'homme, les tenants de leur caractère indivisible, c'est-à-dire du « tout ou rien », pourraient être choqués par de tels propos.
Le principal écueil que je souhaite éviter est celui du « droit de l'hommisme ». Invoquer les droits de l'homme à tout propos ne peut que se retourner contre nous : nous pourrions entendre des chefs d'État, qui n'ont qu'un souverain mépris pour ces droits, nous accuser de ne pas les respecter nous-mêmes. On a ainsi pu entendre, à la tribune de l'ONU, le président iranien invoquer plusieurs fois les droits de l'homme, pour mieux accuser l'Occident de ne pas les respecter. Entendre cela du président d'un pays où une femme vaut la moitié d'un homme ne peut pas manquer de nous faire réagir !
La promotion des droits de l'homme ne vise pas les droits à tout et à n'importe quoi. Pour moi, c'est avant tout le droit à vivre dans la paix et la sécurité, un droit indissociable de celui de vivre libre.
C'est pour en rester à l'essentiel que j'ai décidé, dès le début de ma mission, de me fixer des priorités. L'action politique consiste en effet à faire des choix, car le champ est vaste. De nouveaux droits économiques et sociaux ont fait leur apparition et méritent également qu'on leur accorde une attention particulière. Toutefois, si l'on veut être efficace, il est plus aisé de se concentrer sur quelques axes fondamentaux ; j'en ai choisi trois.
Ma première priorité concerne les femmes et les enfants, qui sont les premières victimes des sociétés archaïques ou des conflits ; les enfants-soldats ou les femmes victimes de violence sont au coeur de mon action.
Ma deuxième priorité est la liberté d'expression, en particulier la liberté de la presse.
Ma troisième priorité porte sur la justice pénale internationale, qui permet de montrer que les droits de l'homme ne sont pas que des mots et qu'il n'est plus possible de tuer impunément, à l'abri de ses frontières, sans avoir un jour à rendre des comptes.
Bien sûr, ces trois priorités ne m'interdisent pas d'intervenir dans d'autres domaines, comme la lutte pour l'abolition universelle de la peine de mort, la violation massive des droits de l'homme dans certains conflits, comme celui du Darfour, ou la répression brutale des manifestations pacifiques des Birmans. Nous nous devons d'être à la hauteur de notre réputation, quitte parfois à être transgressifs. Il est vrai que cela peut nous coûter cher, notamment en termes d'intérêts. Il faut donc trouver un équilibre.
C'est cet argument qui est avancé, notamment à propos de la Chine. Mais cette position ne me convainc pas : après tout, les États-Unis n'hésitent pas, pour leur part, à évoquer la question des droits de l'homme avec les Chinois, tout en concluant avec eux des contrats commerciaux. Comme vous, madame Morin-Desailly, je pense que l'on ne peut pas ignorer cette question, à six mois de la tenue des jeux Olympiques à Pékin, même s'il ne faut pas se focaliser exagérément sur cet événement. Sans vexer, sans blesser, sans humilier, j'estime possible de rappeler la Chine à ses devoirs. Elle sera bientôt la vitrine du monde, le temps des jeux Olympiques. De ce fait, elle ne peut se permettre d'offrir une image régressive de l'olympisme.
C'est dans cet esprit que le Président de la République a parlé de la peine de mort et de la liberté d'expression avec les dirigeants chinois. C'est également dans cet esprit que je suis intervenue, voilà deux jours, auprès des autorités chinoises pour défendre le cas de M. Hu Jia, un blogger dont la liberté d'expression lui a valu des ennuis judiciaires.
Les Français ne comprendraient pas nos silences face à certaines violations des droits de l'homme qui les choquent. Notre activisme en la matière doit toutefois se fonder sur une méthode.
