Une nouvelle étape est franchie aujourd'hui dans la levée progressive des mesures de restriction, avec la réouverture de nombreux lieux publics et le report de l'heure du couvre-feu.
La semaine dernière, le ministre de l'économie, des finances et de la relance, M. Bruno Le Maire, a indiqué devant notre commission que « [le] projet de loi de finances rectificative est un texte de sortie de crise et de transition afin de revenir à la normale », ajoutant qu'il fallait sortir du « quoi qu'il en coûte » « de manière progressive et adaptée ».
D'un point de vue économique, nous abordons une phase difficile, la reprise révélant paradoxalement les fragilités des entreprises.
La question est double : il s'agit, d'une part, de préciser le calendrier et les modalités de la sortie des aides de soutien et, d'autre part, d'envisager les éventuels relais qui pourraient être requis pour certaines entreprises particulièrement fragilisées.
Le projet de loi de finances rectificative présenté la semaine dernière n'apporte qu'une réponse très partielle - ce qui est normal - quant à la façon dont le Gouvernement entend opérer la transition entre un soutien large en trésorerie et un accompagnement complémentaire et ciblé en solvabilité.
Le 1er juin dernier, le Gouvernement a présenté un plan d'action beaucoup plus large d'accompagnement des entreprises en sortie de crise.
Pour faire le point sur ces questions, nous avons le plaisir d'accueillir ce matin quatre intervenants, que je remercie d'avoir accepté notre invitation : M. Jérôme Fournel, directeur général des finances publiques ; M. Erick Lacourrège, directeur général des services à l'économie et du réseau de la Banque de France ; M. Christophe Beaux, directeur général du Mouvement des entreprises de France ; M. William Nahum, président du Centre d'information sur la prévention des difficultés des entreprises.
Sans plus tarder, je cède la parole à M. Jérôme Fournel pour un propos liminaire sur l'évolution des mesures de soutien aux entreprises mises en oeuvre par la direction générale des finances publiques (DGFiP) et sur les grands axes du plan d'action gouvernemental.
Je profite de cette table ronde pour saluer l'action de la DGFiP et sa réactivité dans le déploiement du plan de soutien. Je forme d'ailleurs le voeu que la mise en oeuvre de la phase qui démarre aujourd'hui connaisse le même succès.
Je commencerai par un constat : la mobilisation de la DGFiP pendant la crise a été très forte. Le bilan a été fait des mesures de bienveillance fiscale, impôt par impôt, prises pendant la crise : il y en a plus d'une cinquantaine. Nous avons fait dans la dentelle, si je puis dire, pour adapter les dispositions fiscales en vigueur. J'ajoute que le prélèvement à la source et les acomptes contemporains destinés aux indépendants ont eux aussi été adaptés, lorsque les entreprises le demandaient, à la réalité de leur situation économique.
Quant au déploiement du fonds de solidarité, il n'est absolument pas terminé. En comptant les demandes d'indemnisation payées jusqu'au mois d'avril, nous en sommes à 2,8 milliards d'euros ; le fonds de solidarité est en train de franchir, ces jours-ci, les 30 milliards d'euros de décaissement d'aides aux entreprises.
L'heure est venue également de l'action de sortie de crise ; celle-ci passera par des structures comme les comités départementaux d'examen des problèmes de financement des entreprises (Codefi), qui sont chargés de rassembler sur chaque territoire les parties prenantes économiques autour du préfet. Ces organismes ont enregistré une multiplication par trois du nombre des saisines pendant la crise. Une curiosité : là où d'ordinaire on constate une corrélation entre ce qui se passe du côté des Codefi et ce qui se passe ensuite du côté des commissions des chefs de services financiers (CCSF), qui rassemblent les créanciers publics, en matière de prise en charge des dettes fiscales et sociales, on observe en l'espèce que le nombre de dossiers traités par les CCSF a été divisé par deux. Un niveau de surveillance très fort, donc, s'assortit de statistiques très basses concernant les défaillances financières d'entreprises.
La sortie de crise se présente de deux manières.
D'une part, nous sommes encore loin d'avoir totalement épuisé nos missions de crise. Le Gouvernement est en train de prendre les décrets qui vont lui permettre d'organiser le retrait en paliers des dispositifs d'urgence, la logique étant de faire perdurer le fonds de solidarité au titre du mois de mai dans les mêmes conditions qu'en avril et, concernant juin, juillet et août, d'éteindre progressivement les dispositifs s'agissant des secteurs qui rouvrent, en préservant ceux qui sont destinés aux secteurs qui restent fermés. D'autre part, va être engagé le plan annoncé par Bruno Le Maire voilà une semaine, organisé selon trois axes.
Premièrement, il faut que les acteurs qui sont au contact des entreprises travaillent ensemble. La sortie de crise se passera mal si chacun fait cavalier seul. Le premier acte de ce plan consiste donc à mettre autour de la table tous les professionnels qui gravitent autour des entreprises, d'où l'accord formalisé dans la récente charte d'engagement. Des entreprises se retrouveront en difficulté, c'est certain - on ne sait pas quand. Vu la robustesse de la reprise, on peut estimer que ces difficultés seront moins importantes que prévu. Mais nous ne sommes pas là pour faire des paris : il faut que nous soyons prêts, ce qui veut dire nous montrer capables de capter un maximum de signaux. Le comité départemental à la sortie de crise incarne cette volonté, qui passe aussi par des rapprochements effectués entre des outils jusqu'alors fragmentés.
Deuxièmement, le conseiller départemental à la sortie de crise, qui sera un agent de la DGFiP, jouera un rôle d'orientation auprès des entreprises, leur indiquant quelles sont les solutions adaptées sur la base des informations collectées et dans le respect du principe de confidentialité.
Troisièmement, s'agissant des solutions de sortie de crise proprement dites, elles sont notamment de nature financière, avec des prêts du Fonds de développement économique et social (FDES) et des prêts participatifs par exemple. Je citerai également les mesures de report d'échéances fiscales et sociales, jusqu'à 48 mois dans le cas des procédures qui passent devant la CCSF - nous avons allongé le report à 36 mois même là où aucune procédure n'est engagée par les créanciers publics. Nous nous sommes donc montrés très volontaristes en matière d'accompagnement des entreprises en difficulté.
Un champ nouveau s'est mis en place, qui consiste à maximiser tout ce qui a trait à la prévention et à l'accompagnement, dans le cadre de procédures raccourcies à trois mois - c'est le dispositif de sortie de crise -, afin que les entreprises ne craignent pas de rencontrer les juges ou de se faire déposséder de leur activité. L'objectif est, au contraire, qu'elles soient mises en situation de reprendre leur activité.
L'intérêt de l'accord, qui rassemble toutes les parties prenantes, est que tout le monde accepte de jouer le jeu. Le dispositif inclut l'administration judiciaire - la charte est cosignée par le garde des Sceaux -, mais également l'ensemble des autres acteurs - les administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (AJMJ) et toutes les personnes ayant un mandat de l'entreprise pour faire de la conciliation ou de la restructuration de dette privée -, qui acceptent de limiter le coût de leurs prestations, puisqu'il s'agit d'un tissu très large d'entreprises de petite taille.
Telle est, en résumé, la philosophie que nous défendons.
La Banque de France a bien avancé dans son analyse du tissu productif français. L'analyse du bilan des entreprises au 31 décembre 2020 montre des tendances pour la balance des risques des entreprises françaises ; ce sera mon premier point. Pour l'instant, la situation est relativement sauvegardée ; la résilience des entreprises françaises est, à ce stade, plutôt meilleure que ce que l'on aurait pu croire, grâce aux mesures de soutien public. Le dispositif d'assistance massive que nous avons mis en place, qui fait partie des records parmi les pays développés, a permis d'amortir considérablement le choc de la crise du covid ; d'où une photographie plutôt positive des entreprises françaises à ce stade. J'évoquerai ensuite les enjeux du soutien des entreprises en sortie de crise et les apports que la Banque de France peut proposer à ces dispositifs de soutien.
Mon premier point concerne la situation financière des entreprises analysée au prisme des bilans au 31 décembre 2020. La Banque de France gère la base de données dite Fiben - Fichier bancaire des entreprises -, qui nous permet de suivre la qualité du financement des entreprises françaises, d'étayer la politique monétaire, de calculer les ratios prudentiels des établissements de crédit et de conseiller ceux-ci pour le financement de l'économie.
Grâce au Fiben, je peux vous présenter aujourd'hui les encours de crédits accordés aux entreprises et les comptes financiers de celles-ci. Nous produisons chaque année une analyse financière de chaque entreprise ayant plus de 750 000 euros de chiffre d'affaires, soit une partie importante du produit intérieur brut (PIB) ; cela nous donne une vision large de l'économie. Ce thermomètre est précieux, car il nous permet d'évaluer la santé financière des entreprises, sur le fondement non seulement de l'analyse du bilan et du compte de résultat, mais également d'une analyse qualitative de la capacité des entreprises à honorer leurs engagements sur un à trois ans. Je précise que la photographie de 2020 est encore partielle, puisque, à fin avril, nous avions récolté 123 000 bilans et, à fin mai, 205 000. Mon analyse portera sur les 123 000 bilans récoltés à fin avril ; à cette date, quatre tendances se dessinent.
