Mission d'information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement

Réunion du 3 juin 2021 à 10h40

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Sabine Van Heghe

Nous reprenons nos auditions et accueillons pour notre première table-ronde deux associations qui oeuvrent et luttent au quotidien contre le harcèlement scolaire.

Ces associations ont été créées suite à des drames que des parents et des proches ont subi, violemment, sans y avoir été préparés.

Madame Nora Fraisse, vous avez tragiquement perdu votre fille Marion, qui a mis fin à ses jours en février 2013 après avoir été victime de harcèlement. J'ose parler au nom de tous mes collègues pour vous assurer de notre compassion. Votre combat nous touche tous. Vous avez publié un livre sur ce drame, Marion, 13 ans pour toujours, et avez fondé, avec votre mari, l'association Marion, la main tendue pour prévenir et lutter contre les phénomènes de harcèlement scolaire et cyberharcèlement. C'est tout le sens de notre mission d'information que d'empêcher que de tels drames ne se reproduisent.

Monsieur Hugo Martinez, vous avez, quant à vous, été victime de harcèlement pendant 12 ans, avant de fonder l'association « Hugo ! ». Vous avez vécu de l'intérieur ce phénomène et vous connaissez peut-être mieux que quiconque les ressorts psychologiques du harcèlement. Vous êtes d'autant mieux placé pour saisir la pertinence des politiques publiques menées pour lutter contre ce phénomène.

Votre présence à tous les deux, ce matin, au début même de notre réflexion est donc un symbole puissant. Elle traduit la volonté de notre mission d'information, volonté partagée par l'ensemble des groupes politiques du Sénat, de placer les victimes et leurs proches au centre de notre attention. C'est aussi le signe tangible de notre volonté de déboucher, à l'issue de nos travaux en septembre, sur des conclusions opérationnelles en s'appuyant sur l'ensemble des parties concernées.

Me faisant l'interprète de tous mes collègues membres de notre mission d'information, je vous remercie donc très chaleureusement pour votre venue ainsi que pour la contribution que vous allez apporter à nos travaux. Votre regard nous est, en effet, essentiel pour bien cerner et définir la notion.

Il me semble donc très utile que vous nous présentiez votre association, que ce soit les conditions de sa création, ses principales missions mais aussi les partenariats que vous pouvez avoir noués avec l'Éducation nationale. Je souhaite que vous puissiez ensuite nous présenter le phénomène du harcèlement scolaire et du cyberharcèlement, en détailler les modalités d'expression, ainsi que les populations les plus touchées.

Par ailleurs, au vu de l'activité de chacune de vos associations, pouvez-vous nous dire - mais je crains de connaître déjà la réponse - si le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement sont en augmentation, en stagnation ou en diminution ?

Voilà quelques-unes de mes principales interrogations qui, vous l'avez compris, sont très largement partagées. Pour entrer dans le coeur de notre sujet, je vous propose donc à tour de rôle de vous présenter, de préciser votre approche du harcèlement scolaire et votre éventuelle spécificité. Puis, je passerai la parole à Colette Mélot, notre rapporteure, pour qu'elle puisse vous poser un certain nombre de questions et j'inviterai l'ensemble de nos collègues qui le souhaitent à intervenir. De cette façon, notre table-ronde de ce matin sera la plus interactive et la plus ouverte possible.

Debut de section - Permalien
Nora Tirane Fraisse, fondatrice et représentante de l'association Marion, la main tendue

Merci pour cette invitation. Je suis accompagnée de ma collègue Manon Dugas, responsable du pôle thérapeutique à Marion la main tendue et à la Maison de Marion, psychologue-clinicienne, et de Juliette Decaudin, en charge du pôle recherche et développement.

Je suis la fondatrice de l'association Marion la main tendue, que j'ai créée en novembre 2014. Marion, notre fille, était l'aînée d'une fratrie, qualifiée plutôt de bonne élève, enjouée et rieuse. Peu importe les raisons, puisque le harcèlement n'est pas raciste : il existe sur tous nos territoires, en France et dans le monde entier, et auprès de toutes les populations. Après son décès, j'ai découvert le phénomène de harcèlement. Je faisais alors partie de catégories socio-professionnelles plutôt aisées, j'étais responsable marketing. Je travaillais dans ces grandes tours de la Défense. J'ai toujours travaillé sur les thèmes de l'éducation, veillé à lutter contre les inégalités et déterminismes sociaux et scolaires. Je suis engagée pour la protection de l'enfance et de la jeunesse depuis de nombreuses années.

En tant que mère, citoyenne, ancienne enfant de l'école de la République, je n'ai pas compris comment un enfant de 13 ans pouvait mettre fin à ses jours parce qu'il était brimé. Je n'ai pas compris parce que nous ne savions pas ce qu'était le harcèlement.

Je rappelle le contexte. Les premiers travaux lancés sur ce sujet avaient été lancés par Luc Chatel, sous la responsabilité d'Éric Debarbieux. Les premières enquêtes de victimation datent de 2011-2013. C'est à cette époque qu'ont été faites les premières communications sur le harcèlement. Les premières vidéos sur le sujet montrent des gifles, on en est encore aux brimades. Nous avions, à l'époque, 10 ans de retard par rapport aux autres pays. Il était alors - et il le reste parfois - un phénomène qui se passait dans les cours de récréation. On considérait que c'était la faute des enfants : ils devaient se faire des amis.

Marion faisait partie de ces élèves, auxquelles se référaient les premières enquêtes de victimation. 40 % des bons élèves étaient stigmatisés. Il fallait devenir le « ventre mou » d'une classe ou d'une école pour s'en sortir. On a ensuite compris que le harcèlement touchait tout le monde, et qu'il n'y avait pas de profil type.

En 2013, avec mon mari, nous n'avons pas compris. Je suis une combattante qui cherche à trouver des solutions. Je répondrai à vos questions, mais je ne me placerai pas dans un registre victimaire. Ce n'est pas mon sujet.

J'ai créé l'association Marion la main tendue pour lui rendre hommage et pour porter sa voix, au même titre que j'ai écrit Marion, 13 ans pour toujours, une longue lettre à ma fille, pour comprendre le phénomène de harcèlement. Les derniers chapitres ont été écrits en 2014 : « il faut agir plus vite et plus fort ». Je réclamais déjà à l'époque l'intervention des pouvoirs publics, parce que c'est un phénomène de santé publique et de sécurité publique. Qui s'occupe de l'éducation s'occupe de la Nation : il faut s'occuper de nos enfants.

Le livre Marion, 13 ans pour toujours est sorti dans le monde entier et a fait l'objet d'une adaptation. J'étais la première surprise. Je finissais en écrivant « Je suis ta voix, je suis tes bras, je serai ton combat. D'une histoire personnelle peut naître l'universel ». C'était une prédiction. Je pensais que des parents allaient acheter ce livre, mais ce sont des enfants qui m'ont écrit et m'ont demandé de venir dans leur école pour les aider. C'est ainsi que sont apparues mes premières interventions. Grâce à mon parcours personnel - je viens des « quartiers », mot que je déteste -, j'ai compris que je devais aller sur tous les territoires.

J'ai rencontré, depuis 8 ans 5 000 à 8 000 enfants par an. Quand j'allais dans un établissement, j'en faisais tout le tour, car je craignais de ne pas prévenir à temps un enfant victime : j'aurais alors raté mon combat.

J'ai alors créé le guide « Stop au harcèlement » pour donner les clés aux parents. Je souhaitais oeuvrer à la transmission sur tous les territoires, auprès de toutes les familles. Je m'intéresse précisément aux familles allophones, celles qui ne comprennent pas. Les « sachants » savent déjà. Ceux qui nous regardent savent déjà, mais ceux qui m'intéressent sont ceux qui ne savent pas. C'est pour cela que je demande des politiques publiques fortes, consistant à lutter contre la fracture numérique, contre l'illectronisme. Certes, toutes les catégories socio-professionnelles et tous les territoires sont concernés, mais les violences sont différentes en fonction des milieux. Donc il faut aller partout : dans les lycées agricoles, les lycées de la mer, les lycées professionnels.

L'association a pris beaucoup d'ampleur et a donné lieu à une antenne au Luxembourg que j'ai fermée.

J'ai créé la Maison de Marion, première structure en France et en Europe pour accueillir les personnes harcelées. Quand vous perdez un enfant, quand celui-ci est victime de harcèlement, quand il est hospitalisé, toute la famille s'arrête. C'est un tsunami : vous ne travaillez plus et vous ne mangez plus. J'ai eu la chance d'avoir un bon réseau, avec un très bon avocat, David Paire, un bon médecin, un bon psychologue et de bons amis. Je pensais que la Maison de Marion devait ressembler à cela, à la maison de mes parents, dans ces quartiers où les enfants ne traînaient pas et venaient parce qu'il y avait du bon café, des livres et de la joie.

Je tiens à remercier ici, publiquement et solennellement, Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, qui ne m'a pas lâchée et nous a aidés, Jean-Michel Blanquer, ainsi que la Direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) qui a conventionné avec nous pour ouvrir la Maison de Marion et nous a inclus dans le débat.

Nous sommes la première association qui traite dans leur totalité ces sujets, agréée au niveau national par le ministère de l'éducation nationale. Je suis désormais membre du comité d'experts auprès du ministre pour apporter des solutions concrètes, et membre du jury national du prix « Non au harcèlement ».

Je suis transpartisane : ce qui m'intéresse est de sauver des vies et accompagner des familles.

Nous avons beaucoup de réussite, mais il reste beaucoup à faire. J'espère que nous pourrons en parler.

Je ne suis pas une femme d'état des lieux - le baromètre l'a fait -, d'observatoires, je suis dans l'action. J'ai des propositions, qui ont été faites et qui sont remontées. Notre association a eu la chance d'être reçue à haut niveau, car on comprend que nous ne sommes pas dans la polémique.

