Je vous prie tout d'abord d'excuser Gérald Darmanin qui a été retenu par une réunion avec le Président de la République.
C'est avec solennité et un sens aigu de la lourde tâche qui m'incombe que j'ai l'honneur de venir vous présenter aujourd'hui le projet de loi relatif à la prévention des actes de terrorisme et au renseignement.
Cette solennité, nous la devons aux vies fauchées à jamais, aux victimes du terrorisme atteintes dans leur chair et dans leur âme, à tous nos concitoyens qui savent que la logique mortifère peut frapper à tout moment, tant la menace terroriste reste élevée sur notre sol. Ce projet de loi nous oblige donc, collectivement.
C'est un texte indispensable à l'activité des femmes et des hommes qui luttent chaque jour contre la menace terroriste. Il concilie moyens opérationnels au service de la lutte antiterroriste et garanties au service des libertés individuelles.
Ce projet de loi n'est pas guidé par l'émotion. Il a été mûrement pensé, avec une ligne directrice claire : renforcer les moyens de la lutte antiterroriste tout en renforçant les garanties qui entourent la mise en oeuvre des dispositifs opérationnels que nous vous proposons de voter.
Il pérennise l'équilibre entre l'efficacité de l'action antiterroriste et des services de renseignements et la préservation des libertés qui a été atteint avec l'adoption de la loi relative au renseignement du 24 juillet 2015 et de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme du 1er novembre 2017, dite loi « SILT ».
Depuis 2017, très conscient de la prégnance de la menace terroriste, le Gouvernement a oeuvré au renforcement des dispositifs de lutte contre la menace terroriste en renforçant les moyens humains, budgétaires et juridiques au profit de l'ensemble des services de renseignement, des forces de sécurité, des magistrats qui mènent un combat sans relâche.
Le 1er novembre 2017, l'état d'urgence prenait fin et les dispositions de la loi « SILT » entraient en vigueur. Elles ont permis, dans le cadre d'une sortie maîtrisée de l'état d'urgence, aux services spécialisés de continuer à disposer d'un cadre législatif efficace et adapté à leurs besoins.
Ceux-ci peuvent ainsi mettre en place des périmètres de protection afin d'assurer la sécurité d'un lieu ou d'un événement ; depuis le 1er novembre 2017, 617 ont été mis en place, mais aucun n'est actif à ce jour.
Les services peuvent aussi procéder à la fermeture des lieux de culte dans lesquels se tiennent ou circulent des idées, propos ou théorie incitant à la commission ou faisant l'apologie d'actes de terrorisme ; depuis le 1er novembre 2017, 5 lieux de culte ont ainsi été fermés.
Il est aussi possible d'édicter, à l'encontre d'individus présentant un niveau de menace caractérisée pour la sécurité et l'ordre publics, des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (Micas) ; depuis le 1er novembre 2017, 452 mesures ont été prononcées, et 73 sont en vigueur à ce jour.
Le juge judiciaire peut aussi être sollicité pour obtenir l'autorisation de procéder à la visite domiciliaire d'un lieu fréquenté par de tels individus - depuis le 1er novembre 2017, 481 visites ont été menées, dont 304 depuis l'attentat contre Samuel Paty -, et à des saisies : 256 ont été réalisées depuis le 1er novembre 2017.
En raison du caractère novateur de ces mesures qui accroissent les pouvoirs de police de l'autorité administrative, vous aviez souhaité, dans un premier temps, limiter au 31 décembre 2020 la durée d'application des quatre dispositions précitées de la loi SILT qu'il vous est aujourd'hui proposé de pérenniser.
Vous le savez, le Gouvernement avait, au premier trimestre 2020, saisi le Conseil d'État d'un projet de loi visant à pérenniser les mesures, mais l'émergence de la crise sanitaire l'avait finalement conduit, pour permettre la tenue d'un débat parlementaire serein, à présenter le 17 juin 2020 en Conseil des ministres un nouveau projet de loi visant à proroger ces mesures. La loi du 24 décembre 2020 a reporté au 31 juillet 2021 la fin de la durée d'application des mesures issues de la loi SILT, et au 31 décembre 2021 la technique de renseignement dite de l'algorithme.
La menace est évolutive, mais toujours élevée. Depuis janvier 2017, la France a subi 14 attentats terroristes islamistes aboutis - 3 en 2017, 3 en 2018, 1 en 2019, 6 en 2020, 1 en 2021 - ayant causé 25 morts et 83 blessés, et les services sont parvenus à en déjouer 36 - 20 en 2017 ; 7 en 2018 ; 4 en 2019 ; 2 en 2020 ; 3 en 2021.