Première tendance, la crise sanitaire a fortement affecté la structure financière des entreprises françaises, mais, paradoxalement, elle s'est peu traduite sur leur activité, puisque la baisse du chiffre d'affaires en 2020 est de seulement 7 %. Il y a également une résilience de la rentabilité et la hausse moyenne du résultat net s'élève à 4 %. Tout cela est dû à l'importance des dispositifs de soutien public, qui ont permis de protéger les entreprises, en tout cas sur l'échantillon étudié, puisque l'effet d'amortisseur se traduit directement dans le chiffre d'affaires et la rentabilité.
Le point de grande vigilance réside dans l'augmentation significative de l'endettement brut des entreprises, qui est liée au succès du prêt garanti par l'État (PGE), lequel s'élève à 139 milliards d'euros d'encours. Cela fait de la France l'un des premiers pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) du point de vue du volume des prêts garantis : quelque 670 000 entreprises en ont bénéficié, principalement des TPE et des PME, lesquelles ont représenté 95 % des prêts et 75 % des encours. Cette première tendance est donc en demi-teinte : une situation financière instantanée plutôt positive, mais une aggravation de l'endettement.
Deuxième tendance, la déformation des bilans est asymétrique. Du côté des actifs, 75 % des entreprises étudiées affichent une augmentation de la trésorerie, en particulier celles qui ont recouru au PGE. Du côté du passif, les dettes financières de moyen et long termes ont fortement augmenté. L'évolution de cette situation dépendra de la stratégie de remboursement des PGE. À fin mars 2021, moins de 5 % des PGE ont été remboursés et les entreprises annoncent, dans leur très grande majorité, que les PGE seront convertis en dette amortissable à moyen terme, en profitant de l'étalement du remboursement prévu dans le dispositif.
Troisième tendance, une différence marquée entre les secteurs d'activité. Les entreprises qui ont accumulé de la trésorerie ne sont pas forcément celles qui ont contracté des dettes. Nombre d'entreprises ont augmenté leur trésorerie au moyen du PGE à titre de précaution. Ainsi, si la dette brute a considérablement augmenté, pour la dette nette - la dette brute dont on a défalqué la trésorerie -, la situation est plus contenue. Nous sommes en train d'affiner l'analyse des entreprises dont l'endettement a augmenté et la trésorerie a baissé : c'est le secteur à risque. À ce stade, 13 % des entreprises sont dans une zone à risque ; c'est sur celles-ci qu'il faudra concentrer notre soutien et notre attention.
Quatrième tendance, les défaillances d'entreprises sont moins nombreuses de 45 % par rapport à 2019. Cela ne préjuge pas de ce qu'il se passera dans les prochains mois, mais cela illustre tout de même l'importance du soutien public.
Nous disposerons prochainement de l'analyse portant sur 205 000 bilans. Nous pourrons donc, d'ici quinze jours, préciser la population à risque, c'est-à-dire celle qui se situe dans nos trois niveaux intermédiaires de cotation : les entreprises dont la capacité à respecter leurs engagements est faible, assez faible ou correcte. Voilà l'oeil du cyclone, selon nous ; c'est sur ces entreprises que nous concentrerons notre attention.
Par ailleurs, nous avons déployé des dispositifs de soutien aux entreprises ; j'en présenterai deux. Le premier est la médiation du crédit ; il s'agit d'étudier les demandes infructueuses de prêt bancaire ou de PGE. Nous avons multiplié par quatorze le nombre de nos interventions en la matière, en passant de 1 000 à 14 000 dossiers traités, et notre taux de succès - l'octroi d'un prêt par la banque à la suite de notre intervention - s'élève à 50,2 %. Le second dispositif, dénommé « Correspondant TPE-PME », consiste en un soutien proposé aux chefs d'entreprise dans chaque département, pour établir un diagnostic financier individualisé, afin d'aider les entrepreneurs à négocier leur rebond et à se tourner vers les interlocuteurs de la sphère financière, économique et judiciaire.
Monsieur le directeur général du Medef, nous avons été quelque peu étonnés de l'optimisme que le président du Medef a affiché dans la presse. On peut comprendre qu'il adopte une tonalité positive pour encourager les entreprises, mais est-ce justifié pour tous les secteurs ?
Je ne sais pas à quel article vous faites allusion, monsieur le président ; pour ma part, j'ai lu l'entretien que le président a donné au journal Les Échos de ce matin. C'est vrai, il adopte un ton optimiste sur la reprise - sans doute est-ce en effet une manière d'encourager les entreprises -, mais il signale également des facteurs de risque, notamment en ce qui concerne l'emploi - la difficulté de certaines entreprises à trouver des salariés, par exemple dans la restauration et l'hôtellerie - et les tensions inflationnistes, en particulier sur les matières premières, qui peuvent affecter le bâtiment. Le prix de certains matériaux augmente de 30 %. Or les contrats sont signés pour plusieurs années, sans possibilité de renégocier le prix malgré la hausse du coût des matières premières. Il y a donc des facteurs de risque dans l'économie, que le Medef ne sous-estime pas, malgré la volonté que l'économie reparte le plus vite possible.
Mon propos aura une tonalité plus ambivalente que les précédents ; c'est normal.
Sur les mesures de compensation, nous saluons l'effort remarquable déployé par Bercy, notamment par la DGFiP, pour accompagner les entreprises. Je parle de « mesures de compensation » et non d'« aides », car l'économie française se portait très bien fin 2019 et c'est à cause de décisions publiques prises dans le domaine sanitaire que nous avons connu un retournement de conjoncture ; il a donc fallu prendre des mesures de compensation. On constate le résultat de cette action remarquable, puisque le nombre de défaillances a chuté en 2020 et que la hausse du chômage a été limitée à un tiers de celle qui a suivi la crise de 2008-2009 : 300 000 emplois, contre 1 million.
Le Medef est favorable à la réduction progressive des mesures de compensation ; le « quoi qu'il en coûte » doit trouver sa solution, au sens chimique du terme, et laisser la place à l'économie « normale ». Nous avons été consultés par le ministre de l'économie sur les mesures de dégressivité du fonds de solidarité et sur la restriction de l'activité partielle ; la dégressivité et la sélectivité sont logiques, même si l'accompagnement de certains secteurs doit être poursuivi.
L'activité partielle a coûté cher aux finances publiques, mais également à celles de l'Unédic, qui supporte un tiers du coût de la mesure, soit près de 8 milliards d'euros. C'est pourquoi nous attendons avec impatience la mise en oeuvre de la réforme de l'assurance chômage ; l'entrée en vigueur de cette réforme permettra d'assainir la situation financière de l'Unédic et contribuera au rétablissement de la confiance, donc à la reprise.
J'en viens aux outils d'accompagnement de la sortie de crise. Des dispositifs ont été annoncés la semaine dernière à Bercy, pour faciliter la détection des difficultés en amont et assouplir les procédures collectives, mais il n'y a pas que cela.
Parmi les autres éléments figure, premièrement, la possibilité de continuer à percevoir des compensations sélectives, dans les secteurs dont la reprise sera plus lente ; je pense en particulier au tourisme ou à l'évènementiel.
Par ailleurs, pour prévenir les difficultés, il faut éviter que les entreprises ne se retrouvent en procédure collective. Le projet de loi de finances rectificative en cours d'examen contient justement des mesures qui peuvent prévenir certaines difficultés ; je pense au déplafonnement du report en arrière du déficit - ou carry back -, qui permettra aux entreprises ayant subi des pertes majeures en 2020 et qui en subiront encore en 2021 d'amortir ces pertes grâce aux bénéfices engrangés précédemment. Nous avons en tête une trentaine d'entreprises, d'une taille significative, qui pourraient bénéficier de ce dispositif, si vous l'adoptiez.
Ce projet de loi de finances rectificative comprend également un fonds de transition, doté de 3 milliards d'euros, qui est intéressant pour accompagner en fonds propres ou en quasi fonds propres les entreprises avant que celles-ci ne doivent se présenter devant un tribunal de commerce.
Ce projet de loi précise aussi les conditions dans lesquelles les entreprises peuvent proposer la prime défiscalisée dite « Macron ». Comme nous le recommandions, un amendement a été déposé à l'Assemblée nationale afin d'assouplir ce dispositif, pour tenir compte, d'une part, du degré d'exposition des salariés au covid et, d'autre part, des autres primes qu'ils ont pu toucher. À force de donner des injonctions aux chefs d'entreprise sur la façon de rémunérer leurs salariés, on ne crée pas un climat de confiance en l'avenir...
Le troisième outil, c'est le plan annoncé la semaine dernière. Je souhaite évoquer rapidement la méthode : on parle d'un « accord de place », mais il s'agit plutôt d'une décision de l'État à laquelle on a associé ensuite les professions du chiffre et du droit, puisque la concertation a duré très peu de temps... De même, l'adoption, de nuit, d'un amendement tendant à prévoir de nouvelles dispositions sur les procédures collectives n'a pas été précédée de la moindre concertation avec les partenaires sociaux. Je le déplore, car, même si nous ne sommes pas hostiles au dispositif, nous aurions pu suggérer quelques modifications.
