Intervention de Dominique Estrosi Sassone

Commission des affaires économiques — Réunion du 19 mai 2021 à 10h00
Évaluation de la loi n° 2000-1208 du 3 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains — Présentation du rapport d'information

Photo de Dominique Estrosi SassoneDominique Estrosi Sassone :

Il nous semble important que la commission des affaires économiques ait anticipé les débats à venir sur le projet de loi « 4D ». Nous serons prêts à y apporter des contributions qui servent nos élus et les spécificités de leurs territoires.

La loi SRU demeure un sujet délicat pour les maires. Elle suscite toujours beaucoup de débats. L'objectif que son article 55 fixe à quelque 2 000 communes des agglomérations françaises les plus importantes, et dont la population excède 3 500 habitants ou 1 500 habitants pour celles qui se situent dans l'aire urbaine de Paris, de comprendre 20 % en 2022, puis 25 % en 2025, de logements sociaux parmi leurs résidences principales, se révèle difficile à atteindre.

Un millier de communes restent déficitaires par rapport à cet objectif. Un peu moins de 300 d'entre elles sont même carencées et supportent en conséquence de lourdes sanctions. Ces seuls éléments justifiaient une évaluation. J'ajouterai que nous nous trouvons aujourd'hui à un moment charnière. Votée en décembre 2000, la loi SRU a vingt ans et le Gouvernement s'apprête à la réformer.

Le projet de loi « 4D » apporte plusieurs évolutions notables. Le Gouvernement entend supprimer les dates butoirs de 2022 et 2025. Désireux de pérenniser le dispositif de la loi SRU, il leur substitue un rattrapage glissant, différencié et contractualisé. Il prévoit un contrat de mixité sociale que signeront le maire et le préfet. En contrepartie, le projet de loi renforce les sanctions contre les communes.

La Cour des comptes, à la demande de nos collègues de la commission des finances, et la commission nationale SRU, à celle du Gouvernement, ont déjà remis un rapport au début de l'année 2021. Il ne s'agissait pas pour nous de présenter un rapport supplémentaire. Nous avons plutôt cherché, au plus proche du terrain, à relayer l'expérience des maires dans l'application de l'article 55 de la loi SRU.

Notre travail repose sur près de trente auditions et trois déplacements, dans le Nord, les Yvelines et les Alpes-Maritimes. Il s'enrichit de la contribution de près de 300 maires à la consultation organisée sur le site en ligne du Sénat. D'autres élus nous ont directement jointes ou se sont adressés à des collègues sénateurs qui s'en sont fait les interprètes.

Deux résultats fondamentaux ressortent de ces échanges et de cette consultation. D'une part, 70 % des maires considèrent que la loi SRU est utile. Nous voyons ici combien l'état d'esprit a changé en vingt ans. D'autre part, dans la même proportion, ils jugent la loi d'une application difficile, inefficace ou irréaliste. Tout l'objet de notre rapport consiste à établir un lien entre ces résultats d'apparence contradictoires.

Nous avons souhaité conduire une évaluation dépassionnée, mais également sans tabou, de la loi SRU. L'évaluation aborde deux aspects. Elle porte d'abord un regard rétrospectif sur les vingt années d'application de la loi, avant de procéder à l'examen des résultats obtenus. Elle aboutit à la formulation de 25 propositions, afin que l'objectif, assurément vertueux, de la loi soit mieux accepté.

Avec vingt ans de recul, quel regard pouvons-nous porter sur la loi SRU, notamment à travers les travaux de recherche universitaires qui s'y sont intéressés ?

La loi SRU représente une loi de rupture par rapport à plusieurs décennies de politiques d'urbanisation de notre pays. L'industrialisation, l'exode rural puis les grands projets que l'État a engagés après-guerre, et jusque dans les années 1970, ont dessiné des espaces spécialisés où le logement social restait concentré. La loi SRU en a exigé la répartition homogène sur le territoire. Le rattrapage demeure cependant long et vingt ans n'y suffisent pas. Il suppose en effet une transformation des communes.

Une commune déficitaire ne correspond pas nécessairement à une commune réfractaire. Souvent, elle rencontre plus de difficultés que d'autres dans la réalisation du rattrapage qui lui incombe. Ici, un double constat rend compte des difficultés d'application de la loi SRU.

En premier lieu, la définition de l'objectif manque de pragmatisme. Toutes les communes doivent atteindre le même seuil. Initialement de 20 %, celui-ci est passé en 2013 à 25 % avec une échéance à 2025. L'ajout de cinq points à obtenir en seulement trois ans relève d'emblée de la gageure. Des modèles mathématiques le démontrent : nombre de communes ne pourront pas atteindre cet objectif à moyen terme en construisant massivement des logements sociaux.

En second lieu, les difficultés d'application de la loi SRU transcendent les couleurs politiques et les moyens financiers des communes. Les chercheurs identifient parmi les maires rétifs un tiers d'élus de gauche, deux tiers de droite ; 50 à 60 % des maires qui se conforment aux prescriptions de la loi seraient de droite. Souvent, les communes les plus en retard dans son application s'avèrent aussi les plus pauvres. Il nous faut donc abandonner les idées reçues. Fréquemment, les difficultés des communes se révèlent purement objectives.

Parmi ces difficultés, les maires sont unanimes pour dénoncer une application de la loi trop verticale, uniforme et aveugle. Elle ne s'adapte qu'insuffisamment aux spécificités locales. Pour certaines communes, la carence en logements sociaux entraîne des conséquences des plus fâcheuses ; mais les sanctions qu'elles subissent ne prennent nullement en considération le retrait d'un bailleur ou un refus de permis de construire que l'État oppose.

Depuis l'engagement des débats - dès 1991 avec la loi d'orientation sur la ville qui contenait déjà l'objectif d'un taux de 20 % de logements sociaux -, et en dépit d'une forme d'instabilité des règles en vigueur, un compromis semble néanmoins devoir se dessiner.

Il intéresse notamment l'inventaire des logements sociaux. La presse s'alarmait de l'éventuelle intention du Sénat d'ajouter les logements intermédiaires dans le quota de ces logements. Sans négliger l'importance des logements intermédiaires qui répondent aux besoins de certains de nos concitoyens, notre chambre a plutôt favorisé l'accession sociale à la propriété par le prêt social de location-accession (PSLA) et le bail réel solidaire (BRS) dans le décompte des logements sociaux. La loi pour l'évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN) de 2018 l'a finalement consacrée.

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