Intervention de Marlène Schiappa

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 9 juin 2021 à 18h00
Projet de loi relatif à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement — Audition de Mme Marlène Schiappa ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur chargée de la citoyenneté

Marlène Schiappa, ministre déléguée :

Vous m'avez posé de très nombreuses questions sur beaucoup de sujets différents. Je vais tâcher de répondre à toutes et à tous.

Le prolongement des Micas, à notre humble avis, est vraiment une mesure nécessaire. Pour le moment, notre arsenal juridique ne permet de les prolonger que douze mois pour les personnes qui constituent une menace d'une particulière gravité. Or, entre le 1er novembre 2019 et le 31 octobre 2020, ce sont dix-neuf mesures qui sont ainsi arrivées à échéance après avoir atteint la durée maximale, et qui n'ont pas pu être renouvelées, malgré le niveau de dangerosité des individus en faisant l'objet. Notre objectif, avec cette mesure, est de préparer l'avenir en organisant un suivi vraiment efficace de ces profils dangereux, dont le nombre va croître, hélas, de manière conséquente au cours des prochaines années, car plusieurs détenus terroristes islamistes incarcérés dans les prisons françaises ont été ou seront prochainement libérés : 45 en 2020, 64 en 2021, 47 en 2022 et 38 en 2023 ! Il s'agit donc d'une mesure indispensable pour contenir plus durablement la menace dont ces individus sortant de détention sont porteurs et pour maintenir un contrôle des services qui soit vraiment proportionné à leur niveau de dangerosité. La prolongation se fonde notamment sur la nature de la condamnation et sur le quantum de la peine, et le renouvellement est subordonné à l'existence d'éléments nouveaux et complémentaires.

Sur l'article 6, le dialogue est très dense avec les ARS. Un changement de méthode est en cours, y compris au ministère des solidarités et de la santé, avec l'administration et dans le lien nécessaire entre les différents ministères, les différentes administrations, les différents services, et ce y compris dans le domaine si sensible qui implique les questions de psychiatrie, dont on connaît bien les spécificités et les particularités pour chacun.

Vous m'interrogez sur les échanges entre les services de renseignement. On nous dit que les échanges entre services s'effectuent de manière sécurisée, sur des réseaux classifiés et sécurisés par l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information. Sur la transmission, la mesure vise à mieux cadrer le partage de renseignements entre services. L'idée n'est pas d'ouvrir des capacités ou des droits nouveaux, mais au contraire d'encadrer une pratique permanente et nécessaire, avec de plusieurs objectifs : d'abord, clarifier la possibilité pour un service de renseignement de pouvoir utiliser les données qui auraient été collectées par le biais d'une technique de renseignement à d'autres fins que celles pour lesquelles elles auraient été collectées ; puis, fluidifier et mieux encadrer ces transmissions de renseignements entre services - une fois collectés, si les renseignements s'avèrent utiles à d'autres services, les intérêts fondamentaux de la nation peuvent justifier, voire même commander, leur transmission à d'autres services. Il s'agit aussi d'encadrer les conditions dans lesquelles les services de renseignements peuvent se voir communiquer ces informations par d'autres entités publiques. C'est déjà prévu par la loi de 2015, mais nous souhaitons préciser les informations concernées et les finalités au titre desquelles cette transmission est possible au regard des exigences du Conseil constitutionnel. Nous apportons des garanties importantes. Les conditions procédurales sont renforcées préalablement à toute transmission de renseignements à un autre service. La transmission d'un renseignement est sans impact sur sa durée de conservation, qui reste enserrée dans les mêmes contraintes. Et les échanges de renseignements sont placés sous le contrôle étroit de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR).

Sur l'agression dont a été victime le Président de la République, je ne peux que vous renvoyer à l'enquête judiciaire, monsieur Bas. Vous savez qu'en vertu de la séparation des pouvoirs je ne suis pas habilitée à communiquer sur cette enquête, qui est en cours.