Le Medef est globalement favorable à la philosophie décrite par Jérôme Fournel ; l'idée de détecter les situations en amont et de permettre aux entreprises d'avoir une approche plus fluide et moins traumatisante des procédures collectives nous paraît très bonne ; si vis pacem, para bellum, comme l'a dit le président du Medef.
Néanmoins, nous avons deux réserves. Premièrement, les entreprises ont toujours une difficulté psychologique à recourir au tribunal de commerce ; cela reste traumatisant. Les mesures pour faciliter l'accompagnement des chefs d'entreprises vont dans le bon sens, mais l'obstacle existe toujours. Deuxièmement, nous espérons que ce dispositif sera peu utilisé. On peut effectivement craindre, après une forte baisse des procédures collectives en 2020, une reprise de ces procédures, mais nous ne croyons pas beaucoup à ce « mur des faillites ». Selon nous, même si la structure financière des entreprises a été bouleversée, les PGE n'ont pas été accordés de façon inconsidérée ; le filtre des banques a évité d'accorder ce prêt à des entreprises « zombies ». Nous verrons quel sera le taux de sinistralité du PGE, mais nous ne pensons pas qu'il y aura des défauts massifs.
Dernier élément important pour la sortie de crise : la confiance. Deux facteurs peuvent contribuer à la confiance des chefs d'entreprise. Premier élément, il faut que le Gouvernement confirme qu'il n'y aura pas de hausse d'impôt, car l'un des enjeux de la sortie de crise est la désépargne des Français, qui ont accumulé une épargne massive pendant la crise. Selon l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), si seulement 20 % de la surépargne de 150 milliards d'euros accumulée pendant la crise sont injectés dans la consommation, on peut en attendre entre 1 et 1,5 point de croissance en 2021-2022. Pour cela, il faut que nos concitoyens soient sûrs qu'il n'y aura pas de hausses d'impôt. Second élément : la question des retraites ; si nous voulons rassurer les consommateurs et les entrepreneurs, il faut éviter l'épée de Damoclès d'un nouveau débat social houleux. Il faut une réforme, certes, mais celle-ci doit être ample, suffisante, légitime et arriver au bon moment. Nous ne voulons pas de perturbations d'ici au printemps 2022.
Ce sont effectivement les déclarations du président du Medef sur le fait qu'il ne croyait pas au « mur des faillites » que j'évoquais.
Je vais présenter rapidement le Centre d'information sur la prévention des difficultés des entreprises (CIP National), qui est moins connu que les autres institutions représentées ici. J'ai créé le premier CIP il y a vingt-cinq ans, car les entrepreneurs avaient déjà du mal à aller au tribunal de commerce ; telle est la raison fondamentale ayant conduit à la création du CIP. Je préside depuis huit ans le CIP national, qui chapeaute les quelque 60 CIP territoriaux. J'ai également participé à la création des médiations nationales du crédit.
Les mesures du Gouvernement pour faire face à la crise ont été remarquables, non seulement en masse, mais également dans la dentelle des mesures prévues. Pour une fois que l'on rend unanimement hommage à l'action du Gouvernement, il faut le souligner.
En ce qui concerne les entreprises qui conservent, par sécurité, la trésorerie issue du PGE sans en avoir véritablement besoin, peut-être faudrait-il réfléchir aux moyens de les inciter à investir ou à racheter des entreprises ? Il serait dommage que, d'ici quatre ou cinq ans, tout soit remboursé sans que cela ait servi à quoi que ce soit.
J'en viens aux centres d'information et de prévention, qui regroupent toutes les institutions concernées par l'accompagnement des entreprises : AJMJ, greffiers, experts-comptables, avocats ; toutes ces professions sont membres du conseil d'administration du CIP national, que j'ai l'honneur de présider.
Le concept du CIP est le suivant : quand un chef d'entreprise a une difficulté, n'importe laquelle, il est reçu par un expert-comptable, un avocat et un ancien juge consulaire, tous bénévoles. Ces trois personnes sont indépendantes et n'ont pas le droit de garder le bénéficiaire comme client ; ce n'est pas une opération commerciale, ce doit être désintéressé. Le chef d'entreprise vient seul ou accompagné, avec ou sans document et, grâce au dialogue, il est éclairé sur les mesures pouvant être prises ainsi que sur les issues possibles : tribunal de commerce, ce qui ne signifie pas forcément la liquidation ou la faillite, médiation du crédit ou autre.
Il y a plus de 60 CIP sur le territoire, qui reçoivent les entrepreneurs. Nous avons été étonnés, car j'avais mobilisé nos 500 bénévoles, mais le nombre de difficultés enregistrées a été faible ; nous essaierons d'éviter le « mur des faillites ». La mobilisation du 1er juin est très positive, car on échange avec le Medef, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), la Confédération des commerces. De manière générale, nos « clients » sont de petites entreprises, qui n'ont parfois même pas d'expert-comptable. Par ailleurs, l'ordre des experts-comptables a créé un autodiagnostic à destination des petites entreprises, qui peuvent même bénéficier de l'accompagnement bénévole d'un expert-comptable.
L'analyse de la dette agrégée ne dit rien de la disparité des situations. Des entreprises ont obtenu un PGE important sans l'utiliser, mais d'autres l'ont intégralement consommé. Les liens entre dette et trésorerie sont très disparates.
Par ailleurs, on revient à une situation normale - les salaires et les charges doivent être payés -, alors qu'il demeure des difficultés sur les recettes ; des entreprises n'arrivent pas à produire en raison des blocages se faisant jour dans certaines filières, lorsque les producteurs qui sont le plus en amont ne peuvent fournir les entreprises situées en aval. Il en résulte des besoins en fonds de roulement (BFR) importants, donc des besoins de trésorerie élevés. Nombre d'entreprises me demandent ce que nous allons faire sur cette question.
Le Sénat souhaite que la France réussisse au mieux la sortie de la crise. Je tiens à signaler un élément qui n'a pas été rappelé, alors même qu'il doit être pris en compte : nos entreprises ont conservé à leur charge 22 % de la perte de revenu enregistrée en 2020 tandis que ce ratio est de seulement 7 % en moyenne en Europe et de 0 % en Allemagne.
Pour la sortie de crise, nous nous accordons autour du triptyque « identifier, orienter, traiter » que j'avais proposée dès le 12 mai. Pour ce qui concerne l'identification, le Gouvernement s'appuie sur le dispositif « signaux faibles », sur lequel la Banque de France s'était montrée réservée lors de mes travaux sur les PGE. Qu'en est-il ? Quel est le point de vue des entreprises ? Comment réduire les risques de ne pas bien identifier, suffisamment en amont, les entreprises qui ont besoin de soutien ?
Le Gouvernement propose par ailleurs de s'appuyer sur des Codefi élargis, que j'ai moi-même appelé à faire évoluer en « comités de financement des entreprises en sortie de crise » (Cofisoc) dans mon rapport sur la sortie des PGE. Dans le Codefi, l'État et les créanciers publics décidaient pour les entreprises. Désormais, il importe que l'ensemble des acteurs - banques, professions du droit et du chiffre, acteurs publics - soient présents autour de la table, je rappelle qu'il y a aussi des enjeux d'emploi dans les territoires derrière ces questions. Les acteurs doivent être tous représentés, mais cela doit être efficace. Comment procéder ? Qu'en pensez-vous ?
Enfin, on a parlé de soutien ciblé, ce qui peut aussi passer par une mobilisation du levier fiscal. Le Sénat avait recommandé dès l'été dernier, dans le cadre de l'examen de la troisième loi de finances rectificative pour 2020, le recours au carry back ; le Gouvernement, qui y était défavorable en le jugeant trop coûteux, semble avoir changé d'avis ; tant mieux. Nous avons récemment évoqué une seconde piste dans le rapport sur les PGE : la déduction fiscale pour le capital à risque, afin de neutraliser le biais en faveur de l'endettement et d'encourager le financement sur fonds propres. Pourquoi n'est-ce pas dans les mesures prévues par le Gouvernement dans le projet de loi de finances rectificative que nous allons prochainement examiner et qu'en pensent les entreprises ?
J'admire la bonne humeur générale ; on aurait presque l'impression que rien ne s'est passé. J'étais moi-même favorable à tous les projets de loi de finances rectificative, mais il en résulte une situation : l'État est beaucoup plus endetté, les collectivités territoriales sont exsangues et les entreprises sont aussi plus endettées. Sans doute, la reprise arrive, mais, au-delà de 2021 - en 2022, en 2023 -, l'État sera plus endetté et devra réduire la voilure, donc ses investissements. Par conséquent, l'embellie ne risque-t-elle pas de se limiter à quelques mois ?
