Un autre enjeu de durabilité consiste à mieux connecter le producteur, le transformateur et le consommateur.
Lors de la signature du traité de Rome, il a été demandé aux agriculteurs français de remplir une mission essentielle et stratégique : nourrir le peuple européen au sortir de la guerre, sans dépendre d'autres pays. Aujourd'hui, à l'heure où il est demandé aux agriculteurs de réaliser de considérables efforts pour répondre à de nouvelles exigences du citoyen, il faut se souvenir de leur succès à remplir cette mission historique : s'ils ont déjà réussi cela, je suis certain qu'ils parviendront à relever tous les défis qui s'imposent à eux. Pour accompagner ce mouvement, le consommateur doit lui aussi traduire ses préférences citoyennes dans ses actes d'achat. La part de l'alimentation dans le budget des ménages est passée de 30 à 17 % en 60 ans, sans doute moins encore selon certaines prévisions. L'enjeu consiste à recréer un lien entre le consommateur et son alimentation, ce qui passe par une meilleure information sur ce qu'il achète. Or un consommateur voulant acheter français ne peut le faire, car les règles européennes régissant les étiquetages l'interdisent pour préserver le marché unique, ce qui n'est pas acceptable.
Le règlement européen INCO de 2011 étant d'harmonisation maximale, un État membre ne peut imposer l'affichage du pays d'origine des ingrédients principaux d'une denrée alimentaire. La France a voulu faire bouger les lignes : depuis la loi Sapin 2, les parlementaires s'étaient mobilisés pour que la France expérimente un affichage sur l'origine du lait et une dérogation a été obtenue de Bruxelles. Cette expérimentation était plébiscitée par les consommateurs. Or, à l'initiative d'un industriel, la Cour de justice de l'Union européenne a précisé il y a quelques semaines que, pour obtenir une dérogation à l'affichage du pays d'origine, la mesure devait être non seulement attendue par les consommateurs, mais également démontrer l'existence d'un lien entre l'origine d'un ingrédient et une qualité particulière. Autrement dit, si ce n'est pas un produit AOP ou IGP, rien ne peut être fait et l'étiquetage ne pourra mentionner qu'une « origine UE » ou une « origine hors UE ». Cette décision est de nature à accentuer l'éloignement entre des bureaux européens et les attentes des citoyens. Le marché unique ne s'oppose pas à ce qu'il y ait des spécificités nationales. Depuis, nous sommes dans une impasse juridique au niveau français. Nous proposons de porter urgemment le combat au niveau européen en appelant à une réforme d'ampleur de l'étiquetage des produits qui doit aboutir lors de la présidence française. Dans le cadre de cette réflexion, doivent être développées les pistes relatives à l'affichage des externalités positives et négatives d'un produit de consommation alimentaire, avec des méthodologies de calcul incontestable.
Si nous devons aider ceux qui veulent acheter français, nous devons aussi aider en parallèle ceux qui ont des difficultés à se nourrir à le faire. La précarité alimentaire reste d'actualité : sur ce volet, les associations caritatives réalisent un travail formidable sur l'ensemble de nos territoires via l'aide alimentaire. Des pistes proposées par la commission des affaires économiques en 2019 pour revoir la qualité des produits qui peuvent y être distribués ont permis de faire bouger les lignes ces derniers mois. Si la précarité alimentaire a un volet quantitatif, elle a également un volet qualitatif. Trop de ménages ne peuvent accéder à d'autres produits que ceux d'entrée de gamme, qui sont presque intégralement des produits importés. Ils ont encore plus de difficultés à acheter des produits AOP et IGP, biologiques ou fermiers. C'est le piège du tout haut de gamme promis à l'agriculture française qui peut se refermer sur nous : en réservant l'agriculture française à quelques-uns, nous en reléguons une grande partie à consommer des produits importés, sans pouvoir être sûrs qu'ils respectent les normes minimales requises en France.
Nos propositions en la matière sont claires : d'une part, travailler à une véritable éducation alimentaire de nos citoyens ; d'autre part, promouvoir un chèque alimentaire durable qui doit aider nos compatriotes les plus démunis à acquérir une alimentation plus durable, dépendant moins des produits importés. Les modalités restent à définir, sur le public éligible ou sur les produits à promouvoir, mais c'est une piste intéressante : il est essentiel que la France s'intéresse à la totalité de la consommation des Français. C'est d'ailleurs une proposition de la Convention citoyenne dont le Sénat doit s'emparer.