Ainsi, face à une certaine impatience médiatique et à une volonté d'indignation systématique, il faut parfois savoir rester discret pour être efficace ; je pense, par exemple, à la Tunisie. Si l'on veut obtenir la libération d'un prisonnier politique comme maître Abbou, la discrétion doit, dans un premier temps, être de mise ; c'est l'attitude que le Président de la République et moi-même avons adoptée lorsque nous nous sommes rendus dans ce pays au mois de juillet dernier. Plutôt que de faire du tapage médiatique et risquer ainsi d'aggraver la situation de ce prisonnier, j'ai considéré que mon devoir était d'abord d'expliquer aux autorités tunisiennes pourquoi l'emprisonnement de cet homme était choquant et nuisait à l'image de la Tunisie. Si cette approche se révèle inefficace, alors nous prendrons l'opinion publique à témoin.
En procédant ainsi, j'essaie d'éviter de montrer du doigt les autorités tunisiennes, de blesser ou d'insulter, ce qui n'aurait pour résultat que de braquer les autorités en question et de prolonger le calvaire du prisonnier.
Cette méthode n'interdit pas la fermeté. Il n'est pas acceptable, par exemple, que les droits de l'homme soient remis en cause par certains pays, qui considèrent que le développement économique doit primer sur le respect des droits humains ou qui préfèrent le particularisme de leur culture à l'universalité de ces droits.
En ce qui me concerne, je ne crois pas du tout à l'approche culturaliste, selon laquelle certaines traditions interdiraient à des catégories de la population d'avoir accès à ce type de droits. En effet, si je respecte les traditions de certains pays, je considère qu'on ne peut résolument pas, au nom de ces traditions, accepter que des femmes soient lapidées ou des adolescents pendus en place publique. On ne peut pas non plus, au nom de ces traditions, accepter que des femmes s'immolent par le feu après un viol, pour échapper à un mariage forcé, ou après une telle union.
Enfin, nous nous devons d'être en contact permanent avec les défenseurs des droits de l'homme partout où ils sont. Il est important que nos ambassades soient les avant-postes de la défense des droits de l'homme. Lorsqu'un opprimé ou un militant des droits de l'homme frappe à la porte de l'une de nos ambassades, l'ambassadeur a le devoir de lui ouvrir sa porte, ne serait-ce que pour lui prêter une oreille attentive.
C'est pourquoi, lors de la Conférence des ambassadeurs, au mois d'août dernier, j'ai fait part de ma volonté de voir nos postes devenir des maisons des droits de l'homme. En France, nous ne devons pas hésiter à élargir nos partenariats à des acteurs très engagés en matière de politique étrangère - je pense aux parlementaires ou aux collectivités territoriales -, notamment dans leur dialogue avec les sociétés civiles.
La méthode dépend donc du contexte. Le pragmatisme et la recherche de l'efficacité doivent prévaloir.
Au-delà de mes déplacements, je souhaite ne jamais oublier les priorités que je me suis fixées : la liberté d'expression et l'égalité des droits entre les femmes et les hommes. Ce sont sans doute les deux meilleurs critères à l'aune desquels on peut juger de la vie démocratique d'un pays.
En ce qui concerne les violations massives et systématiques des droits de l'homme, monsieur Othily, vous avez cité le Darfour, la Tchétchénie, l'Ouzbékistan, le Kenya et le Tchad, pays pour lesquels notre mobilisation est permanente. Hélas ! la liste des pays dans lesquels les hommes et les femmes ne sont pas assurés de leurs droits fondamentaux pourrait s'allonger de dizaines d'autres noms !
Le combat pour les droits de l'homme dans notre politique étrangère ressemble souvent à l'oeuvre de Pénélope ou aux travaux d'Hercule, comme l'a relevé M. del Picchia : on a l'impression qu'une victoire un jour est suivie d'un échec le lendemain. Certes, des institutions existent - Conseil des droits de l'homme des Nations unies, Conseil de l'Europe, Cour européenne des droits de l'homme... -, mais nous devons sans cesse, dans notre action diplomatique, ranimer et faire vivre nos principes.
Pour redonner une nouvelle force à notre message, je souhaite provoquer une réunion de tous nos partenaires européens, afin de rassembler nos forces autour d'un message simple et clair, qui soit conforme à l'idéal européen. Je compte aussi me rendre au Conseil des droits de l'homme, au début du mois de mars, pour rappeler notre message et évoquer la question du suivi de la conférence de Durban, qui aura lieu en 2009.