J'ai deux questions sur le plan d'action pour l'accompagnement des entreprises en sortie de crise. À l'article 13 de ce plan, l'État permet l'octroi de prêts participatifs exceptionnels aux entreprises pour couvrir les besoins en investissement et en fonds de roulement. Une fois de plus, on ne prévoit pas de réel financement du besoin en fonds de roulement (BFR). Je ne vois que des dispositifs de financement du haut de bilan, mais rien pour le financement du BFR. Qu'en est-il ?
Par ailleurs, en vertu de l'article 15, il est possible de mettre en place des plans d'apurement des dettes fiscales et sociales pour allonger les dettes qui sont déjà consenties. Cela signifie-t-il qu'aucun abandon de créance n'est prévu à ce stade ?
Je remercie les intervenants pour les précisions qu'ils ont apportées. Dans Les Échos de ce matin, le président du Medef soulignait que l'Europe, grâce à sa capacité à nous unir, avait été plutôt efficace. En effet, les actions menées ont permis à de nombreuses entreprises de surmonter la crise.
S'agissant des PGE, on a évoqué le chiffre d'un peu moins de 140 milliards d'euros. Quelle est la part des entreprises qui y ont souscrit, mais qui ne les ont pas utilisés ? Cet élément permettrait d'apprécier réellement la situation.
J'aimerais connaître les secteurs les plus à risque. Certains ont été identifiés - je pense à l'évènementiel -, mais il y en a peut-être d'autres.
En 2020, les recettes de l'impôt sur les sociétés sont en hausse de 3 milliards d'euros par rapport à ce qui était prévu, même si elles sont en baisse de 9 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale. De la même façon, les recettes de TVA, même si elles sont en baisse de 11 milliards d'euros par rapport aux prévisions initiales, sont finalement supérieures de 2 milliards d'euros au montant prévu dans les PLFR. Est-ce le signe d'une amélioration de la situation des entreprises malgré la crise que l'on a connue ?
Enfin, quid des risques liés à la situation financière ? Certaines entreprises ont-elles été fragilisées au point de risquer d'être rachetées par des sociétés extérieures ? La crise n'est-elle pas l'occasion d'engager des actions de relocalisation d'activités, ce qui permettrait de pallier les difficultés d'approvisionnement et de créer des emplois dans notre pays ?
Je me limiterai à trois questions.
Sur les outils déjà évoqués par le rapporteur général, il me semble nécessaire de mettre en oeuvre le carry back. Je suis surpris par le nombre a priori limité d'entreprises bénéficiaires. Ce système permet de répondre plus largement aux besoins des entreprises, y compris de petite taille. C'est le sens d'un certain nombre de messages qui me sont remontés.
Sur les prêts participatifs pour les TPE, ne fallait-il pas aller plus loin pour certains secteurs en grande difficulté et pour certains types de TPE ? Une collègue a évoqué les remises de dettes sociales. Je m'interroge sur la transformation de certains PGE en subventions pour des TPE, dans des conditions qui restent à préciser. Cette piste est-elle envisageable ?
S'agissant des fonds propres des entreprises, les mesures semblent relativement limitées. Les prêts participatifs sont des quasi fonds propres, ils peuvent répondre à un certain nombre de besoins, mais les enveloppes mises à disposition, notamment au titre du fonds de transition, semblent assez limitées. Pourrait-on imaginer un nouveau dispositif incitatif, soutenu par l'État, qui permettrait de renforcer les fonds propres des entreprises ?
Merci à tous les intervenants pour les informations extrêmement précises qu'ils ont apportées.
Ma première question porte sur les PGE, qui ont constitué un levier important de soutien à l'économie de notre pays. A-t-on une idée de la part de ces PGE qui, au final, ne pourra pas être remboursée par les entreprises ?
Ma seconde question est relative à la hausse très importante et rapide du coût des matières premières, qui a mis en difficulté un certain nombre d'entreprises du bâtiment. Cette hausse est-elle selon vous durable ou plutôt passagère ?
Je remercie nos invités de leurs interventions.
Une question : s'agissant de la répartition entre l'État et les banques des pertes relatives aux PGE, quelles sont les modalités envisagées ?
Une observation : je rejoins les craintes de Roger Karoutchi ; la sortie de l'énergie fossile et de l'énergie thermique ne sera pas une affaire facile. Alors qu'elle est décisive dans notre pays, l'industrie aéronautique est confrontée à des interrogations. La sortie de l'énergie fossile n'est pas achevée, et porte une dimension sociale.
Nous découvrons qu'il existe des goulots techniques. Le secteur du bâtiment a été évoqué, avec le problème de la filière des matériaux. Je pense aussi aux secteurs dont on pouvait penser qu'ils redémarreraient facilement, comme l'hôtellerie, la restauration, l'événementiel, mais qui sont manifestement confrontés à des problèmes de main d'oeuvre. Partagez-vous cette inquiétude sur les filières ?
Un constat : la stratégie du « quoi qu'il en coûte » a porté ses fruits. Globalement, l'économie française a enregistré une récession record, jamais observée depuis la Seconde Guerre mondiale, mais, dans le même temps, le nombre de faillites a également battu des records... à la baisse ! Nous n'avons jamais connu aussi peu de défaillances d'entreprises depuis trente ans, notamment dans les PME.
Néanmoins, le temps de la sortie progressive des aides est arrivé. Les mesures de soutien, qui ont apporté des liquidités aux entreprises sous forme de prêts, notamment le PGE, ou de reports de charges sociales et fiscales, ne font que renvoyer les difficultés à plus tard. Ces aides ont artificiellement maintenu en vie un certain nombre d'entreprises. L'endettement brut des entreprises non financières a augmenté de 170 milliards d'euros entre février et septembre, ce qui constitue tout de même une singularité française.
Cet endettement cache aussi d'autres dettes, notamment du fait des reports des impôts et des cotisations. Dans cette perspective, ne faut-il pas dès maintenant réfléchir à des critères opérationnels d'annulation sélective de dettes, notamment pour éviter les effets d'aubaine ? Une approche au cas par cas pourrait être nécessaire pour mettre à contribution les banques et les entreprises, et pas seulement l'argent public.
Pour employer une métaphore sanitaire, quelles mesures concrètes vous semblent aujourd'hui judicieuses pour juguler l'hémorragie qui adviendra lorsque les perfusions seront retirées ?
Merci pour votre éclairage. Je veux vous faire part de quelques réflexions issues d'échanges informels que j'ai eus la semaine dernière avec une poignée de chefs de très petites entreprises.
D'abord, l'annulation des PGE reste une espérance, un fantasme... Certains se disent qu'ils n'auront peut-être pas à rembourser ces prêts. Il faut une clarification sur ce point, même si elle a déjà eu lieu !
La plupart des chefs d'entreprise ont salué l'accompagnement dont ils avaient fait l'objet. Ils s'interrogent maintenant sur l'effet de seuil des aides de sortie de crise, qui est redouté. Si une entreprise a fait 49,5 % de son chiffre d'affaires de l'année précédente, elle bénéficiera d'aides de sortie de crise, alors que celle qui a réalisé 50,3 % de son chiffre d'affaires sera exclue du dispositif.
Merci aux intervenants pour la qualité de leurs propos.
Je partage la volonté du Gouvernement de favoriser un atterrissage en douceur, par paliers, de notre économie et d'accompagner les entreprises encore fortement touchées. Ce plan d'accompagnement ne sera une réussite que s'il est connu par tous, notamment par les petites entreprises. Avez-vous imaginé un plan de communication pertinent afin que ceux qui sont concernés puissent profiter de l'accompagnement mis en place à la faveur de la sortie de crise ?
Je laisse la parole à nos intervenants pour répondre à ces nombreuses interrogations.
Je veux d'abord dire rapidement que les CIP apportent aussi un soutien psychologique. Nous avons un accord avec l'association d'aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aiguë (Apesa) : lorsque nos bénévoles constatent une défaillance psychologique, un risque suicidaire d'un chef d'entreprise, ils lui proposent avec délicatesse - ils sont formés pour cela - un accompagnement psychologique pris en charge par le CIP National.
Ensuite, et sans évoquer la dette de la France qui est, si je puis dire, « en main », le problème principal est aussi celui du chômage et de la détresse des salariés. Un grand patron français a d'ailleurs créé un fonds pour ses salariés en situation de détresse. Les employeurs doivent prêter attention à ces difficultés.
Le gouverneur de la Banque de France a donné le 1er juin dernier des statistiques sur la dette et la trésorerie : l'écart est effectivement d'une dizaine de milliards d'euros. Monsieur Karoutchi, vous avez tout à fait raison de dire que souffle un petit vent d'optimisme. Il faut s'en féliciter ! En mars 2020, j'ai mobilisé mes collègues, les 500 bénévoles, comme si nous allions à la guerre. Au fur et à mesure du temps, après la déclaration très forte du Président de la République sur le « quoi qu'il en coûte », nous avons fait le constat qu'il n'y avait pas autant de faillites, de liquidations, de difficultés qu'on le pensait. Nous craignions de devoir faire face à une catastrophe économique majeure, avec de nombreux dépôts de bilan : la réalité n'est certes pas rose, mais tout de même infiniment moins inquiétante que celle que l'on craignait.