J'ai accepté cette invitation car je voudrais que nous trouvions des solutions ensemble. Nous en avons mis en place, et nous en avons.

Vous avez peut-être envie d'une loi. Le délit de harcèlement à l'école a été créé lors des discussions de la loi du 4 août 2014 sur les violences entre époux et sur les violences conjugales. La loi du 3 août 2018 a instauré des délits. Des règles numériques existent, de même que le délit de revenge porn. Tout existe déjà mais, en France comme ailleurs, subsiste une carence, car la loi n'est pas appliquée. Pourquoi ?

Il faut réussir à porter plainte, ce qui est difficile. Nous réclamons donc un guichet unique. La petite Alisha est décédée. Victime de revenge porn, elle a voulu porter plainte : après quatre heures d'attente, elle est partie. Au sujet de Marion, nous en sommes, avec David Paire, à huit ans de procédure, sans encore être parvenu à un procès. Quel signe donne-t-on aux agresseurs ? Lorsque vous voulez porter plainte, les plaintes ne sont pas acceptées. C'est inacceptable.

Les solutions existent. Il faut insister sur la responsabilité des GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) mais aussi mettre en place une politique publique forte. Il faut ainsi créer un guichet unique - auquel nous travaillons - et former les professeurs. Je remercie ici l'Éducation nationale de sa confiance : nous avons conventionné et nous allons lancer les premières formations dans les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé), avec ceux de Paris et de Créteil. Nous allons former 300 professeurs à la Maison de Marion dans les compétences psycho-sociales. Nous agissons dès l'âge de 3 ans, jusqu'à bac + 3 à bac + 4.

Nous travaillons sur la transparence des chiffres. On ne peut pas aider 50 000 familles car nous sommes 8 permanents. Nous devons être plus nombreux.

À titre personnel, j'intègre le collège citoyen qui vient d'être créé pour développer, à terme, dix maisons de Marion sur tous les territoires. Je ne veux pas que, sur un territoire, faute d'argent et de volonté politique et publique, des enfants meurent et des familles soient détruites pour ne pas avoir trouvé le bon interlocuteur.

Le harcèlement est un sujet extrêmement grave. Nous ne parlons pas de harcèlement scolaire, mais de harcèlement entre pairs. Ce qui compte est que les violences soient répétées, mais pas nécessairement par la même personne : dans le raid numérique, il suffit d'une meute de personnes qui n'attaquent qu'une fois pour vous détruire en 24 heures. Une jeune femme de 14 ans victime de revenge porn vient ainsi de mettre fin à ses jours en Belgique.

Ce sont la personne victime et son environnement qui m'intéressent : la Maison de Marion a été construite autour de cinq pôles, dont les pôles thérapeutique, famille, et raccrochage scolaire - de nombreux enfants délaissent l'école en raison du harcèlement scolaire et du confinement.

Je souligne à cet égard que l'endroit où le harcèlement a lieu importe peu, à la différence de la question de savoir comment il a lieu, par qui il est perpétré, ainsi que les conséquences sur la victime et sa famille.

Je pense que le harcèlement à l'école est en diminution - précisément dans son enceinte. Dès le CP, les enfants connaissent le phénomène de harcèlement, le rejet de la différence et l'ostracisme, mais ils ne sont pas armés et sont démunis face à la meute. Nous développons par conséquent des ateliers d'empathie et de compétence psycho-sociale. Comme l'indique notre baromètre national, les professeurs se sentent concernés mais sont démunis, raison pour laquelle nous proposons des formations.

Je ne crois pas que le harcèlement soit en augmentation en matière de cyberviolences. Je n'ai pas de chiffres. Après le décès d'un enfant, nous avons parfois 100 à 200 % d'augmentation de demandes à l'aide, mais cela ne signifie pas que le harcèlement augmente de 200 %.

Le confinement, en tout cas, a déporté les violences sur les réseaux sociaux, mais pas seulement. 50 % du harcèlement est réalisé via des messageries privées et des SMS. Les parents se rassurent souvent en se disant que leur enfant n'a pas accès aux réseaux sociaux. Ce n'est tout d'abord pas le cas : il n'y a pas de contrôle. Ensuite, cela s'est déporté, car avec l'école à la maison, de nombreux parents, avec la fracture numérique, ne disposaient pas de plusieurs ordinateurs portables. Ils ont donné des téléphones portables. L'usage récréatif s'est mué en usage informatif, avant de devenir un véhicule de colère, voire une arme de destruction massive, avec la visualisation de contenus inappropriés. Je n'ai aucun souci avec les écrans, mais l'usage qu'on en fait - la durée de consommation et le contenu - sont problématiques. Si je regarde « C'est pas sorcier » pendant une heure, et dix minutes de pornographie, ce n'est pas la même chose !

Dernière chose, puisque nous sommes l'association des familles : nous accueillons les harceleurs - nous avons pour cela conventionné avec des établissements. Le harcèlement est une relation triangulaire : d'abord la meute avec les suiveurs, ensuite la personne victime, dite « cible », et sa famille, et enfin les témoins. Il faut agir et accompagner ces témoins : ce sont aussi les adultes, et donc toute la communauté éducative. Notre slogan est « Le harcèlement n'est pas une fatalité, il faut agir ensemble ».

Ce qui compte est que, quand un enfant vient, on ne lui demande pas qui il est ni d'où il vient. On accompagne chaque enfant jusqu'au bout : c'est le guichet unique.

Je ne pense pas que le harcèlement a augmenté, mais je pense qu'on peut le réduire. Nous allons y arriver ensemble. Avec le conseil d'administration, et notamment notre vice-présidente Catherine Jacquier - qui est aussi responsable et directrice générale des « Petits citoyens » -, nous sommes particulièrement déterminés.

Il faut redonner aux enfants l'idée que la France leur appartient, leur rappeler qu'ils ont leur place à l'école comme dans la société. Il faut donc lutter contre les inégalités territoriales et les préjugés, développer les rôles modèles, et souligner qu'on peut s'en sortir et qu'on a le droit d'être un enfant différent. J'ai été ostracisée pour différentes raisons, mais cela ne m'empêche pas de poursuivre.

Je vous remercie pour votre attention.

Debut de section - Permalien
Hugo Martinez, président de l'association HUGO !

Merci, Mesdames et Messieurs les sénatrices et les sénateurs, de me donner la parole sur un sujet qui nous concerne toutes et tous. Cette audition est la preuve que, de plus en plus, les pouvoirs publics se saisissent de cette question avec la volonté d'avoir le plus d'impact et de façon de plus en plus prégnante.

Comme vous l'avez dit, j'ai été victime de harcèlement scolaire. J'ai choisi d'en faire une force. J'ai choisi de mettre ces 12 années difficiles sur l'autel de l'intérêt public et général. Je suis convaincu qu'on peut ressortir plus fort du harcèlement scolaire. Cela peut servir à beaucoup de personnes. Je suis aussi convaincu par la force du témoignage qui, de jeune à jeune, peut faire passer le message 10, 100, 200 fois plus fort car il retentit avec 200 fois plus d'écho dans les esprits de ces jeunes citoyens.

En effet, au même titre que des adultes, ce sont des citoyens de notre pays. Notre préoccupation est de leur permettre de grandir, de se former, de suivre une scolarité et des études sereinement de façon à se préparer à leur avenir professionnel.

Ces 12 années m'ont servi à imaginer et à construire l'association HUGO ! Sa création a débuté par une phase de concertation qui a permis de faire un constat : quelles problématiques rencontre-t-on ? Comment peut-on avancer et construire de nouvelles choses ? Au bout de six mois de concertation, au cours desquels j'ai rencontré des professionnels du métier et des adultes en contact avec les jeunes, j'ai créé l'association HUGO ! en janvier 2018.

Ce sont quatre lettres, et d'abord le H de harcelé et de harceleur. Les deux souffrent autant et ont besoin d'être aidés et entendus. L'enfant harcelé a besoin d'être reconnu dans son statut de victime, puisqu'on remet souvent en question ses propos : il a donc besoin d'être reconnu à juste titre. En face, l'enfant harceleur, dont on présume en tout cas qu'il a commis des faits de harcèlement scolaire, a besoin de ne pas être stigmatisé. Il a besoin que l'on comprenne d'où vient ce mal-être. Dans neuf cas sur dix, il s'agit d'un mal-être intérieur. Le harceleur est peut-être une ancienne victime de harcèlement scolaire qui, plutôt que d'exprimer son mal-être dans un art ou un sport, va le cibler sur autrui. L'association HUGO ! a toujours laissé la porte ouverte à ces deux enfants.

L'objectif est aussi de montrer que le harcèlement scolaire peut comporter une issue positive : on peut s'en sortir, se reconstruire et en ressortir plus fort.

L'association HUGO ! s'est construite autour de la force du témoignage, mais aussi de la pratique artistique et sportive comme un outil de reconstruction et de reprise de confiance en soi, de nature à ce que, quand les moments les plus durs arrivent dans la vie de l'enfant, il dispose d'un espace où ses qualités et ses compétences sont reconnues à juste titre.

L'association HUGO ! s'est aussi construite autour de quatre grands pôles d'action.

D'abord, la sensibilisation. Il faut sensibiliser non seulement les enfants mais aussi les adultes. Lorsqu'on leur apprend que leur enfant est victime de harcèlement scolaire ou est l'auteur de faits de harcèlement, les parents sont démunis. Ils ont besoin d'être aidés et accompagnés, et qu'on leur donne des outils. En début d'année scolaire, nous organisons généralement des soirées débats avec l'établissement scolaire et en présence des parents pour leur donner les premières clés, afin qu'ils aient les bons réflexes pour réagir dès les premiers signaux d'alerte. C'est un véritable enjeu pour nous.