Enfin, cette année, la France a deux rendez-vous qu'elle ne peut ni ne doit manquer : la présidence de l'Union européenne et le soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'Homme. La coïncidence entre ces deux événements majeurs est l'occasion pour notre pays d'être à la hauteur de l'héritage de ses ancêtres, qui lui ont légué le beau titre de gloire de « patrie des droits de l'homme ». Il s'agit pour la France non pas de faire une commémoration de plus, mais de revivifier, avec le soutien de tous ses partenaires européens, les principes et les valeurs pour lesquels des hommes et des femmes ont lutté, souvent au péril de leur vie. Il est plus que temps de réaffirmer haut et fort ce en quoi nous croyons et pour quoi nous sommes prêts à lutter, même s'il y a un prix à payer.
Telle est la présentation générale que je tenais à faire devant votre Haute Assemblée, mesdames, messieurs les sénateurs. Je tenterai à présent de répondre brièvement à vos questions, sans prétendre à l'exhaustivité. En effet, la variété des problèmes liés à la protection des droits de l'homme justifierait presque un débat spécifique pour chaque sujet.
Monsieur Othily, vous avez exprimé votre préoccupation sur le cas très particulier des coupeurs haïtiens de canne à sucre en République dominicaine. Vous savez l'attachement que je porte à Haïti, où je suis allée au mois de septembre dernier. Jean-Marie Bockel s'y est également rendu pour le deux cent troisième anniversaire de l'indépendance, le 1er janvier dernier. Le Président de la République lui-même s'est engagé à faire ce déplacement, ce qui serait historique, car aucun chef d'État français n'a encore été reçu en Haïti depuis l'indépendance de ce pays.
Le nombre d'émigrés haïtiens en République dominicaine atteindrait environ 1 million de personnes, des clandestins, pour la plupart. Il s'agit d'une émigration Sud-Sud qui part d'un pays déshérité, Haïti, vers un pays à l'économie certes dynamique, mais qui doit lui aussi faire face au problème de la pauvreté. Le nombre des coupeurs de canne haïtiens en République dominicaine n'est pas facile à déterminer, mais concernerait plusieurs dizaines de milliers de personnes. L'exposition « Esclaves au paradis » organisée l'an dernier par Amnesty international a jeté une lumière crue sur cette situation.
Si les conditions de vie des coupeurs de canne haïtiens demeurent indécentes, certains propriétaires fonciers ont pris cependant conscience du problème et construisent des logements, des cantines, installent l'électricité, l'eau courante. Avec la baisse de l'exploitation de la canne à sucre, le nombre des coupeurs de canne est amené à se réduire mécaniquement. Nous y comptons bien !
Si nous voulons vraiment aider les coupeurs de canne à sucre haïtiens, nous devons contribuer à maintenir un dialogue amical entre Haïti et la République dominicaine, malgré le passé. Ancienne colonie française et pays francophone, Haïti figure dans la zone de solidarité prioritaire de notre coopération. Mais nous y avons aussi inclus la République dominicaine, parce que la situation de ces deux pays ne peut être traitée séparément. C'est sur ce point que nos projets de coopération se concentreront ; l'Union européenne travaille elle aussi sur ce sujet. Ainsi a-t-elle construit dans la localité de Dajabón un marché binational, haïtien et dominicain.
MM. Othily, de Rohan et del Picchia, se sont interrogés sur la mise en oeuvre, au sein du ministère des affaires étrangères et européennes, de la nouvelle impulsion donnée à la dimension des droits de l'homme dans la politique extérieure de la France.
Je tiens à souligner que la priorité que nous accordons à la défense des droits de l'homme dans notre politique étrangère n'est pas seulement formalisée dans la stratégie de gouvernance développée au travers de nos programmes de coopération, comme le soulignait M. de Rohan. C'est ainsi que les « accords de sécurité intérieure » que nous sommes amenés à négocier avec de nombreux partenaires excluent tout échange de données personnelles avec ceux d'entre eux qui ne donnent pas les garanties requises de respect de l'état de droit.