Le représentant de la Banque de France a évoqué le système jedeclare.com des experts-comptables. On constate que, dans certains secteurs comme la restauration, les bilans sont macro-économiquement bien moins dramatiques qu'on n'aurait pu le craindre. Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de secteurs en difficulté. Il faut continuer ce travail de « dentelle » pour parvenir à colmater les brèches.
Je soutiens le dispositif qui a été évoqué sur le carry back.
Pour terminer, à titre tout à fait personnel, je me rappelle que, voilà quarante ans, je regardais quasi mensuellement les statistiques de la balance commerciale de la France et de l'Allemagne : les chiffres n'étaient pas du tout au déshonneur de notre pays. Aujourd'hui, nous savons que l'on va approcher des 160 ou 200 milliards d'euros de différence... J'espère que cette crise permettra à la France de réindustrialiser. J'ai ressenti avec une grande douleur la désindustrialisation de notre pays, quand l'Allemagne réussissait à garder son industrie. Un effort doit être fait sur cette question.
Enfin, et je m'exprime toujours à titre personnel, il faut assurer l'indépendance de la France dans les secteurs stratégiques. J'ai trouvé dramatique d'avoir eu à se demander pendant plusieurs mois si l'on allait recevoir des masques de la Chine, alors qu'ils ne valent plus rien aujourd'hui. Je fais confiance à toutes les parties prenantes, y compris vous, mesdames, messieurs les sénateurs, pour que nous allions en ce sens.
Je répondrai essentiellement à six questions qui ont été posées.
Monsieur le rapporteur général, le Medef est favorable à votre suggestion d'une mesure en faveur du capital-risque. Le directeur général du Medef qui s'opposerait à une déduction fiscale n'est pas encore né ! Votre suggestion rappelle la proposition n° 6 de votre rapport. On constate que les intérêts de la dette sont exonérés, ce qui favorise en quelque sorte indirectement les financements par endettement, au détriment des fonds propres. Toute mesure qui peut contribuer à un rééquilibrage en faveur des fonds propres par une exonération des intérêts, même si ce n'est pas exactement leur dénomination technique, nous paraît aller dans le bon sens.
J'irai même un cran plus loin : toute mesure qui favorise la constitution de fonds propres est bonne. La principale déduction fiscale en faveur des fonds propres, c'est la baisse du taux de l'impôt sur les sociétés. En dépit des signaux contraires envoyés par les États-Unis avec le plan Biden, nous souhaitons que la stratégie du Gouvernement d'arriver à un taux de 25 % soit maintenue.
À la deuxième question plus politique soulevée par M. Karoutchi, je répondrai un peu comme William Nahum. L'économie, c'est du capital, de la dette, mais ce sont aussi des hommes et des femmes, salariés, employeurs ou consommateurs - donc une affaire de psychologie. Alors, peut-être y a-t-il un peu trop d'optimisme dans l'air pour reprendre votre expression, mais cet optimisme est nécessaire pour aller de l'avant. Indépendamment des analyses politiques, j'invite tout le monde à voir le verre à moitié plein, sans quoi les prédictions sur les difficultés économiques ne manqueront pas de se réaliser ; si, au contraire, nous accompagnons le mouvement, cela créera de la croissance, de l'emploi, donc des capacités à rembourser notre dette et, aussi bien les pouvoirs publics que les entreprises, à être en meilleure situation financière.
Concernant les besoins en fonds de roulement, on a oublié de mentionner que les PGE sont prolongés jusqu'au 31 décembre 2021. Les entreprises qui auraient des difficultés de BFR peuvent donc toujours se tourner vers leur banquier pour mettre en place un PGE.
Nous pensons que les prêts participatifs ne sont pas l'outil le plus adapté aux TPE. Faut-il pour autant remplacer ces prêts par des exonérations plus massives de charges sociales ou d'impôts ? J'ai dit, tout à l'heure, ce que le Medef pensait du « quoi qu'il en coûte », donc je n'irai pas jusqu'à cette proposition.
Les matières premières connaissent-elles une hausse durable ? Si je le savais, monsieur le sénateur, je serais trader dans une banque d'affaires. Cela dit, avec une économie à l'arrêt pendant de longs mois, il y a effectivement un problème d'ajustement entre l'offre et la demande. Nous pensons que le mouvement est plutôt conjoncturel et qu'il devrait trouver prochainement sa résolution, mais cela n'est pas une certitude.
Enfin, concernant les effets de seuil, du côté du Medef, on a fait notre deuil de cette contrainte mécanique. Si l'on veut obtenir des compensations d'un côté, il faut bien que des seuils soient définis de l'autre. Cela crée des effets de bord toujours désagréables pour certaines entreprises, mais inévitables.
Cependant, dans sa stratégie de dégressivité du fonds de solidarité, l'État a mis en place un système qui nous paraît intelligent, en abaissant très fortement le seuil pour bénéficier du mécanisme ; nous ne sommes plus à 50 %, mais à seulement 10 % de pertes de chiffre d'affaires. La compensation apportée, quant à elle, est dégressive, avec des paliers à 40, 30 et 20 %. Cela nous paraît répondre en partie à vos préoccupations et à celles des chefs d'entreprise que vous avez rencontrés.
J'ai noté, au passage, que vous souhaitiez que la baisse des taux d'imposition des entreprises se traduise par une augmentation des fonds propres. On ne l'a pas toujours constaté dans le passé, mais je ne doute pas qu'à l'avenir ce soit le cas ; j'en forme le voeu.
Quand un dividende est versé, il est souvent réinvesti par l'entrepreneur...
Vous avez beaucoup évoqué la question de l'endettement, la différence entre les dettes brutes et nettes, ainsi que la question du lien avec le BFR. Ce sujet est crucial pour la capacité du pays à rebondir après la crise. En dette brute, nous sommes passés de 1 683 milliards d'euros fin 2019 à 1 890 milliards d'euros fin 2020. En trésorerie, durant la même période, nous sommes passés de 689,2 milliards d'euros à 891,3 milliards d'euros. Ces phénomènes parallèles assez remarquables illustrent bien que les encaissements de précaution basés sur le PGE ont joué leur rôle, ce qui est logique pour les entreprises dans une situation d'incertitude aussi importante.
Le point critique concerne le taux d'endettement des sociétés non financières à l'issue de l'opération. Ce taux s'élève à 87,6 % du produit intérieur brut (PIB) en dette brute, contre 50 % en Allemagne. En dette nette, si l'on fait la soustraction de la trésorerie par rapport à l'endettement global des entreprises françaises, le taux s'élève à 48,3 % du PIB, contre 30 % en Allemagne. Le sujet de l'agilité en sortie de crise de nos entreprises est à regarder de près. Comment va se rééquilibrer le ratio dette-trésorerie ? L'objectif est que la trésorerie serve aussi à investir.
Nous risquons de sortir de la crise avec un endettement massif à la fois des entreprises et de l'État. Cela dit, je souhaite revenir sur les prévisions macroéconomiques de croissance, facteur capital dans la sortie de crise, que nous harmonisons avec les autres pays de la zone euro. Sous réserve d'un rebond pandémique, les prévisions indiquent que nous devrions atteindre le chiffre de 5,5 % de croissance - record historique, sauf qu'il s'agit d'une récupération. Nos économistes pensent que nous devrions atteindre le même chiffre en 2022.
Au cours du premier semestre 2022, et peut-être même plus tôt encore, nous devrions avoir comblé le creux terrible de l'année 2020, où l'on a connu une croissance négative également historique de 8 %. En valeur absolue, l'économie française reviendra à son état antérieur à la crise.
Concernant l'accompagnement du BFR, il existe un certain nombre d'entreprises à risques en termes de défaillance - environ 13 % des entreprises. Ce n'est pas un raz-de-marée, mais il convient d'être vigilant. Il est capital d'identifier à l'avance le risque de défaillance de ces entreprises et que tous les acteurs se mobilisent pour les accompagner. À la Banque de France, nous sommes en mesure de les identifier, de diffuser des listes et ensuite de les analyser. Il faudra certainement aller au-devant de ces entreprises ; il s'agit également de valoriser les procédures de sauvegarde, très efficaces pour permettre aux entreprises viables de passer le cap, et d'étudier les questions de médiation.
Combien la sinistralité des PGE va-t-elle coûter aux contribuables ? Selon nos analyses, au regard du contexte économique, le risque de sinistralité devrait s'établir entre 4,5 % et 6 % des entreprises ayant sollicité un PGE. Cela engage la responsabilité de l'État, caution à 90 % de l'essentiel des PGE. Le risque pour les finances publiques a été analysé avec Bercy et intégré dans le projet de loi de finances.
Les prêts participatifs sont-ils l'instrument miracle pour relancer la trésorerie et la structure financière des entreprises ? Soyons clairs, ils ne correspondent pas à des fonds propres. Le Conseil national de la comptabilité (CNC) et l'administration fiscale considèrent que ce sont des prêts ; et, dans notre cotation Banque de France, nous les considérons également comme des prêts. Mais ce sont des prêts de longue durée, établis sur huit ans, avec un différé possible de quatre ans ; il s'agit donc d'un dispositif particulièrement favorable pour les entreprises endettées, et il est donc intéressant de le promouvoir selon le profil de l'entreprise.