Globalement, nous sommes convaincus que le harcèlement scolaire doit mobiliser plus largement qu'aujourd'hui. Il a en effet de spécifique qu'il ne fait pas appel qu'aux questions d'éducation. Avec le cyberharcèlement, nous voyons bien qu'il franchit les murs de l'école, du collège ou du lycée. L'enjeu est donc de savoir comment on mobilise plus largement, qu'il s'agisse du grand public, ou des professionnels de la santé, par exemple, de façon à ce que lorsqu'ils reçoivent en consultation un jeune, ils puissent diagnostiquer une situation de harcèlement scolaire.

Cette mobilisation plus large fait l'objet de notre deuxième pôle d'action : la formation. Nous avons lancé en 2018 le premier centre de formation français du harcèlement scolaire, et, plus récemment, la première plateforme de formation en ligne dédiée au harcèlement scolaire. Nous y formons à la fois les professionnels de l'éducation, de l'enseignant au surveillant, mais également les professionnels de la santé. Ainsi, des diététiciens peuvent, à partir de troubles du comportement alimentaire, déceler une situation de harcèlement scolaire - on l'observe dans la plupart des cas. Nous formons aussi des professions juridiques ou des personnels issus de la gendarmerie ou de la police nationale, pour les aider à recueillir la parole d'un jeune.

Un autre acteur peut jouer un très grand rôle dans ce combat : les collectivités territoriales. Quoi de mieux que le Sénat pour en parler ? Je vous donne un exemple concret. Dans un établissement scolaire travaillent des agents territoriaux, qu'ils soient de cantine, de sécurité, de nettoyage. Ces agents sont au contact des jeunes. Ils sont parfois confrontés à des situations de harcèlement et de violence, et les jeunes vont parfois se confier à eux - parfois plus qu'à un psychologue ou un autre professionnel de santé. Or ces professionnels-là ne sont aujourd'hui par formés. Si on les forme, on a une chance d'anticiper davantage le harcèlement scolaire, de le diagnostiquer avant que cela ne déraille. Si on donne à ces professionnels les clés pour recueillir la parole du jeune et savoir à qui la transmettre et comment traiter une situation d'urgence, on peut avoir plus d'impact. On essaie - et cela fait partir de l'ADN de l'association - de créer un vrai triptyque : établissements scolaires, associations et collectivités locales.

Ces dernières ont la responsabilité des moyens des différents établissements scolaires, en fonction de l'échelon administratif. Elles ont un rôle, rien qu'à travers la formation de ces agents territoriaux.

Se pose aussi la question des actions éducatives, et la question de la volonté. Nous développons, dans de nombreux territoires, des expérimentations qui visent à mobiliser, à l'échelle des villes, des dispositifs « 360 » : pendant un an, on lance un projet où toute la ville, toute la collectivité se mobilise pour la question du harcèlement scolaire. Cela passe par la sensibilisation des parents avec les soirées-débats, où le maire ou l'adjoint à l'éducation est impliqué, par de la sensibilisation auprès des jeunes tout au long de l'année - sur le sujet du harcèlement scolaire et du cyberharcèlement - mais aussi par des actions grand public visant à mobiliser autour de la question de la famille. Cela consiste en des activités généralistes qui ont un sens par rapport à la question du harcèlement scolaire.

Cela passe aussi par la définition de référents, dans les mairies, présents en roulement au long de la journée, que les parents identifient et qu'ils peuvent solliciter si leur enfant est victime de harcèlement. C'est inédit et cela fonctionne. Si un parent apprend que son enfant est victime de harcèlement scolaire, il sait qu'il peut se rendre le lendemain matin à la mairie, pour s'adresser à une personne « ressource », formée pour donner les premiers conseils et écouter. On crée un véritable maillage dans les territoires de solutions pour les familles. Le harcèlement scolaire touche certes l'enfant, mais c'est toute la famille qui traverse ce passage difficile. Il faut arriver à voir la famille pour trouver des solutions qui ont un impact positif.

On vise à préparer les jeunes qui sont les adultes de demain. Comme pour une maison, lorsqu'on est jeune, on construit les fondations. Que peut-on attendre de jeunes en difficulté si on sait que dès les fondations, la maison est instable ?

Après les deux pôles d'action que sont la sensibilisation et la formation, nous mettons en oeuvre un accompagnement des familles, sur plusieurs sujets.

Nous travaillons sur la scolarité : nous sommes en lien avec les différentes académies pour répondre aux différents besoins - par exemple s'il faut temporairement mettre en place une scolarité à domicile le temps de trouver une solution plus pérenne. Trouver une stabilité scolaire pour l'enfant constitue un axe d'action important pour nous.

Nous travaillons également sur la santé. Nous ne sommes pas thérapeutes, mais nous disposons d'un réseau que nous avons formé. Notre rôle est de mettre en relation les familles avec les professionnels de santé les plus proches du domicile pour instaurer un suivi pratique et pérenne.

Troisième point de l'accompagnement : on essaie d'identifier une passion chez le jeune pour l'animer et lui redonner confiance en lui. On identifie un partenaire à proximité, que ce soit un club de sport ou un club artistique, suivant les intérêts de l'enfant. On essaie de faire en sorte que l'enfant pratique régulièrement une discipline qu'il aime et qui le reconstruit.

Au-delà de tout cela, l'écoute est un aspect essentiel de l'accompagnement, tant pour les enfants que pour les parents. Nos bénévoles sont mobilisés de façon permanente pour être à cette écoute : répondre à leurs inquiétudes, leur donner des conseils, etc.

Le dernier pôle d'action est le pôle « Agir ». Il regroupe toutes les actions que nous menons pour mieux reconnaître la cause de harcèlement scolaire, par exemple à l'occasion de la journée nationale - devenue internationale en 2020 - de la lutte contre le harcèlement scolaire qui se déroule le premier jeudi de novembre. Nous organisons régulièrement des débats, des événements d'échanges. Nous avons organisé plusieurs marches pour rassembler et fédérer.

Début mai 2021, nous avons initié l'Observatoire national du harcèlement à l'école, au collège et au lycée (Onhecol). Plusieurs initiatives existent qui visent le bien-être et l'intérêt supérieur de l'enfant. Nous avons estimé que nous avions tout intérêt à nous fédérer autour d'une initiative commune, pour partager les bonnes pratiques, les bonnes méthodes et collaborer ensemble. L'enjeu est aussi de mieux coordonner les acteurs pour avoir une voix plus forte auprès des pouvoirs publics mais aussi remonter régulièrement des propositions issues du terrain. L'Observatoire s'est réuni pour la première fois lundi. Nous avons défini un premier grand fil rouge, qui doit consister à délivrer d'ici 2022 un livre blanc présentant des solutions concrètes et efficientes sur le harcèlement scolaire. Une grande consultation en ce sens aura lieu auprès des acteurs associatifs et du grand public, mais aussi des travaux de groupes avec des experts, et des parlementaires qui nous ont rejoints. Nous espérons que ce travail permettra de faire avancer les discussions autour de ce sujet.

Dernier point : depuis le début, nous militons pour la création du délit de harcèlement scolaire, qui n'existe pas en tant que tel. Il existe une circonstance aggravante du délit de harcèlement moral si la victime a moins de 15 ans. C'est un constat partagé par des élus et des experts : aujourd'hui, en France, vous êtes moins protégé en tant qu'enfant lorsque vous êtes victime de harcèlement, que ne l'est un adulte victime de harcèlement au travail.

Ce délit ne serait pas là pour punir, mais pour aider l'enfant harcelé. Cela permettrait de lui reconnaître le statut de victime. On le sait : dans les procédés psychologiques qui entourent le harcèlement scolaire, l'enfant harcelé peut remettre en question son statut de victime, et se demander si ce n'est pas lui qui est à l'origine de cette situation.

Cela permettrait également un financement de l'accompagnement thérapeutique de l'enfant et de la famille. Il existe aujourd'hui une inégalité sociale. J'évoquais l'accompagnement thérapeutique, mais notre association n'est pas capable de financer les séances de psychologue et les différents professionnels de santé qui interviennent. Cela représente un coût estimé entre 600 et 730 euros par mois pour les familles. Créer le délit spécifique de harcèlement scolaire conduirait à reconnaître à l'enfant son statut de victime, ce qui le ferait bénéficier d'un accompagnement avec un parcours de soins, pris en charge par la Sécurité sociale et mobilisant plusieurs professionnels de santé.

Du côté de l'enfant harceleur, il ne s'agit pas de le stigmatiser mais de l'aider à comprendre ses gestes et ses actes. L'idée n'est pas de punir par une sanction de prison ou une sanction financière mais, comme a pu le dire le député Erwan Balanant, de travailler sur des sanctions plutôt constructives. Il peut s'agir d'une obligation de soin pour identifier la source du mal-être, ou l'obligation de suivi d'un stage de sensibilisation, qui permettront à l'enfant harceleur de comprendre les faits, leur ampleur et d'en ressortir plus fort.

Même si on arrive à se reconstruire, cela reste une trace à vie. Je suis malheureusement bien placé pour en parler. On apprend à en faire une force. On a tout à gagner à tout faire pour que les enfants d'aujourd'hui, qui seront les adultes de demain, ne subissent à aucun moment ne serait-ce qu'une heure de ce phénomène.

Je clôturerai ce propos par une citation de Pythagore, qui dit qu'un homme n'est jamais aussi grand que lorsqu'il est à genoux pour aider un enfant. Cela résume ce que nous faisons aujourd'hui. OEuvrer pour les enfants est le plus beau des combats : cela permettra, je crois, d'aboutir à une société plus apaisée.

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Mélot

Madame, Monsieur les représentants d'association, mes chers collègues, je vous remercie pour vos deux présentations liminaires qui se sont utilement complétées, en envisageant un regard différent sur le sujet du harcèlement scolaire. Je crois pouvoir dire au nom de toutes les personnes présentes que vos propos nous ont beaucoup touchés car vous avez vécu des situations très difficiles, soit en tant que parent, soit en tant que victime. Elles nous ont permis de mieux cerner ce phénomène et ses développements, ainsi que leur impact douloureux sur les victimes et leurs proches.