Vous m'interrogez aussi sur la pérennisation de l'algorithme. Cette technique vise à détecter une menace de manière précoce, en mettant en évidence les différents comportements téléphoniques ou numériques caractéristiques d'organisations ou de cellules terroristes. Le projet de loi prévoit tout simplement d'étendre son champ d'application aux données URL. Cette technique a déjà démontré son efficacité et son intérêt opérationnels dans la lutte contre le terrorisme. Un bilan de sa mise en oeuvre, rendu au Parlement en 2020, démontre l'utilité du dispositif, qui a permis l'arrestation de trois personnes en 2020, malgré l'absence totale d'ancrage ou d'appartenance de ces trois personnes à un réseau identifié. Cette technique ne porte pas atteinte à la vie privée ni au secret des correspondances, puisque l'usage des algorithmes, limité à la prévention des actes de terrorisme, est autorisé par le Premier ministre après avis de la CNCTR. Le projet de loi apporte de nouvelles garanties puisque l'avis de la CNCTR sera contraignant : le Premier ministre ne pourra pas passer outre un avis défavorable, sauf décision contraire du juge administratif. Les conditions de fonctionnement de l'algorithme sont très strictement encadrées : ce dernier ne porte pas sur les contenus des échanges, mais seulement sur les données de connexion ; il ne se fonde pas sur l'identité des personnes, et lève automatiquement l'alerte lorsqu'une liste précise de conditions techniques est remplie. L'extension proposée ne bouleverse pas le dispositif des algorithmes, ni l'équilibre auquel le législateur était parvenu en 2015, puisque les URL peuvent donner des informations sur les pages consultées mais ne donnent pas en elles-mêmes d'indication précise sur le contenu de l'information qui est consulté.

Sur l'article 15 et la criminalité grave, je vous renvoie à la décision du Conseil d'État, qui a estimé que l'article préliminaire du code de procédure pénale posait les principes de proportionnalité de l'investigation par rapport au respect de la vie privée. Il reviendra à l'autorité judiciaire d'apprécier au cas par cas ce qui relève de la criminalité grave.

Sur l'article 5, la mesure de sûreté plus complète nous semblerait contre-productive, et elle poserait un problème constitutionnel. Notre rédaction de l'article 5 nous semble plus équilibrée.

Vous avez évoqué les Micas. En novembre 2020, une visite domiciliaire menée dans l'est de la France a permis de découvrir au domicile de l'intéressé une arme de poing ainsi que des munitions, qui ont amené à l'ouverture d'une enquête en flagrance pour détention d'armes et à la condamnation de l'intéressé à une peine de six mois d'emprisonnement ; l'exploitation des supports saisis pendant la visite a confirmé son ancrage dans la mouvance djihadiste et sa volonté de commettre une action violente. Une enquête pour association de malfaiteurs terroriste (AMT) a été confiée à la DGSI. En mars dernier, un jeune homme a été mis en examen à Marseille pour des faits d'AMT à l'issue d'une visite domiciliaire conduite par les services de la DGSI qui a permis de confirmer les soupçons du service, grâce à la découverte, notamment, d'une large documentation faisant la promotion des thèses de l'État islamiste et de son projet de commettre une action violente. Ces exemples parlent d'eux-mêmes, je crois.

M. Sueur m'a interrogé sur la question de l'accès aux archives publiques et sur la sécurité des stockages. Cette mesure vise à donner sa pleine effectivité au principe de libre communicabilité des archives. Tout document classifié pourra être automatiquement communiqué, sans qu'aucune formalité complémentaire ne soit nécessaire, à l'exception, bien sûr, des documents, peu nombreux, classifiés ou non, perpétuellement incommunicables en application de la loi. Le champ des archives qui intéresse la défense nationale présente évidemment un intérêt croissant dans le contexte que nous sommes en train de traverser, notamment pour la recherche. Le secret de la défense nationale, qui contribue à l'exigence constitutionnelle de protection des intérêts fondamentaux de la nation, doit être concilié avec l'impératif constitutionnel de droit d'accès aux archives publiques. C'est une ligne de crête ! Le projet de loi propose de rendre les documents classifiés automatiquement communicables à compter de leur délai de communicabilité, qui est de 50 ans, sans pour autant que soit mise en oeuvre une procédure préalable de déclassification. Des exceptions seraient ménagées pour garantir la protection des documents qui présentent une sensibilité particulière, comme par exemple les documents relatifs aux procédures opérationnelles, ou aux capacités techniques des services de renseignement, qu'on ne peut communiquer qu'à compter de la perte de leur valeur opérationnelle, pour des raisons évidentes.

Sur la question de la sécurité du stockage, je veux dire que les réseaux classifiés qui sont sécurisés par l'Anssi, qui sont placés sous son contrôle étroit au sein des services de renseignement, le sont aussi au sein du groupement interministériel de contrôle (GIC), qui est une autorité indépendante qui coiffe cette organisation. C'est donc une double garantie.

Enfin, l'article 19 a fait l'objet d'une consultation étroite avec la communauté des historiens de la part du ministre de l'intérieur. La rédaction proposée reflète un équilibre qui a reçu l'assentiment de ces associations.

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