Je signale également que la Banque de France, dans sa cotation, prend en compte ces prêts participatifs relance (PPR) de façon favorable ; cela ne pondère pas la notation que l'on peut donner à une entreprise de la même manière qu'une dette classique.
Concernant l'opportunité de relocaliser les emplois en France, nous entrons dans un débat sociétal qui dépasse les compétences de la Banque de France. Le dispositif mis en place par l'État dans le cadre du plan de relance permet de soutenir ce type de relocalisations. Vous avez également évoqué le commerce extérieur ; l'un des enjeux de la sortie de crise est de rééquilibrer nos comptes extérieurs.
Enfin, je souhaite évoquer deux points décisifs pour la sortie de crise : la hausse du coût des matières premières et les prévisions d'inflation. Nous sommes en train de recalculer, de manière coordonnée avec les autres banques centrales, les prévisions d'inflation pour les prochains mois ; nous les publierons le 13 juin. À ce stade, nous pensons que l'incidence liée à la hausse du coût des matières premières et aux ruptures dans les chaînes d'approvisionnement internationales, dont nous font part beaucoup d'entreprises, serait plutôt transitoire et n'aurait pas un impact à long terme sur l'inflation. Cela ne veut pas dire que cela n'aura pas d'incidence sur la structure financière de l'entreprise dans le court terme ; il s'agit de l'un des facteurs qui rendent plus incertain le rebond de la croissance, mais nous l'avons intégré dans nos calculs. Les prévisions d'inflation sont capitales ; de ces prévisions dépendent la stratégie des taux d'intérêt et le financement des économies dans l'Eurosystème.
Y aurait-il une part de croissance du PIB perdue à l'issue de ce cycle ? Ou bien, existe-t-il encore un espoir de réaliser un surplus de croissance, par exemple en 2022, qui permettrait de revenir à ce qu'aurait pu être l'économie sans la crise ? C'est un point sur lequel vous pourrez nous transmettre quelques éléments ultérieurement.
Il existe bien entendu un plan de communication auprès des entreprises ; l'idée est de le déployer progressivement. Nous l'avons tous dit : il n'y a pas de « mur de dettes » à l'horizon - peut-être des « boulets » sur la durée, mais pas de mur. Nous avons donc un peu de temps devant nous, et il ne sert à rien de lancer avant l'été un grand plan de communication que tout le monde aura oublié six mois plus tard, dans l'euphorie de la croissance.
Nous sommes dans une situation extrêmement difficile. On avait un modèle de détection de vulnérabilité et, pendant la crise, nous avons été obligés de le modifier. La temporalité de ces modèles et de ces algorithmes n'est absolument pas adaptée à la situation d'un commerce fermé pendant plusieurs mois.
Nous cherchons maintenant à rendre ces modèles plus robustes, mais ils ne représenteront qu'une partie de l'information ; on ne se focalisera pas sur les algorithmes pour savoir si les entreprises sont vulnérables. Ces derniers mois, on recevait chaque jour, via notre dispositif d'écoute téléphonique, plusieurs milliers d'appels d'entrepreneurs, et on les orientait vers les dispositifs mis en place par l'État ; nous allons maintenir ce dispositif et en faire un outil d'accompagnement pour la sortie de crise. Tout ce qui a été fait au niveau local avec le comité départemental va également dans ce sens, en distinguant bien ce qui relève de la participation collective à l'effort d'accompagnement du traitement des entreprises en difficulté.
Concernant les PGE, 138 milliards d'euros ont été octroyés, alors que l'enveloppe de départ était fixée à 300 milliards d'euros. La somme apparaît dans les comptes généraux de l'État à fin 2020. Nous avons estimé le taux de défaillance à 5,25 %.
Notre volonté est de ne pas mélanger les instruments ; il existe des instruments en fonds propres, avec des banques publiques qui soutiennent les entreprises ; des instruments de dette ont été mis en place pendant la crise, et des instruments de quasi fonds propres font la jonction. L'objectif à la fin n'est pas que l'État se retrouve au capital de l'ensemble des acteurs publics ; l'idée est d'organiser un retrait progressif, avec peut-être un taux d'intérêt croissant dans le temps, de telle sorte que l'entreprise ait intérêt à retrouver des conditions normales de financement.
S'agissant des reports d'échéances fiscales, nous avions très largement ouvert le dispositif, mais, in fine, beaucoup d'entreprises se sont remises en régularité par rapport à leurs créances fiscales ; elles n'ont pas abusé du système et, au contraire, ont essayé de renouer avec une trajectoire de fonctionnement d'entreprise solvable. Cela limite l'inquiétude par rapport à l'effet « boulet » que l'on pouvait craindre.
La logique d'annulation des dettes ne nous paraît pas justifiée. Naturellement, il existe des procédures de redressement, avec un appel à l'ensemble des créanciers, qui visent à restructurer une dette. À cet effet, au niveau local, une CCSF permet de savoir jusqu'où l'on peut aller dans l'abandon de dettes. Ce type de procédure diffère de celles que nous essayons de promouvoir plus en amont. Car il s'agit de ne pas se tromper : il ne faut pas sauver des entreprises qui n'ont pas vocation à l'être ; il faut soutenir les entreprises touchées par la crise, mais prêtes à redémarrer.
Des mesures fiscales sont maintenues, notamment la baisse de l'impôt sur les sociétés (IS). Nous continuons à soutenir l'économie au travers des dispositifs fiscaux déjà votés par le Parlement ; je ne pense pas, à ce stade, qu'il soit nécessaire d'en créer d'autres.
Avec le plan de relance, beaucoup de dispositifs ont contribué au développement, à l'investissement et à l'innovation des entreprises. Maintenant, il convient de s'appuyer sur la confiance, d'être lucide sur la situation d'endettement global des acteurs privés et publics, et enfin de ne pas se précipiter sur des sujets plus pointus, en entrant trop dans le fonctionnement microéconomique des entreprises.
Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Nous poursuivons nos travaux avec la communication de notre rapporteur spécial, M. Paul Toussaint Parigi, sur le rôle et les moyens du Haut Conseil pour le climat (HCC).
Je consacre mon premier contrôle budgétaire à un organisme encore jeune, dont l'importance ne cesse de croître : le Haut Conseil pour le climat. Créé par le Président de la République fin 2018, cet organisme est chargé d'apporter un éclairage indépendant sur les politiques publiques en matière de climat. Il est rattaché à France Stratégie, organisme de prospective lui-même placé sous l'autorité du Premier ministre, qui héberge le Haut Conseil dans ses locaux et lui fournit un appui administratif et logistique.
Le HCC est composé de treize experts nommés par décret, qui se réunissent au moins une journée par mois et touchent une indemnité mensuelle de 500 euros. Il dispose, depuis sa mise en place en 2019, d'un secrétariat permanent de 6 équivalents temps plein (ETP), ainsi que d'un budget annuel de fonctionnement de 500 000 euros, qui lui permet notamment de commander des études extérieures afin d'appuyer ses travaux.
Parallèlement à la prise de conscience croissante des enjeux climatiques et aux besoins que nous avons d'y répondre collectivement, le HCC voit son rôle évoluer de manière importante et fait aujourd'hui l'objet de nombreuses sollicitations.
Dans ce contexte, j'ai voulu comprendre en détail le rôle précis dévolu à cet organisme qualifié par certains de « comité Théodule » au moment de sa création, afin d'évaluer si les moyens attribués étaient à la hauteur des ambitions affichées pour le climat et d'apprécier les difficultés auxquelles ce jeune organisme fait face.
Je vais d'abord revenir brièvement sur les missions qui lui ont été confiées, dans un premier temps par décret, avant d'être reprises fin 2019 dans la loi Énergie-climat.
Le HCC a pour mission principale d'évaluer de manière indépendante l'action de l'État et des collectivités territoriales au regard des engagements climatiques de la France, en particulier de l'accord de Paris de 2015 et de l'objectif de neutralité carbone à l'horizon de 2050, qui figure dans la loi depuis 2019. Il peut émettre des avis et des recommandations sur un projet ou une proposition de loi, ou sur toute question ayant trait aux enjeux climatiques, comme la question de l'impact environnemental de la 5G ou celle de la rénovation énergétique des bâtiments. Il peut être saisi par le Gouvernement, par le président de l'Assemblée nationale, du Sénat ou du Conseil économique, social et environnemental (CESE) ; il peut également décider de s'autosaisir, comme il l'a fait dernièrement sur le plan de relance ou sur le projet de loi Climat et résilience.
Au-delà des avis ponctuels qu'il est amené à émettre, il publie également chaque année un rapport général sur le respect de la trajectoire de baisse des émissions de gaz à effet de serre, qui bénéficie d'un écho médiatique important. Ce rapport passe en revue les contributions au respect de la trajectoire bas-carbone de différents secteurs d'activité économique et de différentes politiques publiques. Il intègre de nombreuses recommandations en vue d'améliorer l'action climatique de l'État et des collectivités. Malgré des moyens limités, j'y reviendrai, le HCC a ainsi produit une douzaine de publications depuis sa mise en place en 2019.