Nous allons essayer de prolonger ce premier échange en vous faisant part de plusieurs des préoccupations qui sont les nôtres, pour le rapport qui viendra en conclusion de nos travaux au mois de septembre.

Selon vous, la France est-elle « en phase » avec ses principaux partenaires - tous ceux qui sont concernés par le phénomène de harcèlement - ou existe-t-il à votre connaissance un pays comparable au nôtre, mais qui soit plus durement touché (ou a contrario totalement épargné par ce phénomène) ? Il est toujours intéressant de faire des comparaisons pour se laisser la possibilité de trouver des solutions ailleurs.

Quelles sont, à votre connaissance, les mesures prises par le ministère de l'éducation nationale ? Vous l'avez dit, beaucoup de mesures ont été prises pour lutter contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement. Quel regard portez-vous sur ces mesures ? Vous l'avez dit, Madame, il existe beaucoup d'outils mais encore faut-il les appliquer. Avez-vous des pistes d'amélioration à nous suggérer ?

Estimez-vous que les personnels de l'Éducation nationale (enseignants et personnels administratifs) soient suffisamment formés ? Vous avez dit, l'un et l'autre, qu'ils le sont - il existe des lieux et des mesures de formation. Les réponses proposées par les enseignants et les personnels de direction vous paraissent-elles aujourd'hui adaptées ? Les premières mesures ont été prises il y a dix ans, et le cyberharcèlement a un peu accéléré les choses.

De manière générale, à quelles difficultés êtes-vous confrontés pour lutter contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement (moyens, inertie administrative, absence de prise en compte du phénomène....) ?

Quelles sont vos relations avec les entreprises des réseaux sociaux ? Constatez-vous une évolution de leurs politiques ces dernières années face à ce phénomène ? Ces réseaux mesurent-ils pleinement l'ampleur du phénomène ou restent-ils passifs ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Eustache-Brinio

Merci à vous, Madame, Monsieur.

Je vais commencer par une parenthèse, vite refermée. Nous avons hier eu d'autres auditions qui m'ont, à titre personnel et au niveau de l'Éducation nationale, un peu glacée. C'est important de partager avec vous, car on a l'impression que les acteurs que vous êtes ont pris les choses en main un peu différemment de certaines institutions. Merci infiniment.

Je commence par une question, Madame : croyez-vous vraiment que, au niveau de l'Éducation nationale, se pose uniquement un problème de formation des enseignants ? Est-ce vraiment le sujet ? De manière provocatrice, faut-il être formé pour pouvoir prendre en compte le harcèlement lorsqu'on est enseignant ? J'étais enseignante, c'est pour cela que je vous pose cette question. J'ai enseigné pendant 25 ans dans le lycée où étudiait la petite Alisha, qui a malheureusement été retrouvée dans la Seine à Argenteuil. J'ai toujours des liens avec l'équipe éducative qui ne se remet pas de ce drame, d'autant que c'est une équipe très impliquée sur le suivi des enfants. Est-ce vraiment un problème de formation ? Je pense que c'est un peu plus compliqué que ça. L'Éducation nationale veut-elle vraiment bousculer les lignes pour y arriver ?

Vous avez rappelé les premiers travaux sous le ministre Luc Chatel. Nous avons entendu hier un ancien membre de son cabinet. Ce sont des travaux que je ne connaissais pas. On se dit que, dix ans après, il ne s'est pas passé grand-chose, ou du moins pas assez. Dix ans, ce n'est pas rien !

Vous avez parlé de pistes, Monsieur. J'ai une question ouverte sur le référent municipal. De quoi s'agit-il ? Quelle formation a-t-il pour prendre en charge cet énorme paquet ? Il faut faire très attention. Pour avoir été élue locale comme mes collègues ici, on ne peut pas confier tout à n'importe qui. Les dégâts peuvent aussi être importants. Je fais cette parenthèse : on ne peut pas confier à un employé municipal sans savoir comment, pourquoi il le fait, avec quelle formation, et quelle est la mission qu'on lui donne précisément.

Je voulais revenir sur votre questionnement. Nous sommes législateurs. Je me pose la question de la vraie nécessité d'un délit de harcèlement scolaire, car il existe déjà un délit de harcèlement. Il me semble - mais vous m'apporterez peut-être la contradiction - que si on voulait utiliser les outils que nous avons, nous pourrions faire des choses pour prendre en charge les enfants. Je crains que nous n'ayons déjà des outils mais qu'on ne les utilise pas, pour des raisons que la mission d'information pourra peut-être déceler et comprendre.

L'Éducation nationale est pour moi un secteur essentiel. Les enfants sont confiés, une grande partie de leur journée, à cette belle institution. Un enfant passe une partie de sa vie à l'école, l'autre dehors, et on ne peut pas dissocier le temps : c'est le temps de l'enfant. Il faut peut-être bousculer un peu les murs.

Debut de section - PermalienPhoto de Céline Boulay-Espéronnier

Je souscris totalement à ce qui vient d'être dit par Jacqueline Eustache-Brinio. Je pense que la technocratie peut être l'ennemie de l'efficacité qu'on recherche dans un tel domaine et qu'il faut des gens qui aient été confrontés, et au plus près, à ce problème majeur du harcèlement. Vos témoignages et votre l'action sont très importants.

Je voudrais parler du cercle vicieux qu'est le mutisme. Il existe à mes yeux un parallélisme entre le harcèlement scolaire et les violences conjugales et intrafamiliales. Il peut y avoir une espèce de syndrome de Stockholm - vous l'avez évoqué, Monsieur - où l'enfant qui est harcelé peut ne pas se considérer comme étant victime et s'enfermer dans un mutisme en disant que c'est de sa faute. À mon avis, c'est là que peuvent intervenir les professionnels de la médecine et de la psychologie pour déceler le problème, là où c'est le plus difficile. C'est aussi une question de caractère ; des enfants parlent et communiquent, d'autres sont dans le secret. Y a-t-il donc un terreau pour le harcèlement ? Il peut y avoir autant de situations de harcèlement que d'enfants. Quand on considère qu'un enfant est un peu différent - vous parliez des meilleurs de la classe - il peut être plus harcelé qu'un autre ? N'y a-t-il pas de profil type ?

Deuxième question : est-il bien de parler seulement de harcèlement ? C'est un problème majeur, mais ne devrait-on pas plutôt parler de violences, voire de délinquance ? Ce sont des mots aussi forts qui, à mon sens sont complémentaires.

Enfin, existe-t-il un parallélisme de situation entre un enfant qui serait victime de violences intrafamiliales et qui deviendrait harceleur au sein de l'école où à l'extérieur ?

Debut de section - PermalienPhoto de Toine Bourrat

Plus tôt on identifiera un enfant harcelé, plus vite on pourra le prendre en charge et lui venir en aide.

Je voudrais rebondir sur le personnel présent dans l'établissement en dehors des cours. On sait que, la plupart du temps, c'est dans ces situations que le harcèlement commence. Parmi les solutions, ne pourrait-on pas envisager de s'appuyer sur les assistants d'éducation dans les collèges (ou ailleurs) qui, selon moi, ont un rôle majeur dans l'accompagnement des enfants, qui connaissent parfaitement chaque élève de l'établissement ? Ce sont les premiers qui pourraient identifier un changement de comportement (un enfant isolé ou qui mange seul à la cantine). On parle des enseignants et de formation du personnel encadrant, mais à mon sens, c'est davantage en dehors des cours que se posent les problèmes plutôt qu'en dedans.

Debut de section - Permalien
Nora Tirane Fraisse, fondatrice et représentante de l'association Marion, la main tendue

Nous avons élaboré le baromètre national du harcèlement : vous pouvez avoir tous les chiffres et des données précises. C'était une enquête « miroir » auprès des Français de 15 ans et plus et des enseignants.

Vous avez souligné que cela fait dix ans qu'on se bat. Pour nous, cela fait huit ans. Après le décès de Marion, et à l'occasion des débats sur le projet de loi de refondation de l'école en 2013, nous avons milité pour un numéro court d'aide aux victimes, le 30 20 qui, aujourd'hui, recueille 85 000 sollicitations. Il est très méconnu par les enseignants : seulement 3 % le connaissent. 80 % des enseignants estiment que le harcèlement entre pairs est un phénomène d'ampleur, et 29 % dans leur établissement.

Lorsque Marion est décédée, j'estimais que, derrière chaque fonction, il y a des hommes et des femmes. C'est donc certes une question de posture, comme lorsqu'on demande à une femme qui se fait violenter par son conjoint si elle a besoin d'aide, mais, d'un autre côté, quand vous êtes en classe, vous avez besoin d'être formé sur la détection des signaux faibles. Le baromètre et toutes les enquêtes le confirment : il n'y a pas de profil type. Toutefois, vous avez raison, des personnes plus vulnérables deviennent, aux yeux de la meute, des personnes cibles. On les a identifiées.

Le harcèlement consiste en des violences physiques, morales et/ou psychologiques. Par exemple, le racket ou le happy slapping sont les harcèlements parmi les plus durs à vivre : ils impliquent de la menace, du chantage, des coups, de l'exclusion et de l'isolement. Le racket commence dès le plus jeune âge. On commence dès la grande section, et la première chose qu'évoquent les enfants, lorsqu'ils parlent de harcèlement, c'est le racket et le vol de goûter.