En outre, une série d'instruments très divers existe. L'attention des ambassades a été appelée sur la situation des défenseurs des droits de l'homme par voie de circulaire. J'ai rappelé l'importance que nos postes devaient accorder à cette question. L'impulsion passe aussi par les déclarations, les discours, les communiqués de presse officiels et leur diffusion dans nos ambassades. Je n'oublie pas non plus les instruments européens que sont les lignes directrices servant de cadre pour les actions en matière de droits de l'homme ; on en dispose sur cinq thèmes très importants : peine de mort, enfants-soldats, torture, défenseurs des droits de l'homme, droits de l'enfant.
Il faut également laisser un peu de souplesse aux ambassades, qui doivent adapter nos directives aux contraintes du terrain. J'observe à cet égard que de plus en plus de chefs de postes choisissent de confier à un diplomate de leur chancellerie politique un suivi spécifique de la question des droits de l'homme dans leur pays de résidence.
En ce qui concerne le suivi des conventions internationales, celles-ci sont très nombreuses et nous avons effectivement du retard en la matière ; c'est un peu la rançon du succès, car nous comptons au nombre des bons élèves qui sont parties à la quasi-totalité des textes internationaux.
Nous faisons tout pour rattraper ce retard. Ainsi, en 2008 et 2009, nous prévoyons de présenter cinq rapports. Le rapport sur la discrimination à l'égard des femmes a été présenté au mois de janvier dernier. Le rapport sur la Convention des droits de l'enfant et le rapport sur le Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels ont été transmis. Le rapport sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le rapport sur la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sont en cours de préparation. Comme vous pouvez le constater, nous mettons les bouchées doubles pour être exemplaires !
Monsieur del Picchia, vous avez évoqué la non-ratification de « certains protocoles et conventions ». Je suppose que vous pensiez au protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Les deux textes sont en cours d'examen au Conseil d'État : celui-ci vient d'émettre un avis favorable sur le premier, tandis que le second, dont la France est à l'origine et figure parmi les premiers signataires, vient de lui être transmis.
Madame Durrieu, vous avez évoqué la laïcité. Il s'agit de la forme typiquement française de protection de l'un des droits de l'homme les plus fondamentaux, la liberté de croyance, qui doit s'entendre comme la liberté de croire ou de ne pas croire. Vous avez raison, madame le sénateur, de souligner qu'elle constitue un fondement, inscrit dans notre Constitution.
Le Président de la République n'a rien dit d'autre dans ses discours prononcés au Vatican et en Arabie saoudite. À Saint-Jean de Latran, il a fait l'éloge d'une laïcité positive, qui est « tout autant que le baptême de Clovis [...] un fait incontournable dans notre pays » ; à Riyad, il a souligné l'importance de « faire en sorte que chacun, qu'il soit juif, catholique, protestant, musulman, athée, franc-maçon ou rationaliste, se sente heureux de vivre en France ».
Ce ne sont pas là des propos complaisants pour ses hôtes. Ils dessinent une ligne d'action politique qu'il avait déjà annoncée dans un livre d'entretiens paru en 2004 et intitulé La République, les religions, l'espérance : elle consiste non pas à prononcer le décès de la laïcité, mais bien au contraire à la vivifier en l'adaptant à des réalités qui ne sont plus les mêmes qu'il y a un siècle.
On peut se demander s'il est normal que l'entretien des édifices des cultes catholique, protestant et juif soit assuré par les communes dans la mesure où ils existaient déjà avant 1905, alors que tel n'est pas le cas des édifices de la religion islamique, religion dont le nombre de pratiquants sur notre sol s'est accru depuis.
Ne pas trouver de solution à ce problème reviendrait à ouvrir la voie à toutes les dérives fondamentalistes et radicales, à un islam des garages. Tel est le sens de la fondation pour l'islam de France, habilitée à recueillir les financements étrangers destinés à créer de nouveaux lieux de culte islamique, dont le Gouvernement vient de favoriser la création.
Je ne veux pas aller plus avant dans la description de cette politique, qui dépend d'abord de ma collègue Michèle Alliot-Marie, chargée des cultes.