S'il est encore trop tôt pour établir un constat définitif, le premier bilan que l'on peut dresser est extrêmement positif. Alors qu'il n'a que deux années d'existence, il bénéficie déjà d'une expertise largement saluée, qui en fait aujourd'hui un acteur majeur de la gouvernance et du débat public en matière de lutte contre le changement climatique.
Les treize membres qui composent le collège du Haut Conseil sont des experts reconnus par leurs pairs dans leurs domaines respectifs. On peut citer les noms de Mme Laurence Tubiana, l'une des architectes de l'accord de Paris de 2015, de la climatologue Mme Valérie Masson-Delmotte ou encore de l'économiste M. Jean-Marc Jancovici. Le HCC constitue ainsi une sorte de mini-groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) - dont est par ailleurs membre la présidente du Haut Conseil pour le climat, Mme Corinne Le Quéré - et couvre un large éventail d'expertise dans les domaines liés directement ou indirectement au climat, allant de la climatologie à l'économie, en passant par l'agronomie ou encore la géographie. Le personnel administratif qui accompagne ces treize experts est lui aussi particulièrement qualifié, puisque le secrétariat du Haut Conseil est intégralement constitué d'agents de catégorie A, dont les deux tiers de catégorie A+, pour la plupart contractuels.
Outre l'écho médiatique positif dont bénéficie le Haut Conseil, le constat est unanime parmi les personnes auditionnées au cours de mes travaux. Toutes saluent le sérieux et l'indépendance de l'institution, qui ne se prive jamais de souligner dans ses rapports les insuffisances de l'action de l'exécutif en matière de climat. Son rapport annuel a même été cité comme base de référence par les juges du Conseil d'État dans une récente décision que de nombreux observateurs ont qualifiée d'historique, dans laquelle le Conseil d'État a pour la première fois enjoint à l'État de justifier, dans un délai de trois mois, du respect de ses obligations climatiques.
Au-delà de son rôle d'évaluation des politiques publiques, le Haut Conseil est également une force de propositions et a contribué à plusieurs avancées récentes en matière de lutte contre le changement climatique. À titre d'exemple, on peut citer la création de plans d'action climat pour chaque ministère et, surtout, l'intégration de nombreuses mesures au sein du volet écologie du plan de relance, directement issues de recommandations émises par le Haut Conseil.
La concrétisation des ambitions climatiques affichées par l'exécutif implique néanmoins de donner au HCC les moyens nécessaires pour exercer pleinement son rôle. Or, il est encore loin de disposer des moyens lui permettant de remplir de façon satisfaisante ses missions actuelles et, a fortiori, les missions nouvelles que lui confient progressivement l'exécutif et le Parlement. En effet, il est en quelque sorte victime de son succès et parvient difficilement à répondre aux sollicitations croissantes. Vous vous souvenez sans doute des débats houleux suscités, il y a un peu plus d'un an, par la question de l'impact environnemental de la 5G. Le président du Sénat avait alors formellement saisi le Haut Conseil pour le climat au mois de mars, afin d'obtenir une expertise détaillée sur cette question. Ce dernier n'avait cependant pas été en mesure de rendre son rapport avant le mois de décembre, trois mois après le début du processus d'attribution des fréquences 5G. Ce retard a limité la portée de son rapport, qui émettait pourtant de nombreuses réserves. La présidente du Haut Conseil s'en était expliquée dans un courrier adressé au président Larcher, ainsi que devant nos collègues de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, en évoquant des ressources humaines insuffisantes. Il y a trois semaines, le directeur exécutif du Haut Conseil pour le climat, M. Olivier Fontan - que j'ai auditionné - a annoncé son départ, en évoquant lui aussi publiquement des moyens trop restreints.
Tous ces signaux doivent nous alerter sur le manque criant de moyens du HCC. Non seulement ce dernier ne parvient pas toujours à publier ses rapports dans des délais satisfaisants, mais il a également été contraint de laisser de côté des sujets essentiels qui relèvent de sa compétence, comme, par exemple, l'hydrogène ou les puits de carbone. Il apparaît donc urgent de renforcer ses moyens humains, afin de lui permettre d'exercer pleinement ses missions actuelles, mais également celles à venir.
Dans le cadre du projet de loi Climat et résilience actuellement examiné par le Sénat, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable propose, en effet, de confier au HCC une mission d'évaluation annuelle de la mise en oeuvre du projet de loi. Je soutiens cette position, car il me semble qu'une telle évaluation doit, d'une part, être confiée à un organisme public indépendant et, d'autre part, reposer sur des éléments scientifiques solides, à savoir un chiffrage précis de l'impact de ces dispositions sur les émissions de gaz à effet de serre. À l'heure actuelle, seul le HCC semble remplir ces deux conditions. Je déplore que l'évaluation ex ante de l'impact carbone du projet de loi Climat ait été confiée par l'exécutif à un cabinet de conseil international plutôt qu'au Haut Conseil lui-même. Au-delà, il me semble que l'expertise reconnue du HCC mériterait d'être mise à profit plus largement, lorsque le sujet s'y prête, dans l'évaluation des lois et de leur impact climatique, qu'il soit positif ou négatif.
Le manque de moyens du Haut Conseil pour le climat ne saurait justifier le recours, pour ce type de mission, à des organismes dont l'expertise ou l'indépendance - parfois les deux - peuvent être remises en question ; c'est pourquoi les moyens de cet organisme doivent être renforcés.
Le HCC dispose depuis sa création d'un secrétariat de 6 ETP. À titre de comparaison, c'est cinq fois moins que son équivalent britannique, qui dispose de plus d'une trentaine d'agents permanents, pour une structure - à savoir un conseil scientifique indépendant - et des missions similaires.
Au cours des auditions que j'ai menées, les services du Premier ministre ont reconnu la nécessité d'augmenter les effectifs du Haut Conseil pour le climat et ont indiqué envisager un renforcement du secrétariat à hauteur de 4 ETP, vraisemblablement en 2022. Cela va évidemment dans le bon sens, mais me paraît encore bien trop faible au regard à la fois des fortes tensions auxquelles est soumise l'institution et de nos ambitions en matière de gouvernance climatique. En tant que rapporteur spécial, je veillerai donc à ce que ses moyens soient renforcés à hauteur d'une dizaine d'ETP dès 2022, dans le cadre de l'examen du prochain projet de loi de finances, pour atteindre un total de 16 ETP, l'objectif à moyen terme devant être de parvenir à un total de 24 ETP en 2023 ou 2024. Je rappelle que la commission de l'aménagement du territoire avait proposé, lors de l'examen du dernier projet de loi de finances, une hausse de 18 ETP dès l'année 2021. J'espère donc que la proposition d'une augmentation de 10 ETP en 2022 apparaîtra raisonnable à notre commission.
Afin d'évaluer au mieux les gains que doit permettre ce renforcement, je suggère, en outre, de l'accompagner de la création d'un indicateur de performance relatif au délai moyen de publication des rapports du Haut Conseil pour le climat, hors rapport annuel bien entendu.
En résumé, je tire de mes travaux un bilan extrêmement positif de la création du HCC. En deux ans à peine, ce jeune organisme a su se constituer une expertise solide et s'imposer comme un outil incontournable d'évaluation et de stimulation des politiques climatiques. Son expertise mériterait, à mon sens, d'être davantage mise à profit, en particulier en matière d'évaluation ex ante et ex post des lois, et sa montée en puissance devra rapidement s'accompagner des moyens nécessaires. Sur le long terme, il conviendra également de veiller à consolider la place du Haut Conseil dans le paysage institutionnel, en assurant son autonomie fonctionnelle et budgétaire ; c'est ce que permettrait notamment de garantir le statut d'autorité administrative indépendante. Il me semble donc qu'une réflexion pourrait, le moment venu, être engagée à ce sujet.
Je remercie le rapporteur spécial pour la qualité de son travail. Je suis sensible à un certain nombre de recommandations, même si je n'en partage pas l'ampleur. Chacun sait que j'éprouve un intérêt de longue date pour les problématiques et thématiques liées à l'environnement. L'expression de mon point de vue se situe dans le droit fil des débats menés à l'occasion du projet de loi de finances et dans le respect des missions confiées au Parlement.
Ainsi, je salue l'engagement des treize membres de cet organisme à la constitution paritaire ; je reconnais leurs qualités et leurs capacités à émettre des avis et conduire des travaux en toute indépendance.
Mais il convient de ne pas oublier que, parmi nos missions, nous avons la responsabilité de l'évaluation et du contrôle des politiques publiques. J'entends l'idée d'avoir des regards différents et complémentaires, mais nous devons être attentifs à l'exercice de ces missions. Nous devons enfin, et peut-être surtout, évaluer les politiques publiques menées sur ces enjeux environnementaux en Europe. Comment s'organise la France par rapport à ses partenaires ? Quels sont les différents dispositifs dont elle dispose ? Sur ces sujets, il s'agit d'avoir une vision élargie. En France, nous avons dans notre organisation l'expression des corps intermédiaires - je pense notamment au CESE ; peut-être faut-il revoir la coordination et les moyens associés.
