La Banque de France a bien avancé dans son analyse du tissu productif français. L'analyse du bilan des entreprises au 31 décembre 2020 montre des tendances pour la balance des risques des entreprises françaises ; ce sera mon premier point. Pour l'instant, la situation est relativement sauvegardée ; la résilience des entreprises françaises est, à ce stade, plutôt meilleure que ce que l'on aurait pu croire, grâce aux mesures de soutien public. Le dispositif d'assistance massive que nous avons mis en place, qui fait partie des records parmi les pays développés, a permis d'amortir considérablement le choc de la crise du covid ; d'où une photographie plutôt positive des entreprises françaises à ce stade. J'évoquerai ensuite les enjeux du soutien des entreprises en sortie de crise et les apports que la Banque de France peut proposer à ces dispositifs de soutien.
Mon premier point concerne la situation financière des entreprises analysée au prisme des bilans au 31 décembre 2020. La Banque de France gère la base de données dite Fiben - Fichier bancaire des entreprises -, qui nous permet de suivre la qualité du financement des entreprises françaises, d'étayer la politique monétaire, de calculer les ratios prudentiels des établissements de crédit et de conseiller ceux-ci pour le financement de l'économie.
Grâce au Fiben, je peux vous présenter aujourd'hui les encours de crédits accordés aux entreprises et les comptes financiers de celles-ci. Nous produisons chaque année une analyse financière de chaque entreprise ayant plus de 750 000 euros de chiffre d'affaires, soit une partie importante du produit intérieur brut (PIB) ; cela nous donne une vision large de l'économie. Ce thermomètre est précieux, car il nous permet d'évaluer la santé financière des entreprises, sur le fondement non seulement de l'analyse du bilan et du compte de résultat, mais également d'une analyse qualitative de la capacité des entreprises à honorer leurs engagements sur un à trois ans. Je précise que la photographie de 2020 est encore partielle, puisque, à fin avril, nous avions récolté 123 000 bilans et, à fin mai, 205 000. Mon analyse portera sur les 123 000 bilans récoltés à fin avril ; à cette date, quatre tendances se dessinent.
Première tendance, la crise sanitaire a fortement affecté la structure financière des entreprises françaises, mais, paradoxalement, elle s'est peu traduite sur leur activité, puisque la baisse du chiffre d'affaires en 2020 est de seulement 7 %. Il y a également une résilience de la rentabilité et la hausse moyenne du résultat net s'élève à 4 %. Tout cela est dû à l'importance des dispositifs de soutien public, qui ont permis de protéger les entreprises, en tout cas sur l'échantillon étudié, puisque l'effet d'amortisseur se traduit directement dans le chiffre d'affaires et la rentabilité.
Le point de grande vigilance réside dans l'augmentation significative de l'endettement brut des entreprises, qui est liée au succès du prêt garanti par l'État (PGE), lequel s'élève à 139 milliards d'euros d'encours. Cela fait de la France l'un des premiers pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) du point de vue du volume des prêts garantis : quelque 670 000 entreprises en ont bénéficié, principalement des TPE et des PME, lesquelles ont représenté 95 % des prêts et 75 % des encours. Cette première tendance est donc en demi-teinte : une situation financière instantanée plutôt positive, mais une aggravation de l'endettement.
Deuxième tendance, la déformation des bilans est asymétrique. Du côté des actifs, 75 % des entreprises étudiées affichent une augmentation de la trésorerie, en particulier celles qui ont recouru au PGE. Du côté du passif, les dettes financières de moyen et long termes ont fortement augmenté. L'évolution de cette situation dépendra de la stratégie de remboursement des PGE. À fin mars 2021, moins de 5 % des PGE ont été remboursés et les entreprises annoncent, dans leur très grande majorité, que les PGE seront convertis en dette amortissable à moyen terme, en profitant de l'étalement du remboursement prévu dans le dispositif.
Troisième tendance, une différence marquée entre les secteurs d'activité. Les entreprises qui ont accumulé de la trésorerie ne sont pas forcément celles qui ont contracté des dettes. Nombre d'entreprises ont augmenté leur trésorerie au moyen du PGE à titre de précaution. Ainsi, si la dette brute a considérablement augmenté, pour la dette nette - la dette brute dont on a défalqué la trésorerie -, la situation est plus contenue. Nous sommes en train d'affiner l'analyse des entreprises dont l'endettement a augmenté et la trésorerie a baissé : c'est le secteur à risque. À ce stade, 13 % des entreprises sont dans une zone à risque ; c'est sur celles-ci qu'il faudra concentrer notre soutien et notre attention.
Quatrième tendance, les défaillances d'entreprises sont moins nombreuses de 45 % par rapport à 2019. Cela ne préjuge pas de ce qu'il se passera dans les prochains mois, mais cela illustre tout de même l'importance du soutien public.
Nous disposerons prochainement de l'analyse portant sur 205 000 bilans. Nous pourrons donc, d'ici quinze jours, préciser la population à risque, c'est-à-dire celle qui se situe dans nos trois niveaux intermédiaires de cotation : les entreprises dont la capacité à respecter leurs engagements est faible, assez faible ou correcte. Voilà l'oeil du cyclone, selon nous ; c'est sur ces entreprises que nous concentrerons notre attention.
Par ailleurs, nous avons déployé des dispositifs de soutien aux entreprises ; j'en présenterai deux. Le premier est la médiation du crédit ; il s'agit d'étudier les demandes infructueuses de prêt bancaire ou de PGE. Nous avons multiplié par quatorze le nombre de nos interventions en la matière, en passant de 1 000 à 14 000 dossiers traités, et notre taux de succès - l'octroi d'un prêt par la banque à la suite de notre intervention - s'élève à 50,2 %. Le second dispositif, dénommé « Correspondant TPE-PME », consiste en un soutien proposé aux chefs d'entreprise dans chaque département, pour établir un diagnostic financier individualisé, afin d'aider les entrepreneurs à négocier leur rebond et à se tourner vers les interlocuteurs de la sphère financière, économique et judiciaire.