Le Président de la République m'a fait l'honneur de me nommer secrétaire d'État au sein du ministère des affaires étrangères. Vous connaissez sans doute ce mot célèbre de Léon Gambetta, pour lequel la laïcité n'est pas un « article d'exportation ». Je ne vois rien d'autre dans le propos présidentiel que la volonté de mieux prendre en considération l'explosion du fait religieux dans les relations internationales, constat qui ne menace en rien la laïcité française. C'est d'ailleurs pour cela que Bernard Kouchner a lancé, au sein de notre ministère, une réflexion sur le sujet visant à renforcer les instruments d'analyse du phénomène religieux.
Vous avez également évoqué le Conseil de l'Europe. Vous avez raison, son rôle est important en matière de défense des droits de l'homme sur un espace européen plus large que l'Union européenne. Vous lui rendez justice parce qu'on en parle trop peu, tout comme la Cour européenne des droits de l'homme ; j'ai reçu les principaux responsables et je suis allée rendre visite aux autres.
Vous avez parlé, madame Durrieu, de la Transnistrie. Nous nous sommes rendues toutes les deux en Moldavie, au mois de juillet. Ce fut d'ailleurs mon premier déplacement à la suite de ma prise de fonction. Croyez bien que le Conseil de l'Europe n'est pas négligé au sein de l'Union européenne, dont les décisions sont complémentaires. Ainsi, le traité de Lisbonne, signé le 13 décembre dernier, ne s'oppose pas au Conseil de l'Europe. Ce traité a pour objet essentiel d'améliorer les traités existants d'Amsterdam et de Nice. Il ne présente pas de caractère constitutionnel et sa ratification ne nécessite pas de référendum. C'est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez avalisé la révision de la Constitution, avant-hier, en vue de cette ratification.
Monsieur del Picchia, je veux, en cet instant, revenir sur vos propos et aborder la notion de réconciliation. Comme vous le savez, le Président de la République a évoqué dans son récent discours au corps diplomatique du 8 janvier une « diplomatie de la réconciliation », qui correspond au fait que « la France doit parler avec tout le monde », attitude qui n'est pas contradictoire avec la promotion et la défense des droits de l'homme, puisqu'elle laisse la porte ouverte aux dirigeants qui voudraient corriger les erreurs du passé. À défaut de gages suffisants, il est mis fin à la politique de réconciliation, comme ce fut le cas avec la Syrie, notamment.
Au terme « rédemption », parfois employé dans la presse, je préfère l'expression « réinsertion dans la communauté internationale », car il est très difficile aujourd'hui pour un pays, quel qu'il soit, de rester durablement isolé dans un contexte de globalisation croissante. Cela ne veut pas dire oubli, amnésie ou, pis, amnistie. Mais il est de l'intérêt des peuples que nous obtenions des résultats immédiatement tangibles pour eux.
Monsieur le sénateur, vous avez évoqué, dans une acception plus restrictive, les « processus de réconciliation ». À mes yeux, ils ne sont pas contradictoires avec les procédures de pénalisation des crimes les plus graves ; ils leur sont complémentaires, comme nous le montrent les modèles argentin et chilien.
Madame Borvo Cohen-Seat, nous aussi, nous pensons à Gaza, au Kenya, aux autres zones de crise. La France mène une diplomatie proactive. De ce fait, elle ne s'interdit rien et elle est présente partout, même en Birmanie, pays très éloigné du nôtre, géographiquement comme culturellement.
Un projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale doit être présenté très prochainement au Parlement ; les arbitrages sont en cours.
Par ailleurs, la France n'a pas à avoir honte de ses trois grandes lois sur le terrorisme de 1986, 1995 et 2006. Ces textes sont appliqués sous le contrôle du juge et ne comportent aucune mesure d'exception, contrairement à ce qui existe dans d'autres pays, comme les États-Unis ; à titre d'exemple, je citerai la prison de Guantanamo. C'est la raison pour laquelle les autres démocraties envient notre dispositif sécuritaire, qui est de surcroît efficace.
J'en viens à votre réquisitoire sans nuance - permettez-moi cette appréciation - relatif aux droits de l'homme, qui seraient, selon vous, bafoués en France.