Intervention de Nora Tirane Fraisse

Mission d'information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement — Réunion du 3 juin 2021 à 10h40
Audition de Mme Nora Tirane fraisse fondatrice et représentante de l'association marion la main tendue et de M. Hugo Martinez président de l'association hugo !

Nora Tirane Fraisse, fondatrice et représentante de l'association Marion, la main tendue :

Nous avons élaboré le baromètre national du harcèlement : vous pouvez avoir tous les chiffres et des données précises. C'était une enquête « miroir » auprès des Français de 15 ans et plus et des enseignants.

Vous avez souligné que cela fait dix ans qu'on se bat. Pour nous, cela fait huit ans. Après le décès de Marion, et à l'occasion des débats sur le projet de loi de refondation de l'école en 2013, nous avons milité pour un numéro court d'aide aux victimes, le 30 20 qui, aujourd'hui, recueille 85 000 sollicitations. Il est très méconnu par les enseignants : seulement 3 % le connaissent. 80 % des enseignants estiment que le harcèlement entre pairs est un phénomène d'ampleur, et 29 % dans leur établissement.

Lorsque Marion est décédée, j'estimais que, derrière chaque fonction, il y a des hommes et des femmes. C'est donc certes une question de posture, comme lorsqu'on demande à une femme qui se fait violenter par son conjoint si elle a besoin d'aide, mais, d'un autre côté, quand vous êtes en classe, vous avez besoin d'être formé sur la détection des signaux faibles. Le baromètre et toutes les enquêtes le confirment : il n'y a pas de profil type. Toutefois, vous avez raison, des personnes plus vulnérables deviennent, aux yeux de la meute, des personnes cibles. On les a identifiées.

Le harcèlement consiste en des violences physiques, morales et/ou psychologiques. Par exemple, le racket ou le happy slapping sont les harcèlements parmi les plus durs à vivre : ils impliquent de la menace, du chantage, des coups, de l'exclusion et de l'isolement. Le racket commence dès le plus jeune âge. On commence dès la grande section, et la première chose qu'évoquent les enfants, lorsqu'ils parlent de harcèlement, c'est le racket et le vol de goûter.

Vous parlez du collège, et vous aviez raison de mettre l'accent sur le rôle des assistants d'éducation (AED). Une étude a été menée il y a trois ans en région Auvergne-Rhône-Alpes, avec le centre de ressources systémiques contre les intimidations scolaires (ReSIS), pour identifier les zones à risque. Il y en avait deux. Et les AED sont identifiés par les élèves comme des adultes de confiance. Ils représentent la vie scolaire et, en même temps, ils sont plus proches d'eux en termes d'âge. Ils sont aux abords, dans les couloirs. On doit leur donner non pas une responsabilité, mais une vraie place dans la prévention et l'accompagnement. On compte sur les « invisibles », mais on ne les responsabilise pas et on ne les valorise pas. Le personnel de cantine voit qui mange et qui ne mange pas, le gardien voit qui arrive en retard, qui est le dernier arrivé, le dernier parti, qui tombe systématiquement dans le bus.

La France n'est pas Paris. La France, c'est une banlieue composée de la province, avec des zones blanches. Il y a des zones où, le collège ou l'école primaire commençant à 8 heures du matin, les enfants se lèvent à 6 heures. Ils ont parfois vécu deux heures de galères dans les transports. Le chauffeur de bus conduit : il faudrait donc peut-être développer, comme au Québec, des vigies, ou des élèves ambassadeurs.

On est passé de 5 000 à 10 000 élèves ambassadeurs en France. Je milite pour agir dès la maternelle ! Nous étions en école primaire hier avec des familles, nous sommes aujourd'hui à l'école Ferrandi pour parler du harcèlement moral, sexiste et sexuel. Nous sommes 24 heures sur 24 sur le terrain. Nous en avons tiré des intuitions, confirmées par le baromètre.

Les professeurs nous disent qu'ils sont démunis. Pas simplement parce qu'ils ne sont pas formés, mais parce qu'ils ont besoin d'« équipes ressources ». On ne peut pas travailler seul. Des professeurs détectent des choses, mais ça ne remonte pas.

À cet égard, je fais partie du comité d'experts réunis autour du ministre de l'éducation, et j'ai travaillé pendant deux ans sur le programme global PHARe (Prévenir le harcèlement et agir avec respect), une expérimentation dans six académies qui est généralisée. Il vise notamment le développement d'une équipe ressource dans chaque établissement (élèves, enseignants, communauté éducative, parents). De ce point de vue, il faut retrouver le lien avec les familles.