Vous parlez du collège, et vous aviez raison de mettre l'accent sur le rôle des assistants d'éducation (AED). Une étude a été menée il y a trois ans en région Auvergne-Rhône-Alpes, avec le centre de ressources systémiques contre les intimidations scolaires (ReSIS), pour identifier les zones à risque. Il y en avait deux. Et les AED sont identifiés par les élèves comme des adultes de confiance. Ils représentent la vie scolaire et, en même temps, ils sont plus proches d'eux en termes d'âge. Ils sont aux abords, dans les couloirs. On doit leur donner non pas une responsabilité, mais une vraie place dans la prévention et l'accompagnement. On compte sur les « invisibles », mais on ne les responsabilise pas et on ne les valorise pas. Le personnel de cantine voit qui mange et qui ne mange pas, le gardien voit qui arrive en retard, qui est le dernier arrivé, le dernier parti, qui tombe systématiquement dans le bus.

La France n'est pas Paris. La France, c'est une banlieue composée de la province, avec des zones blanches. Il y a des zones où, le collège ou l'école primaire commençant à 8 heures du matin, les enfants se lèvent à 6 heures. Ils ont parfois vécu deux heures de galères dans les transports. Le chauffeur de bus conduit : il faudrait donc peut-être développer, comme au Québec, des vigies, ou des élèves ambassadeurs.

On est passé de 5 000 à 10 000 élèves ambassadeurs en France. Je milite pour agir dès la maternelle ! Nous étions en école primaire hier avec des familles, nous sommes aujourd'hui à l'école Ferrandi pour parler du harcèlement moral, sexiste et sexuel. Nous sommes 24 heures sur 24 sur le terrain. Nous en avons tiré des intuitions, confirmées par le baromètre.

Les professeurs nous disent qu'ils sont démunis. Pas simplement parce qu'ils ne sont pas formés, mais parce qu'ils ont besoin d'« équipes ressources ». On ne peut pas travailler seul. Des professeurs détectent des choses, mais ça ne remonte pas.

À cet égard, je fais partie du comité d'experts réunis autour du ministre de l'éducation, et j'ai travaillé pendant deux ans sur le programme global PHARe (Prévenir le harcèlement et agir avec respect), une expérimentation dans six académies qui est généralisée. Il vise notamment le développement d'une équipe ressource dans chaque établissement (élèves, enseignants, communauté éducative, parents). De ce point de vue, il faut retrouver le lien avec les familles.

Selon moi, et comme je l'ai dit au ministère, il faut stabiliser les équipes. Il faut moins de turn over. Des personnes très impliquées s'en vont par le jeu des mutations. Parmi les dix mesures clés du plan de 2019, il y aura une labellisation attribuée aux chefs d'établissement qui s'engagent à rester au moins trois ans, au terme desquels ils seront valorisés.

Il faut qu'on s'inscrive dans la durée, mais aussi remettre de la confiance : on est dans la défiance en tant que parents. La Maison de Marion ne désemplit pas.

Après un travail de terrain de huit ans dans toutes les académies, j'ai obtenu un agrément national. Il me semble important de faire preuve de prudence quant aux personnes mises en contact avec les élèves : en tant que maman, je ne voudrais pas que n'importe qui dise n'importe quoi à mes enfants. Il faut être précis sur les actions mises en place, faire preuve de vigilance sur les intervenants.

J'ai accepté que Marion pour toujours soit mis en téléfilm pour faire oeuvre pédagogique. Il a été vu 4 ou 8 millions de fois. Chaque personne qui le voit est sensibilisée au même titre qu'une campagne nationale.

Vous posiez une question sur le périscolaire. J'ai 26 bénévoles, huit permanents - il faut être beaucoup plus nombreux - mais dès qu'on a une idée, comme les groupes de parents, on se lance, loin des écueils technocratiques.

Quant à l'Éducation nationale, depuis que Jean-Michel Blanquer et ses équipes - Imanne Agha, Laurent Boireau - ainsi que des personnalités et recteurs impliqués sont présents, depuis deux ans on a observé un changement radical.

Vous avez raison de dire que c'est compliqué et que le déni peut persister : notre baromètre le montre. Les enseignants estiment en majorité que cela existe partout, mais seulement 29 % pensent que leur établissement est concerné. Dans les chiffres qu'on publie ce mois-ci, 37 % des demandes d'intervention sont dans des établissements privés. Cela signifie que c'est présent partout, surtout les territoires : il faut agir.

Je réponds à la question du délit. Marion est décédée en 2013. Le délit de harcèlement à l'école n'existait pas. Nous avons donc porté plainte pour violences volontaires et incitation au suicide. Il ne s'est rien passé.

L'article 222-33-2-2 du code pénal punit de peine de prison le harcèlement. Lorsqu'il est commis sur une personne vulnérable, sur un mineur de moins de 15 ans ou lorsqu'il prend la forme du cyberharcèlement, il est une circonstance aggravante. Il donne lieu, à partir de 13 ans, à des peines de prison de six mois à trois ans et avec 7 500 euros d'amendes au début. L'incapacité est aussi une circonstance aggravante.

Quant à la prise en charge thérapeutique, nous réclamons des moyens, car nos deux psychologues cliniciennes prennent en charge les familles à titre gracieux. Nous avons établi une prospective en termes de coût. Nos parcours durent de 17 heures 50 à 22 heures, avec des groupes de parole de familles, avec enfants, fratries, cousinades... On prend tout en charge. C'est un long parcours de reconstruction. On travaille avec la maison du droit, la maison de la justice, avec les Inspé, avec les communes... C'est un problème de société, donc tous les acteurs doivent agir.

Le délit de harcèlement existe. Mais est-ce que dire qu'un meurtre est un crime annihile les meurtres ? Met-on un terme aux féminicides parce qu'on a créé une loi ? Non.

Nous travaillons sur la formation, la sensibilisation, le développement des compétences psycho-sociales. Le thérapeutique peut être pris en charge par les mutuelles, mais c'est méconnu.

Pour le cyberharcèlement, nous travaillons avec des partenaires. Nous sommes agréés au ministère de l'éducation nationale, avec le service civique.

Nous remettons la jeunesse au coeur du sujet : ce sont nos jeunes qui vont sur le terrain, avec les psychologues. Nous travaillons ensemble en équipes pluridisciplinaires, mais on essaye de faire dans la dentelle et de manière chirurgicale. Quand vous allez dans une école, il faut se dire qu'il y a potentiellement trois enfants par classe qui y sont victimes de harcèlement, mais aussi deux enfants victimes d'inceste, et trois personnes victimes de violences intrafamiliales. Il faut donc y prévenir tous les dangers.

Nous parlons donc de violences. Après le confinement, les enfants nous parlaient du 39 19 (« Violences Femmes info ») et des violences conjugales. En effet, toutes les familles ne bénéficient pas de décryptage. Parfois, certains enfants étaient en continu devant des chaînes d'information sur lesquelles il n'y a pas de communication et de décryptage. Nous avons demandé à Pronote, qui était le site internet le plus vu par les familles pendant le confinement, de mettre en avant le numéro 119.

Nous faisons donc oeuvre sociale dans les écoles : nous rencontrons entre 8 000 à 10 000 enfants, avec nos 26 bénévoles qui travaillent d'arrache-pied sur toute la France.

Vous demandiez également si les violences intrafamiliales ont des répercussions à l'école. Oui, et cela va aussi dans le sens inverse. Une étude américaine vient de sortir, qui montre que 50 % des élèves qui harcèlent à l'école sont soit harceleurs de leur fratrie, soit harcelés par leur fratrie. Quand on parle de violences intrafamiliales, on pense toujours aux parents, mais il y a une vraie violence des adolescents, des grands vis-à-vis des petits.

Quant aux jeunes lycéens, ils nous parlent de revenge porn, de slut shaming, de prostitution des mineurs, de michetonage, de violences. Nous allons au-devant d'un problème de santé publique, lié sans doute aux grossesses non désirées, aux maladies sexuellement transmissibles, à l'augmentation de l'usage de stupéfiants et de conduites délictuelles.

Sur la violence, les signaux sont rouge-violet pour la rentrée de septembre. Je peux le dire car nous travaillons avec les préfectures et les communes. Cela ne se passe pas uniquement sur les réseaux sociaux. Les préjugés démarrent souvent sur des comptes. Certains groupes de classes ont été créés sur des applications avec une volonté de maintenir le contact pendant le confinement. Mais ils ont été laissés aux mains des élèves. Cela les expose au harcèlement, et au cyberharcèlement le samedi et le dimanche. Les bagarres qu'on observe dans les collèges et lycées ont souvent débuté sur les réseaux sociaux. C'est donc sur un continuum de violences qu'il faut agir.

Je me répète, mais au-delà d'être la fondatrice de Marion la main tendue, je reste engagée dans la lutte pour la protection de l'enfance et des familles. Même si ce n'est pas vraiment le sujet, je déplore le trou dans la raquette qui demeure en France dans ces domaines, sur l'accompagnement et l'e-parentalité.

Notre association n'a jamais fermé, la Maison de Marion est restée ouverte en permanence. Comment peut-on s'en sortir lorsque les associations ont, dans leurs coûts, une TVA de 20 % ? Nous payons le prix fort sur tous nos achats ! Nous avons recruté quatre personnes, mais 20 % de TVA représentent pour moi l'embauche d'une psychologue clinicienne, c'est-à-dire la création d'un emploi, 300 familles aidées et quatre écoutants.

Pour terminer, j'insiste sur le fait que les agents territoriaux doivent être formés. Par ailleurs, il existe des choses, mais il faut les faire connaître. Je ne crois pas au délit ; il faut renforcer la formation, en créant des équipes ressources, et responsabiliser. En école primaire, des choses très simples peuvent être faites. Nous avons créé la méthode des six C, qui sont six lieux à risque : la cour, la classe, la cantine, les couloirs, le chemin (le chemin scolaire et les transports), et les commodités - les vestiaires et les toilettes. On intervient dans les écoles, on conventionne et on fait un diagnostic sur les zones à risque, pour les modifier en conséquence. On travaille sur un meilleur climat scolaire.

