Intervention de Alexandre Bompard

Commission des affaires économiques — Réunion du 2 juin 2021 : 1ère réunion
Audition de M. Alexandre Bompard président-directeur général de carrefour

Alexandre Bompard, président-directeur général de Carrefour :

En effet, il y aurait eu un ruissellement très fort s'il n'y avait eu aucune péréquation entre les secteurs. Cet élément est extrêmement important.

Pour ce qui est des négociations et d'Egalim 2, vous avez compris que j'ai un doute sur le fait de savoir s'il faut légiférer aussi souvent sur la question.

Je ne vois pas pourquoi il n'existe pas de transparence sur les prix. Quand je revalorise le prix que je verse à Lactalis et à Danone, je veux savoir ce qu'obtient l'agriculteur. Je suis en droit de le savoir, et la représentation nationale aussi.

Quand j'augmente de 10 % le prix du lait, quand j'augmente le prix de la viande bovine et que j'appelle nos agriculteurs, que je leur demande ce qui s'est passé, qu'ils me répondent que rien n'a changé, qu'ils sont furieux et qu'ils ont l'impression de s'être fait avoir, je ne mets pas en cause les industries agroalimentaires, car d'autres acteurs interviennent. Je me dis que l'argent est passé entre les deux.

Je ne vois pas ce qui s'oppose - et c'est ce qui est très intéressant dans le rapport Papin et que je réclame à cor et à cri depuis le début de la loi Egalim - à avoir des tiers de confiance pour dire combien Carrefour a payé et combien l'agriculteur a touché. Je n'ai pas compris en quoi nous avons besoin d'une nouvelle réforme ou en quoi la nouvelle réforme va le permettre. Sans doute le projet de loi sur lequel vous allez beaucoup travailler permettra-t-il de le préciser.

La seule question, c'est celle de la transparence. Je veux bien qu'on me fasse des reproches si je sais que, lorsqu'on augmente les prix, l'exploitant agricole touche la somme.

Vous avez tout à fait raison : l'industrie agroalimentaire fait un magnifique travail d'innovation, et je comprends que les industriels conservent une petite partie de ce que je verse en plus, mais je crois qu'on a un besoin absolu de compréhension et de transparence en matière de marges.

Je n'ai jamais considéré que le contrôle des prix, les prix administrés ou les prix bloqués, sur longue tendance, soient tenables, surtout dans une matière aussi vivante que la matière agricole.

Que fera-t-on si les cours se mettent à dériver dans tous les sens, à la baisse comme à la hausse et qu'on a fixé le prix au milieu ? Je ne crois pas que l'on puisse arrêter les prix de manière pluriannuelle.

La question centrale est de savoir comment imposer la pluriannualité, la fixité et la transparence. J'y suis franchement favorable, même si je ne suis pas gagnant à tous les coups. C'est extraordinairement frustrant. Nous avons fait beaucoup d'efforts - je parle du monde de la grande distribution - pour revaloriser les filières. C'est pourquoi je considère que la loi Egalim comportait des éléments positifs, car elle comprenait cette prise de conscience dont chacun avait besoin concernant la revalorisation du prix de la matière première. Je pense que l'esprit de la loi Egalim a apporté quelque chose.

Certaines choses ont été faites. Elles sont significatives, financées par les distributeurs. Je ne vois pas leur traduction en bout de chaîne, parce qu'on ne sait pas ce qui revient aux différents acteurs.

C'est un sujet d'autant plus important que, dans notre métier, c'est le consommateur qui choisit. Je ne développe pas les productions locales, les productions françaises, avec 95 % de fruits et de légumes français parce que je considère que c'est une bonne chose : je le fais parce que le consommateur me le demande ! Les consommateurs nous demandent des produits locaux.

On s'est rendu compte qu'un des problèmes principaux qu'on avait avec les nouveaux producteurs et éleveurs qui veulent travailler avec nous, c'est la complexité administrative de nos entreprises. Il fallait des mois pour qu'ils se fassent référencer, avec des contrats de douze pages, et ils attendaient des semaines avant d'être payés. Quand on est éleveur ou producteur, on n'a pas le temps d'attendre.

On a donc lancé l'initiative Kilomètre zéro : ils viennent en magasin, le contrat tient en une page et demie, il est très simple et ils sont payés au bout de huit jours. Cela a permis un appel d'air frais, et de nouveaux producteurs et éleveurs qui nous ont rejoints.

On a besoin d'une agriculture puissante. Quand l'agriculture française va mal, c'est un énorme problème pour Carrefour, parce qu'on a besoin de développer des produits locaux. La présidente de la FNSEA disait l'autre jour, de manière très pertinente, qu'il existe un problème de compétitivité globale, que vous connaissez, lié aux normes sanitaires, au coût du travail, aux normes environnementales, etc. Personne plus que la grande distribution n'a besoin d'une agriculture et d'agriculteurs qui vont bien. C'est aujourd'hui 20 % de mon activité. Les PME représentent 50 % de ma croissance, et un produit sur trois dans mes magasins. J'ai donc besoin que les PME et le monde agricole aillent bien.

Je prends ma part. Je ne fais pas assez, il y a plein de choses qui ne vont pas assez vite, certaines négociations qui sont trop dures. L'un d'entre vous a évoqué à juste titre un monde de négociations lié à des négociations annuelles, où certaines choses ne sont pas acceptables.

Nous travaillons beaucoup pour bâtir des formations et des chartes afin que les négociations avec les grands industriels soient normalisées. Il y a encore plein de choses à changer dans l'univers de la grande distribution, mais je veux vous convaincre qu'on ne pourrait pas faire sans une agriculture française puissante. Je cherche, à travers la transparence et non à travers une nouvelle norme, à faire en sorte qu'on réponde à la seule question centrale qui vaille : qui paye quoi et à qui ? Il nous faut en effet nous assurer de notre modèle agroalimentaire et de notre souveraineté alimentaire.

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