Selon moi, et comme je l'ai dit au ministère, il faut stabiliser les équipes. Il faut moins de turn over. Des personnes très impliquées s'en vont par le jeu des mutations. Parmi les dix mesures clés du plan de 2019, il y aura une labellisation attribuée aux chefs d'établissement qui s'engagent à rester au moins trois ans, au terme desquels ils seront valorisés.

Il faut qu'on s'inscrive dans la durée, mais aussi remettre de la confiance : on est dans la défiance en tant que parents. La Maison de Marion ne désemplit pas.

Après un travail de terrain de huit ans dans toutes les académies, j'ai obtenu un agrément national. Il me semble important de faire preuve de prudence quant aux personnes mises en contact avec les élèves : en tant que maman, je ne voudrais pas que n'importe qui dise n'importe quoi à mes enfants. Il faut être précis sur les actions mises en place, faire preuve de vigilance sur les intervenants.

J'ai accepté que Marion pour toujours soit mis en téléfilm pour faire oeuvre pédagogique. Il a été vu 4 ou 8 millions de fois. Chaque personne qui le voit est sensibilisée au même titre qu'une campagne nationale.

Vous posiez une question sur le périscolaire. J'ai 26 bénévoles, huit permanents - il faut être beaucoup plus nombreux - mais dès qu'on a une idée, comme les groupes de parents, on se lance, loin des écueils technocratiques.

Quant à l'Éducation nationale, depuis que Jean-Michel Blanquer et ses équipes - Imanne Agha, Laurent Boireau - ainsi que des personnalités et recteurs impliqués sont présents, depuis deux ans on a observé un changement radical.

Vous avez raison de dire que c'est compliqué et que le déni peut persister : notre baromètre le montre. Les enseignants estiment en majorité que cela existe partout, mais seulement 29 % pensent que leur établissement est concerné. Dans les chiffres qu'on publie ce mois-ci, 37 % des demandes d'intervention sont dans des établissements privés. Cela signifie que c'est présent partout, surtout les territoires : il faut agir.

Je réponds à la question du délit. Marion est décédée en 2013. Le délit de harcèlement à l'école n'existait pas. Nous avons donc porté plainte pour violences volontaires et incitation au suicide. Il ne s'est rien passé.

L'article 222-33-2-2 du code pénal punit de peine de prison le harcèlement. Lorsqu'il est commis sur une personne vulnérable, sur un mineur de moins de 15 ans ou lorsqu'il prend la forme du cyberharcèlement, il est une circonstance aggravante. Il donne lieu, à partir de 13 ans, à des peines de prison de six mois à trois ans et avec 7 500 euros d'amendes au début. L'incapacité est aussi une circonstance aggravante.

Quant à la prise en charge thérapeutique, nous réclamons des moyens, car nos deux psychologues cliniciennes prennent en charge les familles à titre gracieux. Nous avons établi une prospective en termes de coût. Nos parcours durent de 17 heures 50 à 22 heures, avec des groupes de parole de familles, avec enfants, fratries, cousinades... On prend tout en charge. C'est un long parcours de reconstruction. On travaille avec la maison du droit, la maison de la justice, avec les Inspé, avec les communes... C'est un problème de société, donc tous les acteurs doivent agir.

Le délit de harcèlement existe. Mais est-ce que dire qu'un meurtre est un crime annihile les meurtres ? Met-on un terme aux féminicides parce qu'on a créé une loi ? Non.

Nous travaillons sur la formation, la sensibilisation, le développement des compétences psycho-sociales. Le thérapeutique peut être pris en charge par les mutuelles, mais c'est méconnu.

Pour le cyberharcèlement, nous travaillons avec des partenaires. Nous sommes agréés au ministère de l'éducation nationale, avec le service civique.

Nous remettons la jeunesse au coeur du sujet : ce sont nos jeunes qui vont sur le terrain, avec les psychologues. Nous travaillons ensemble en équipes pluridisciplinaires, mais on essaye de faire dans la dentelle et de manière chirurgicale. Quand vous allez dans une école, il faut se dire qu'il y a potentiellement trois enfants par classe qui y sont victimes de harcèlement, mais aussi deux enfants victimes d'inceste, et trois personnes victimes de violences intrafamiliales. Il faut donc y prévenir tous les dangers.