Nous avons plein de solutions et nous les présentons. Le ministère de l'éducation nationale travaille, mais il nous faut un guichet unique - un délégué ministériel ou un haut-commissaire qui a du pouvoir. Les enfants et les parents ne peuvent raccommoder les actions de tous les ministères. Quand vous êtes malade, vous allez aux urgences et vous êtes transféré en fonction des services. C'est pour cela que les familles viennent nous voir, et c'est ce qu'elles nous demandent.

Le harcèlement sexuel est l'affaire de tous, ce n'est pas qu'une histoire d'enfants. Les conséquences sont lourdes à moyen-long terme sur les vies d'adulte. Il faut travailler à l'éducation à la vie affective, à la sexualité. Il y a trop de préjugés, trop d'homophobie... C'est tellement global que nous devrons nous revoir !

Debut de section - Permalien
Hugo Martinez, président de l'association HUGO !

Sur le rôle des réseaux sociaux, nous travaillons avec différentes plateformes en France. On constate une volonté d'aider les jeunes. Je prends le dernier exemple en date : les filtres à injures Instagram, où le jeune peut définir que, sur la base d'un mot figurant parmi une liste d'injures, le message est filtré. Il ne le reçoit donc pas. Ce sont ces micro-initiatives qui vont dans le sens du respect.

Dissocier le harcèlement scolaire du cyberharcèlement scolaire est une erreur : c'est un ensemble. S'il y a cyberharcèlement scolaire, c'est que cela a commencé, un jour ou l'autre, au sens figuré, dans la cour de récréation. En s'acharnant sur le cyberharcèlement scolaire, on dévie le problème de fond. Il commence dans la cour de récréation, et le cyberharcèlement en est un prolongement. On aura beau mettre en place tel dispositif pour éviter tel type d'insulte, on trouvera toujours des moyens de détourner ces dispositifs de prévention ou de protection sur les plateformes. Il faut revenir à la source et régler le problème.

De même, des directeurs d'établissement, face au harcèlement scolaire, peuvent déplacer l'élève harcelé. Ce n'est pas une solution. Mais déplacer l'élève harceleur non plus ! On ne fait que déplacer le problème. Les réseaux sociaux, à mes yeux, manifestent une volonté d'avancer. On le voit dans nos échanges avec eux, cela consiste à créer des outils qui permettent de protéger les jeunes. Mais, encore une fois, c'est un prolongement.

La méthode Pikas (du chercheur Anatol Pikas), également nommée « méthode de la préoccupation partagée » est prônée et régulièrement utilisée par l'Éducation nationale. Nous formons les intervenants en ce sens. Elle vise à mettre chaque élève dans la situation hypothétique d'une victime et d'enfant harceleur afin de favoriser une meilleure prise de conscience. L'erreur à ne pas faire est de dire que la méthode Pikas est une baguette magique. Elle est là pour stopper une dynamique dans une classe avec du harcèlement scolaire. Mais il faut appliquer d'autres choses par la suite : l'accompagnement de l'élève victime, de l'élève harceleur, et éventuellement de quelques enfants témoins qui peuvent avoir été choqués ou perturbés. Cela ne peut être une méthode magique, d'autant plus qu'Anatol Pikas, qui a aujourd'hui 80 ans, a inventé sa méthode à une époque où les réseaux sociaux n'existaient pas. Elle n'est donc pas ancrée dans la réalité actuelle où ils sont prégnants dans la vie des jeunes.

Je précise mes propos sur le référent municipal. Il n'a en aucun cas une visée thérapeutique ou d'accompagnement psychologique. C'est une personne qui a connaissance de l'ensemble des outils et des ressources possibles, et qui est vecteur d'information pour les familles. Il permettra aux parents de se dire qu'ils ne sont pas seuls. Cette personne va recevoir la famille, et lui donner les informations nécessaires. Cela permet, au lieu d'aller sur une page sur un site web, d'avoir un contact avec un humain. C'est rassurant : nous voulons créer un contact.

Sur le terrain, nous travaillons essentiellement avec les mairies. C'est le premier échelon à taille humaine et il y a une vraie volonté d'agir de la part des équipes municipales. En tant qu'association, on peut recréer le lien difficile entre établissement scolaire et mairie.

Avec les mairies, on crée des comités de suivi : on intègre l'inspecteur académique de zone ou un représentant de l'académie, le directeur d'établissement de la collectivité, le maire et son adjoint à l'éducation, et enfin des représentants des parents d'élèves et des élèves. Ce comité fait état de la situation, et nous ajustons ensuite cette stratégie locale de lutte contre le harcèlement scolaire.

Il existe une stratégie nationale de lutte contre le harcèlement scolaire, très bien à l'échelle nationale, mais il faut maintenant travailler à l'échelle micro-locale. Le harcèlement scolaire s'inscrit en effet dans la réalité du terrain, sur le chemin à pied, en bus, en train entre la maison et l'école, etc. Il faut redescendre à l'échelle locale avec les acteurs de terrain, reconnecter établissements scolaires et collectivités autour de la table, et trouver des solutions qui sont du travail sur-mesure.

On fait cela avec certaines communes qui souhaitent aller dans cette dynamique. En septembre 2021, nous travaillerons avec de nouvelles communes. L'idée est de pérenniser en partant de villes pilotes qu'on aura développées pour construire un travail local sur le harcèlement scolaire.

Sur le délit de harcèlement scolaire, cela conforte ce qu'on a dit. C'est une circonstance aggravante. Mais dans nos contacts avec les magistrats et les policiers, il apparaît qu'il ne peut pas être appliqué puisque c'est une circonstance aggravante. Je prends un exemple concret : si c'est une circonstance aggravante pour les mineurs de moins de 15 ans, quid des mineurs de 16 et 17 ans ?

D'un côté vous avez le harcèlement moral entre adultes, qui concerne les relations d'un individu avec l'autre. Au travail, cela va du supérieur hiérarchique vers un subordonné, ou d'un collègue vers l'autre, etc. Le harcèlement scolaire est entre mineurs, qui ne fonctionne pas du tout comme les adultes - l'état d'esprit est très différent - mais surtout ce harcèlement est mené par un à trois jeunes harceleurs leaders entourés d'une meute de groupe face à un élève. On est sur deux typologies de fonctionnement qui ne sont pas les mêmes, et on cherche à faire appliquer la case A à un problème B. C'est pour cela qu'on milite pour ce délit de harcèlement scolaire. C'est une réalité de terrain : quand un policier ou un gendarme reçoit un enfant victime de harcèlement scolaire, étant donné que le délit n'existe pas, aucune procédure n'est incluse dans son ordinateur. Le but n'est pas de créer un outil qui se rajoute au mille-feuille administratif, mais d'affiner les choses pour que ce soit adapté à la réalité du terrain.

Debut de section - PermalienPhoto de Sabine Van Heghe

Nous avons un ensemble d'outils à disposition. Il existe parfois une superposition, un mille-feuille, avec des comités de suivi, des référents, des médiateurs... Cela brouille les pistes et risque d'aboutir à une dilution des informations. Comment un enfant, qui est en difficulté, trouve facilement la bonne personne au bon moment ? Cela manque de centralisation et de guichet unique.

Debut de section - Permalien
Nora Tirane Fraisse, fondatrice et représentante de l'association Marion, la main tendue

Le guichet unique fait l'objet des conclusions du baromètre national présenté au ministère. Il est nécessaire. Le 30 20, numéro d'aide aux victimes et aux familles, existe. Mais vous avez raison : quand vous êtes une personne victime, vous êtes démunie, désemparée, et vous vous sentez coupable et honteux. À 8 ou 10 ans, quand la meute a agi et que les témoins n'ont pas réagi, il est difficile de réagir, et même de parler à vos parents. Ce guichet unique - qu'on essaie de mettre en oeuvre à la Maison de Marion - consiste à tout prendre en charge jusqu'au dépôt de plainte.

Mais il faut ou bien contacter Pharos, ou le 30 20, ou le référent académique ! Si l'on doit mettre en place trois choses, c'est le guichet unique, l'application de la loi pour mettre un terme au sentiment d'impunité, et la prise en charge et un réveil national. Ce n'est pas le fait du Parlement ou des écoles, mais c'est le fait de l'ensemble de la France. Nous allons résoudre les phénomènes de bandes, de rixes et de délinquance par le développement des compétences psycho-sociales. Il ne faut pas oublier, enfin, que la France est aussi une France des invisibles, qui ont besoin d'être connus et reconnus.

Ce mille-feuille administratif est plutôt indigeste. Cela fait 10 ans qu'on travaille dessus, mais c'est trop long. J'ai perdu ma fille il y a 8 ans : c'est comme si c'était hier, et à chaque fois qu'un enfant tente de mettre fin à ses jours, on se dit qu'on a raté une partie du chemin.

Debut de section - Permalien
Hugo Martinez, président de l'association HUGO !

Sur la question du mille-feuille administratif, nous souhaitons, avec ces référents municipaux, avoir des interlocuteurs au plus près des familles. Des lignes téléphoniques et des sites internet existent, mais, dans ces situations, le vrai enjeu est l'humain. Les familles cherchent de l'humain, lorsqu'elles cherchent des réponses : c'est l'objet des référents municipaux. Encore une fois, ce ne sont pas des médecins, ni des psychologues, mais surtout des informateurs humains.

Pour revenir à la question de la quantification du harcèlement scolaire, je trouve dommage que la France soit l'un des derniers pays de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) à ne pas produire une enquête annuelle. La dernière enquête en date, faite par la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l'éducation nationale, remonte à 2015 et quantifie le harcèlement scolaire à un jeune sur dix, soit 700 000 élèves. Nous ne disposons pas aujourd'hui de chiffres globaux, avec une descente territoriale, de quantification du harcèlement scolaire. Or on ne peut améliorer que ce qu'on mesure ! C'est une véritable lacune, qu'on essaie de combler, avec les sondages qu'on réalise à l'échelle des communes avec qui on travaille. L'idée serait, ensuite, d'agréger ces données.

