Merci, Mesdames et Messieurs les sénatrices et les sénateurs, de me donner la parole sur un sujet qui nous concerne toutes et tous. Cette audition est la preuve que, de plus en plus, les pouvoirs publics se saisissent de cette question avec la volonté d'avoir le plus d'impact et de façon de plus en plus prégnante.
Comme vous l'avez dit, j'ai été victime de harcèlement scolaire. J'ai choisi d'en faire une force. J'ai choisi de mettre ces 12 années difficiles sur l'autel de l'intérêt public et général. Je suis convaincu qu'on peut ressortir plus fort du harcèlement scolaire. Cela peut servir à beaucoup de personnes. Je suis aussi convaincu par la force du témoignage qui, de jeune à jeune, peut faire passer le message 10, 100, 200 fois plus fort car il retentit avec 200 fois plus d'écho dans les esprits de ces jeunes citoyens.
En effet, au même titre que des adultes, ce sont des citoyens de notre pays. Notre préoccupation est de leur permettre de grandir, de se former, de suivre une scolarité et des études sereinement de façon à se préparer à leur avenir professionnel.
Ces 12 années m'ont servi à imaginer et à construire l'association HUGO ! Sa création a débuté par une phase de concertation qui a permis de faire un constat : quelles problématiques rencontre-t-on ? Comment peut-on avancer et construire de nouvelles choses ? Au bout de six mois de concertation, au cours desquels j'ai rencontré des professionnels du métier et des adultes en contact avec les jeunes, j'ai créé l'association HUGO ! en janvier 2018.
Ce sont quatre lettres, et d'abord le H de harcelé et de harceleur. Les deux souffrent autant et ont besoin d'être aidés et entendus. L'enfant harcelé a besoin d'être reconnu dans son statut de victime, puisqu'on remet souvent en question ses propos : il a donc besoin d'être reconnu à juste titre. En face, l'enfant harceleur, dont on présume en tout cas qu'il a commis des faits de harcèlement scolaire, a besoin de ne pas être stigmatisé. Il a besoin que l'on comprenne d'où vient ce mal-être. Dans neuf cas sur dix, il s'agit d'un mal-être intérieur. Le harceleur est peut-être une ancienne victime de harcèlement scolaire qui, plutôt que d'exprimer son mal-être dans un art ou un sport, va le cibler sur autrui. L'association HUGO ! a toujours laissé la porte ouverte à ces deux enfants.
L'objectif est aussi de montrer que le harcèlement scolaire peut comporter une issue positive : on peut s'en sortir, se reconstruire et en ressortir plus fort.
L'association HUGO ! s'est construite autour de la force du témoignage, mais aussi de la pratique artistique et sportive comme un outil de reconstruction et de reprise de confiance en soi, de nature à ce que, quand les moments les plus durs arrivent dans la vie de l'enfant, il dispose d'un espace où ses qualités et ses compétences sont reconnues à juste titre.
L'association HUGO ! s'est aussi construite autour de quatre grands pôles d'action.
D'abord, la sensibilisation. Il faut sensibiliser non seulement les enfants mais aussi les adultes. Lorsqu'on leur apprend que leur enfant est victime de harcèlement scolaire ou est l'auteur de faits de harcèlement, les parents sont démunis. Ils ont besoin d'être aidés et accompagnés, et qu'on leur donne des outils. En début d'année scolaire, nous organisons généralement des soirées débats avec l'établissement scolaire et en présence des parents pour leur donner les premières clés, afin qu'ils aient les bons réflexes pour réagir dès les premiers signaux d'alerte. C'est un véritable enjeu pour nous.
Globalement, nous sommes convaincus que le harcèlement scolaire doit mobiliser plus largement qu'aujourd'hui. Il a en effet de spécifique qu'il ne fait pas appel qu'aux questions d'éducation. Avec le cyberharcèlement, nous voyons bien qu'il franchit les murs de l'école, du collège ou du lycée. L'enjeu est donc de savoir comment on mobilise plus largement, qu'il s'agisse du grand public, ou des professionnels de la santé, par exemple, de façon à ce que lorsqu'ils reçoivent en consultation un jeune, ils puissent diagnostiquer une situation de harcèlement scolaire.