Nous parlons donc de violences. Après le confinement, les enfants nous parlaient du 39 19 (« Violences Femmes info ») et des violences conjugales. En effet, toutes les familles ne bénéficient pas de décryptage. Parfois, certains enfants étaient en continu devant des chaînes d'information sur lesquelles il n'y a pas de communication et de décryptage. Nous avons demandé à Pronote, qui était le site internet le plus vu par les familles pendant le confinement, de mettre en avant le numéro 119.

Nous faisons donc oeuvre sociale dans les écoles : nous rencontrons entre 8 000 à 10 000 enfants, avec nos 26 bénévoles qui travaillent d'arrache-pied sur toute la France.

Vous demandiez également si les violences intrafamiliales ont des répercussions à l'école. Oui, et cela va aussi dans le sens inverse. Une étude américaine vient de sortir, qui montre que 50 % des élèves qui harcèlent à l'école sont soit harceleurs de leur fratrie, soit harcelés par leur fratrie. Quand on parle de violences intrafamiliales, on pense toujours aux parents, mais il y a une vraie violence des adolescents, des grands vis-à-vis des petits.

Quant aux jeunes lycéens, ils nous parlent de revenge porn, de slut shaming, de prostitution des mineurs, de michetonage, de violences. Nous allons au-devant d'un problème de santé publique, lié sans doute aux grossesses non désirées, aux maladies sexuellement transmissibles, à l'augmentation de l'usage de stupéfiants et de conduites délictuelles.

Sur la violence, les signaux sont rouge-violet pour la rentrée de septembre. Je peux le dire car nous travaillons avec les préfectures et les communes. Cela ne se passe pas uniquement sur les réseaux sociaux. Les préjugés démarrent souvent sur des comptes. Certains groupes de classes ont été créés sur des applications avec une volonté de maintenir le contact pendant le confinement. Mais ils ont été laissés aux mains des élèves. Cela les expose au harcèlement, et au cyberharcèlement le samedi et le dimanche. Les bagarres qu'on observe dans les collèges et lycées ont souvent débuté sur les réseaux sociaux. C'est donc sur un continuum de violences qu'il faut agir.

Je me répète, mais au-delà d'être la fondatrice de Marion la main tendue, je reste engagée dans la lutte pour la protection de l'enfance et des familles. Même si ce n'est pas vraiment le sujet, je déplore le trou dans la raquette qui demeure en France dans ces domaines, sur l'accompagnement et l'e-parentalité.

Notre association n'a jamais fermé, la Maison de Marion est restée ouverte en permanence. Comment peut-on s'en sortir lorsque les associations ont, dans leurs coûts, une TVA de 20 % ? Nous payons le prix fort sur tous nos achats ! Nous avons recruté quatre personnes, mais 20 % de TVA représentent pour moi l'embauche d'une psychologue clinicienne, c'est-à-dire la création d'un emploi, 300 familles aidées et quatre écoutants.

Pour terminer, j'insiste sur le fait que les agents territoriaux doivent être formés. Par ailleurs, il existe des choses, mais il faut les faire connaître. Je ne crois pas au délit ; il faut renforcer la formation, en créant des équipes ressources, et responsabiliser. En école primaire, des choses très simples peuvent être faites. Nous avons créé la méthode des six C, qui sont six lieux à risque : la cour, la classe, la cantine, les couloirs, le chemin (le chemin scolaire et les transports), et les commodités - les vestiaires et les toilettes. On intervient dans les écoles, on conventionne et on fait un diagnostic sur les zones à risque, pour les modifier en conséquence. On travaille sur un meilleur climat scolaire.

Nous avons plein de solutions et nous les présentons. Le ministère de l'éducation nationale travaille, mais il nous faut un guichet unique - un délégué ministériel ou un haut-commissaire qui a du pouvoir. Les enfants et les parents ne peuvent raccommoder les actions de tous les ministères. Quand vous êtes malade, vous allez aux urgences et vous êtes transféré en fonction des services. C'est pour cela que les familles viennent nous voir, et c'est ce qu'elles nous demandent.

Le harcèlement sexuel est l'affaire de tous, ce n'est pas qu'une histoire d'enfants. Les conséquences sont lourdes à moyen-long terme sur les vies d'adulte. Il faut travailler à l'éducation à la vie affective, à la sexualité. Il y a trop de préjugés, trop d'homophobie... C'est tellement global que nous devrons nous revoir !

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