Le fait d'avoir en France une structure indépendante de ce niveau est un bon élément. Je souhaite simplement que notre regard ne soit pas trop restrictif et que tout ne dépende pas de ce Haut Conseil. La réflexion doit se poursuivre sur des bases élargies, afin d'identifier les évolutions envisageables, sachant que le sujet de la dette climatique doit nous préoccuper.
Tel est le cadre que je propose de retenir, peut-être moins optimiste en termes de création de postes. Je trouverais dommage - mais c'est le rôle de notre commission et la mission du rapporteur spécial - de ne se concentrer que sur les moyens alloués au regard de l'importance de la problématique.
Je confirme ce que le rapporteur spécial a pu dire sur les conditions de la saisine du Haut Conseil pour le climat en amont de l'attribution des fréquences 5G pour en mesurer l'impact environnemental. En effet, le président du Sénat avait saisi le HCC au mois de mars 2020, et nous avons eu le retour de l'organisme au mois de décembre, après l'attribution des fréquences. Un tel délai nuit à l'efficacité et même à l'utilité du HCC. Je me souviens très bien que la présidente du Haut Conseil avait déclaré à l'époque que tous leurs travaux étaient en retard. Il y a donc un incontestable problème de moyens. Comme l'a exprimé le rapporteur général, il faut regarder les choses dans leur globalité, mais, de toute évidence, les comparaisons sont cruelles : 6 ETP, contre 35 au Royaume-Uni.
Je ne vois pas d'autres organismes ayant cette compétence et cette indépendance en France. Et nous faisons appel à des cabinets de conseil qui ne doivent pas coûter beaucoup moins cher aux finances publiques que d'augmenter les moyens permanents.
Nous devons être vigilants sur un point concernant l'éventuelle saisine du Haut Conseil sur les projets de décrets d'application de la loi Climat. Au regard du nombre de décrets, il est souhaitable que l'organisme soit saisi sur ces projets de décrets, mais encore faut-il qu'il puisse être en capacité de se prononcer dans des délais convenables. Sans dilapider l'argent public, nous devons faire en sorte que le Haut Conseil ne soit pas comme les cavaliers d'Offenbach qui arrivent après la bataille ; ce serait dommage, car le rôle de cet organisme est tout à fait utile, pertinent et efficace.
Le document de synthèse produit par le rapporteur spécial nous éclaire largement et met en valeur des personnalités et des experts dans beaucoup de domaines, dont la géographie à laquelle je suis attaché. Dans les quatre recommandations, on retrouve la notion d'autorité indépendante. Est-il opportun de créer une autorité indépendante supplémentaire alors que, au sein du ministère compétent, des personnels sont disponibles ? Les enjeux climatiques sont fondamentaux, et c'est à l'échelle mondiale que doit se faire la concertation.
Le sujet est très important et l'effort budgétaire me paraît intéressant. Le fait que les moyens attribués au HCC soient insuffisants relève-t-il de la politique du « en même temps » ? En créant un organisme sans lui donner les moyens de réaliser sa tâche, se satisfait-on d'un affichage qui n'embête pas le Gouvernement ni les lobbies ? Ou alors, le Gouvernement est-il favorable à une montée en puissance pour un coût budgétaire qui reste extrêmement marginal ?
À titre comparatif, quel est le coût du cabinet de conseil ayant réalisé l'étude d'impact de la loi Climat, afin que l'on puisse comparer avec une éventuelle augmentation budgétaire pour le Haut Conseil ?
Quelle est l'utilité de créer ces autorités indépendantes alors que nous avons des ministères fournis en hauts fonctionnaires ? C'est une façon de dessaisir le Parlement, le CESE et l'administration.
Après les accords de Paris, le HCC répond à une préoccupation légitime. Toutefois, je suis très inquiet quant à la prolifération des coûts et des organismes. Quand nous avons auditionné le Haut Conseil des finances publiques, il nous demandait également des moyens supplémentaires. Nous devons nous préoccuper du retour à l'équilibre de nos finances publiques, et cela passera par une diminution des dépenses en personnel de l'État, qui représentent à peu près la moitié de son budget. Dans ce contexte, la proposition formulée par le rapporteur spécial d'une augmentation aussi significative des moyens humains du HCC m'interpelle ; le rythme de croissance me semble très conséquent et devra correspondre à des réductions de postes par ailleurs.
Concernant l'indicateur de performance, le délai moyen de publication des avis n'est peut-être pas le seul moyen d'appréhender l'activité du Haut Conseil. J'ai regardé son rapport annuel d'activité de 2020, cela correspond à ce que fait l'Agence de la transition écologique (Ademe) pour vulgariser un certain nombre de considérations relatives à l'empreinte carbone. Peut-être faudrait-il introduire un indicateur quantitatif du nombre de saisines avec, d'une part, les saisines extérieures et, d'autre part, les autosaisines.
Je crois beaucoup aux vertus de l'évaluation, qui permet d'améliorer, d'affiner et de corriger les politiques publiques ; mais je crois en ces vertus lorsque l'évaluation n'est pas menée par celui qui met en oeuvre les politiques. On ne peut pas à la fois dire sur tous les tons que le verdissement de l'économie est une priorité et consacrer si peu de moyens à une évaluation indépendante. Je vais donc dans le sens de la proposition du rapporteur spécial ; au regard des sommes énormes engagées pour le climat, la demande me semble légitime.
Cela me rappelle le rapport de la mission d'information sur l'illectronisme ; on avait pu lire dans ce rapport que l'État avait consacré, sur la période allant de 2013 à 2022, 14 milliards d'euros pour les infrastructures, les réseaux, les tuyaux, les câbles, et seulement 10 millions d'euros en 2019, puis 30 millions d'euros en 2020 pour la maîtrise des usages numériques ; avec un tel écart, il ne fallait pas s'étonner des mauvais résultats de notre pays en matière de lutte contre l'illectronisme... Je suis donc favorable au renforcement des moyens dédiés au HCC.
Depuis les accords de Paris, les questions environnementales occupent une place centrale dans les réflexions portées et dans la mise en oeuvre des politiques publiques. Au niveau des territoires, beaucoup de questions sont posées sur les nouvelles énergies, l'éolien, l'hydrogène, la place de la méthanisation. Le HCC pourrait tout à fait évaluer les politiques publiques sur ces questions.
Vous fixez à 24 personnes les besoins en personnel à l'horizon de 2023. Pourquoi ce nombre précis ? Comment avez-vous effectué votre évaluation ?
Il existe un sérieux problème de fonctionnement et d'effectif ; tels sont les constats qui ressortent des différentes auditions.
Monsieur le rapporteur général, le but n'est pas de dessaisir le Parlement de sa mission d'évaluation des politiques publiques. Le Haut Conseil pour le climat est un outil complémentaire, qui vient en appui du Parlement. Il s'agit aussi du seul organisme disposant de cette expertise, avec une indépendance reconnue, qui devra être davantage garantie juridiquement.
Monsieur Féraud, j'ignore la part de sincérité dans la création de cette instance. Il s'agit quand même d'un acte politique important. La création de cet organisme doit aujourd'hui s'accompagner d'une volonté de le faire évoluer ; sinon, en effet, on pourra parler d'une création alibi.
J'ignore le coût de l'étude commandée par le ministère de la transition écologique ; par expérience, il doit être élevé.
Concernant la garantie juridique d'indépendance, le HCC est actuellement rattaché aux services du Premier ministre. L'exécutif qui évalue l'exécutif : on peut légitimement se poser des questions. Par ailleurs, une concertation est actuellement en cours pour la création d'un Haut Conseil pour le climat au niveau européen ; peut-être cela permettra-t-il d'inciter tous les pays qui n'ont pas encore créé ce type d'organismes à le faire.
Monsieur Canévet, il est en effet moins coûteux de renforcer les moyens permanents d'un organisme public - soit un coût d'environ 100 000 euros par ETP pour le Haut Conseil - que de faire appel aux services de prestataires extérieurs. Si l'on pouvait attribuer cette somme à des organismes compétents comme le Haut Conseil pour le climat, ce serait quelque chose de légitime.
Au sujet du personnel, ce sont les auditions qui m'ont amené à fixer ce nombre, ainsi que les comparaisons, avec nos collègues britanniques notamment. Je rappelle que le directeur du Haut Conseil a démissionné, car il pensait ne pas pouvoir répondre aux demandes. Le HCC doit aujourd'hui évoluer. Alors, monsieur le rapporteur général, peut-être ai-je été trop « gourmand », mais le débat est ouvert.
Une vieille tradition existe à la commission des finances comme ailleurs : si on demande peu, on n'obtient rien ; et si on demande beaucoup, on a une petite chance d'obtenir un peu. Restons dans cet esprit, sachant que, de toute façon, il faudra convaincre le Gouvernement et la majorité d'aller dans ce sens. C'est au moment de l'examen du projet de loi de finances que le débat pourra s'engager concrètement avec le ministre. Merci, monsieur le rapporteur spécial, pour votre communication.
La réunion est close à 12 h 00.