Cette mobilisation plus large fait l'objet de notre deuxième pôle d'action : la formation. Nous avons lancé en 2018 le premier centre de formation français du harcèlement scolaire, et, plus récemment, la première plateforme de formation en ligne dédiée au harcèlement scolaire. Nous y formons à la fois les professionnels de l'éducation, de l'enseignant au surveillant, mais également les professionnels de la santé. Ainsi, des diététiciens peuvent, à partir de troubles du comportement alimentaire, déceler une situation de harcèlement scolaire - on l'observe dans la plupart des cas. Nous formons aussi des professions juridiques ou des personnels issus de la gendarmerie ou de la police nationale, pour les aider à recueillir la parole d'un jeune.
Un autre acteur peut jouer un très grand rôle dans ce combat : les collectivités territoriales. Quoi de mieux que le Sénat pour en parler ? Je vous donne un exemple concret. Dans un établissement scolaire travaillent des agents territoriaux, qu'ils soient de cantine, de sécurité, de nettoyage. Ces agents sont au contact des jeunes. Ils sont parfois confrontés à des situations de harcèlement et de violence, et les jeunes vont parfois se confier à eux - parfois plus qu'à un psychologue ou un autre professionnel de santé. Or ces professionnels-là ne sont aujourd'hui par formés. Si on les forme, on a une chance d'anticiper davantage le harcèlement scolaire, de le diagnostiquer avant que cela ne déraille. Si on donne à ces professionnels les clés pour recueillir la parole du jeune et savoir à qui la transmettre et comment traiter une situation d'urgence, on peut avoir plus d'impact. On essaie - et cela fait partir de l'ADN de l'association - de créer un vrai triptyque : établissements scolaires, associations et collectivités locales.
Ces dernières ont la responsabilité des moyens des différents établissements scolaires, en fonction de l'échelon administratif. Elles ont un rôle, rien qu'à travers la formation de ces agents territoriaux.
Se pose aussi la question des actions éducatives, et la question de la volonté. Nous développons, dans de nombreux territoires, des expérimentations qui visent à mobiliser, à l'échelle des villes, des dispositifs « 360 » : pendant un an, on lance un projet où toute la ville, toute la collectivité se mobilise pour la question du harcèlement scolaire. Cela passe par la sensibilisation des parents avec les soirées-débats, où le maire ou l'adjoint à l'éducation est impliqué, par de la sensibilisation auprès des jeunes tout au long de l'année - sur le sujet du harcèlement scolaire et du cyberharcèlement - mais aussi par des actions grand public visant à mobiliser autour de la question de la famille. Cela consiste en des activités généralistes qui ont un sens par rapport à la question du harcèlement scolaire.
Cela passe aussi par la définition de référents, dans les mairies, présents en roulement au long de la journée, que les parents identifient et qu'ils peuvent solliciter si leur enfant est victime de harcèlement. C'est inédit et cela fonctionne. Si un parent apprend que son enfant est victime de harcèlement scolaire, il sait qu'il peut se rendre le lendemain matin à la mairie, pour s'adresser à une personne « ressource », formée pour donner les premiers conseils et écouter. On crée un véritable maillage dans les territoires de solutions pour les familles. Le harcèlement scolaire touche certes l'enfant, mais c'est toute la famille qui traverse ce passage difficile. Il faut arriver à voir la famille pour trouver des solutions qui ont un impact positif.
On vise à préparer les jeunes qui sont les adultes de demain. Comme pour une maison, lorsqu'on est jeune, on construit les fondations. Que peut-on attendre de jeunes en difficulté si on sait que dès les fondations, la maison est instable ?
Après les deux pôles d'action que sont la sensibilisation et la formation, nous mettons en oeuvre un accompagnement des familles, sur plusieurs sujets.
Nous travaillons sur la scolarité : nous sommes en lien avec les différentes académies pour répondre aux différents besoins - par exemple s'il faut temporairement mettre en place une scolarité à domicile le temps de trouver une solution plus pérenne. Trouver une stabilité scolaire pour l'enfant constitue un axe d'action important pour nous.
Nous travaillons également sur la santé. Nous ne sommes pas thérapeutes, mais nous disposons d'un réseau que nous avons formé. Notre rôle est de mettre en relation les familles avec les professionnels de santé les plus proches du domicile pour instaurer un suivi pratique et pérenne.
Troisième point de l'accompagnement : on essaie d'identifier une passion chez le jeune pour l'animer et lui redonner confiance en lui. On identifie un partenaire à proximité, que ce soit un club de sport ou un club artistique, suivant les intérêts de l'enfant. On essaie de faire en sorte que l'enfant pratique régulièrement une discipline qu'il aime et qui le reconstruit.