Sur le rapprochement du harcèlement scolaire avec la délinquance et les violences, je pense que ce sont des sujets différents. Il ne faut pas tout mettre dans le même panier, même si un climat difficile peut aggraver d'autres problématiques.

S'agissant de la question des profils types, certaines particularités des enfants favorisent certes le harcèlement scolaire, mais il n'y a pas de profil type. Cela se saurait, et notre action les ciblerait en priorité. Chaque enfant peut être concerné par le harcèlement scolaire car tout peut porter à différence. Des situations de harcèlement partent de la couleur ou la matière d'un masque ! Le problème se pose plutôt à partir du moment où des tempéraments de leader et des tempéraments plus faibles s'inscrivent dans la dynamique du groupe et d'une classe.

Sur la question des assistants d'éducation : au même titre que les agents territoriaux, ils sont au contact des jeunes. Il ne faut pas forcer un jeune à le faire parler à des interlocuteurs en lesquels il n'est pas en confiance. Cela ne servirait à rien car l'enfant ne parlera jamais. On parle des assistants d'éducation et des agents territoriaux, mais cela peut être les infirmiers ou infirmières scolaires, les documentalistes - les enfants vont se réfugier en CDI (centre de documentation et d'information) car ils s'y sentent en sécurité. Il faut réintégrer ces personnes et les former.

Le traitement du harcèlement, c'est certes du bon sens, mais il faut de la formation pour connaître le mille-feuille administratif, les méthodes à appliquer pour traiter la parole du jeune et l'aider à s'en sortir. On croit à la capacité d'un trio rassemblant collectivités locales, établissements scolaires et associations, car on croit en une politique locale de lutte contre le harcèlement scolaire qu'il faudrait parvenir à impulser et faciliter dans les territoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Toine Bourrat

Je voulais m'exprimer sur le 30 20 et le 30 18. J'en ai entendu parler pour la première fois hier. Mes enfants scolarisés en collège n'en ont jamais entendu parler. J'ai testé et appelé. Il était 20 heures : pour l'un j'ai eu un message vocal me donnant les horaires d'ouverture, et pour l'autre, cela a été coupé comme si j'appelais un faux numéro. J'ai tenté à plusieurs reprises, sans que cela fonctionne. J'ai finalement réussi à avoir quelqu'un ce matin Permettez-moi cette comparaison : j'ai appelé cette semaine une plateforme pour un problème avec ma voiture, et j'ai reçu le même accueil qu'à ces numéros. Les choses qui existent, en ce qui concerne ces plateformes, ne sont pas adaptées. L'idée de descendre à l'échelle locale me parait, à cet égard, intéressante, car on a besoin d'humaniser et de discuter avec une personne pour se sentir écouté et pris en charge.

Ce numéro a le mérite d'exister, mais je ne crois pas qu'il soit aujourd'hui efficace.

Debut de section - Permalien
Nora Tirane Fraisse, fondatrice et représentante de l'association Marion, la main tendue

Je souhaite vous répondre. Ils ont 85 000 sollicitations et vous avez appelé à 20 heures. Nous militons pour que ces numéros soient en service toute la semaine, mais il faut des moyens pour cela. Les enfants connaissent bien le 119 et le 39 19 (car cela a été répété pendant le confinement), mais ils ne connaissent pas le 30 20. Ce n'est d'ailleurs pas un outil qu'ils vont utiliser car il est plutôt destiné aux parents et aux enseignants - qui eux aussi le méconnaissent, donc il faut faire des campagnes et des campagnes de sensibilisation.

Le 30 20 est un numéro national, mais il existe des numéros locaux. En France, il y a 335 référents académiques harcèlement - c'est peu mais ils ont le mérite d'exister. Vous avez, par académie, des 0 800. J'avais demandé au ministère et à la DGESCO que, chaque année, dans le carnet de correspondance, les enfants soient impliqués dans l'écriture du règlement intérieur, dans le choix de la photographie de leur carnet, et que soit rappelé le numéro 30 20.

J'ai également demandé aux opérateurs de téléphonie mobile que systématiquement, dans le téléphone portable et à la manière du 15, du 17 et du 18, soient inscrits les numéros d'aide aux personnes victimes. Les premiers téléphones portables étaient donnés à 11 ans avant le confinement, désormais c'est 9 ans. Il faut être pro-actifs. Mon enfant de 9 ans a rapidement su qu'il fallait manger 5 fruits et légumes par jour ! J'aimerais qu'il me dise qu'il ne faut pas harceler, qu'il faut accompagner et aider et, en cas de problème, le dire et appeler le 30 20. Nous devons mener des campagnes extrêmement fortes. Quand vous êtes agressé, vous êtes démuni, et vous ne devez pas avoir à chercher. Le 30 20 doit être un réflexe. Si vous le pouvez, demandez aux opérateurs mobiles d'inscrire ce numéro. De même, le numéro du référent académique n'est pas connu.

Debut de section - PermalienPhoto de Toine Bourrat

Pourquoi n'est-ce pas affiché dans les établissements ?

Debut de section - Permalien
Nora Tirane Fraisse, fondatrice et représentante de l'association Marion, la main tendue

C'est affiché, mais c'est méconnu !

Debut de section - PermalienPhoto de Toine Bourrat

Dans les établissements, ça n'y est pas. Ce qui compte, c'est l'efficacité. Ce serait un message envoyé au harceleur, et on ne le voit pas dans les collèges. Mon fils de 3e n'en a jamais entendu parler, ce qui est anormal.

Debut de section - Permalien
Nora Tirane Fraisse, fondatrice et représentante de l'association Marion, la main tendue

Il y a un plan de refondation nationale depuis 2013 pour que le numéro soit connu de tous. Des études montrent que pour être retenue, une information doit être affichée trois fois, et doit être changée d'endroit plusieurs fois pour qu'elle soit intégrée. Vous avez raison de dire que c'est un vrai problème : dans le baromètre, seulement 3 % des enseignants interrogés connaissent le numéro 30 20. Il nous faut une mesure forte, une campagne nationale pour faire connaître ce numéro, mais pas uniquement.

La généralisation du programme « pHARe » comporte la mallette des familles. J'ai travaillé dessus, ainsi que sur les familles allophones et sur la façon de leur proposer des choses. Normalement, à la rentrée, les parents doivent être accueillis, informés des dispositifs concernant l'équipe ressource : quels sont les noms, qui contacter, qui sont les ambassadeurs labellisés ? Les enfants doivent être reçus efficacement. La méthode de la préoccupation partagée consiste à créer une équipe ressource, recevoir la personne cible dite « victime », l'accompagner, tenir des micro-entretiens avec les harceleurs et les témoins afin d'éviter les représailles - que les enfants craignent fortement. Cela se passe au début des phénomènes de harcèlement, pour éviter que le conflit ne s'envenime. Les enfants craignent les représailles, alors que, quand ils sont agressés dans la rue, ils n'hésitent pas à appeler leurs parents et les secours. L'école ne doit pas être une zone de non droit. Il faut être sur le terrain, semer des graines, ratisser sans cesse, et vous, sénateurs, avez le pouvoir d'intervenir, de débloquer des budgets et demander une politique nationale d'envergure. La protection de l'enfance et la jeunesse est notre avenir, et cela passe aussi par des mesures fortes et des accompagnements. Pour rappel aujourd'hui nous ne trouvons que 335 référents pour 64 000 établissements.

Il faut infuser, être sur le terrain, semer des graines et ratisser. Vous, sénateurs, vous pouvez débloquer les budgets et faire une politique nationale d'envergure.

Debut de section - Permalien
Hugo Martinez, président de l'association HUGO !

Pour compléter sur la question du 30 20, dans les accompagnements que nous réalisons, nous intégrons un appel au 30 20 et proposons à la famille d'être présents pour les accompagner dans cette étape très difficile.

Nous trouvons très dure la manière dont sont reçus les familles et les enfants au 30 20. Vous parliez de mille-feuilles administratif : 30 20, 30 18, qui appeler ? S'il n'y a pas de cyberharcèlement, on se limite au 30 20 ? Comment faire pour un enfant ou un parent perdu ?

J'ai transmis une note au cabinet ministériel de Jean-Michel Blanquer sur une situation qui démontre toute la difficulté d'accéder au 30 20. C'était au sujet d'une affaire de harcèlement scolaire qui est allée très loin concernant un jeune de 13 ans, violé dans les toilettes de son établissement scolaire, qui ne peut plus y retourner. Il est depuis déscolarisé depuis quatre ans parce qu'aucune solution n'a été proposée par l'académie. Nous avons recommandé à la famille d'appeler le 30 20. Nous étions trois bénévoles de l'association et moi-même, ainsi que sa famille. L'enfant est ressorti plus que démonté de cet appel. Présentée comme psychologue, professionnelle de santé, la personne au bout du fil a énoncé à l'enfant, après son témoignage : « non tu n'es pas victime de harcèlement car cela a commencé il y a moins de 6 mois ».

Les parents étaient présents. La personne au téléphone a demandé à l'enfant, puis au père, de livrer leur témoignage.

Un cas comme celui-ci n'est pas distinctif. Il y en a des centaines. En outre, les attentes des parents, de l'enfant vis-à-vis du 30 20 sont énormes. Il en est espéré une solution d'aide d'accompagnement de long terme. Or, le 30 20 c'est ce qu'on va appeler un outil de signalement. Il ne faut pas confondre signalement et accompagnement. Aujourd'hui, la France considère que dès lors que le harcèlement est signalé, le travail est terminé.

Debut de section - Permalien
Nora Tirane Fraisse, fondatrice et représentante de l'association Marion, la main tendue

Vous ne pouvez pas dire ça Monsieur Martinez !

Debut de section - Permalien
Hugo Martinez, président de l'association HUGO !