Le travail d'anticipation, de détection et d'identification des vecteurs de la menace est d'autant plus complexe que nous sommes confrontés à des profils protéiformes : sympathisants de la cause djihadiste, détenus radicalisés en détention, sortants de prison condamnés pour terrorisme, individus au profil psychologique perturbé, jeunes individus et enfin, de plus en plus, des individus isolés, sans ancrage dans aucun réseau, inconnus des services, qui se radicalisent seuls dans une forme d'autonomisation de la menace, conformément à ce que Gilles Kepel qualifie de « djihadisme d'atmosphère ».
Tous les passages à l'acte depuis les attentats de novembre 2015 ont été commis par des individus n'ayant jamais séjourné dans la zone syro-irakienne. Sur les neuf derniers attentats commis, aucun des auteurs n'était connu des services de renseignement. Les services sont donc placés au défi de détecter de nouvelles menaces dont les auteurs et les modes opératoires ne sont pas connus et qui ne peuvent pas, par définition, faire l'objet d'une surveillance ciblée a priori. Nous nous devons donc de leur offrir les dispositifs juridiques idoines à cette fin.
Ce projet de loi est un triptyque humain, technologique et éthique.
Humain en ce qu'il se concentre sur des profils à l'égard desquels notre vigilance doit être accrue : sortants de prison condamnés pour terrorisme, individus au profil psychologique perturbé, individus qui recourent de plus en plus à des applications autres que les communications téléphoniques classiques.
Technologique en ce que ce projet de loi adapte les techniques de renseignement à l'évolution des comportements des individus vecteurs de menace et complète ces techniques pour faire face à des besoins nouveaux, notamment liés aux évolutions technologiques.
Éthique enfin, en ce que ces pérennisations et évolutions sont entourées de garanties renforcées, dans le strict respect des libertés individuelles.
Ce projet de loi n'est pas un point de bascule, bien au contraire : il s'inscrit dans une dynamique dont nous vous avons régulièrement rendu compte.
C'est ainsi qu'il vise d'abord à pérenniser les dispositions issues de la loi SILT - périmètre de protection, fermeture de lieux de culte, Micas, visites domiciliaires et saisies -, mais aussi à les modifier ou les compléter grâce à la possibilité de fermer des lieux dépendants d'un lieu de culte, pour éviter que ces lieux ne soient utilisés par les associations qui les gèrent dans le but de faire échec à sa fermeture ; grâce à l'interdiction faite à une personne, sous surveillance administrative et tenue de résider dans un périmètre géographique déterminé, de paraître dans un lieu dans lequel se tient un événement soumis, par son ampleur ou sa nature, à un risque terroriste particulier ; grâce à la possibilité, pour les personnes sortant de prison, qui ont été condamnées pour des faits de nature terroriste à une peine d'au moins cinq ans ferme ou trois ans en récidive, d'allongement de la durée maximale des mesures de surveillance administratives de un à deux ans ; grâce à la création enfin, vis-à-vis des mêmes personnes, d'une mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion, susceptible de se cumuler avec ces mesures de surveillance administrative.
Le projet de loi permet aussi à tous les préfets et aux services de renseignement d'être destinataires des informations relatives à la prise en charge psychiatrique d'une personne qui représente, par ailleurs, une menace grave pour l'ordre public en raison de sa radicalisation.
Le projet de loi vise ensuite à pérenniser et adapter les outils à disposition des services de renseignement. À cette fin, le projet de loi entend pérenniser la technique de renseignement dite de l'algorithme. Il apporte en outre des adaptations aux dispositifs existants : élargissement aux URL des données susceptibles d'être recueillies par le biais de la technique de l'algorithme et de celle du recueil en temps réel ; élargissement des possibilités de concours des opérateurs de communications électroniques ; augmentation de la durée d'autorisation de la technique de recueil de données informatiques.
Il crée plusieurs nouveaux dispositifs : la conservation de renseignements aux fins de recherche et développement ; l'interception des correspondances échangées par voie satellitaire.
Nous voulons aussi fluidifier, tout en les encadrant, les échanges de renseignements et d'informations entre services de renseignement. Nous tirons enfin les conséquences de la décision du Conseil d'État du 21 avril French Data Network quant à la conservation généralisée des données de connexion.
Vous le voyez, le Gouvernement est pleinement mobilisé sur ce texte et je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.