Au-delà de tout cela, l'écoute est un aspect essentiel de l'accompagnement, tant pour les enfants que pour les parents. Nos bénévoles sont mobilisés de façon permanente pour être à cette écoute : répondre à leurs inquiétudes, leur donner des conseils, etc.
Le dernier pôle d'action est le pôle « Agir ». Il regroupe toutes les actions que nous menons pour mieux reconnaître la cause de harcèlement scolaire, par exemple à l'occasion de la journée nationale - devenue internationale en 2020 - de la lutte contre le harcèlement scolaire qui se déroule le premier jeudi de novembre. Nous organisons régulièrement des débats, des événements d'échanges. Nous avons organisé plusieurs marches pour rassembler et fédérer.
Début mai 2021, nous avons initié l'Observatoire national du harcèlement à l'école, au collège et au lycée (Onhecol). Plusieurs initiatives existent qui visent le bien-être et l'intérêt supérieur de l'enfant. Nous avons estimé que nous avions tout intérêt à nous fédérer autour d'une initiative commune, pour partager les bonnes pratiques, les bonnes méthodes et collaborer ensemble. L'enjeu est aussi de mieux coordonner les acteurs pour avoir une voix plus forte auprès des pouvoirs publics mais aussi remonter régulièrement des propositions issues du terrain. L'Observatoire s'est réuni pour la première fois lundi. Nous avons défini un premier grand fil rouge, qui doit consister à délivrer d'ici 2022 un livre blanc présentant des solutions concrètes et efficientes sur le harcèlement scolaire. Une grande consultation en ce sens aura lieu auprès des acteurs associatifs et du grand public, mais aussi des travaux de groupes avec des experts, et des parlementaires qui nous ont rejoints. Nous espérons que ce travail permettra de faire avancer les discussions autour de ce sujet.
Dernier point : depuis le début, nous militons pour la création du délit de harcèlement scolaire, qui n'existe pas en tant que tel. Il existe une circonstance aggravante du délit de harcèlement moral si la victime a moins de 15 ans. C'est un constat partagé par des élus et des experts : aujourd'hui, en France, vous êtes moins protégé en tant qu'enfant lorsque vous êtes victime de harcèlement, que ne l'est un adulte victime de harcèlement au travail.
Ce délit ne serait pas là pour punir, mais pour aider l'enfant harcelé. Cela permettrait de lui reconnaître le statut de victime. On le sait : dans les procédés psychologiques qui entourent le harcèlement scolaire, l'enfant harcelé peut remettre en question son statut de victime, et se demander si ce n'est pas lui qui est à l'origine de cette situation.
Cela permettrait également un financement de l'accompagnement thérapeutique de l'enfant et de la famille. Il existe aujourd'hui une inégalité sociale. J'évoquais l'accompagnement thérapeutique, mais notre association n'est pas capable de financer les séances de psychologue et les différents professionnels de santé qui interviennent. Cela représente un coût estimé entre 600 et 730 euros par mois pour les familles. Créer le délit spécifique de harcèlement scolaire conduirait à reconnaître à l'enfant son statut de victime, ce qui le ferait bénéficier d'un accompagnement avec un parcours de soins, pris en charge par la Sécurité sociale et mobilisant plusieurs professionnels de santé.
Du côté de l'enfant harceleur, il ne s'agit pas de le stigmatiser mais de l'aider à comprendre ses gestes et ses actes. L'idée n'est pas de punir par une sanction de prison ou une sanction financière mais, comme a pu le dire le député Erwan Balanant, de travailler sur des sanctions plutôt constructives. Il peut s'agir d'une obligation de soin pour identifier la source du mal-être, ou l'obligation de suivi d'un stage de sensibilisation, qui permettront à l'enfant harceleur de comprendre les faits, leur ampleur et d'en ressortir plus fort.
Même si on arrive à se reconstruire, cela reste une trace à vie. Je suis malheureusement bien placé pour en parler. On apprend à en faire une force. On a tout à gagner à tout faire pour que les enfants d'aujourd'hui, qui seront les adultes de demain, ne subissent à aucun moment ne serait-ce qu'une heure de ce phénomène.
Je clôturerai ce propos par une citation de Pythagore, qui dit qu'un homme n'est jamais aussi grand que lorsqu'il est à genoux pour aider un enfant. Cela résume ce que nous faisons aujourd'hui. OEuvrer pour les enfants est le plus beau des combats : cela permettra, je crois, d'aboutir à une société plus apaisée.