J'aimerais terminer mon propos. Aujourd'hui les familles ont besoin d'être aidées, accompagnées. La problématique de l'humain est essentielle. Ces lacunes démontent les familles. Nous proposons aux familles dès le début un accompagnement avec le 30 20 et/ou le 30 18 pour qu'il y ait une remontée des données, même s'il est vrai qu'est parfois révélée une véritable difficulté.

Concernant les référents départementaux, on comprend par l'intitulé même de la fonction le clivage entre ce qui est nécessaire et ce qui est fourni : l'on parle d'un référent départemental, pour un département. Généralement ce n'est pas une fonction en elle-même mais supplémentaire à un titre au sein de l'académie. Comment penser qu'une seule personne puisse traiter l'ensemble des cas de harcèlement scolaire d'un département, sachant qu'en 2015 il était question d'un jeune sur 10 et que depuis les taux n'ont fait, je pense, qu'augmenter ? C'est une vraie réalité de terrain. La politique locale de harcèlement scolaire arrive sur la table car on a besoin de l'humain, du traitement individualisé de ces problématiques-là. C'est du sur-mesure qui est fait, pas du traitement de masse. La question du 30 20 mérite aujourd'hui d'être clarifiée : qui a-t-on au bout du fil ? C'est tout sauf de la psychologie que d'énoncer à un enfant qu'il n'est pas véritablement victime de harcèlement scolaire.

Les référents locaux doivent avoir un rôle de coordination, de pilotage pour pouvoir assurer une politique locale de lutte contre le harcèlement. Mais ce doit être une fonction supplémentaire, ad hoc, et il faut avancer là-dessus pour trouver des solutions plus pérennes. Aujourd'hui en France les parents d'enfants harcelés ne se voient offrir aucune solution par l'État. Les associations remplacent finalement le rôle de l'État dans ce sens-là, et ce n'est pas un rôle facile. Il nous manque des moyens.

Concernant l'accompagnement thérapeutique : le centre médico-psychologique (CMP) c'est 18 à 24 mois d'attente, ce qui, pour un enfant victime de harcèlement, est impensable.

Nous avons monté un fonds d'urgence pour financer un début de parcours d'accompagnement pour 6 mois pour les enfants afin de répondre à l'urgence, et trouver par la suite des accords avec des professionnels de santé pour accompagner ces enfants.

Debut de section - Permalien
Nora Tirane Fraisse, fondatrice et représentante de l'association Marion, la main tendue

Le 30 20 ne prend pas les appels des enfants !

Debut de section - Permalien
Manon Dugas, psychologue clinicienne de l'association Marion La main tendue

Pour rebondir sur les propos de M. Martinez, le Président de la République a annoncé en mai 2021- en lien avec le confinement -, la mise en place d'un « forfait psy », qui rembourse à hauteur de dix séances une rencontre avec un psychologue pour les enfants âgés de 3 à 17 ans.

Je suis psychologue clinicienne au sein de l'association Marion La main tendue. J'ai été plus que formée : j'ai fait des études pour avoir ce titre. J'accueille des enfants victimes de harcèlement, des harceleurs, des familles, des proches, des fratries, des parents. Je leur propose un accompagnement thérapeutique. Je n'ai pas de nombre de séances type, tout dépend de l'individualité de chacun, de son vécu, de son histoire et de sa volonté. Je mets parallèlement en place des groupes de parole pour les personnes ayant subi ou subissant du harcèlement scolaire ou du cyberharcèlement, et pour les proches (parent, enfant, conjoint, ami, etc.) pour permettre de se rencontrer. Tout cela est orchestré par des psychologues de l'association et s'inscrit dans une démarche thérapeutique. Nos interventions sont gratuites. Nous sommes payés par l'association en vue des subventions que nous recevons.

J'ai eu l'occasion de faire des signalements préoccupants pour des personnes définies comme vulnérables. Nous avons pu entrer en contact avec les CMP. Ils ont de nombreuses demandes et, derrière, une structure de soin leur apporte des aspects qualitatifs au niveau psychologique - cela explique les délais. Si on les appelle et qu'on leur explique la situation, généralement cela fonctionne bien. Nous avons fait un signalement pour deux personnes, et elles ont été prises en charge rapidement par ces CMP proches de chez elles, dont des personnes qui ont pu bénéficier d'une hospitalisation pour repartir du bon pied.

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Mélot

Vos prises de position ont mis à jour certains problèmes. S'il existe des réussites, nous avons mis le doigt sur ce qui ne fonctionne pas. On n'est pas arrivé à trouver ce qui pourra déclencher tout le processus et véritablement aider les enfants et leur famille.

Le sujet de la libération de la parole est traité de façon diverse, entre le numéro 30 20 et le référent. Il faudrait un système unique. Vous avez insisté sur le numéro, et il est vrai qu'il y a un problème de communication. Ancienne élue locale et ancienne enseignante, il m'arrive d'aller dans des établissements scolaires, et je n'ai jamais vu de numéro affiché. Je vois bien comment cela doit se passer, il doit y avoir un tableau avec des informations mélangées sans que ce numéro apparaisse clairement.

Or il faut absolument, et le ministère devrait s'y atteler - le DGESCO et le recteur de l'académie de Paris que nous avons reçus hier le savent bien - que ce soit un sujet pris à bras le corps, notamment dans les établissements scolaires, et que les parents et les enfants sachent ce qu'il faut faire en cas de tentative de harcèlement. Pour l'instant, nous n'y sommes pas. Nous allons essayer, par nos préconisations, de faire avancer les choses.

Merci, car par le jeu de vos exposés, des questions et des réponses que vous avez données, nous avons avancé.

Il faut communiquer et convaincre dans le milieu scolaire et les collectivités territoriales. C'est une chose de comprendre, c'en est une autre de mettre en place des moyens et d'obtenir des résultats.

Debut de section - PermalienPhoto de Sabine Van Heghe

Merci Madame la rapporteure. Notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio voulait rajouter quelques mots.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Eustache-Brinio

Merci. À la faveur des auditions, on voit un vrai sujet : ne faudrait-il pas que chaque établissement ait un projet pédagogique écrit, spécifiquement sur ce sujet ? L'Éducation nationale, dans ses circulaires, ne devrait-elle pas le faire ? Cela devrait être prioritaire, compte tenu de la gravité du problème. Le projet peut être différent d'un établissement à l'autre, car ils n'ont pas les mêmes élèves. Pour être élue de terrain de banlieue, je suppose que le harcèlement n'est pas le même dans tous les établissements. Les sociologies ont une implication. Ce projet pédagogique écrit et validé par chaque établissement devrait faire partie des préconisations. Il décrirait les clés, les outils et les moyens financiers et humains consacrés à la lutte contre ce phénomène.

Un deuxième sujet est important pour moi. Dans notre pays, nous n'abordons pas la prise en charge psychologique des enfants. Je préside un club de prévention depuis 25 ans et j'y ai imposé à mon département la présence d'un psychologue - ce n'était pas du tout la volonté ni des éducateurs spécialisés ni du financeur - car je pense que dans ces institutions les plus proches du terrain, ces postes-là sont essentiels. On ne dit pas la même chose à un éducateur spécialisé qu'à un psychologue. C'est un travail complémentaire dans des équipes pluridisciplinaires. Je pense qu'on devrait donc valoriser des postes de psychologues dans toutes ces institutions pour que la parole se libère. Dans certaines familles, lorsqu'on va voir un psychologue, c'est qu'on est « fou ». Ce n'est bien sûr pas le cas : on veut libérer la parole, et il faut aider les enfants à cela.

Debut de section - Permalien
Hugo Martinez, président de l'association HUGO !

Je veux rebondir sur la question du projet pédagogique spécifique pour le harcèlement scolaire. Cela doit être valorisé. J'ignore si vous auditionnerez M. Erwan Balanant, votre collègue député, mais il dit dans son rapport qu'on préfère un établissement scolaire qui admet l'existence de harcèlement scolaire et met en place des actions pour y faire face, à un établissement qui nie son existence - ce qui statistiquement est impossible. Votre idée est donc très bonne, et mériterait d'associer les collectivités et l'ensemble des acteurs. Si vous souhaitez faire émerger cette proposition, nous y serons favorables.

Debut de section - Permalien
Nora Tirane Fraisse, fondatrice et représentante de l'association Marion, la main tendue

Je souhaite ajouter quelque chose. Nous avons travaillé sur le programme « Clé en main ». Il consiste à répondre aux personnes qui se sentent démunies et n'ont pas assez de ressources. À la rentrée, la généralisation du programme pHARe permettra de mettre en place, dès le CP, dix heures de cours formalisés autour du thème du harcèlement dans chaque établissement, ainsi que des mallettes outils - pour ma part, j'ai proposé le guide « Stop Harcèlement » et des ateliers d'émopathie - pour éviter que chaque établissement ou chaque équipe ressource se retrouve dans l'incapacité d'agir, faute de moyens. Une des voies est, dès la maternelle, de bien infuser, d'impliquer, de donner des outils et d'accompagner. Quand vous découvrez, dans les écoles, qu'un enfant attend la dernière minute pour vous remercier et vous parler de son vécu, vous vous dites que si vous n'en avez sauvé qu'un, vous avez eu raison d'être venue. Le professeur vient nous voir, reste pendant l'intervention, et souligne qu'il a besoin d'apprendre. Certains découvrent que leurs élèves de CM1 sont sur TikTok - et ils ne savent pas ce que c'est.

Ce guichet unique, cette généralisation et ce programme « Clé en main » pourront, je l'espère, aider des enfants. Pour éviter le harcèlement, il ne faut pas que qu'il débute. Il faut donc travailler sur les conflits. Malheureusement, une fois qu'il est en place et qu'il n'est pas pris en charge, il laisse des cicatrices à très long terme.

Debut de section - PermalienPhoto de Sabine Van Heghe

Merci beaucoup Mesdames, Messieurs, pour votre engagement et votre restitution, qui nous aidera à progresser et établir un rapport constructif.

La réunion est close à 12 h 40.